1° Le cas de la clause attributive de juridiction
La clause attributive de juridiction est considérée
comme étant transmise au contrat final, à condition que l'action
directe en cause soit de nature contractuelle.
Selon la conception française, l'action du
sous-acquéreur contre le fabricant est qualifiée de
contractuelle. En effet, la clause attributive de juridiction attachée
au contrat entre le fabricant et l'acquéreur intermédiaire est
transmise au contrat du sous-acquéreur. Cette transmission est
justifiée par le principe d'accessoire.
5CJCE, 19 juin 1984 : JDI 1985, p.159 obs. M.
J-M. Bischoff
6« Le droit des contrats », l'arbitre et les tiers :
Rev. Arb. 1988, p. 429 7Cass. 3ème civ, 30 oct.
1991: Bull. Civ. III, n°251, p. 148
En revanche, selon la conception communautaire, la Cour de
justice des communautés européennes (CJCE) n'a pas voulu
qualifier, dans l'arrêt Jakob Handte du 17 juin 19928,
l'action du sous-acquéreur contre le fabricant, de contractuelle. Il en
résulte que la clause attributive de juridiction insérée
dans le contrat initial ne s'oppose pas au sous-acquéreur, tiers du
contrat. La faculté pour le fabricant d'opposer au sous-acquéreur
cette clause est exclue si, du moins la clause est antérieure à
la naissance du litige entre le sous-acquéreur et le fabricant. Une
telle clause ne devrait pouvoir lier d'autres que les parties qui en sont
convenues. Or, la Cour de justice a jugé exactement le contraire dans
son arrêt Tilly Rüss du 19 juin 19849 lorsqu'elle a admis
la possibilité qu'une clause contenue dans un connaissement soit
opposable au tiers porteur du connaissement.
2° Le cas de la clause d'arbitrage (clause
compromissoire)
Le régime de la transmission d'une telle clause ne peut
qu'être calqué sur celui de la clause d'élection du for.
Telle est l'impression qui se dégage à la lumière de
l'identité d'origine et de finalité unissant les deux
catégories de clauses. En conséquence, la loi régissant le
problème d'effet relatif de contrats sera, en principe, la loi qui
régit la convention contenant la clause compromissoire. Selon une
opinion doctrinale unanime10, la loi du contrat doit être
compétente pour décider à quelles personnes s'appliquent
les effets de ce contrat ou des clauses qu'il renferme. Tout comme la clause
attributive de juridiction, la clause d'arbitrage suivra en cas de reventes
successives de la chose, le sort des autres droits et obligations
énoncés par le contra principal dans lequel elle
s'insère.
Mais, certains auteurs se sont interrogés sur le
bien-fondé de cette solution11 en invoquant deux
défauts qui entacheraient le principe d'intégration de la
convention d'arbitrage aux autres clauses du contrat. D'une part, cette
solution
8 CJCE, 17 juin 1992, aff. C-26/91, Jakob
Handte : Rev. crit. DIP 1992, p. 730, note H. Gaudemet-Tallon
9 CJCE, 19 juin 1984, Aff. 71/83 : JDI 1985,
159 obs. J-M. Bischoff
10 F. Leborgne, « L'action directe en
responsabilité dans le groupe de contrats », thèse Renne I,
1995
11 Ibid.
méconnaît le fait que la clause compromissoire
est un contrat dans le contrat et irait, par conséquent, à
l'encontre de sa large autonomie juridique. De l'autre, cette utilisation d'une
loi nationale porterait en elle-même ses limites car que faire quand la
clause d'arbitrage échappe à toute loi étatique.
Cependant, ces reproches ne semblent pas bien fondés.
S'agissant du premier, il est vrai qu'invoquer l'intégration de la
clause au contra principal pour justifier qu'elle en épouse les
évolutions, peut sembler paradoxal, alors que son autonomie est mise en
évidence12. Mais, ce n'est là qu'un paradoxe apparent
qui suppose que l'on se concentre sur le terme « autonomie » en le
détachant artificiellement de ses objectifs. Sans entrer dans le
détail du principe d'autonomie de la convention d'arbitrage, il convient
simplement ici, de se souvenir qu'il revêt tout d'abord un aspect
matériel, en ce que le maintien en vigueur de la clause ne dépend
pas du sort du contrat principal, mais aussi un aspect juridique permettant que
la convention d'arbitrage soit, le cas échéant, régie par
une loi différente de celle qui s'applique au contrat principal.
S'agissant du second, le principe d'autonomie aurait pour corollaire, la
validité de principe de la clause, sans référence à
aucune loi étatique.
On notera ensuite deux points. En premier lieu, aucune
atteinte à l'autonomie juridique ne paraît devoir résulter
du recours à la loi du contrat principal, tant il est vrai que celle-ci
s'évincera si la clause relève d'une loi propre. Seule cette
dernière sera naturellement compétente pour décider de la
transmissibilité.
En second lieu, personne ne disconviendra que le but du
principe d'autonomie ne soit autre que d'assurer la pleine efficacité de
la clause, de faire en sorte qu'elle déploie pleinement ses effets. Or,
l'intégration et l'autonomie oeuvrent, chacune en son domaine, pour la
même cause : le plein effet de la convention d'arbitrage. Aussi bien
discerne-t-on mal en quoi l'autonomie de la clause compromissoire justifierait
que son sort soit dissocié des autres clauses du contrat principal et
que cette question échappe à la loi gouvernant ce contrat.
12H. Gaudemet-Tallon : note sous CA Paris, 26 masr
1991 : Rev. Arb. 1991, p. 456
A cet égard, il pourra être
rétorqué que les parties à la convention d'arbitrage ont
fort bien pu considérer celle-ci comme étant intuitus
personnae et la restreindre à leurs rapports respectifs. La
pratique arbitrale internationale révèle une prise en compte
certaine de l'intuitus personnae. La Cour d'appel de Paris en date du
20 avril 198813 vient attester que la clause compromissoire
insérée dans un contrat international a une validité et
une efficacité propres, qui commandent d'en étendre l'application
à la partie venant même partiellement aux droits de l'un des
contractants, à condition que le litige entre dans les prévisions
de la convention d'arbitrage. L'intérêt de cette décision
est double. Outre qu'elle marque la nécessité de respecter la
volonté des parties avant d'admettre la transmission de la clause, sa
référence à la validité et l'efficacité
propres de la clause, afin de justifier cette transmission paraît bien
faire découler celle-ci d'une règle matérielle de droit
international privé.
En bref, et sous réserve de la volonté des
parties, le principe de validité se doublerait d'un principe de
transmissibilité en droit de l'arbitrage international, sans aucune
référence à une loi étatique.
Cette solution a été renforcée par
l'arrêt Dalico14 de la Cour de cassation. D'après un
commentaire sous cet arrêt par M. E. Gaillard, cette jurisprudence marque
un abandon de la méthode conflictuelle dans l'appréciation de
l'existence et de la validité d'une convention d'arbitrage
international. Pourquoi ne pas décider de même à propos de
sa transmissibilité? Car du même coup, se trouverait
réglée la difficulté liée à la transmission
de la clause compromissoire qui n'est soumise à aucune loi
particulière. Que faire lorsque la loi du contrat où
s'insère la convention d'arbitrage permet sa transmission, tandis que la
loi régissant la vente conclue par le sous-acquéreur s'oppose,
comme le droit français, à une telle transmission? Normalement,
la logique propre aux chaînes de contrats, qui veut que chacun des
13Rev. Arb. 1988, p. 570
14Cass. 1ère civ, 20 déc. 1993 :
JDI 1994, 432 note E. Gaillard
maillons de contrats serve de relais à la transmission
des droits et actions attachés à la chose, devrait à la
façon d'un filtre, faire obstacle à ce que la clause soit
acceptée sans réserves, dans la mesure où il porterait une
atteinte supplémentaire à la prévisibilité
juridique du fabricant en même temps qu'il placerait le titulaire de
l'action dans une situation préférentielle par rapport à
celle de son auteur. Dès lors, plutôt que d'avoir à
trancher entre ces impératifs contradictoires, il serait
préférable de pouvoir recourir à une règle
matérielle de droit international privé admettant, sous
réserve de la volonté contraire des parties, la transmission de
la convention d'arbitrage.
Si le maillon initial semble pouvoir apposer la clause
attributive de compétence insérée dans son contrat,
à l'encontre du maillon final, demandeur de l'action directe, celui-ci
peut-il, en revanche, se prévaut d'une telle clause
insérée dans son contrat ?
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