Deuxième partie.
L'évolution de la responsabilité
des États membres.
63.- Dans ce mouvement jurisprudentiel initié par la
Cour de justice des Communautés européennes au début des
années 90, la Cour de justice avance plus rapidement et audacieusement
dans l'évolution de la responsabilité des États membres.
En énonçant l'engagement de la responsabilité des
États membres du fait d'une décision juridictionnelle nationale
statuant en dernier ressort, la Cour de justice montre certaines innovations
achevées mais restreintes (Chapitre Ier). La problématique de la
mise en oeuvre difficile et la réparation du préjudice (Chapitre
II) nous inspire les innovations possibles dans l'avenir.
Chapitre Ier.
Des innovations achevées mais restreintes.
64.- Il s'agit ici de deux arrêts importants quant au
développement nouveau rendus ces dernières années dans le
régime de la responsabilité des États membre, à
l'occasion de l'extension de la solution énoncée par des
jurisprudences antérieures, les arrêts Köbler et
Traghetti présentent certaines innovations achevées (Section
Ière). Cependant, on observe en même temps des innovations
restreintes (Section II), qui marquent une étape supplémentaire
à l'égard de la consolidation du principe de la
responsabilité des États membres en cas de violation du droit
communautaire.
Section Ière.
Des innovations achevées par la jurisprudence.
65.- Même si l'arrêt Köbler et
Traghetti ne peuvent pas véritablement être
considérés comme une révolution majeure au principe
établi par jurisprudence antérieure, les deux arrêts
illustrent l'évolution notable de l'engagement de la
responsabilité de l'État du fait d'une violation découlant
d'une décision juridictionnelle statuant en dernier ressort. Dans ces
arrêts, la Cour de justice continue à confirmer encore le principe
établi et porte la protection effective des particuliers à un
niveau plus élevé (A). De même, la Cour de justice ne
s'arrête jamais à la précision des critères de
l'appréciation de la méconnaissance manifeste (B).
A. La confirmation du principe établi et le
développement de la protection effective des particuliers.
66.- Même si dans son arrêt Brasserie,
la Cour de justice des Communautés européennes a
déjà énoncé implicitement la responsabilité
de l'État membre en cas de violation du droit communautaire imputable
à l'organe judiciaire interne73, l'arrêt
Köbler fut la première décision de la Cour de
justice qui a engagé la responsabilité de l'État du fait
de l'activité d'une juridiction suprême dans le cas où un
refus de poser une question préjudicielle constituerait une
méconnaissance manifeste. L'arrêt Traghetti del Mediterraneo
a précisé les aspects et les modalités trois ans plus
tard.
67.- Il ne fait aucun doute que les deux arrêts ne
contreviennent à la solution posée par les jurisprudences
antérieures. Ils ont consolidé le principe de la
responsabilité établi par la Cour de justice. La Cour de justice
a indiqué le fait que « dans l'ordre juridique international,
l'État dont la responsabilité est engagée du fait de la
violation d'un engagement international est considéré dans son
unité, il doit en être d'autant plus ainsi dans l'ordre juridique
communautaire74. Mme Pingel
73 CJCE, 5 mars 1996, Brasserie du pêcheur et
Factortame III, op. cit., n° 34.
74 CJCE, 30 septembre 2003, Köbler c/ Autriche,
op. cit., n° 32.
estime que « le point mérite d'être
relevé, pour la mention faite par la Cour du droit international auquel
il serait faux, en conséquence, de soutenir qu'elle répugne
à s'inspirer »75.
68.- Dès lors, dans l'arrêt
Köbler, la protection effective des particuliers dans le domaine
de l'activité judiciaire a développé
considérablement. Cependant, selon M. Simon, la Cour a rejeté en
pratique les prétentions d'un requérant alors même qu'elle
lui donne totalement raison sur le plan théorique76.
69.- Ainsi, l'arrêt Traghetti a
confirmé la solution posée par l'arrêt
Köbler. La Cour de justice a ajouté que ce principe peut
s'agir ainsi du cas « où le juge national interprète d'une
manière telle qu'elle aboutit, en pratique, à une violation du
droit communautaire applicable »77. De plus, pour justifier un
droit à réparation, la Cour se fonde sur l'effet utile de
l'arrêt Köbler qu'« exclure, dans pareilles
circonstances, toute responsabilité de l'État en raison du fait
que la violation du droit communautaire découlant d'une opération
d'interprétation des règles de droit effectuée par une
juridiction, reviendrait à vider de sa substance même le principe
posé par la Cour dans l'arrêt Köbler
»78 . A présent, on peut dire que le principe
dégagé par la jurisprudence Köbler s'applique
à tous les éléments de l'acte de juger, et ainsi en est-il
de même de l'activité juridictionnelle qui peut être soumise
à une action en responsabilité.
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