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Le Comité Judiciaire du Conseil Privé de la Reine Elisabeth II d'Angleterre et le Droit Mauricien

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par Parvèz A. C. DOOKHY
Université Paris I Panthéon-Sorbonne - Docteur en Droit 1997
  

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Paragraphe 1. La pluralité ethnique de l'île Maurice

L?histoire coloniale, la succession des colonisateurs, a façonné le peuplement de l?île Maurice. Le fait multiracial marque le fonctionnement du système et du jeu politique (B) du fait même qu?il est évoqué dans le texte constitutionnel (A).

275 TERNON Yves: «L?Etat criminel, les génocides au XXème siècle», Editions du Seuil, 1995, 459 p.

276 «La démocratie ne se résume-t-elle qu?en la souveraineté du nombre ? Dans ce cas il faut admettre que le processus électif peut conduire à la dictature (les Nazis sont arrivés au pouvoir avec la majorité relative des suffrages), et c?est encore le cas aujourd?hui de nombreux régimes autoritaires», ROULAND Norbert, PIERRE-CAPS Stéphane et POURAMEDE Jacques: «Droit des minorités et des peuples autochtones», PUF, Collection droit fondamental, 1996, 581 p., v. p. 11.

A. Les données sociales et constitutionnelles

La population mauricienne est juridiquement composée de quatre ethnies (a). La prise en compte des dissensions ethniques s?est traduite par l?introduction dans la Charte fondamentale des garanties et des moyens de protection des minorités. L?examen de ces garanties nous conduit également à s?interroger sur leur efficacité (b).

a. La composition de la population

Dès l?origine de la colonisation française, la population de l?île de France fut composée de trois communautés277, les noirs esclaves venus de l?Afrique, des affranchis (les noirs libres, ou, la population de couleur) et les blancs. Suite à l?abolition de l?esclavage par les anglais, ces derniers, à la recherche d?une main d?oeuvre docile et moins coûteuse, furent appel aux indiens qui immigraient en masse à partir de 1835278. Les immigrants furent employés aux durs travaux dans les plantations et ils constituaient ainsi un prolétariat bien misérable279. Ce flux d?immigrants indiens, qui fut arrêté en 1842 pour des raisons humanitaires, était constitué de 5/6 d?hindous et de 1/6 de musulmans qui, contrairement aux hindous, étaient principalement venus comme ouvriers qualifiés et commerçants280. Enfin, une faible communauté chinoise de la Chine du sud fut venue compléter le peuplement281.

Cette diversité des origines ethniques282 a donné naissance à une grande diversité religieuse283. Les hindous (l?ensemble des populations non musulmanes d?origine indienne dont les tamouls) représentent à eux seuls près de 52 % de la population totale, soit la majorité absolue. Dans cinq des six districts ruraux,

277 DURAND Jean-Pierre: «L?île Maurice et ses populations», Bruxelles, Editions Complexes, 1978, 188 p.

278 Les indiens étaient employés au terme d?un contrat. QUENETTE Rivaltz L.: «En marge de l?abolition de l?esclavage: la fin d?une légende», Port-Louis, 1960, 116 p. et v. MIEGE Jean- Louis: «L?indenture labour dans l?Océan-Indien et le cas particulier de l?île Maurice», rapport présenté au colloque du Centre for History of European Expansion, Leyde, 21-23 avril 1982, 35 p.

279 HAZAREESING K.: «Histoire des indiens à l?île Maurice», Paris, Librairie d?Amérique et d?Orient, 1973, 223 p.

280 DELVAL RAYMOND: «La communauté musulmane à l?île Maurice», APOI, 1979, pp. 49 à 77. V. aussi EMRITH Moomtaz: «History of Muslim in Mauritius», Bruxelles, Editions le Printemps, 1994, 376 p.

281 TIO-FANE H. Ly: «La diaspora chinoise dans l?Océan-Indien», Aix en Provence, Association des Chercheurs de l?Océan-Indien, 1981, 408 p.

282 LAU THI KENG Jean-Claude: «La multiethnicité à Port-Louis, île Maurice», RM, 1990, p. 121 à 127.

283 «The visitor to Mauritius is at once struck by the variety of religions to be found in the island. Temples, pagodas, mosques and churches, as well as distinctive shrines are to be seen along the roads», BURTON Benedict: «Indians in a plural society: a report on Mauritius», HMSO, 1961, 168 p., v. p. 138. V. aussi DUPON Jean-François: «Aperçu sur les résultats du dernier recensement sur la population de l?île Maurice», APOI, 1974, pp. 345 à 351.

les hindous représentent 60 à 70 % de la population. La population générale? recouvre l?ensemble des groupes dont le critère de définition est résiduel. Il s?agit de tous les groupes qui ne sont pas d?origine asiatique. Cette dénomination rassemble les mauriciens d?origine européenne (les blancs), ceux d?origine africaine peu métissés (les créoles) et ceux métissés (les mulâtres). Cette communauté hétérogène284 est la seconde du point de vue numérique avec près de 29 % de la population totale. La communauté musulmane, avec 16 % de la population forme une nette minorité plus ou moins cohérente285. La communauté sino-mauricienne, 3 % de la population, regroupe les mauriciens d?origine chinoise286.

b. Les protections constitutionnelles et leur efficacité

Dans la transposition à Maurice du régime parlementaire de Westminster, le constituant a beaucoup insisté sur la protection des droits des minorités287 pour maintenir l?équilibre intercommunautaire288.

Ainsi, les droits fondamentaux des individus et des groupes sont nettement affirmés dans la Charte fondamentale. Celle-ci s?ouvre par une proclamation selon laquelle les droits fondamentaux sont reconnus à tous «sans discrimination à raison de la race, du lieu d?origine, des opinions politiques, de la couleur, des croyances ou du sexe»289. La Constitution garantit les droits classiques et a institué une procédure juridictionnelle de sanction des violations des droits fondamentaux.

Le constituant a mis en place une série d?institutions et de mécanismes tendant à assurer la protection des minorités. A ce titre l?institution de l?Ombudsman290 est une garantie pouvant rassurer les minorités. En outre de sa mission de remédier à la mal administration, l?institution mauricienne est conçue comme l?antidote idéal aux risques de discrimination raciale par

284 Ils partagent néanmoins une identité culturelle et cultuelle: la langue française et le catholicisme romain.

285 Les musulmans sont fortement concentrés dans la capitale, Port-Louis.

286 Ils sont actifs dans le commerce de détail.

287 PALLEY C.: «Constitutional law and minorities», Londres, Minority Rights Group Ltd., rapport n° 36, 1978, 23 p.

288 «... the Westminster model has undergone a number of modifications in its journey overseas. Most of the modifications have been designed either to give concrete expression to principles which in Britain rest upon unwritten understandings or to afford reassurance to minority groups», DE SMITH Stanley cité note 30, p. 107.

289 Article 3 CM. V. ISSALYS Pierre-François: «Ethnic pluralism and public law in selected Commonwealth countries», thèse de Doctor of philosophy? (Phd), Université de Londres, 1972, 522 p. v.sur l?île Maurice, pp. 352 à 435.

290 Article 96 à 102 CM. V. FLAUSS Jean-François: «L?Ombudsman mauricien», RA, 1986, pp. 172 à 175.

l?Administration. L?île Maurice ne dispose pas la Grande-Bretagne d?une Commission pour l?Egalité Raciale. Le titulaire de la fonction est nommé par le Chef de l?Etat. A la différence de celle du Médiateur de la République française, la saisine de l?Ombudsman est largement ouverte. Il peut être saisi directement par des administrés, sans condition de citoyenneté. L?exercice de cette saisine populaire est, en droit, facilité par la gratuité et l?absence de tout formalisme dans la procédure. Pourtant, il faut se méfier de céder à la tentation du culte de cette institution mauricienne. L?Ombudsman n?a jamais pu s?ériger en un véritable contre-pouvoir puissant faute d?une médiatisation et publicité de ses travaux291 et a même exercé ses pouvoirs dans un sens inverse292. On s?étonnera de cette prise de position.

Par ailleurs, il est prévu dans la Constitution et la loi électorale des dispositions permettant une meilleure représentation des communautés religieuses à l?Assemblée Nationale293. Le mode de scrutin est majoritaire à un tour. Sont élus dans chaque circonscription294 les trois candidats (deux à Rodrigues) qui ont obtenu les plus grands nombres de voix. Les électeurs sont tenus de choisir trois candidats, sous peine de nullité, sur une liste de l?ensemble des postulants de la circonscription295. Aux soixante-deux candidats directement élus, s?ajoutent huit candidats meilleurs perdants (Best losers)296 désignés par la Commission de Contrôle des Elections (Electoral Supervisory Commission) en vertu de l?article 5 de l?Annexe à la Constitution de Maurice. Les quatre premiers sièges sont attribués aux non-élus appartenant à la ou les communautés297 sous représentées à l?Assemblée Nationale au plus fort pourcentage des voix recueillis, quel que soit leur parti d?origine298. Les quatre

291 Malgré l?accroissement en 1991 de ses compétences en matière de corruption active et passive, l?Ombudsman est demeuré très passif. Mais le premier titulaire de la fonction, un magistrat suédois, Monsieur Gurnor Lindh, avait joué un rôle très actif. V. notre article, DOOKHY Riyad et Parvèz: «L?Ombudsman, ses faiblesses», 5-Plus dimanche, 24 avril 1994, p. 8. V. aussi MAURITIUS LEGISLATIVE ASSEMBLY: «The Ombudsman, circumtances leading to the resignation of Mr Gurnor Lindh», Sessional paper n° 1, 1972, 4 p.

292 Monsieur Suleiman Hattea, titulaire de la fonction à Maurice, a déclaré que l?Ombudsman constitue également un rempart pour l?Administration contre les accusations injustifiées?, in WE, 13 février 1994, p. 20.

293 «The electoral system would appear to have attempted to reconcile, in some measure, certain communal considerations, to encourage multi-communal parties while at the same time ensuring that the result of the elections would not hereby be frustrated», CSM: 21 janvier 1995, Valayden c/ The President of Mauritius, Le Mauricien, 24 janvier 1995, p. 9, Les juges Rajsoomer Lallah, V. Boolell et Y. K. J. Yeung Sik Yeun rédacteurs de l'arrêt.

294 Il y a vingt et un circonscriptions.

295 Avec la bipolarisation l?électeur serait amené à voter pour les trois candidats de différentes communautés présentés par les partis.

296 Ce procédé peut se révéler antidémocratique. Un candidat écarté par l?électorat peut être retenu par l?autorité nommante, la Commission de Contrôle des Elections. En 1983, Monsieur Ismaël Nawoor n?avait obtenu que 16,2 % des suffrages exprimés mais avait été désigné.

297 Les éventuels candidats sont tenus de déclarer leur appartenance communautaire lors de leur inscription en tant que candidat.

298 En 1982, l?alliance MMM et PSM et OPR remporta tous les 62 sièges à pourvoir. La
Commission de Contrôle avait refusé de désigner les meilleurs perdants à cause de

autres sièges sont attribués selon le même procédé mais en rétablissant l?équilibre numérique entre les partis à l?Assemblée Nationale. Ce procédé est considéré comme un facteur de développement et d?encouragement de la pratique du communautarisme299 et incite les partis politiques à pratiquer une stratégie électorale basée sur les dissensions ethniques300. Le député nommé ou correctif est également incité à se comporter davantage en représentant de sa communauté religieuse que celui de la nation301. Mais Stanley A. De Smith avait considéré ce système comme un mal nécessaire au fonctionnement d?une démocratie pluri-ethnique302.

Enfin, le constituant a créé une série d?autorités administratives indépendantes, telle la Commission de la Fonction Publique (Public Service Commission), compétente pour statuer sur la discipline et pour effectuer les nominations des fonctionnaires, la Commission du Service de la Justice (Judicial Service Commission), chargée des mêmes fonctions à l?égard des magistrats et la Commission de Contrôle des Elections (Electoral Supervisory Commission) chargée du bon déroulement des opérations électorales303.

Ces mécanismes, tout en protégeant les minorités, ne freinent pas pour autant le réflexe identitaire, les dissensions raciales, donc des discriminations.

B. La pratique des discriminations ethniques et religieuses

l?impossibilité d?appliquer la loi dans la mesure où tous les candidats de la majorité avaient été élus. La Cour Suprême de Maurice infirma partiellement la décision de la Commission et attribua les quatre premiers sièges meilleurs perdants aux candidats des partis non représentés à l?Assemblée Nationale qui constituent l?opposition. V. CSM: 1er juillet 1982, Roussety c/ The Electoral Supervisory Commission, MR, 1982, pp. 208 à 213, le Chef-Juge Cassam Moolan rédacteur de l'arrêt. De même en 1991 et 1995, seuls les quatre premiers sièges avaient été alloués pour des raisons pratiquement identiques.

299 Le juge puîné Garrioch, dans une opinion dissidente dans CSM: 4 juin 1974, Duval c/ Commissioner of Police, MR, pp. 130 à 165, le juge Ramphul rédacteur de l?arrêt majoritaire, avait écrit ceci: «Communalism is a reality not only recognised but also likely to be perpetuated by our Constitution», ibid., p. 159. V. aussi BOOLELL Satcam, Sir,: «The case for reform», 5- Plus dimanche, 6 mars 1994, p. 8. Il écrit que: «The good loser system has outlived its usefulness and it is hightime to get rid to this complicated and cumbersome system», ibid.

300 D.A.: «Le système correctif à la ferraille, l?opinion publique le réclame», WE, 4 juillet 1982, p. 8. Des députés de base (backbenchers) et trois ministres avaient en 1982 demandé par voie de pétition l?abrogation du système correctif. Le Premier ministre s?y était opposé. V. Le Mauricien, 13 juillet 1982, p. 1. V. aussi SELVON Sydney: «Abolissons le best-loser communal et proclamons l?avènement de la nation une et indivisible», WE, 4 juillet 1982, p. 8.

301 GABRIEL G.: «Communalisme, structures sociales et dépendances économiques à l?île Maurice», PA, 1983, pp. 97 à 112. En français mauricien, l?idéologie et la pratique des réflexes identitaires sont exprimées par le terme communalisme?.

302 «... in the present social and political climate of Mauritius, it may be that to afford such a guarantee... will be the least of evils, but I believe it to be an evil nonetheless», DE SMITH Stanley A., cité note 262, p. 8.

303 «Our conclusion also takes account of the vital role ascribed by the Constitution in particular to the Commission as an impartial, independent and apolitical body charged, not only with the responsibility for among other things, the conduct of elections of members of Parliament», CSM: 31 janvier 1973, Vallet c/ Ramgoolam, MR, 1973, pp. 29 à 47, le juge Garrioch rédacteur de l'arrêt, v. p. 38.

Le fait des dissensions ethniques s?est développé au fil du peuplement et de l?évolution politique de Maurice (a) pour demeurer pratiquement irréversible au plan politique (b).

a. Le développement du réflexe identitaire

Le phénomène de l?esclavage, bien qu?aboli dès le dix-neuvième siècle, a continué à avoir des répercussions sur l?organisation de la société mauricienne. Les franco-mauriciens, les descendants des colons, ont conservé une prééminence sur le plan économique et affichent, selon certains, un certain mépris à l?égard des autres groupes ethniques304. Ils sont les détenteurs de grandes industries sucrières et entreprises et tiennent à l?écart le reste de la population générale aux postes d?encadrement les plus élevées305. Dans ces conditions, la course à la blancheur, autrement dit la course à l?occidentalisation, constitue, pour le reste de la population générale, un besoin de promotion sociale306.

L?Administration coloniale britannique avait renforcé ce phénomène en collaborant, au besoin, avec les franco-mauriciens307 pour atténuer certaines revendications des indo-mauriciens jusqu?à l?accession de l?île à l?indépendance308. Mais la démocratisation du régime et l?introduction du suffrage universel accentuèrent la naissance d?une force politique d?origine indienne309. Une petite bourgeoisie fut créée au sein de la communauté hindoue310 après la guerre. L?indépendance de l?Inde fit revivre la confiance et la fierté dans la culture de la Grande Péninsule311. Le Parti Travailliste mauricien, porte- parole des éléments moins favorisés de la population et des indiens, remporta des succès électoraux.

304 FAVOREU Louis, cité note 194, p. 17.

305 La Commission Avramovic, présidé par Monsieur Raj Virashawmy, a constaté que six familles constituent une oligarchie financière. Ce sont six familles franco-mauriciennes. Ces dernières détiennent la plus grande banque de dépôt de Maurice. V. COLOM Jacques, cité note 245, p. 20.

306 Ibid.

307 L?Ordonnance royale du 20 juillet 1831 avait prévu que certains principaux propriétaires seraient désignés membres du Conseil de gouvernement.

308 «L?on n?est pas sans savoir que sauf exception, tous les hauts postes tant dans la fonction publique que dans le secteur privé... étaient occupés par les membres de la classe privilégiée. C?était tout cela le régime colonial britannique», DOMINGO A. F.: «Les mauriciens de la dernière guerre mondiale», WE, 18 décembre 1983, p. 24.

309 MANNICK A. R.: «Mauritius: the development of a plural society», Londres, Spokesman, 1979, 174 p., v. p. 147 et s. sur les hindous.

310 Puisque le secteur privé était fermé aux indiens, ceux-ci occupaient des fonctions dans la fonction publique.

311 «The independence of India had revived confidence and pride in the language and cultures of the sub-continent», HOUBERT Jean cité note 231, p. 229.

A l?accession de Maurice à l?indépendance, le danger était que les indo - mauriciens fissent des fonctions gouvernementales et administratives une véritable chasse gardée pour eux ou utilisassent l?appareil d?Etat pour s?émanciper et renverser le rapport de forces entre les communautés en leur faveur. Le débat politique fut dès lors hautement basée sur l?appartenance ethnique des candidats en présence lors des élections de 1967. Le communautarisme312 était installé.

b. La politique sur la base du réflexe identitaire

La bipolarisation du débat sur l?accession de Maurice à l?indépendance masqua en réalité une opposition entre les indo-mauriciens et la population générale.

A la montée en puissance du Parti Travailliste mauricien, les minorités ethniques répondirent par la création du Ralliement Mauricien, alliance des catholiques et des musulmans, transformé en 1952 en le Parti Mauricien Social Démocrate. En 1958, les musulmans créèrent le Comité d?Action Musulmane, qui se sépara progressivement du Parti Mauricien pour conclure une alliance électorale avec le Parti Travailliste et faire campagne en faveur de l?indépendance. Le Parti Mauricien fut hostile à l?indépendance dans la mesure où le suffrage universel donnerait nécessairement l?avantage aux indo - mauriciens et serait préjudiciable à la communauté franco-mauricienne313. Mais la défection des musulmans du Parti Mauricien déboucha en 1968 sur un début de guerre civile entre les créoles et les musulmans qui fut jugulée grâce à l?intervention de l?armée britannique314.

312 «Communautarisme signifie que la société est structurée par le clan, le lignage, le village, la tribu ou l?ethnie, la caste aussi. L?individu se définit à travers ses rapports avec la communauté. Il n?est qu?un élément du groupe auquel il est subordonné. Une solidarité générique s?établit entre ses membres dans l?intérêt de tous», ARDANT Philippe: «Les problèmes posés par les droits fondamentaux dans les Etats en voie de développement», pp. 107 à 124 in ASSOCIATION FRANCAISES DES CONSTITUTIONNALISTES: «Droit constitutionnel et droits de l?homme», IIe Congrès Mondial de l?Association Internationale de Droit Constitutionnel, 31 août 5 septembre 1987, Paris, Economica, 1987, 512 p., v. p. 111.

313Le PMSD souligna «la nécessité, si l?on veut préserver la culture occidentale, de faire preuve de cohésion devant le bloc oriental», BOISSON J. M. et Louis M.: «Les élections législatives du 20 décembre 1976 à l?île Maurice: l?enjeu économique et politique», APOI, 1976, pp. 217 à 265, v. p. 223.

314 SMITH A. Simmons: «Modern Mauritius: The politics of decolonization», Bloomington, Indiana University Press, 1980, 242 p.

Le jour des élections décisives sur l?indépendance, les musulmans proches du CAM s?étaient violemment opposés aux militants créoles du PMSD dans le fief musulman de la capitale, la Plaine Verte, ibid.

Après l?indépendance, le Mouvement Militant Mauricien prit naissance et se voulait être au-dessus des rivalités ethniques315. Ce parti, proche à l?origine de l?idéologie marxiste, importa à Maurice de nouvelles idées, notamment la lutte des classes, tendant à diminuer l?intensité de la politique des discriminations ethniques (ethnic politics). Selon un slogan, le Mouvement Militant voulait remplacer «la lutte des races par la lutte des classes»316. Mais la volonté de Mouvement Militant de maintenir l?équilibre politique intercommunautaire (ethnic political balance), qui permit au parti de devenir national dans les années quatre-vingts317, consolida la pratique du commun au taris me.

Les dissensions ethniques sont l?enjeu principal de chaque campagne électorale. L?île Maurice n?est pas une société matériellement et moralement intégrée et ne dispose d?une relative unité culturelle de ses citoyens. L?EtatNation ne s?y est pas installé encore318. L?Etat a précédé la Nation, entité qui reste à construire319. Aucun parti politique n?est aujourd?hui véritablement national. Le Mouvement Militant, au fil des défections de ses éléments320, est devenu principalement un parti des minorités au même titre que le Parti Mauricien Social Démocrate321. Le Mouvement Socialiste Militant de l?ancien

315 «The MMM started as a radical movement of young educated Mauritians of different ethnic origins dedicated to rid the island of communalism?», HOUBERT Jean, cité note 231, p. 242.

Le MMM fut créé notamment par MM.Paul Bérenger, soixante-huitard de Paris, Jooneed Jorebarkhan et Dev Virashawmy.

316 Toutefois, le MMM, par réalisme, choisit ses candidats pour les différentes circonscriptions sur la base de leur appartenance ethnique. Dès sa première participation électorale, le parti investit Dev Virashawmy, de confession hindoue, comme candidat dans une circonscription à majorité hindoue, fief du Premier ministre d?alors. Vingt-trois ans après, M. Paul Bérenger reconnaît l?impossibilité de faire abstraction du communautarisme: «On a regardé de plus près les racines de notre histoire et on a bien mesuré combien étaient fragiles les sociétés pluriethniques, plurireligieuses comme Maurice... Nous avons fait des choix délicats aussi. Comme celle de l?élection partielle de Triolet où nous avons présenté Dev Virashawmy. On a fait un compromis. Si nous étions toujours les idéalistes que nous étions en 1969, nous aurions présenté Paul Bérenger», in CAUNHYE Fouad: «Entretien avec Paul Bérenger», Le Mag, 4 septembre 1994, pp. 14 à 18, v 17.

317 Le MMM ne s?était pas allé contre certaines moeurs. M. Paul Bérenger, véritable chef du parti, choisit de jouer un profil bas. En 1993, bien qu?il commandait la majorité dans l?opposition, il renonça à assumer les fonctions de Chef de l?opposition au profit d?un hindou, Monsieur Navin Ramgoolam.

318 DOOKHY Parvèz A. Cader: «Les causes de l?instabilité ministérielle», Le Mauricien, 11 novembre 1993, p. 7.

319 «L?Etat est lui aussi à construire. Il précède la nation. Sa première tâche est de la mettre au monde... Les sociétés en voie de développement sont composites, les divisions ethniques, religieuses, linguistiques se sont cristallisées au cours des siècles, entraînant des affrontements, des sujétions, une tradition de coexistence pacifique plus souvent belliqueuse», ARDANT Philippe, cité note 312, v. p. 111.

320 NITISH G.: «1973, 1983, 1993... Les dissidences et les cassures au MMM», 5-Plus dimanche, 31 octobre 1993, p. 5.

321 A titre anecdotique, il convient de souligner que Sir Gaétan Duval, quelques semaines avant son décès, avait vu en M. Paul Bérenger son héritier politique.

Premier ministre, Sir Aneerood Jugnauth, et le Parti Travailliste partagent la faveur de l?électorat hindou.

Trente années après l?indépendance, la vie politique se ramène pour l?essentiel à une lutte d?influence entre la majorité hindoue et le bloc des minorités. Au-delà des slogans sur l?unité nationale, les partis politiques n?ont jamais pu s?affranchir de cette réalité tenace 322. L?Etat a pu se maintenir grâce à un dosage subtil entre les passions divergentes des communautés323. Cet équilibre est très fragile.

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"Il ne faut pas de tout pour faire un monde. Il faut du bonheur et rien d'autre"   Paul Eluard