Paragraphe 1. La pluralité ethnique de
l'île Maurice
L?histoire coloniale, la succession des colonisateurs, a
façonné le peuplement de l?île Maurice. Le fait multiracial
marque le fonctionnement du système et du jeu politique (B) du fait
même qu?il est évoqué dans le texte constitutionnel (A).
275 TERNON Yves: «L?Etat criminel, les génocides
au XXème siècle», Editions du Seuil, 1995, 459 p.
276 «La démocratie ne se résume-t-elle
qu?en la souveraineté du nombre ? Dans ce cas il faut admettre que le
processus électif peut conduire à la dictature (les Nazis sont
arrivés au pouvoir avec la majorité relative des suffrages), et
c?est encore le cas aujourd?hui de nombreux régimes autoritaires»,
ROULAND Norbert, PIERRE-CAPS Stéphane et POURAMEDE Jacques: «Droit
des minorités et des peuples autochtones», PUF, Collection droit
fondamental, 1996, 581 p., v. p. 11.
A. Les données sociales et constitutionnelles
La population mauricienne est juridiquement composée de
quatre ethnies (a). La prise en compte des dissensions ethniques s?est traduite
par l?introduction dans la Charte fondamentale des garanties et des moyens de
protection des minorités. L?examen de ces garanties nous conduit
également à s?interroger sur leur efficacité (b).
a. La composition de la population
Dès l?origine de la colonisation française, la
population de l?île de France fut composée de trois
communautés277, les noirs esclaves venus de l?Afrique, des
affranchis (les noirs libres, ou, la population de couleur) et les blancs.
Suite à l?abolition de l?esclavage par les anglais, ces derniers,
à la recherche d?une main d?oeuvre docile et moins coûteuse,
furent appel aux indiens qui immigraient en masse à partir de
1835278. Les immigrants furent employés aux durs travaux dans
les plantations et ils constituaient ainsi un prolétariat bien
misérable279. Ce flux d?immigrants indiens, qui fut
arrêté en 1842 pour des raisons humanitaires, était
constitué de 5/6 d?hindous et de 1/6 de musulmans qui, contrairement aux
hindous, étaient principalement venus comme ouvriers qualifiés et
commerçants280. Enfin, une faible communauté chinoise
de la Chine du sud fut venue compléter le peuplement281.
Cette diversité des origines ethniques282 a
donné naissance à une grande diversité
religieuse283. Les hindous (l?ensemble des populations non
musulmanes d?origine indienne dont les tamouls) représentent à
eux seuls près de 52 % de la population totale, soit la majorité
absolue. Dans cinq des six districts ruraux,
277 DURAND Jean-Pierre: «L?île Maurice et ses
populations», Bruxelles, Editions Complexes, 1978, 188 p.
278 Les indiens étaient employés au terme d?un
contrat. QUENETTE Rivaltz L.: «En marge de l?abolition de l?esclavage: la
fin d?une légende», Port-Louis, 1960, 116 p. et v. MIEGE Jean-
Louis: «L?indenture labour dans l?Océan-Indien et le cas
particulier de l?île Maurice», rapport présenté au
colloque du Centre for History of European Expansion, Leyde, 21-23 avril 1982,
35 p.
279 HAZAREESING K.: «Histoire des indiens à
l?île Maurice», Paris, Librairie d?Amérique et d?Orient,
1973, 223 p.
280 DELVAL RAYMOND: «La communauté musulmane
à l?île Maurice», APOI, 1979, pp. 49 à 77. V. aussi
EMRITH Moomtaz: «History of Muslim in Mauritius», Bruxelles, Editions
le Printemps, 1994, 376 p.
281 TIO-FANE H. Ly: «La diaspora chinoise dans
l?Océan-Indien», Aix en Provence, Association des Chercheurs de
l?Océan-Indien, 1981, 408 p.
282 LAU THI KENG Jean-Claude: «La multiethnicité
à Port-Louis, île Maurice», RM, 1990, p. 121 à 127.
283 «The visitor to Mauritius is at once struck by the
variety of religions to be found in the island. Temples, pagodas, mosques and
churches, as well as distinctive shrines are to be seen along the roads»,
BURTON Benedict: «Indians in a plural society: a report on
Mauritius», HMSO, 1961, 168 p., v. p. 138. V. aussi DUPON
Jean-François: «Aperçu sur les résultats du dernier
recensement sur la population de l?île Maurice», APOI, 1974, pp. 345
à 351.
les hindous représentent 60 à 70 % de la
population. La population générale? recouvre
l?ensemble des groupes dont le critère de définition est
résiduel. Il s?agit de tous les groupes qui ne sont pas d?origine
asiatique. Cette dénomination rassemble les mauriciens d?origine
européenne (les blancs), ceux d?origine africaine peu
métissés (les créoles) et ceux métissés (les
mulâtres). Cette communauté
hétérogène284 est la seconde du point de vue
numérique avec près de 29 % de la population totale. La
communauté musulmane, avec 16 % de la population forme une nette
minorité plus ou moins cohérente285. La
communauté sino-mauricienne, 3 % de la population, regroupe les
mauriciens d?origine chinoise286.
b. Les protections constitutionnelles et leur
efficacité
Dans la transposition à Maurice du régime
parlementaire de Westminster, le constituant a beaucoup insisté sur la
protection des droits des minorités287 pour maintenir
l?équilibre intercommunautaire288.
Ainsi, les droits fondamentaux des individus et des groupes
sont nettement affirmés dans la Charte fondamentale. Celle-ci s?ouvre
par une proclamation selon laquelle les droits fondamentaux sont reconnus
à tous «sans discrimination à raison de la race, du lieu
d?origine, des opinions politiques, de la couleur, des croyances ou du
sexe»289. La Constitution garantit les droits classiques et a
institué une procédure juridictionnelle de sanction des
violations des droits fondamentaux.
Le constituant a mis en place une série d?institutions
et de mécanismes tendant à assurer la protection des
minorités. A ce titre l?institution de l?Ombudsman290 est une
garantie pouvant rassurer les minorités. En outre de sa mission de
remédier à la mal administration, l?institution mauricienne est
conçue comme l?antidote idéal aux risques de discrimination
raciale par
284 Ils partagent néanmoins une identité culturelle
et cultuelle: la langue française et le catholicisme romain.
285 Les musulmans sont fortement concentrés dans la
capitale, Port-Louis.
286 Ils sont actifs dans le commerce de détail.
287 PALLEY C.: «Constitutional law and minorities»,
Londres, Minority Rights Group Ltd., rapport n° 36, 1978, 23 p.
288 «... the Westminster model has undergone a number of
modifications in its journey overseas. Most of the modifications have been
designed either to give concrete expression to principles which in Britain rest
upon unwritten understandings or to afford reassurance to minority
groups», DE SMITH Stanley cité note 30, p. 107.
289 Article 3 CM. V. ISSALYS Pierre-François:
«Ethnic pluralism and public law in selected Commonwealth countries»,
thèse de Doctor of philosophy? (Phd), Université de
Londres, 1972, 522 p. v.sur l?île Maurice, pp. 352 à 435.
290 Article 96 à 102 CM. V. FLAUSS Jean-François:
«L?Ombudsman mauricien», RA, 1986, pp. 172 à 175.
l?Administration. L?île Maurice ne dispose pas la
Grande-Bretagne d?une Commission pour l?Egalité Raciale. Le titulaire de
la fonction est nommé par le Chef de l?Etat. A la différence de
celle du Médiateur de la République française, la saisine
de l?Ombudsman est largement ouverte. Il peut être saisi directement par
des administrés, sans condition de citoyenneté. L?exercice de
cette saisine populaire est, en droit, facilité par la gratuité
et l?absence de tout formalisme dans la procédure. Pourtant, il faut se
méfier de céder à la tentation du culte de cette
institution mauricienne. L?Ombudsman n?a jamais pu s?ériger en un
véritable contre-pouvoir puissant faute d?une médiatisation et
publicité de ses travaux291 et a même exercé ses
pouvoirs dans un sens inverse292. On s?étonnera de cette
prise de position.
Par ailleurs, il est prévu dans la Constitution et la
loi électorale des dispositions permettant une meilleure
représentation des communautés religieuses à
l?Assemblée Nationale293. Le mode de scrutin est majoritaire
à un tour. Sont élus dans chaque circonscription294
les trois candidats (deux à Rodrigues) qui ont obtenu les plus grands
nombres de voix. Les électeurs sont tenus de choisir trois candidats,
sous peine de nullité, sur une liste de l?ensemble des postulants de la
circonscription295. Aux soixante-deux candidats directement
élus, s?ajoutent huit candidats meilleurs perdants (Best
losers)296 désignés par la Commission de
Contrôle des Elections (Electoral Supervisory Commission) en
vertu de l?article 5 de l?Annexe à la Constitution de Maurice. Les
quatre premiers sièges sont attribués aux non-élus
appartenant à la ou les communautés297 sous
représentées à l?Assemblée Nationale au plus fort
pourcentage des voix recueillis, quel que soit leur parti
d?origine298. Les quatre
291 Malgré l?accroissement en 1991 de ses
compétences en matière de corruption active et passive,
l?Ombudsman est demeuré très passif. Mais le premier titulaire de
la fonction, un magistrat suédois, Monsieur Gurnor Lindh, avait
joué un rôle très actif. V. notre article, DOOKHY Riyad et
Parvèz: «L?Ombudsman, ses faiblesses», 5-Plus dimanche, 24
avril 1994, p. 8. V. aussi MAURITIUS LEGISLATIVE ASSEMBLY: «The Ombudsman,
circumtances leading to the resignation of Mr Gurnor Lindh», Sessional
paper n° 1, 1972, 4 p.
292 Monsieur Suleiman Hattea, titulaire de la fonction
à Maurice, a déclaré que l?Ombudsman constitue
également un rempart pour l?Administration contre les accusations
injustifiées?, in WE, 13 février 1994, p. 20.
293 «The electoral system would appear to have attempted
to reconcile, in some measure, certain communal considerations, to encourage
multi-communal parties while at the same time ensuring that the result of the
elections would not hereby be frustrated», CSM: 21 janvier 1995, Valayden
c/ The President of Mauritius, Le Mauricien, 24 janvier 1995, p. 9, Les juges
Rajsoomer Lallah, V. Boolell et Y. K. J. Yeung Sik Yeun rédacteurs de
l'arrêt.
294 Il y a vingt et un circonscriptions.
295 Avec la bipolarisation l?électeur serait
amené à voter pour les trois candidats de différentes
communautés présentés par les partis.
296 Ce procédé peut se révéler
antidémocratique. Un candidat écarté par
l?électorat peut être retenu par l?autorité nommante, la
Commission de Contrôle des Elections. En 1983, Monsieur Ismaël
Nawoor n?avait obtenu que 16,2 % des suffrages exprimés mais avait
été désigné.
297 Les éventuels candidats sont tenus de
déclarer leur appartenance communautaire lors de leur inscription en
tant que candidat.
298 En 1982, l?alliance MMM et PSM et OPR remporta tous les 62
sièges à pourvoir. La Commission de Contrôle avait
refusé de désigner les meilleurs perdants à cause de
autres sièges sont attribués selon le même
procédé mais en rétablissant l?équilibre
numérique entre les partis à l?Assemblée Nationale. Ce
procédé est considéré comme un facteur de
développement et d?encouragement de la pratique du
communautarisme299 et incite les partis politiques à
pratiquer une stratégie électorale basée sur les
dissensions ethniques300. Le député nommé ou
correctif est également incité à se comporter davantage en
représentant de sa communauté religieuse que celui de la
nation301. Mais Stanley A. De Smith avait considéré ce
système comme un mal nécessaire au fonctionnement d?une
démocratie pluri-ethnique302.
Enfin, le constituant a créé une série
d?autorités administratives indépendantes, telle la Commission de
la Fonction Publique (Public Service Commission), compétente
pour statuer sur la discipline et pour effectuer les nominations des
fonctionnaires, la Commission du Service de la Justice (Judicial Service
Commission), chargée des mêmes fonctions à
l?égard des magistrats et la Commission de Contrôle des Elections
(Electoral Supervisory Commission) chargée du bon
déroulement des opérations électorales303.
Ces mécanismes, tout en protégeant les
minorités, ne freinent pas pour autant le réflexe identitaire,
les dissensions raciales, donc des discriminations.
B. La pratique des discriminations ethniques et
religieuses
l?impossibilité d?appliquer la loi dans la mesure
où tous les candidats de la majorité avaient été
élus. La Cour Suprême de Maurice infirma partiellement la
décision de la Commission et attribua les quatre premiers sièges
meilleurs perdants aux candidats des partis non représentés
à l?Assemblée Nationale qui constituent l?opposition. V. CSM: 1er
juillet 1982, Roussety c/ The Electoral Supervisory Commission, MR, 1982, pp.
208 à 213, le Chef-Juge Cassam Moolan rédacteur de l'arrêt.
De même en 1991 et 1995, seuls les quatre premiers sièges avaient
été alloués pour des raisons pratiquement identiques.
299 Le juge puîné Garrioch, dans une opinion
dissidente dans CSM: 4 juin 1974, Duval c/ Commissioner of Police, MR, pp. 130
à 165, le juge Ramphul rédacteur de l?arrêt majoritaire,
avait écrit ceci: «Communalism is a reality not only recognised but
also likely to be perpetuated by our Constitution», ibid., p. 159. V.
aussi BOOLELL Satcam, Sir,: «The case for reform», 5- Plus dimanche,
6 mars 1994, p. 8. Il écrit que: «The good loser system has
outlived its usefulness and it is hightime to get rid to this complicated and
cumbersome system», ibid.
300 D.A.: «Le système correctif à la
ferraille, l?opinion publique le réclame», WE, 4 juillet 1982, p.
8. Des députés de base (backbenchers) et trois ministres
avaient en 1982 demandé par voie de pétition l?abrogation du
système correctif. Le Premier ministre s?y était opposé.
V. Le Mauricien, 13 juillet 1982, p. 1. V. aussi SELVON Sydney:
«Abolissons le best-loser communal et proclamons l?avènement de la
nation une et indivisible», WE, 4 juillet 1982, p. 8.
301 GABRIEL G.: «Communalisme, structures sociales et
dépendances économiques à l?île Maurice», PA,
1983, pp. 97 à 112. En français mauricien, l?idéologie et
la pratique des réflexes identitaires sont exprimées par le terme
communalisme?.
302 «... in the present social and political climate of
Mauritius, it may be that to afford such a guarantee... will be the least of
evils, but I believe it to be an evil nonetheless», DE SMITH Stanley A.,
cité note 262, p. 8.
303 «Our conclusion also takes account of the vital role
ascribed by the Constitution in particular to the Commission as an impartial,
independent and apolitical body charged, not only with the responsibility for
among other things, the conduct of elections of members of Parliament»,
CSM: 31 janvier 1973, Vallet c/ Ramgoolam, MR, 1973, pp. 29 à 47, le
juge Garrioch rédacteur de l'arrêt, v. p. 38.
Le fait des dissensions ethniques s?est
développé au fil du peuplement et de l?évolution politique
de Maurice (a) pour demeurer pratiquement irréversible au plan politique
(b).
a. Le développement du réflexe
identitaire
Le phénomène de l?esclavage, bien qu?aboli
dès le dix-neuvième siècle, a continué à
avoir des répercussions sur l?organisation de la société
mauricienne. Les franco-mauriciens, les descendants des colons, ont
conservé une prééminence sur le plan économique et
affichent, selon certains, un certain mépris à l?égard des
autres groupes ethniques304. Ils sont les détenteurs de
grandes industries sucrières et entreprises et tiennent à
l?écart le reste de la population générale aux postes
d?encadrement les plus élevées305. Dans ces
conditions, la course à la blancheur, autrement dit la course à
l?occidentalisation, constitue, pour le reste de la population
générale, un besoin de promotion sociale306.
L?Administration coloniale britannique avait renforcé
ce phénomène en collaborant, au besoin, avec les
franco-mauriciens307 pour atténuer certaines revendications
des indo-mauriciens jusqu?à l?accession de l?île à
l?indépendance308. Mais la démocratisation du
régime et l?introduction du suffrage universel accentuèrent la
naissance d?une force politique d?origine indienne309. Une petite
bourgeoisie fut créée au sein de la communauté
hindoue310 après la guerre. L?indépendance de l?Inde
fit revivre la confiance et la fierté dans la culture de la Grande
Péninsule311. Le Parti Travailliste mauricien, porte- parole
des éléments moins favorisés de la population et des
indiens, remporta des succès électoraux.
304 FAVOREU Louis, cité note 194, p. 17.
305 La Commission Avramovic, présidé par
Monsieur Raj Virashawmy, a constaté que six familles constituent une
oligarchie financière. Ce sont six familles franco-mauriciennes. Ces
dernières détiennent la plus grande banque de dépôt
de Maurice. V. COLOM Jacques, cité note 245, p. 20.
306 Ibid.
307 L?Ordonnance royale du 20 juillet 1831 avait prévu que
certains principaux propriétaires seraient désignés
membres du Conseil de gouvernement.
308 «L?on n?est pas sans savoir que sauf exception, tous
les hauts postes tant dans la fonction publique que dans le secteur
privé... étaient occupés par les membres de la classe
privilégiée. C?était tout cela le régime colonial
britannique», DOMINGO A. F.: «Les mauriciens de la dernière
guerre mondiale», WE, 18 décembre 1983, p. 24.
309 MANNICK A. R.: «Mauritius: the development of a plural
society», Londres, Spokesman, 1979, 174 p., v. p. 147 et s. sur les
hindous.
310 Puisque le secteur privé était fermé aux
indiens, ceux-ci occupaient des fonctions dans la fonction publique.
311 «The independence of India had revived confidence and
pride in the language and cultures of the sub-continent», HOUBERT Jean
cité note 231, p. 229.
A l?accession de Maurice à l?indépendance, le
danger était que les indo - mauriciens fissent des fonctions
gouvernementales et administratives une véritable chasse gardée
pour eux ou utilisassent l?appareil d?Etat pour s?émanciper et renverser
le rapport de forces entre les communautés en leur faveur. Le
débat politique fut dès lors hautement basée sur
l?appartenance ethnique des candidats en présence lors des
élections de 1967. Le communautarisme312 était
installé.
b. La politique sur la base du réflexe
identitaire
La bipolarisation du débat sur l?accession de Maurice
à l?indépendance masqua en réalité une opposition
entre les indo-mauriciens et la population générale.
A la montée en puissance du Parti Travailliste
mauricien, les minorités ethniques répondirent par la
création du Ralliement Mauricien, alliance des catholiques et des
musulmans, transformé en 1952 en le Parti Mauricien Social
Démocrate. En 1958, les musulmans créèrent le
Comité d?Action Musulmane, qui se sépara progressivement du Parti
Mauricien pour conclure une alliance électorale avec le Parti
Travailliste et faire campagne en faveur de l?indépendance. Le Parti
Mauricien fut hostile à l?indépendance dans la mesure où
le suffrage universel donnerait nécessairement l?avantage aux indo -
mauriciens et serait préjudiciable à la communauté
franco-mauricienne313. Mais la défection des musulmans du
Parti Mauricien déboucha en 1968 sur un début de guerre civile
entre les créoles et les musulmans qui fut jugulée grâce
à l?intervention de l?armée britannique314.
312 «Communautarisme signifie que la
société est structurée par le clan, le lignage, le
village, la tribu ou l?ethnie, la caste aussi. L?individu se définit
à travers ses rapports avec la communauté. Il n?est qu?un
élément du groupe auquel il est subordonné. Une
solidarité générique s?établit entre ses membres
dans l?intérêt de tous», ARDANT Philippe: «Les
problèmes posés par les droits fondamentaux dans les Etats en
voie de développement», pp. 107 à 124 in ASSOCIATION
FRANCAISES DES CONSTITUTIONNALISTES: «Droit constitutionnel et droits de
l?homme», IIe Congrès Mondial de l?Association Internationale de
Droit Constitutionnel, 31 août 5 septembre 1987, Paris, Economica, 1987,
512 p., v. p. 111.
313Le PMSD souligna «la
nécessité, si l?on veut préserver la culture occidentale,
de faire preuve de cohésion devant le bloc oriental», BOISSON J. M.
et Louis M.: «Les élections législatives du 20
décembre 1976 à l?île Maurice: l?enjeu économique et
politique», APOI, 1976, pp. 217 à 265, v. p. 223.
314 SMITH A. Simmons: «Modern Mauritius: The politics of
decolonization», Bloomington, Indiana University Press, 1980, 242 p.
Le jour des élections décisives sur
l?indépendance, les musulmans proches du CAM s?étaient violemment
opposés aux militants créoles du PMSD dans le fief musulman de la
capitale, la Plaine Verte, ibid.
Après l?indépendance, le Mouvement Militant
Mauricien prit naissance et se voulait être au-dessus des
rivalités ethniques315. Ce parti, proche à l?origine
de l?idéologie marxiste, importa à Maurice de nouvelles
idées, notamment la lutte des classes, tendant à diminuer
l?intensité de la politique des discriminations ethniques (ethnic
politics). Selon un slogan, le Mouvement Militant voulait remplacer
«la lutte des races par la lutte des classes»316. Mais la
volonté de Mouvement Militant de maintenir l?équilibre politique
intercommunautaire (ethnic political balance), qui permit au parti de
devenir national dans les années quatre-vingts317, consolida
la pratique du commun au taris me.
Les dissensions ethniques sont l?enjeu principal de chaque
campagne électorale. L?île Maurice n?est pas une
société matériellement et moralement
intégrée et ne dispose d?une relative unité culturelle de
ses citoyens. L?EtatNation ne s?y est pas installé encore318.
L?Etat a précédé la Nation, entité qui reste
à construire319. Aucun parti politique n?est aujourd?hui
véritablement national. Le Mouvement Militant, au fil des
défections de ses éléments320, est devenu
principalement un parti des minorités au même titre que le Parti
Mauricien Social Démocrate321. Le Mouvement Socialiste
Militant de l?ancien
315 «The MMM started as a radical movement of young educated
Mauritians of different ethnic origins dedicated to rid the island of
communalism?», HOUBERT Jean, cité note 231, p. 242.
Le MMM fut créé notamment par MM.Paul
Bérenger, soixante-huitard de Paris, Jooneed Jorebarkhan et Dev
Virashawmy.
316 Toutefois, le MMM, par réalisme, choisit ses
candidats pour les différentes circonscriptions sur la base de leur
appartenance ethnique. Dès sa première participation
électorale, le parti investit Dev Virashawmy, de confession hindoue,
comme candidat dans une circonscription à majorité hindoue, fief
du Premier ministre d?alors. Vingt-trois ans après, M. Paul
Bérenger reconnaît l?impossibilité de faire abstraction du
communautarisme: «On a regardé de plus près les racines de
notre histoire et on a bien mesuré combien étaient fragiles les
sociétés pluriethniques, plurireligieuses comme Maurice... Nous
avons fait des choix délicats aussi. Comme celle de l?élection
partielle de Triolet où nous avons présenté Dev
Virashawmy. On a fait un compromis. Si nous étions toujours les
idéalistes que nous étions en 1969, nous aurions
présenté Paul Bérenger», in CAUNHYE Fouad:
«Entretien avec Paul Bérenger», Le Mag, 4 septembre 1994, pp.
14 à 18, v 17.
317 Le MMM ne s?était pas allé contre certaines
moeurs. M. Paul Bérenger, véritable chef du parti, choisit de
jouer un profil bas. En 1993, bien qu?il commandait la majorité dans
l?opposition, il renonça à assumer les fonctions de Chef de
l?opposition au profit d?un hindou, Monsieur Navin Ramgoolam.
318 DOOKHY Parvèz A. Cader: «Les causes de
l?instabilité ministérielle», Le Mauricien, 11 novembre
1993, p. 7.
319 «L?Etat est lui aussi à construire. Il
précède la nation. Sa première tâche est de la
mettre au monde... Les sociétés en voie de développement
sont composites, les divisions ethniques, religieuses, linguistiques se sont
cristallisées au cours des siècles, entraînant des
affrontements, des sujétions, une tradition de coexistence pacifique
plus souvent belliqueuse», ARDANT Philippe, cité note 312, v. p.
111.
320 NITISH G.: «1973, 1983, 1993... Les dissidences et
les cassures au MMM», 5-Plus dimanche, 31 octobre 1993, p. 5.
321 A titre anecdotique, il convient de souligner que Sir
Gaétan Duval, quelques semaines avant son décès, avait vu
en M. Paul Bérenger son héritier politique.
Premier ministre, Sir Aneerood Jugnauth, et le Parti Travailliste
partagent la faveur de l?électorat hindou.
Trente années après l?indépendance, la
vie politique se ramène pour l?essentiel à une lutte d?influence
entre la majorité hindoue et le bloc des minorités.
Au-delà des slogans sur l?unité nationale, les partis politiques
n?ont jamais pu s?affranchir de cette réalité tenace
322. L?Etat a pu se maintenir grâce à un dosage subtil
entre les passions divergentes des communautés323. Cet
équilibre est très fragile.
|