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Le Comité Judiciaire du Conseil Privé de la Reine Elisabeth II d'Angleterre et le Droit Mauricien

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par Parvèz A. C. DOOKHY
Université Paris I Panthéon-Sorbonne - Docteur en Droit 1997
  

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Paragraphe 2. L'absence d'équilibre entre les pouvoirs institutionnels

Le régime parlementaire classique avait été originairement conçu pour réaliser un équilibre entre le Parlement et le gouvernement. En théorie, cet équilibre devrait mettre les deux partenaires à égalité et sous le contrôle d?un troisième pouvoir, le judiciaire324. Cependant, l?égalité est toujours difficile à maintenir. Le régime parlementaire évolue soit vers la prédominance du Parlement soit vers celle de l?exécutif325.

A l?opposé de la tradition politique française, le régime parlementaire de Westminster a toujours favorisé le gouvernement. Adossé à la majorité électorale, l?exécutif, au nom du Chef de l?Etat, exerce une action dominante (A) au point d?affaiblir le pouvoir de contrôle du judiciaire (B). Ces phénomènes, conjugués avec les réalités de l?île Maurice, s?y sont amplifiés

A. La puissance de l'Exécutif

322 MARYLENE François: «Entretien avec le Muveman Anti-Kominalis: L?idéologie communaliste a intégré le système», WE, 28 mai 1995, p. 10.

323 GERBAU Hubert et CARTER Marina: «L?Etat et le communautarisme: le cas de l?île Maurice», Cultures et Conflits, 1994, n° 15/16, pp. 86 à 126, v 105.

324 L?objectif de la séparation des pouvoirs préconisée par Locke, puis Montesquieu, est ainsi défini: «Lorsque dans la même personne ou dans le même corps de magistrature, la puissance législative est réunie à la puissance exécutive, il n?y a point de liberté», MONTESQUIEU Charles Louis de Secondat: «L?Esprit des lois», 1748, Gallimard, 1995, 2 vol., v. vol. 1, Livre XI, Chapitre VI, p. 328.

325 BAGEHOT W.: «The English Constitution», 1867, Oxford University Press, 1968, 312 p.

En sus des missions et pouvoirs normaux de tout gouvernement quant à la détermination de la politique intérieure et extérieure du pays, le Cabinet mauricien326, personnalisé par le Premier ministre, décide de la politique nationale avec une indépendance particulièrement grande327 au point où l?homme de la rue se plaint d?une dictature du gouvernement328. Le Parlement de Maurice329 est affaibli330. L?opposition est souvent inexistante331.

Deux périodes sont à distinguer dans l?histoire constitutionnelle de Maurice depuis l?indépendance: l?ère Ramgoolam (a) et l?ère Jugnauth (b).

a. L'ère Ramgoolam

Sir Seewoossagur Ramgoolam332 fut Premier ministre de l?île Maurice indépendante de 1968 à 1982333. Cette période répond au vouloir du Premier ministre d?affermir l?Etat tout jeune, d?assembler une nation afin de sortir le pays du sous-développement. Ces tâches, selon le gouvernement, justifiaient la concentration des moyens, la poursuite d?une politique définie d?une main ferme. Mais en réalité, l?autoritarisme avait permis au Premier ministre de se maintenir au pouvoir et de surcroît d?empêcher le libre fonctionnement des institutions.

326 Selon l?article 61-1 CM, le Cabinet est composé du Premier ministre et des autres ministres. Les ministres délégués (junior ministers) n?en font pas partie. Mais le Cabinet de Maurice, à la différence de celui de la Grande-Bretagne, n?est pas seulement un noyau dur de principaux ministres. La notion peut se confondre avec celui de gouvernement. La fonction de ministre délégué a été crée par la Loi constitutionnelle du 31 janvier 1996 (article 32 nouveau de la Constitution).

Sur le fonctionnement du Cabinet en Grande-Bretagne, v. WALKER P. G.: «The Cabinet», Londres, Fontana, 1973, 191 p. et HENNESY P.: «Whitehall», Londres, Fontana, 1990, 857 p.

327 DOOKHY Parvèz: «La dictature élective du Premier ministre», 5-Plus dimanche, 12 mars 1995, p. 12.

328 Le phénomène se reproduit en Grande-Bretagne. Le Cabinet est la clef de voûte de l?édifice politique britannique. V. MARX F.: «La Grande-Bretagne vit-elle sous un régime présidentiel ?», RDP, 1969, pp. 5 à 47.

329 MATHUR Hansraj: «Parliament in Mauritius», Rose-Hill, Editions de l?Océan-Indien, 1991, 321 p. et DOOKHY Parvèz: «Les institutions politiques de Maurice», BSJFC, janvier 1997, pp. 2 à 7.

330 «Le contrôle parlementaire du Cabinet est une illusion derrière laquelle se dissimule le contrôle du Parlement par le Cabinet»,. MARX F., cité note 328, v. p. 38. Il est à noter que depuis une Loi constitutionnelle du 16 janvier 1996 (article 32 nouveau CM), le Président de l?Assemblée Nationale peut être une personne extérieure au Parlement, un non-élu. Désormais, le Premier ministre peut intervenir directement dans la désignation du Président de l?Assemblée Nationale.

331 DOOKHY Riyad: «L?opposition et le fonctionnement régulier des institutions», Le Défi Plus, 4 au 10 mai 1996, p. 10.

332 SELVON Sydney: «Sir Seewoosagur Ramgoolam», Editions de l?Océan-Indien, 1986, 161 p. et CAUNHYE Fouad: «S. S. Ramgoolam est-il mort ?», Le Mag, 18 septembre, pp. 15 à 20.

333 Il était chef de gouvernement, Premier, depuis 1964.

Il serait peut être utile de faire un petit détour par un rappel des faits afin de mieux comprendre l?enjeu de la politique plus ou moins dictatoriale du Premier ministre. Dès 1969, l?alliance gouvernementale fut scindée avec le départ d?un parti, le Bloc Indépendant pour le Progrès (Independent Forward Bloc). Cependant, le Premier ministre s?allia avec le parti d?opposition d?alors334, le Parti Mauricien. Cette alliance amena le gouvernement à tempérer sa politique en matière sociale pour favoriser le développement du capitalisme. Avec la contestation populaire, le Mouvement Militant prit naissance335 et utilisa des moyens extraparlementaires, notamment les grèves et manifestations pour faire prévaloir ses points de vue. En 1971, des mouvements très durs paralysèrent le pays336 et le gouvernement appliqua à plusieurs reprises l?état d?urgence337 dans un but de réprimer les contestations sociales338.

Les pouvoirs de crise à l?île Maurice, d?inspiration britannique 339 confèrent au gouvernement des pouvoirs exorbitants340. L?article 3 de la Loi mauricienne sur les pouvoirs de crises (Emergency Power Act) donne aux mesures gouvernementales une force supérieure à la Loi, et la Constitution permet l?atteinte à de nombreuses libertés fondamentales lors de la mise en vigueur de la Loi précitée341. Treize associations syndicales furent suspendues de 1971 à 1974. Les réunions publiques de plus de cinq personnes furent interdites et la presse fut censurée. Les mauriciens nés à l?île Rodrigues pouvaient être

334 RAMSAMY Vony: «La coalition Ptr/PMSD/CAM de novembre 1969. Au nom de l?unité nationale», 5-Plus dimanche, 20 novembre 1994, p. 10.

335 Comme tous les partis politique de Maurice, le MMM a, selon la classification de Monsieur le Professeur Maurice Duverger, une origine électorale ou parlementaire?. Aucun parti, même pas le Ptr, à l?inverse de celui de la Grande-Bretagne, n?a une origine extérieure?. V. DUVERGER Maurice: «Les partis politiques», Paris, Armand Colin, 1981, 10e éditions, 572 p., v. p. 22 et s.

336 OODIAH Mallenn: «Histoire du syndicalisme mauricien», Port-Louis, Fédération des Travailleurs Unis, 1988, 39 p.

337 FINNIS J. M. et GOULD B. C.: «Constitutional law», ASCL, 1972, p. 1 à 100, v. p. 59 à 60. Monsieur Paul Bérenger fut victime d?une tentative manquée d?assassinat en 1971 et près de 300 proches du MMM furent emprisonnés. V. LE MOUVEMENT MILITANT MAURICIEN: «L?histoire d?un combat 1969-1983», Port-Louis, Editions MMM, 1983, 62 p.

Sur la montée en puissance du MMM, v. LANGELLIER J. P.: «Les vingt ans du Mouvement Militant», Le Monde, 3 octobre 1989, p. 6. et TURQUIE Selim: «Irruption d?un mouvement populaire militant à l?île Maurice», LMD, 1er juiller 1977, p. 15 et LEMARIE Phillipe: «L?irresistible ascension de la gauche à l?île Maurice», LMD, 1er juin 1982, p. 10.

338 Ce phénomène se reproduisit dans plusieurs Etats du tiers-monde. V. CADOUX Charles: «L?Inde: la crise politique des années 1975-1980», RDP, 1980, pp. 1515 à 1561 et PASBECQ Chantal: «L?Inde: d?un état d?urgence à l?autre», RDP, 1977, pp. 1253 à 1281.

339 BULLIER Antoine J.: «L?organisation du maintien de l?ordre en Angleterre», RSC, 1991, pp. 432 à 436.

340 L?état-d?urgence peut être maintenu par le gouvernement pour un temps illimité sauf si les députés adoptent une résolution à la majorité des 2/3 tendant à sa suppression, alors qu?en Grande-Bretagne, il est proclamé pour un mois renouvelable et les mesures doivent être approuvées par les deux chambres du Parlement.

341 Article 18-1 CM.

reconduits à leur île natale sur simple décision de l?autorité de police selon le Règlement de 1971 sur les pouvoirs342.

Débordant son cadre originel, l?état d?urgence permit au gouvernement de repousser la tenue des élections de 1972 à 1976 343. Le parti Mauricien était donné gagnant et le gouvernement pensa que le report lui aurait permis de combler son retard344. Des élections partielles étaient obligatoires en 1973, mais le gouvernement les repoussaient à plusieurs reprises en vertu de ses pouvoirs exorbitants345. Un ancien magistrat, Monsieur France Vallet, engagea, avec peu de succès, contre le gouvernement une véritable bataille judiciaire pour le contraindre à procéder à la tenue des élections346. Le gouvernement, utilisant ses prérogatives, fit réviser la Constitution347 en novembre 1973 pour empêcher tout contrôle judiciaire et abolir les élections partielles et les remplacer par un système de nomination basé sur celui des meilleurs perdants. Le système, peu équitable, ne tint pas compte de l?évolution des forces parlementaires et désigna des députés sans lien avec leur nouvelle circonscription. L?opposition perdit même un siège au terme des nominations.

En 1976, des élections furent organisées348. Le gouvernement perdit les élections mais conclut une alliance avec le Parti Mauricien pour former un nouveau gouvernement sous la direction de Sir Seewoossagur Ramgoolam. Le Mouvement Militant constituait seul une opposition numériquement très forte. Paradoxalement, le contrôle effectué par l?Assemblée était nettement insuffisant car le gouvernement recevait du Parlement l?autorisation de prendre par décret les mesures qui sont du domaine de la Loi349. Des nouvelles élections eurent lieu en 1982 et l?opposition remporta tous les sièges à pourvoir350.

342 OLIVRY Guy, intervention à l?Assemblée Législative, le 21 décembre 1971, LAD, pp. 2559 à 2562.

343 Les précédentes élections avaient eu lieu avant l?indépendance en 1967 et le mandat des députés avait expiré en 1972.

344 COLOM Jacques, cité note 245, v. p. 29. V. aussi SAYED Hossen: «L?évolution des forces politiques de l?opposition à l?île Maurice», Mémoire de IEP, Bordeaux, 1976, 136 p., v. p. 116 à 123.

345 FINNIS J. M.: «Constitutional law», ASCL, 1974, pp. 1 à 102, v. p. 43.

346 CSM: 31 janvier 1973, F. Vallet c/ Ramgoolam, MR, 1973, pp. 29 à 47, le juge Garrioch rédacteur de l'arrêt.

347 LEKENE Donfack Charles Etienne: «La révision des Constitutions en Afrique», RJPIC, 1989, pp. 45 à 71.

348 BOISSON J. M. et LOUIT M.: «Les élections législatives du 20 décembre 1976, l?enj eu économique et politique», APOI, 1976, pp. 215 à 265.

349 LOUIT Christian: «Chronique politique et constitutionnelle: l?île Maurice», APOI, 1979, pp. 309 à 332, v. p. 327. V. LOUIT Christian: «Chronique: Ile Maurice», APOI, 1981, pp. 291 à 299.

350 LOUIT Christian: «Chronique: Ile Maurice 1982-83», APOI, 1982-83, pp. 401 à 431.

b. L'ère Jugnauth

Sir Aneerood Jugnauth, Premier ministre de 1982 à 1995, pratiqua une politique de rigueur et sans partage un peu à la manière de celle pratiquée par Madame Margaret Thatcher351 malgré l?introduction de certaines réformes tendant à renforcer la démocratie352. Le Premier ministre affirma d?emblée ses prérogatives et pouvoirs constitutionnels en refusant de suivre le bureau politique de son parti, le Mouvement Militant, dirigé en fait par Monsieur Paul Bérenger qui voulait reproduire à Maurice le système politique stalino - brejnévien353. Le Mouvement Militant avait décidé de rompre l?alliance gouvernementale avec le Parti Socialiste, le partenaire minoritaire de l?alliance gouvernementale, mais le Premier ministre refusa de révoquer ce parti du gouvernement et exerça son droit de dissolution du Parlement en représailles à la scission opérée au sein de son parti.

Les élections de 1983 introduisirent dans le régime parlementaire mauricien un élément de gouvernement direct. Le Premier ministre tira l?essentiel de sa force de l?appui populaire en remportant les élections. Il utilisa depuis systématiquement l?arme de la dissolution pour retrouver une majorité qui s?était effilochée en 1987 et en 1991 354.

Au fil de ses victoires électorales, le Premier ministre devint plus responsable devant le corps électoral355 que devant le Parlement qu?il dirigea comme dans une relation de chef à troupes. En raison de la logique majoritaire

351 LURUEZ Jacques: «Le phénomène Thatcher», Bruxelles, Editions complexes, 1991, 336 p., v. p. 121 à 130.

352 Le report des élections est rendu quasiment impossible. Selon l?article 52-2 CM, une législature dure au maximum cinq années. La révision de cet article prévue à l?article 47 CM, ne peut être intervenue qu?après (a) une vote par voie référendaire par une majorité des 3/4 et (b) une ratification du projet par l?Assemblée Nationale à l?unanimité. La procédure de vote- ratification est curieusement inversée.

353 Le régime d?assemblée ne s?était pas non plus installé malgré la tentative de certains députés de la majorité. V. SALESSE Finlay: «13 ans après, pour une véritable démocratie parlementaire», 5-Plus dimanche, 18 juin 1995, p. 12.

354 A l?instar de la Grande-Bretagne, l?arme de la dissolution est maniée comme une arme de discipline et de consolidation de la majorité.

355 «One important element affecting any Prime Minister?s influence is his own standing, and his government?s standing in the eyes of the general public. Other things being equal, the greater a Prime Minister?s public prestige - or more precisely - the greater a Prime Minister?s public prestige is thought to be by his cabinet colleagues - the greater is likely to be his capacity to bend those colleagues to his will», KING Anthony: «Margaret Thatcher: The style of the Prime Minister» pp. 96 à 140 in KING Anthony (dir): «The British Prime Minister», Londres, Macmillan, 1985, 275 p., v. p. 107.

et du phénomène d?osmose qui découla entre les députés et le gouvernement, la responsabilité politique de celui-ci et de son chef cessa d?être parlementaire et devenint électorale. Aucune motion de censure ne pouvait aboutir. En ce sens, le gouvernement de Cabinet (Cabinet Gouvernment), qui implique un processus décisionnel collégial, fut supplanté par la volonté de puissance du seul Premier ministre356.

Disposant d?une autorité sans précédent, le Premier ministre contrôla personnellement à différents moments plusieurs secteurs de la vie mauricienne357 dont les principaux ministères, tels que celui de l?économie, de la justice, de l?intérieur et de la défense. Sir Aneerood Jugnauth mit aux leviers de commande des gens en qui il avait totalement confiance et élimina progressivement ceux qui lui paraissaient déloyaux.

Il était revenu à la presse de jouer seule le rôle de contre-pouvoir358. Elle mèna parfois de véritables investigations à la manière d?un juge d?instruction359 tant l?opposition parlementaire était laminée360. L?affrontement entre le gouvernement et la presse fut une constante de l?histoire politique de Maurice361.

La personnalisation de l?autorité de l?Etat au profit du seul Premier ministre suscite un débat fondamental relatif à l?évolution et à la nature des institutions mauriciennes. Il est question d?alléger la fonction du Premier ministre afin de tempérer son hégémonie. Le Président de la République devrait jouer un rôle d?arbitre plus actif en intervenant dans une certaine mesure dans le processus décisionnel362. Il devrait se situer, non pas à l?extérieur des institutions, mais bien à l?intérieur de celle-ci pour encadrer l?action du Premier

356 LANGELLIER Jean-Pierre: «Aneerood Jugnauth et Paul Bérenger dominent une vie politique fortement personnalisée», Le Monde, 9 novembre 1989, p. 8.

357 TSANG MANG KIN Joseph: «Sir Aneerood Jugnauth et nos institutions», 5-Plus dimanche, 24 juillet 1994, pp. 7 à 10, v. p. 7. et DARLMAH Naëck: «Le Prime Ministership et le pouvoir», 5- Plus dimanche, 9 octobre 1994, pp. 8 à 9.

358 Sur l?histoire de la presse, v. MARTIAL Yvan: «Plus de mille titres», JA, 30 septembre 1993, pp. 55 à 57.

359 AHNEE Gilbert: «La presse, bien au-delà de Bacha...», Le Mauricien, 1er août 1994, p. 5.

360 En 1982, 1991 et 1995, l?opposition parlementaire était composée de moins de huit députés sur soixante-six.

361 G. L. «Le bras de fer entre le pouvoir et la presse: des rapports tumultueux», 5-Plus dimanche, 23 octobre 1994, p. 10.

362 DOOKHY Riyad et DOOKHY Parvèz: «La légitimité du Président», Le Mauricien, 8 novembre 1995, p. 7.

ministre363. L?institution parlementaire devrait être revalorisée, notamment en instaurant le bicaméralisme364.

B. Le judiciaire

L?organisation judiciaire de Maurice, d?inspiration typiquement anglosaxonne365, ne connaît pas de séparation entre les juridictions des ordres judiciaire et administratif. Les juges mauriciens, à la manière des Lords du Conseil Privé, cumulent les pouvoirs des deux ordres. Un certain nombre de règles visent à garantir l?indépendance du judiciaire et la justice est investie d?un assez grand prestige. Le Président de la Cour Suprême est le troisième personnage de l?Etat366. Néanmoins, au-delà des garanties constitutionnelles367, le judiciaire est cantonné dans une structure embryonnaire (a) et fonctionne en état de crise (b).

a. La structure rudimentaire

La Cour Suprême368 est à la tête du système judiciaire à Maurice au sens géographique du terme369. Elle est composée de seulement huit juges et d?un Chef-Juge. Celui-ci est nommé par le Président de la République après simple consultation du Premier ministre. Le doyen des juges puînés (Senior Puisne Judge), qui assure aussi les fonctions de vice-Président de la Cour Suprême, est nommé par le Président de la République sur avis conforme du Chef-Juge. Les juges puînés (Puisne Judges) sont désignés par le Chef de l?Etat en accord avec les recommandations de la Commission du Service Judiciaire. Les conditions de recrutement des juges de la Cour Suprême ne sont pas sévères. Il suffit de

363 En août 1995, le Président de la République s?est écarté d?une tradition westminstérienne en refusant de donner son assentiment à une projet de loi adoptée par l?Assemblée. V. BERENGER Paul R.: «The President?s powers in the Republic of Mauritius», L?Express, 19 août 1995, p. 7.

364 DOOKHY Riyad et Parvèz: «Proposition pour un Sénat», L?Express, 7 décembre 1995, p. 12. et CADERVALOO Soondess: «Un Sénat, pourquoi et de quel type ?», Le Mag, 14 mai 1995, pp. 24 à 27.

365 PANTER-BRICK S. K.: «Histoire des Cours Suprêmes des Etats anglophones d?Afrique», pp. 99 à 102 in CONAC Gérard (dir): «Les Cours Suprêmes d?Afrique», Economica, 1988, tome 1, 437 p.

366 Le Chef-Juge a préséance sur tous les ministres et en fin d?année, il appartient au ministre de la justice de lui présenter ses voeux dans son bureau.

367 Les juges sont inamovibles et la Commission du Service Judiciaire, qui peut être rapprochée du Conseil Supérieur de la Magistrature de France, veille à l?indépendance du judiciaire.

368 DAUDET Y. et MEETARBHAN M.: «La Cour Suprême de l?île Maurice», pp. 278 à 289 in CONAC Gérard (dir), cité note 365. et HENNE J. P.: «L?organisation judiciaire mauricienne», Recueil Penant, 1978, n° 759, pp. 79 à 83.

369 De 1904 à 1975, la Cour Suprême de Maurice avait exercé à l?égard des Seychelles une compétence d?appel.

pouvoir justifier de cinq années de pratique professionnelle au barreau de Maurice370 pour les satisfaire.

La Cour Suprême, se situant principalement dans un vieil immeuble de l?époque coloniale française, exerce une compétence étendue sur plusieurs degrés de la hiérarchie juridictionnelle. La Cour Suprême statue en première instance dans un nombre considérable d?affaires: lorsque l?intérêt du litige est supérieur à RPM 50,000, en matière d?état des personnes (droit de la famille, nationalité et succession) et de protection des droits fondamentaux, en matière de discipline contre les auxiliaires de justice, en formation d?assises et en matière des faillites371 (voir tableau 4 en annexe). En première instance, la Cour statue en formation unique372.

La Cour Suprême est également une juridiction de deuxième ressort et statue en appel sur des points de fait et de droit. En appel, les juges de la Cour Suprême peuvent siéger en trois types de formation. La Cour Civile d?Appel (Court of Civil Appeal)373 est compétente pour statuer sur les appels interjetés contre les jugements rendus en première instance par la Cour Suprême. La Cour Criminelle d?Appel (Court of Criminal Appeal)374 exerce une compétence similaire en matière pénale. La Cour d?Appel en matière civile et criminelle (Court of Civil and Criminal Appeal) statue sur les appels interjetés contre les jugements des tribunaux inférieurs (lower courts), telles la Cour Intermédiaire (Intermediate Court), qui correspond au Tribunal Correctionnel en France, les Cours de districts (Districts Courts), c?est-à-dire les cours de base comparables aux tribunaux d?instance et de police français, et la Cour Industrielle (Industrial Court) assimilable au Conseil des Prud?hommes français.

370 Articles 76 et 77 CM. Mais la pratique veut que, pour être nommé juge, l?avocat doit aussi avoir fait carrière au sein de la magistrature assise ou debout (avocat au parquet). V. ANGELO A. H.: «Mauritius: the basis legal system», CILJSA, 1970, pp. 228 à 241. Pour cet auteur, le cursus s?inspire de la tradition française de magistrat de carrière.

371 Cette compétence est exercé par le greffier-secrétaire (Master and Registrar) de la Cour Suprême qui n?est pas, sur le plan organique, un juge.

372 Comme en Angleterre, l?île Maurice est attachée à la tradition du juge unique en première instance. Cependant, le Chef-Juge peut discrétionnairement décider qu?une affaire en première instance soit entendue par deux ou plusieurs juges. V. BOULAN F.: «L?organisation judiciaire de l?île Maurice», APOI, pp. 197 à 211, v. p. 203.

373 Elle fut instituée par une Ordonnance de 1963. V. ATTORNEY-GENERAL, cité note 219, vol. 2, p. 1 et s.

374 Elle fut institué par l?Ordonnance de 1954, in ATTORNEY-GENERAL, ibid., vol. 2, p. 51 et s.

Ces cours d?appel n?ont aucune structure autonome. Elles ne constituent que des divisions, d?ailleurs non permanentes, de la Cour Suprême. Elles prennent existence dès lors que le Chef-Juge investisse deux ou trois magistrats de la Cour Suprême à statuer en deuxième ressort sur une affaire. Elles sont donc composées de juges qui, hiérarchiquement, sont du même niveau que celui ou ceux qui ont rendu le jugement en première instance, exception faite si l?appel est interjeté contre une décision d?une cour inférieure. Tous les juges de la Cour Suprême sont inter pares. Par conséquent, les cours d?appel ne sont pas organiquement de véritables juridictions de deuxième instance.

Il convient de faire ressortir aussi que le juge mauricien qui propose la solution a à sa disposition peu de moyens pour la rédaction d?un arrêt. Il ne bénéficie d?aucun assistant pour l?aider dans ses fonctions de recherche documentaire. D?ailleurs, la bibliothèque de la Cour Suprême est moyennement fournie d?ouvrages des droits anglais, français et Commonwealth. Le rayon sur le droit mauricien ne comporte que des journaux officiels, des recueils de jurisprudence des arrêts de la Cour Suprême et des recueils de lois. La doctrine est pratiquement inexistante375.

b. Le fonctionnement en crise

Alors que l?organe délibérant s?est effacé devant la montée en puissance de l?exécutif, le judiciaire a pu, dans une certaine mesure, s?imposer en tant que pouvoir surtout avec l?aide et l?impulsion du Comité Judiciaire. Néanmoins, les atteintes au bon fonctionnement des institutions juridictionnelles purement mauriciennes sont fréquentes. Déjà en 1967, avant l?indépendance, l?administration anglaise avait, par une Ordonnance à effet rétroactif, enlevé à la Cour Suprême la compétence de sanctionner un acte administratif alors que le litige était pendant devant la juridiction376.

375 «Le premier réflexe de l?avocat ainsi confronté à un droit qu?il ne connaît pas est de consulter les ouvrages de référence car sa formation de juriste lui a appris comment trouver le droit. Mais voilà qu?il s?aperçoit que cette doctrine est pratiquement inexistante», MEETARBHAN J. N.: «Problèmes pratiques posés au juriste par un système de droit mixte», pp. 213 à 225 in UNIVERSITE DE DROIT, D?ECONOMIE ET DES SCIENCES D?AIX MARSEILLE: «La formation du droit national dans les pays de droit mixte, les systèmes juridiques de Common Law et de droit civil», Press Universitaire d?Aix-Marseille, 1989, 242 p., v. p. 217.

376 CSM: 30 mars 1967, Roussety c/ Attorney-General, MR, 1967, pp. 45 à 69, le juge Rivalland rédacteur de l'arrêt.

Les nominations dans le judiciaire ont été l?objet de grandes controverses377. Il était de tradition que la nomination du Chef-Juge et du doyen des juges puînés se fasse au vu du principe de l?avancement à l?ancienneté. A cet égard, en 1970, le Gouverneur-Général, s?était opposé au voeu du Premier ministre de procéder à des nominations au choix378. La nomination à l?ancienneté fut mise à l?écart dans les années quatre-vingt-dix. Les attaches politiques, supposées ou réelles, et la confession religieuse des juges sont des critères déterminants dans leur désignation. Qui plus est, certains juges ont été reconduits dans leur fonction379 alors même qu?ils avaient atteint la limite d?âge. Certes, l?article 113 de la Constitution, aujourd?hui partiellement abrogé, prévoyait une disposition à cet effet mais dans l?esprit du constituant il ne devrait être appliqué qu?en cas de situation de crise380.

Cette mainmise de l?exécutif sur le judiciaire pourrait donner un élément de réponse au fait que dans les grandes affaires contre l?exécutif, peu de décisions ont été rendues à son encontre381. L?opinion publique a fortement l?impression que l?exécutif est protégé et que le ministère public refuse d?intenter des actions contre des membres du gouvernement contre lesquels il existe de sérieux soupçons, ou qui ont commis des infractions.

Ces faits ont dévalorisé les institutions judiciaires de l?île Maurice. Elles sont régulièrement la proie de sévères critiques des journalistes382 et des hommes politiques383, tant dans le Parlement que lors des réunions publiques.

Le Comité Judiciaire à Londres représente seul, dans ces circonstances, l?ultime tribunal indépendant disposant d?une autorité non mise en cause sur le plan de l?impartialité. Au vu de la perte de crédibilité de la Cour Suprême conjuguée avec le développement de réflexe identitaire dans le domaine politique, le Comité Judiciaire a gagné en légitimité et est de plus en plus

377 ANTOINE Jean-Claude: «Controverse dans le judiciaire, une nomination qui divise», WE, 13 août 1995, p. 6.

378 BOOLELL Satcam, Sir, QC: «Judges also deserve justice», l?Express, 18 août 1995, p. 10.

379 DOOKHY Riyad: «La nomination du Chef-Juge est entachée d?une erreur», L?Express, 9 novembre 1995, p. 10.

380 MEETAHBHAN Raj: «Le judiciaire dans un tourbillon», L?Express-dimanche, 14 avril 1996, p. 6.

381 V. CSM: 2 juin 1993, Attorney-General c/ Ramgoolam, LRC, 1993, vol. 3 pp. 82 à 93, le juge Lallah rédacteur de l'arrêt.

382 TEELUCK Dinesh: «Justice en crise, nothing seen to be done», Le Mag, 19 avril 1996, pp. 15 à 17 et O?HAMAMY David: «Judiciary in the dock», L?Express-dimanche, 24 mars 1996, p. 10.

383 Sir Gaétan Duval, ancien ministre de la justice, a, par exemple, fortement dénoncé la pratique et méthode du Chef-Juge. V. DAVID Jacques: «Le point de la situation avec Sir Gaétan Duval», Le Mauricien, 8 octobre 1994, p. 6.

souvent sollicité (voir tableau en annexe 5). En conséquence, il se prononce sur une plus grande variété d?affaires.

L?importance et l?utilité de la Haute Instance londonienne étant dégagées, il s?avère indispensable d?examiner la compétence ratione materiae du Comité Judiciaire en droit mauricien. L?amplitude de la compétence du Comité Judiciaire nous permettra d?apprécier davantage les liens juridiques de la Haute Instance avec l?île Maurice.

Sous-section 3. La compétence matérielle du Comité Judiciaire en contentieux mauricien

Le Comité Judiciaire se trouve seul au sommet de la hiérarchie des institutions judiciaires de l?île Maurice. Il est en réalité la véritable juridiction suprême, au sens rationnel du terme384, de l?île Maurice. La Cour Suprême, située à Port-Louis, n?est a fortiori qu?une cour de deuxième instance. Il appartient au Comité Judiciaire de statuer en cassation sur les pourvois dont sont l?objet les arrêts de la cour locale385. Théoriquement, il a le pouvoir d?examiner en appel l?ensemble des points de droit et de fait que soulève une affaire mais il retient les faits tels que les lui présente le juge local. L?appréciation des faits relève, selon le juge londonien, de la souveraineté des juges du fond, la Cour Suprême de Maurice386. A la manière de la Cour de Cassation française, le Comité Judiciaire veille exclusivement au respect de la norme, à sa bonne application par le juge local. Sa mission se limite au jugement des arrêts déférés à sa censure même lorsqu?il est saisi directement en cassation par la procédure de la voie d?action en vertu d?une requête tendant à l?annulation d?une Loi. Juge suprême, il fixe l?orthodoxie de la jurisprudence et veille à son respect par la Cour Suprême locale.

384 En droit anglais, la Cour Suprême de Justice désigne trois composantes: la Haute Cour (High Court), la Cour d?Assises (Crown Court), cours de première et de deuxième instance, et la Cour d?Appel (Court of Appeal), cour de deuxième instance. La Chambre des Lords coiffe ces trois juridictions. Elle se trouve au plus au niveau de la hiérarchie judiciaire anglaise et est qualifiée de cour d?appel final? (final Court of Appeal). V. KINDER-GEST Patricia: «Droit anglais, institutions politiques et judiciaires», LGCJ, 1993, 671 p., v. p. 341.

385 V. La définition de Cour suprême donnée par Monsieur le Professeur André Tunc dans sa synthèse in BALLET Pierre et TUNC André (dir): «La Cour suprême, une enquête comparative», Recherches Panthéon-Sorbonne, Economica, 1978, 486 p., v. p. 8 st s.

386 CJCP: 15 novembre 1982, Lutchmeeparsad Badry c/ Director of Public Prosecutions, WLR, 1983, vol. 2, pp. 161 à 171, affaire de Maurice, Lord-Chancelier Hailsham of St. Marylebone rédacteur de l'arrêt. Le juge souligne que: «... their Lordships... find themselves bound by the findings of fact of the Supreme Court, who, after all, saw the witnesses and observed the demeanour», ibid., p. 165.

En l?absence de toute séparation entre les ordres de juridiction, le Comité Judiciaire est l?unique juridiction suprême de Maurice. Sa compétence matérielle est générale. Aucune matière échappe a priori à ses attributions. Malgré certaines limites posées par le constituant aux cas d?ouverture du pourvoi à Londres, le Comité Judiciaire peut statuer sur tout litige au moment où il accorde au demandeur au pourvoi une autorisation, dite spéciale, de saisine (special leave to appeal)387. Le Comité Judiciaire dispose d?une compétence d?exception universelle, ou pour le dire sans ambiguïté, d?une compétence de droit commun.

Faisant abstraction de la prérogative d?origine royale de pouvoir entendre tout litige, la compétence d?attribution du Comité Judiciaire varie selon qu?il statue, d?une part, sur une affaire relevant du droit privé et public (civil law) (paragraphe 1) et, d?autre part, sur une affaire de droit pénal et de responsabilité des hauts magistrats (paragraphe 2).

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"Je voudrais vivre pour étudier, non pas étudier pour vivre"   Francis Bacon