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Le Comité Judiciaire du Conseil Privé de la Reine Elisabeth II d'Angleterre et le Droit Mauricien

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par Parvèz A. C. DOOKHY
Université Paris I Panthéon-Sorbonne - Docteur en Droit 1997
  

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Paragraphe 2. L'indépendance

Comme dans d?autres pays du Commonwealth, le gouvernement travailliste britannique déclencha à partir de 1948 un processus devant conduire par étapes l?île Maurice à l?autonomie (self-government)230. Il fut mis en place des organes permettant aux mauriciens de s?administrer eux-mêmes. Les changements constitutionnels furent généralement préparés par des Commissions Royales d?Enquête (Royal Commissions of Inquiry) chargées de recueillir l?expression des voeux des divers courants et des cinq conférences sur la Constitution réunies, dans les années précédent l?indépendance, à Londres et présidées par le Ministre des Colonies qui s?efforçait de concilier les diverses

226 FAVOREU Louis, cité note 194, v. p. 28.

227 BLANC-JOUVAN Xavier: «L?introduction à l?étude comparée des droits de l?Océan indien», pp. 23 à 33, in CONAC Gérard (dir): «Etudes de droit privé français et mauricien», cité note, 196, v. p.31.

228 Après 1918, en vertu du traité de Versailles consacrant le droit des peuples à disposer d?euxmêmes, un mouvement en faveur de la rétrocession de l?île Maurice à la France avait pris naissance du fait que bon nombre de mauriciens avaient combattu aux côtés de la France au cours de la première guerre mondiale. V. TOUSSAINT Auguste, Dr.: «Le mouvement rétrocessionniste», WE, 28 juillet 1994, p. 20 à 21.

229 MINISTERE DE LA JUSTICE DE L?ILE MAURICE: «L?application du droit mixte à l?île Maurice», APOI, 1980, pp. 119 à 129, v. p. 119-20. V. aussi TANCELIN Maurice: «Problématique de la mixité du droit, le cas de deux pays de l?Océan Indien, Maurice et les Seychelles», APOI, 1981, pp. 95 à 101.

230 DE SMITH Stanley A.: «The new Commonwealth and its Constitutions», Londres, Stevens and Sons, 1964, 312 p., v. chapitre 2, p. 38 et s.

revendications et de rédiger, avec l?accord de tous, les textes à soumettre au Parlement de Westminster.

A la dernière conférence en 1967, la discussion porta sur le point de savoir si l?île Maurice devait ou non accéder à l?indépendance au terme de son évolution. Le Parti Mauricien Social Démocrate de Gaétan Duval, était hostile au principe de l?indépendance231 et avait souhaité que ce choix fût fait sur consultation du peuple par référendum. Mais les experts britanniques préconisèrent l?organisation des élections générales (législatives) et si l?Assemblée élue se prononçait à la majorité simple en faveur de l?indépendance, celle-ci serait proclamée232. Les élections furent organisées en 1967 et les partisans de l?indépendance les avaient remportées.

Des négociations avaient eu lieu avec les dirigeants des principaux partis de l?île. Un Commissaire dit constitutionnel, Stanley A. De Smith, alors professeur à l?Université de Cambridge, était chargé d?établir un rapport sur les grandes lignes de la future Constitution. Celle-ci fut ensuite adoptée233 par le Parlement britannique234 et octroyée à l?île Maurice par le Souverain. La Constitution de 1968 dota l?île Maurice d?une organisation classique en régime parlementaire et le pays devint une monarchie indépendante (A).

Dans les années quatre-vingts et quatre-vingt-dix, le constitutionnalisme mauricien, comme celui de beaucoup de pays d?Afrique, entra, selon l?expression de Monsieur le Professeur Gérard Conac, brusquement dans une phase d?intense

231 Le PMSD fit campagne pour l?association avec le Royaume-Uni ou même pour l?intégration de Maurice dans la Grande-Bretagne. Si cette proposition était acceptée, l?île Maurice serait devenue un territoire d?outre-mer de la Grande-Bretagne. Mais le gouvernement britannique l?avait rejetée.

«Mauritius was a most unlikely colony to be made part of the United Kingdom... the anglophiles were not supporters of the PMSD», HOUBERT Jean: «Mauritius: Politics and pluralism at the periphery», APOI, 1982-83, pp. 225 à 264, v. p. 234.

232 Le gouvernement britannique avait refusé le recours au référendum qui aurait pu permettre à la population d?apprécier les mérites de l?association, comme le droit à la citoyenneté anglaise et à l?émigration en Grande-Bretagne.

233 CJCP: 5 novembre 1975, Moses Hinds c/ The Queen, WLR, 1976, vol. 2, pp. 366 à 397, affaire de la Jamaïque, Lord Diplock rédacteur de la décision majoritaire. Selon Lord Diplock: «They (Constitutions of the Commonwealth) embody what is in substance an agreement reached between representatives of the various shades of political opinion in the State as to the structure of the organs of the government through which the plenitude of the sovereign power of the State is to be exercised in the future. All of them were negotiated as well as drafted by persons nurtured in the tradition of that branch of the Common Law of England that is concerned with public law...», ibid., p. 372.

234 Le Parlement britannique avait agi en tant que pouvoir constituant à l?égard de Maurice. La Constitution mauricienne initiale, comme beaucoup d?autres, est dite fabriquée en Angleterre? (made in England).

activité volcanique?235. L?île changea de statut. La monarchie fut abolie et Maurice devint une République (B).

Sous le bénéfice de cette présentation, on s?interrogera sur la survivance de l?institution du Comité Judiciaire dans les deux phases de l?évolution constitutionnelle de Maurice.

A. La monarchie

Comme il avait été admis avant la deuxième guerre mondiale que le Roi George VI (1936-1952) était Roi du Canada aussi bien que celui du RoyaumeUni236, les Constitutions de type Westminster reconnurent le principe de la divisibilité de la monarchie. Selon ce principe, la Reine Elisabeth II était jusqu?à 1992 le Chef de l?Etat de Maurice 237 représentée sur place par un Gouverneur-Général. Ce dernier, comme en régime parlementaire classique et conformément à la pratique des Souverains d?Angleterre238, n?agissait qu?avec l?accord ou le vouloir du Premier ministre239. En revanche, en matière d?administration de la justice royale, il revenait à la Reine elle-même de traduire en Ordonnances les avis du Comité Judiciaire sur les litiges mauriciens240. Le fonctionnement de cette justice royale provoqua des interrogations sur sa légitimité (a). Mais la tentative d?abolition du droit de recours à Londres échoua (b).

235 CONAC Gérard: «Le processus de démocratisation en Afrique», pp. 11 à 41 in CONAC Gérard (dir): «L?Afrique en transition vers le pluralisme politique», La vie du droit en Afrique, Economica, 1993, 517 p., v. p. 11.

236 DALE William, cité note 29, v. p. 69.

237 Le titre de la Reine pour le Royaume-Uni est le suivant: Elisabeth la seconde, par la Grâce de Dieu, Reine de Royaume-Uni, de la Grande-Bretagne et de l?Irlande du Nord et de ses autres royaumes et territoires, Chef du Commonwealth et défenseur de la foi.

238 Les grandes conventions constitutionnelles évoquées par Albert Venn Dicey furent expressément traduites dans les nouveaux Etats. Sur les conventions v. BEAUD Oliver: «Les conventions de la Constitution. A propos de deux thèses récentes», DR, 1983, pp. 125 à 135. Sur l?utilité des conventions v. AVRIL Pierre: «Les conventions de la Constitution», RFDC, 1993, pp. 327 à 340.

239 Le Souverain possède en théorie le droit d?accorder ou non sa sanction aux lois votées par le Parlement. Dans la pratique, l?assentiment à une Loi n?est qu?une clause de style et ressemble à la procédure française de la promulgation. V. GICQUEL Jean, cité note 194, v. p. 246.

Sur les pouvoirs du Gouverneur-Général v. DALE William, Sir: «The modern Commonwealth», Londres, Butterworths, 1983, 345 p., v. p. 113 à 117.

Il convient de noter qu?en Australie le Gouverneur-Général s?était montré plus actif. V. DE SMITH Stanley A.: «Constitutional and administrative law», Londres, Penguin Books, 728 p., v. p. 124.

240 Le Comité Judiciaire ne conseillait pas le Gouverneur-Général. L?administration de la justice royale avait demeuré centralisée.

a. La mise en cause de la légitimité de la justice royale

L?île Maurice ne fut pas complètement épargnée du mouvement de suppression du droit de se pourvoir au Comité Judiciaire. Les mêmes griefs que ceux invoqués dans d?autres pays furent mis à l?avant pour étayer la thèse abolitionniste. Il était notamment fait reproche à la nature coloniale des relations entre le Comité Judiciaire et l?ordre juridique mauricien. Les dirigeants mauriciens voulaient que le système de droit mixte mauricien poursuivît une finalité différente de celle de l?époque coloniale. Autrefois, les autorités importaient le droit de l?Angleterre et éventuellement de la France. Durant la décennie quatre-vingt, le législateur avait voulu satisfaire des finalités proprement mauriciennes241 car l?île Maurice a ses propres moeurs et est une île à pluralité religieuse242.

Il était aussi fait reproche au fait que le gouvernement ne possède aucun moyen de contrôle sur le Comité Judiciaire, dont l?existence est fixée par une Loi britannique de 1833. Le Comité Judiciaire s?est déclaré complètement autonome, non soumis au Souverain britannique, donc à l?époque, mauricien aussi. Dans un pourvoi venant du Canada, la Haute Instance avait même fait ressortir que le Souverain était pratiquement tenu d?agir conformément à son avis243. La juridiction du Conseil Privé applique ses propres politiques jurisprudentielles, des fois jugées contraires à l?intérêt public national par la Cour Suprême. Une analyse de la jurisprudence permet de constater que le Comité Judiciaire se sent de plus en plus tenu d?appliquer à Maurice les grands principes de droit développés en Europe occidentale. La divergence de politique entre les deux institutions s?était accentuée. La Cour locale privilégiait le droit au développement économique au détriment des droits et libertés de première génération. Par exemple, le droit de propriété était mieux protégé par le Conseil Privé qu?à la Cour locale qui privilégiait l?intervention de l?Etat dans le domaine é con o mi q ue244.

241 «Désormais à Maurice le droit est français et anglais dans ses sources mais mauricien dans son objet et ses effets, poursuivent un seul but: la satisfaction d?une finalité mauricienne», HEIN Yves: «La réforme du mariage à l?île Maurice: pour une unification du droit», thèse, Université d?Aix Marseille, 1984, 138 p., v. p. 86.

242 Par exemple, en droit civil, le législateur accorde une certaine reconnaissance aux mariages religieux en vue d?adapter la législation à la culture mauricienne. V. Loi sur l?état-civil de 1981 (civil status Act 1981).

243 Voir infra.

244 Ibid.

Certains juges locaux avaient réagi en essayant de limiter les effets des décisions du Comité Judiciaire en droit mauricien. La Cour Suprême appliquait de moins en moins les précédents du Comité Judiciaire statuant sur des litiges venant d?autres pays du Commonwealth. Juridiquement, le juge mauricien n?était pas tenu de les appliquer. Il préférait invoquer des décisions d?autres cours britanniques, notamment celles de la Chambre des Lords245. Ensuite, s?agissant des arrêts du Comité Judiciaire prononcés en contentieux mauricien, certains juges locaux, par un travail de distinction des cas, refusaient d?appliquer les précédents aux situations qu?ils considéraient en toute discrétion différentes246 ou les appliquaient avec beaucoup de réserves247.

b. La tentative de remplacement du Comité Judiciaire

En 1983, le gouvernement de Monsieur Aneerood Jugnauth248 avait tenté d?abolir la monarchie et exclure le Comité Judiciaire de l?ordre judiciaire mauricien. Le projet de loi fut préparé sous son premier gouvernement qui dura un an. Lors des élections anticipées de 1983, le projet de faire de l?île Maurice une République fut au centre des débats. Un projet de révision à cet effet fut adopté en Conseil des ministres du 29 septembre 1983.

Le projet tendait à remplacer le Comité Judiciaire par une Haute Cour d?Appel dotée plus ou moins des mêmes pouvoirs que la juridiction londonienne249. La Haute Cour aurait été composée d?anciens Chefs-Juges de la Cour Suprême de Maurice, nommés par l?éventuel Président de la République. Selon le ministre de la justice d?alors et initiateur du projet, Sir Gaétan Duval, après cessation de fonction d?un membre de la Haute Cour, seuls ses pairs aurait

245 COLOM Jacques: «La Cour Suprême de l?île Maurice et le contrôle de la constitutionnalité des textes fondamentaux de 1964 à 1984», thèse, Aix Marseille, 1989, 283 p. L?auteur fait à la page 129 une étude sur l?application des précédents du Comité Judiciaire. Sur un échantillon de 62 arrêts allant de 1965 à 1981, seulement dans une quinzaine de cas, les juges mauriciens ont expressément fait référence à des décisions du Comité Judiciaire.

246 CSM: 28 octobre 1987, Curpen c/ Regina, jugement n° 328 de 1987, les juges A. G. Pillay et R. Proag rédacteurs de l'arrêt. V. infra.

247 CSM: 23 novembre 1987, Samputh c/ Regina, LRC, 1988, vol. criminal, pp. 11 à 17, le juge Glover rédacteur de l'arrêt. V. infra.

248 Sur l?histoire des partis politiques et des élections depuis l?indépendance, v. PANTER-BRICK S. Keith: «Trois exceptions à la règle: le multipartisme à Maurice, au Botswana et au Nigeria», in CONAC Gérard (dir), cité note 235, p. 423 et s.

249 La révision tendait en la substitution du terme de pourvoi à Sa Majesté en Conseil en celui de pourvoi à la Haute Cour d?Appel.

eu le pouvoir de nommer son successeur parmi les avocats disposant au moins de dix années d?expérience professionnelle250.

Sir Seewoossagur Ramgoolam, ancien premier ministre, qui aurait devenu le premier Président de la République si le projet était adopté, s?opposa fermement à l?idée de remplacement du Comité Judiciaire251. La Haute Cour n?aurait offert les mêmes garanties d?impartialité que le Comité Judiciaire à l?île Maurice pluriethnique, selon Sir Seewoossagar Ramgoolam. D?autres dirigeants à la fois de la majorité et de l?opposition s?étaient opposés au projet252.

B. La République

La proclamation de la République était considérée par les principaux partis politiques de l?île Maurice comme une étape supplémentaire du processus d?acquisition d?une pleine et entière souveraineté de l?Etat. En réalité, le fait d?instituer une présidence de la République, de surcroît une dyarchie au sommet de l?Etat et un partage, fût-il non équilibré, des pouvoirs entre le Premier ministre et le Président, était aussi un moyen de consolider l?unité nationale et l?équilibre intercommunautaire253.

Le projet d?instauration d?une République fut au centre des débats lors des élections générales de 1987254 qui furent à nouveau remportées par le gouvernement de Monsieur Aneerood Jugnauth. Toutefois, par un spectaculaire remaniement ministériel et revirement des alliances politiques, l?opposition

250 V. LEBRASSE Jossie: «Les amendements instituant la République devant le Parlement», WE, 2 octobre 1983, v. p. 1 et s.

251 LEBRASSE Jossie: «SSR à Week-End: Pas du tout d?accord avec l?institution d?une Haute Cour d?Appel», WE, 2 octobre 1983, p. 1. L?ancien Premier ministre avait déclaré: «Je ne suis pas du tout d?accord avec ce changement. S?il n?y avait pas le Conseil Privé, mon camarade Badry se serait retrouvé en prison... Je pense que pour ce genre d?appel, il faut continuer de recourir à l?étranger». Monsieur L. Badry fut ministre du gouvernement de Ramgoolam et reconnu coupable pour outrage à la Cour. L?arrêt de la Cour Suprême fut cassé en grande partie par le Comité Judiciaire.

252 Monsieur Paul Bérenger, ministre des affaires étrangères en 1991 et grand inspirateur du projet de République, parla du projet d?abolir le recours au Conseil Privé en ces termes: «... that shame of a draft bill, he (the Minister of justice) proposed to do away with appeal to the Privy Council. I refused to discuss this kind of rubbish. Yes, I agree, this was not a draft bill, this was a shame», LAD, n° 9 de 1991, p. 214.

253 HOOKOOMSING V. Y., CHAN LOW J. et REDDI S. J.: «Mauritius: The Republic, 199 years after», pp. 5 à 12, in UNIVERSITY OF MAURITIUS, cité note 195,

254 Lors de ces élections il y avait deux thèses en présence. Le gouvernement sortant proposait son projet de 1983, c'est-à-dire l?instauration d?une République parlementaire. L?opposition MMM voulait présidentialiser le régime politique en créant un Président à la française, élu au suffrage universel. La proposition de l?opposition reprenait les articles 5, 8, 9, 10, 12, et 18 de la Constitution française de la Vème République. V. WE du 1er mars 1987, p, 1 et s.

MMM entra peu après au gouvernement tandis que deux autres partis de la majorité passèrent dans l?opposition255.

Au terme d?un compromis entre les deux partis au pouvoir, le Mouvement Socialiste et le Mouvement Militant256, le projet d?une République parlementaire fut adopté par le Parlement en assemblée constituante par une majorité qualifiée257. Le Président de la République conserve les pouvoirs classiques attribués à la Reine d?Angleterre, mais il est nommé par l?Assemblée Nationale à la majorité absolue pour une durée de cinq ans sur proposition du Premier ministre258. L?Assemblée ratifie le choix du Premier ministre.

Le droit de recours au Comité Judiciaire est maintenu259. Le constituant de 1991 a plus ou moins conservé le statu quo (b) faute d?avoir une alternative crédible à la juridiction londonienne (a).

a. L'absence d'alternative au Comité Judiciaire

Le gouvernement ne dispose pas d?un projet fiable permettant le remplacement du Comité Judiciaire260. Le projet de création d?une Haute Cour d?Appel manque de rationalité en soi. Il prévoyait que le Président de la Cour Suprême demeurât le chef du judiciaire. La Cour Suprême aurait été soumise au contrôle d?une cour (mauricienne) supérieure. La cour supérieure aurait été notamment composée d?anciens Présidents de la Cour Suprême261. La hiérarchie des tribunaux aurait devenu davantage incongrue. Or, tout projet sérieux de

255 Aux élections de 1987, le MMM affrontait une triple alliance du MSM de Monsieur Aneerood Jugnauth, du PTr et du PMSD de Sir Gaétan Duval. Cependant, à mi-mandat, le PTr et le PMSD quittèrent le gouvernement et le MMM y entra. V. PANTER-BRICK S. Keith, cité note 248, v. p. 430.

256 De nouvelles élections eurent lieu en septembre 1991. Le gouvernement sortant remporta une victoire écrasante.

257 LANGELLIER Jean-Pierre: «Maurice est devenue une République», Le Monde, 14 mars 1992, p. 7. «L?idée républicaine n?est pas neuve. Elle avait surgi au début des années 1970, lorsque les anciens soixante-huitards, devenus d?honorables ministres, prônaient une République libertaire», ibid.

258 L?actuel Président, Monsieur Cassam Uteem tend à dynamiser la fonction présidentielle. V. notre article, DOOKHY Parvèz A. Cader: «Le Président de la République, deux ou trois choses que je sais de lui», Le Mauricien, 14 janvier 1994, p. 7.

259 PHILIPPE Xavier: « Mutation et révisions constitutionnelles dans les pays de l?Océan-Indien», AIJC, 1994, vol. X (imprimé en 1995), pp. 157 à 165.

260 Lors de la révision de 1991, le gouvernement avait pris soin de dissocier la question du Comité Judiciaire de l?accession du pays au statut de République pour ne courir aucun risque de censure au Parlement.

261 Les juristes furent très discrets à propos de ce projet. V. OSMAN A. M.: «La justice et la Haute Cour d?Appel», Le Mauricien, 11 novembre 1983, p. 3.

réforme invite à repenser préalablement la place, le rôle et la dénomination même de la Cour Suprême. Sujet ardu s?il en est, mais dont la discussion devrait s?ouvrir aussi sur tout le système juridictionnel de Maurice.

Certains s?étaient prononcés pour l?instauration d?une cour

constitutionnelle. La question s?était déjà posée en 1965 mais Stanley A. De Smith rejeta la proposition262. La cour constitutionnelle n?aurait eu qu?un pouvoir de veto suspensif de 6 mois à la promulgation de la loi votée. Le contrôle aurait été exercé a priori. Comme celle de la Haute Cour d?Appel, la composition même de la cour constitutionnelle suscitait les plus importantes appréhensions263. L?existence du monocaméralisme rendait, en outre, impossible l?utilisation du mode français de nomination au Conseil Constitutionnel. La solution la plus proche aurait été de conférer au Président de la République, le Président de l?Assemblée Nationale et le Chef de l?Opposition un pouvoir de nomination.

Il convient de relever aussi le peu de souci de certains juges de la Cour Suprême de faire respecter les grands principes de droit. Des arrêts de la Cour Suprême ont été sujets à de sévères critiques de ce point de vue264 et ont mis en lumière la faiblesse de la protection offerte par le juge local. La protection locale est en deçà du niveau des juridictions étrangères et internationales. Le juge avait, par exemple, refusé de consacrer un principe d?égalité entre l?homme et la femme265. En ce sens Monsieur le Bâtonnier Anil Gayan soutient que la jurisprudence mauricienne a besoin d?être guidée par une cour bénéficiant d?une grande autorité266 d?autant que le barreau et les juges ont perdu leur prestige267.

262 DE SMITH Stanley A.: «Report of the Constitutional commissioner», MLA, sessional paper, n° 2, 1965, 15 p.

263 Pour que les membres d?une cour supérieure à la Cour Suprême disposent d?une autorité convenable, il faut qu?ils soient d?anciens juges de la Cour Suprême. Or il se pourrait qu?un jour un nombre insuffisant d?anciens juges soit en vie dans la mesure où ils prennent leur retraite à 65 ans. V. FORGET Adeline: «Enquête sur la justice», Le Mag, 13 août 1994, pp. 13 à 21. Le Chef-Juge Sir Victor Glover, est sceptique sur les possibilités de fonctionnement d?une telle cour. V. ibid., p. 21.

264 CJCP: 11 novembre 1991, Curpen c/ Regina, LRC, 1991, vol. criminal, pp. 120 à 125, affaire mauricienne, Lord Goff of Chievely rédacteur de l'arrêt.

265 CSM: 3 octobre 1991, Guyot c/ Government of Mauritius, MR, 1991, pp. 156 à 161, juge Yeung Sik Yeun rédacteur de l'arrêt.

266 Monsieur le bâtonnier Anil Gayan pense que: «Maurice étant un petit pays, parce qu?il y a, entre les gens ici, toutes sortes d?associations, il est important que nous maintenons le Conseil Privé comme cour d?appel final», in LEBRASSE Jossie: «Entretien avec Me Anil Gayan», WE, 20 mars 1994, pp. 14 à 15, v. p. 15. V. aussi DAVID Jacques: «Le point de la situation avec Me Anil Gayan, Président du Bar Council», Le Mauricien, 3 octobre 1994, p. 6.

267 Le barreau mauricien était au départ très florissant. V. HEIN R.: «A. Herchenroder 1865-
1982», MtsLR, 1986, pp. 141 à 144 et HEIN R.: «L. Leconte», MtsLR, 1982, pp. 247 à 251. Mais le

b. Le statu quo

Devant l?absence d?une solution adaptée à l?île Maurice, le constituant de 1991 a maintenu le droit de se pourvoir au Comité Judiciaire268 en opérant toutefois une adaptation technique de l?appellation de l?institution au statut de République de Maurice.

En effet, deux types de réforme étaient envisageables. Un pays où la Reine Elisabeth II n?est plus le chef de l?Etat mais qui veut maintenir la juridiction du Comité Judiciaire, peut, en accord avec les autorités anglaises, décider que les pourvois seraient adressés au nouveau chef de l?Etat qui saisirait le Comité Judiciaire pour avis et prendrait ensuite une Ordonnance judiciaire sur la teneur de l?avis269. La deuxième solution serait que les recours ne soient plus adressés à Sa Majesté en Conseil

barreau fut en déclin dans les années quatre-vingt-dix. V. L?Express du 9 avril 1994, p. 9: «Propositions pour un barreau plus performant».

268 «There appears to be a general feeling not only in the legal profession but in every section of the population that, if Mauritius becomes a Republic, the Judicial Committee of the Privy council (as distinct from Her Majesty in Council) should remain our highest Court», Sir Aneerood Jugnauth, Premier ministre, LAD, 2ème lecture sur le projet de révision de la Constitution n° IX de 1991, p. 9.

269 Cette procédure fut utilisée par la Malaisie. Le Comité Judiciaire adressait un rapport au Chef de l?Etat de la Malaisie, le Yang di Pertuan Agong. V. par exemple, CJCP: 19 juillet 1979, Zainal Bin Hashim c/ Government of Malaysia, WLR, 1980, vol. 2, pp. 136 à 143, affaire de la Malaisie, Vicomte Dilhorne rédacteur de l'arrêt.

(Her Majesty in Council)270 mais simplement et directement au Comité Judiciaire qui prononcerait des arrêts271, des décisions directement exécutables.

Le constituant mauricien a opté pour la deuxième solution. Le recours intenté devant le Comité Judiciaire correspond désormais à un recours direct à une juridiction extérieure, du moins sur le plan géographique, à l?île Maurice. Cette solution est commode et s?inscrit dans la continuité. Ainsi, depuis 1991, le Comité Judiciaire bénéficie d?une légitimité accrue car il a été inséré dans la Constitution par le constituant dérivé, c?est-à-dire mauricien.

Outre que de dire le droit, le Comité Judiciaire est un élément indispensable au bon équilibre des institutions à Maurice. A ce titre, il a conquis une position éminente.

Sous-section 2. Les raisons particulières du maintien de la juridiction du Comité Judiciaire

Il est bien certain que le traditionalisme, le désir de maintenir la continuité a joué un rôle important dans la conservation du droit de recours à Londres. Le Comité Judiciaire a beau être une juridiction un peu inadaptée au statut souverain des Etats par les événements, il demeure néanmoins à Maurice un élément important au maintien de la paix sociale et au fonctionnement de la démocratie. La Haute Instance londonienne est un facteur de stabilité dans la vie nationale. Elle résume le consensus à tout moment où celui-ci est affecté. Ce prestige, cette situation exceptionnelle est la rançon de sa suppression. C?est ainsi que personne à l?heure actuelle ne songe sérieusement à la supprimer272.

En effet l?île Maurice est un petit pays273 composé d?une mosaïque de peuples. La pluralité ethnique marque la vie du pays au point où l?on peut douter de l?existence d?une véritable nation mauricienne274. Les génocides275 qui

270 Telle était la clause de style utilisée dans les pays soumis au Comité Judiciaire et où la Reine d?Angleterre est le Chef de l?Etat.

271 DE SMITH Stanley, cité note 239, v. p. 163.

272 «There are no plans to abolish the possibility of appealing to the Privy Council although it can be doubted whether the Privy Councillors, meeting in London, are really a body suitable to decide cases arising in a society about which they know very little... Perhaps the fact that the present Prime Minister of Mauritius is a Privy Councillor (though he does not sit in the Judicial Committee) make appeals to the Privy Council more palatable from the Mauritian point of view», BOGDAN Micheal: «The Law of Mauritius and Seychelles: a study of two small mixed legal systems», Lund, Jurisfôfloget, 1989, 54 p., v. p. 22.

273 Elle est d?une superficie de 1865 km2, mais a plusieurs dépendances dont l?île Rodrigues d?une superficie de 105 km2, Agaléga de 70 km2 et de l?Archipel de Chargados Carajos qui regroupe vingt-deux îles.

274 La question est posée par M. DUPON J. François au terme d?une intéressante présentation de la société mauricienne. V. DUPON Jean-François: «La société mauricienne», RJPIC, 1969, pp. 337 à 356.

ont eu lieu dans les années quatre-vingt-dix, notamment en ex-Yougoslavie et au Rwanda, sont venus confirmer la fragilité de tout équilibre intercommunautaire et du danger de la démocratie276. Une justice totalement impartiale et indépendante, voire extérieure, est un élément nécessaire au maintien de cet équilibre.

Par ailleurs, la Constitution mauricienne établit un système de collaboration plutôt que de séparation des pouvoirs. Le monocaméralisme, conjugué avec la rationalisation de l?activité parlementaire et de la discipline majoritaire, sacrifie tout pouvoir de contrôle du Parlement. Le Cabinet détient tout pouvoir décisionnel. Les institutions judiciaires purement mauriciennes, par la faiblesse de leur structure, ne jouent que difficilement leur rôle de contre-pouvoir.

Ces deux raisons, la pluralité ethnique de l?île Maurice (paragraphe 1) et l?absence d?équilibre entre les pouvoirs publics (paragraphe 2) font que la perpétuation des recours à Londres soit nécessaire. Il s?avère, dès lors, de s?y attarder.

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"Nous voulons explorer la bonté contrée énorme où tout se tait"   Appolinaire