Paragraphe 2. L'indépendance
Comme dans d?autres pays du Commonwealth, le gouvernement
travailliste britannique déclencha à partir de 1948 un processus
devant conduire par étapes l?île Maurice à l?autonomie
(self-government)230. Il fut mis en place des organes
permettant aux mauriciens de s?administrer eux-mêmes. Les changements
constitutionnels furent généralement préparés par
des Commissions Royales d?Enquête (Royal Commissions of Inquiry)
chargées de recueillir l?expression des voeux des divers courants et des
cinq conférences sur la Constitution réunies, dans les
années précédent l?indépendance, à Londres
et présidées par le Ministre des Colonies qui s?efforçait
de concilier les diverses
226 FAVOREU Louis, cité note 194, v. p. 28.
227 BLANC-JOUVAN Xavier: «L?introduction à
l?étude comparée des droits de l?Océan indien», pp.
23 à 33, in CONAC Gérard (dir): «Etudes de droit
privé français et mauricien», cité note, 196, v.
p.31.
228 Après 1918, en vertu du traité de Versailles
consacrant le droit des peuples à disposer d?euxmêmes, un
mouvement en faveur de la rétrocession de l?île Maurice à
la France avait pris naissance du fait que bon nombre de mauriciens avaient
combattu aux côtés de la France au cours de la première
guerre mondiale. V. TOUSSAINT Auguste, Dr.: «Le mouvement
rétrocessionniste», WE, 28 juillet 1994, p. 20 à 21.
229 MINISTERE DE LA JUSTICE DE L?ILE MAURICE:
«L?application du droit mixte à l?île Maurice», APOI,
1980, pp. 119 à 129, v. p. 119-20. V. aussi TANCELIN Maurice:
«Problématique de la mixité du droit, le cas de deux pays de
l?Océan Indien, Maurice et les Seychelles», APOI, 1981, pp. 95
à 101.
230 DE SMITH Stanley A.: «The new Commonwealth and its
Constitutions», Londres, Stevens and Sons, 1964, 312 p., v. chapitre 2, p.
38 et s.
revendications et de rédiger, avec l?accord de tous, les
textes à soumettre au Parlement de Westminster.
A la dernière conférence en 1967, la discussion
porta sur le point de savoir si l?île Maurice devait ou non
accéder à l?indépendance au terme de son évolution.
Le Parti Mauricien Social Démocrate de Gaétan Duval, était
hostile au principe de l?indépendance231 et avait
souhaité que ce choix fût fait sur consultation du peuple par
référendum. Mais les experts britanniques
préconisèrent l?organisation des élections
générales (législatives) et si l?Assemblée
élue se prononçait à la majorité simple en faveur
de l?indépendance, celle-ci serait proclamée232. Les
élections furent organisées en 1967 et les partisans de
l?indépendance les avaient remportées.
Des négociations avaient eu lieu avec les dirigeants
des principaux partis de l?île. Un Commissaire dit constitutionnel,
Stanley A. De Smith, alors professeur à l?Université de
Cambridge, était chargé d?établir un rapport sur les
grandes lignes de la future Constitution. Celle-ci fut ensuite
adoptée233 par le Parlement britannique234 et
octroyée à l?île Maurice par le Souverain. La Constitution
de 1968 dota l?île Maurice d?une organisation classique en régime
parlementaire et le pays devint une monarchie indépendante (A).
Dans les années quatre-vingts et quatre-vingt-dix, le
constitutionnalisme mauricien, comme celui de beaucoup de pays d?Afrique,
entra, selon l?expression de Monsieur le Professeur Gérard Conac,
brusquement dans une phase d?intense
231 Le PMSD fit campagne pour l?association avec le
Royaume-Uni ou même pour l?intégration de Maurice dans la
Grande-Bretagne. Si cette proposition était acceptée, l?île
Maurice serait devenue un territoire d?outre-mer de la Grande-Bretagne. Mais le
gouvernement britannique l?avait rejetée.
«Mauritius was a most unlikely colony to be made part of
the United Kingdom... the anglophiles were not supporters of the PMSD»,
HOUBERT Jean: «Mauritius: Politics and pluralism at the periphery»,
APOI, 1982-83, pp. 225 à 264, v. p. 234.
232 Le gouvernement britannique avait refusé le recours
au référendum qui aurait pu permettre à la population
d?apprécier les mérites de l?association, comme le droit à
la citoyenneté anglaise et à l?émigration en
Grande-Bretagne.
233 CJCP: 5 novembre 1975, Moses Hinds c/ The Queen, WLR,
1976, vol. 2, pp. 366 à 397, affaire de la Jamaïque, Lord Diplock
rédacteur de la décision majoritaire. Selon Lord Diplock:
«They (Constitutions of the Commonwealth) embody what is in substance an
agreement reached between representatives of the various shades of political
opinion in the State as to the structure of the organs of the government
through which the plenitude of the sovereign power of the State is to be
exercised in the future. All of them were negotiated as well as drafted by
persons nurtured in the tradition of that branch of the Common Law of England
that is concerned with public law...», ibid., p. 372.
234 Le Parlement britannique avait agi en tant que pouvoir
constituant à l?égard de Maurice. La Constitution mauricienne
initiale, comme beaucoup d?autres, est dite fabriquée en
Angleterre? (made in England).
activité volcanique?235. L?île changea de
statut. La monarchie fut abolie et Maurice devint une République (B).
Sous le bénéfice de cette présentation,
on s?interrogera sur la survivance de l?institution du Comité Judiciaire
dans les deux phases de l?évolution constitutionnelle de Maurice.
A. La monarchie
Comme il avait été admis avant la
deuxième guerre mondiale que le Roi George VI (1936-1952) était
Roi du Canada aussi bien que celui du RoyaumeUni236, les
Constitutions de type Westminster reconnurent le principe de la
divisibilité de la monarchie. Selon ce principe, la Reine Elisabeth II
était jusqu?à 1992 le Chef de l?Etat de Maurice 237
représentée sur place par un Gouverneur-Général. Ce
dernier, comme en régime parlementaire classique et conformément
à la pratique des Souverains d?Angleterre238, n?agissait
qu?avec l?accord ou le vouloir du Premier ministre239. En revanche,
en matière d?administration de la justice royale, il revenait à
la Reine elle-même de traduire en Ordonnances les avis du Comité
Judiciaire sur les litiges mauriciens240. Le fonctionnement de cette
justice royale provoqua des interrogations sur sa légitimité (a).
Mais la tentative d?abolition du droit de recours à Londres
échoua (b).
235 CONAC Gérard: «Le processus de
démocratisation en Afrique», pp. 11 à 41 in CONAC
Gérard (dir): «L?Afrique en transition vers le pluralisme
politique», La vie du droit en Afrique, Economica, 1993, 517 p., v. p.
11.
236 DALE William, cité note 29, v. p. 69.
237 Le titre de la Reine pour le Royaume-Uni est le suivant:
Elisabeth la seconde, par la Grâce de Dieu, Reine de Royaume-Uni, de la
Grande-Bretagne et de l?Irlande du Nord et de ses autres royaumes et
territoires, Chef du Commonwealth et défenseur de la foi.
238 Les grandes conventions constitutionnelles
évoquées par Albert Venn Dicey furent expressément
traduites dans les nouveaux Etats. Sur les conventions v. BEAUD Oliver:
«Les conventions de la Constitution. A propos de deux thèses
récentes», DR, 1983, pp. 125 à 135. Sur l?utilité des
conventions v. AVRIL Pierre: «Les conventions de la Constitution»,
RFDC, 1993, pp. 327 à 340.
239 Le Souverain possède en théorie le droit
d?accorder ou non sa sanction aux lois votées par le Parlement. Dans la
pratique, l?assentiment à une Loi n?est qu?une clause de style et
ressemble à la procédure française de la promulgation. V.
GICQUEL Jean, cité note 194, v. p. 246.
Sur les pouvoirs du Gouverneur-Général v. DALE
William, Sir: «The modern Commonwealth», Londres, Butterworths, 1983,
345 p., v. p. 113 à 117.
Il convient de noter qu?en Australie le
Gouverneur-Général s?était montré plus actif. V. DE
SMITH Stanley A.: «Constitutional and administrative law», Londres,
Penguin Books, 728 p., v. p. 124.
240 Le Comité Judiciaire ne conseillait pas le
Gouverneur-Général. L?administration de la justice royale avait
demeuré centralisée.
a. La mise en cause de la légitimité de la
justice royale
L?île Maurice ne fut pas complètement
épargnée du mouvement de suppression du droit de se pourvoir au
Comité Judiciaire. Les mêmes griefs que ceux invoqués dans
d?autres pays furent mis à l?avant pour étayer la thèse
abolitionniste. Il était notamment fait reproche à la nature
coloniale des relations entre le Comité Judiciaire et l?ordre juridique
mauricien. Les dirigeants mauriciens voulaient que le système de droit
mixte mauricien poursuivît une finalité différente de celle
de l?époque coloniale. Autrefois, les autorités importaient le
droit de l?Angleterre et éventuellement de la France. Durant la
décennie quatre-vingt, le législateur avait voulu satisfaire des
finalités proprement mauriciennes241 car l?île Maurice
a ses propres moeurs et est une île à pluralité
religieuse242.
Il était aussi fait reproche au fait que le
gouvernement ne possède aucun moyen de contrôle sur le
Comité Judiciaire, dont l?existence est fixée par une Loi
britannique de 1833. Le Comité Judiciaire s?est déclaré
complètement autonome, non soumis au Souverain britannique, donc
à l?époque, mauricien aussi. Dans un pourvoi venant du Canada, la
Haute Instance avait même fait ressortir que le Souverain était
pratiquement tenu d?agir conformément à son avis243.
La juridiction du Conseil Privé applique ses propres politiques
jurisprudentielles, des fois jugées contraires à
l?intérêt public national par la Cour Suprême. Une analyse
de la jurisprudence permet de constater que le Comité Judiciaire se sent
de plus en plus tenu d?appliquer à Maurice les grands principes de droit
développés en Europe occidentale. La divergence de politique
entre les deux institutions s?était accentuée. La Cour locale
privilégiait le droit au développement économique au
détriment des droits et libertés de première
génération. Par exemple, le droit de propriété
était mieux protégé par le Conseil Privé
qu?à la Cour locale qui privilégiait l?intervention de l?Etat
dans le domaine é con o mi q ue244.
241 «Désormais à Maurice le droit est
français et anglais dans ses sources mais mauricien dans son objet et
ses effets, poursuivent un seul but: la satisfaction d?une finalité
mauricienne», HEIN Yves: «La réforme du mariage à
l?île Maurice: pour une unification du droit», thèse,
Université d?Aix Marseille, 1984, 138 p., v. p. 86.
242 Par exemple, en droit civil, le législateur accorde
une certaine reconnaissance aux mariages religieux en vue d?adapter la
législation à la culture mauricienne. V. Loi sur
l?état-civil de 1981 (civil status Act 1981).
243 Voir infra.
244 Ibid.
Certains juges locaux avaient réagi en essayant de
limiter les effets des décisions du Comité Judiciaire en droit
mauricien. La Cour Suprême appliquait de moins en moins les
précédents du Comité Judiciaire statuant sur des litiges
venant d?autres pays du Commonwealth. Juridiquement, le juge mauricien
n?était pas tenu de les appliquer. Il préférait invoquer
des décisions d?autres cours britanniques, notamment celles de la
Chambre des Lords245. Ensuite, s?agissant des arrêts du
Comité Judiciaire prononcés en contentieux mauricien, certains
juges locaux, par un travail de distinction des cas, refusaient d?appliquer les
précédents aux situations qu?ils considéraient en toute
discrétion différentes246 ou les appliquaient avec
beaucoup de réserves247.
b. La tentative de remplacement du Comité
Judiciaire
En 1983, le gouvernement de Monsieur Aneerood
Jugnauth248 avait tenté d?abolir la monarchie et exclure le
Comité Judiciaire de l?ordre judiciaire mauricien. Le projet de loi fut
préparé sous son premier gouvernement qui dura un an. Lors des
élections anticipées de 1983, le projet de faire de l?île
Maurice une République fut au centre des débats. Un projet de
révision à cet effet fut adopté en Conseil des ministres
du 29 septembre 1983.
Le projet tendait à remplacer le Comité
Judiciaire par une Haute Cour d?Appel dotée plus ou moins des
mêmes pouvoirs que la juridiction londonienne249. La Haute
Cour aurait été composée d?anciens Chefs-Juges de la Cour
Suprême de Maurice, nommés par l?éventuel Président
de la République. Selon le ministre de la justice d?alors et initiateur
du projet, Sir Gaétan Duval, après cessation de fonction d?un
membre de la Haute Cour, seuls ses pairs aurait
245 COLOM Jacques: «La Cour Suprême de l?île
Maurice et le contrôle de la constitutionnalité des textes
fondamentaux de 1964 à 1984», thèse, Aix Marseille, 1989,
283 p. L?auteur fait à la page 129 une étude sur l?application
des précédents du Comité Judiciaire. Sur un
échantillon de 62 arrêts allant de 1965 à 1981, seulement
dans une quinzaine de cas, les juges mauriciens ont expressément fait
référence à des décisions du Comité
Judiciaire.
246 CSM: 28 octobre 1987, Curpen c/ Regina, jugement n°
328 de 1987, les juges A. G. Pillay et R. Proag rédacteurs de
l'arrêt. V. infra.
247 CSM: 23 novembre 1987, Samputh c/ Regina, LRC, 1988, vol.
criminal, pp. 11 à 17, le juge Glover rédacteur de l'arrêt.
V. infra.
248 Sur l?histoire des partis politiques et des
élections depuis l?indépendance, v. PANTER-BRICK S. Keith:
«Trois exceptions à la règle: le multipartisme à
Maurice, au Botswana et au Nigeria», in CONAC Gérard (dir),
cité note 235, p. 423 et s.
249 La révision tendait en la substitution du terme de
pourvoi à Sa Majesté en Conseil en celui de pourvoi à la
Haute Cour d?Appel.
eu le pouvoir de nommer son successeur parmi les avocats
disposant au moins de dix années d?expérience
professionnelle250.
Sir Seewoossagur Ramgoolam, ancien premier ministre, qui
aurait devenu le premier Président de la République si le projet
était adopté, s?opposa fermement à l?idée de
remplacement du Comité Judiciaire251. La Haute Cour n?aurait
offert les mêmes garanties d?impartialité que le Comité
Judiciaire à l?île Maurice pluriethnique, selon Sir Seewoossagar
Ramgoolam. D?autres dirigeants à la fois de la majorité et de
l?opposition s?étaient opposés au projet252.
B. La République
La proclamation de la République était
considérée par les principaux partis politiques de l?île
Maurice comme une étape supplémentaire du processus d?acquisition
d?une pleine et entière souveraineté de l?Etat. En
réalité, le fait d?instituer une présidence de la
République, de surcroît une dyarchie au sommet de l?Etat et un
partage, fût-il non équilibré, des pouvoirs entre le
Premier ministre et le Président, était aussi un moyen de
consolider l?unité nationale et l?équilibre
intercommunautaire253.
Le projet d?instauration d?une République fut au centre
des débats lors des élections générales de
1987254 qui furent à nouveau remportées par le
gouvernement de Monsieur Aneerood Jugnauth. Toutefois, par un spectaculaire
remaniement ministériel et revirement des alliances politiques,
l?opposition
250 V. LEBRASSE Jossie: «Les amendements instituant la
République devant le Parlement», WE, 2 octobre 1983, v. p. 1 et
s.
251 LEBRASSE Jossie: «SSR à Week-End: Pas du tout
d?accord avec l?institution d?une Haute Cour d?Appel», WE, 2 octobre 1983,
p. 1. L?ancien Premier ministre avait déclaré: «Je ne suis
pas du tout d?accord avec ce changement. S?il n?y avait pas le Conseil
Privé, mon camarade Badry se serait retrouvé en prison... Je
pense que pour ce genre d?appel, il faut continuer de recourir à
l?étranger». Monsieur L. Badry fut ministre du gouvernement de
Ramgoolam et reconnu coupable pour outrage à la Cour. L?arrêt de
la Cour Suprême fut cassé en grande partie par le Comité
Judiciaire.
252 Monsieur Paul Bérenger, ministre des affaires
étrangères en 1991 et grand inspirateur du projet de
République, parla du projet d?abolir le recours au Conseil Privé
en ces termes: «... that shame of a draft bill, he (the Minister of
justice) proposed to do away with appeal to the Privy Council. I refused to
discuss this kind of rubbish. Yes, I agree, this was not a draft bill, this was
a shame», LAD, n° 9 de 1991, p. 214.
253 HOOKOOMSING V. Y., CHAN LOW J. et REDDI S. J.:
«Mauritius: The Republic, 199 years after», pp. 5 à 12, in
UNIVERSITY OF MAURITIUS, cité note 195,
254 Lors de ces élections il y avait deux thèses
en présence. Le gouvernement sortant proposait son projet de 1983,
c'est-à-dire l?instauration d?une République parlementaire.
L?opposition MMM voulait présidentialiser le régime politique en
créant un Président à la française, élu au
suffrage universel. La proposition de l?opposition reprenait les articles 5, 8,
9, 10, 12, et 18 de la Constitution française de la Vème
République. V. WE du 1er mars 1987, p, 1 et s.
MMM entra peu après au gouvernement tandis que deux autres
partis de la majorité passèrent dans
l?opposition255.
Au terme d?un compromis entre les deux partis au pouvoir, le
Mouvement Socialiste et le Mouvement Militant256, le projet d?une
République parlementaire fut adopté par le Parlement en
assemblée constituante par une majorité
qualifiée257. Le Président de la République
conserve les pouvoirs classiques attribués à la Reine
d?Angleterre, mais il est nommé par l?Assemblée Nationale
à la majorité absolue pour une durée de cinq ans sur
proposition du Premier ministre258. L?Assemblée ratifie le
choix du Premier ministre.
Le droit de recours au Comité Judiciaire est
maintenu259. Le constituant de 1991 a plus ou moins conservé
le statu quo (b) faute d?avoir une alternative crédible à la
juridiction londonienne (a).
a. L'absence d'alternative au Comité
Judiciaire
Le gouvernement ne dispose pas d?un projet fiable permettant
le remplacement du Comité Judiciaire260. Le projet de
création d?une Haute Cour d?Appel manque de rationalité en soi.
Il prévoyait que le Président de la Cour Suprême
demeurât le chef du judiciaire. La Cour Suprême aurait
été soumise au contrôle d?une cour (mauricienne)
supérieure. La cour supérieure aurait été notamment
composée d?anciens Présidents de la Cour
Suprême261. La hiérarchie des tribunaux aurait devenu
davantage incongrue. Or, tout projet sérieux de
255 Aux élections de 1987, le MMM affrontait une triple
alliance du MSM de Monsieur Aneerood Jugnauth, du PTr et du PMSD de Sir
Gaétan Duval. Cependant, à mi-mandat, le PTr et le PMSD
quittèrent le gouvernement et le MMM y entra. V. PANTER-BRICK S. Keith,
cité note 248, v. p. 430.
256 De nouvelles élections eurent lieu en septembre
1991. Le gouvernement sortant remporta une victoire écrasante.
257 LANGELLIER Jean-Pierre: «Maurice est devenue une
République», Le Monde, 14 mars 1992, p. 7. «L?idée
républicaine n?est pas neuve. Elle avait surgi au début des
années 1970, lorsque les anciens soixante-huitards, devenus d?honorables
ministres, prônaient une République libertaire», ibid.
258 L?actuel Président, Monsieur Cassam Uteem tend
à dynamiser la fonction présidentielle. V. notre article, DOOKHY
Parvèz A. Cader: «Le Président de la République, deux
ou trois choses que je sais de lui», Le Mauricien, 14 janvier 1994, p.
7.
259 PHILIPPE Xavier: « Mutation et révisions
constitutionnelles dans les pays de l?Océan-Indien», AIJC, 1994,
vol. X (imprimé en 1995), pp. 157 à 165.
260 Lors de la révision de 1991, le gouvernement avait
pris soin de dissocier la question du Comité Judiciaire de l?accession
du pays au statut de République pour ne courir aucun risque de censure
au Parlement.
261 Les juristes furent très discrets à propos de
ce projet. V. OSMAN A. M.: «La justice et la Haute Cour d?Appel», Le
Mauricien, 11 novembre 1983, p. 3.
réforme invite à repenser préalablement
la place, le rôle et la dénomination même de la Cour
Suprême. Sujet ardu s?il en est, mais dont la discussion devrait s?ouvrir
aussi sur tout le système juridictionnel de Maurice.
Certains s?étaient prononcés pour l?instauration
d?une cour
constitutionnelle. La question s?était
déjà posée en 1965 mais Stanley A. De Smith rejeta la
proposition262. La cour constitutionnelle n?aurait eu qu?un pouvoir
de veto suspensif de 6 mois à la promulgation de la loi votée. Le
contrôle aurait été exercé a priori. Comme celle de
la Haute Cour d?Appel, la composition même de la cour constitutionnelle
suscitait les plus importantes appréhensions263. L?existence
du monocaméralisme rendait, en outre, impossible l?utilisation du mode
français de nomination au Conseil Constitutionnel. La solution la plus
proche aurait été de conférer au Président de la
République, le Président de l?Assemblée Nationale et le
Chef de l?Opposition un pouvoir de nomination.
Il convient de relever aussi le peu de souci de certains juges
de la Cour Suprême de faire respecter les grands principes de droit. Des
arrêts de la Cour Suprême ont été sujets à de
sévères critiques de ce point de vue264 et ont mis en
lumière la faiblesse de la protection offerte par le juge local. La
protection locale est en deçà du niveau des juridictions
étrangères et internationales. Le juge avait, par exemple,
refusé de consacrer un principe d?égalité entre l?homme et
la femme265. En ce sens Monsieur le Bâtonnier Anil Gayan
soutient que la jurisprudence mauricienne a besoin d?être guidée
par une cour bénéficiant d?une grande
autorité266 d?autant que le barreau et les juges ont perdu
leur prestige267.
262 DE SMITH Stanley A.: «Report of the Constitutional
commissioner», MLA, sessional paper, n° 2, 1965, 15 p.
263 Pour que les membres d?une cour supérieure à
la Cour Suprême disposent d?une autorité convenable, il faut
qu?ils soient d?anciens juges de la Cour Suprême. Or il se pourrait qu?un
jour un nombre insuffisant d?anciens juges soit en vie dans la mesure où
ils prennent leur retraite à 65 ans. V. FORGET Adeline:
«Enquête sur la justice», Le Mag, 13 août 1994, pp. 13
à 21. Le Chef-Juge Sir Victor Glover, est sceptique sur les
possibilités de fonctionnement d?une telle cour. V. ibid., p. 21.
264 CJCP: 11 novembre 1991, Curpen c/ Regina, LRC, 1991, vol.
criminal, pp. 120 à 125, affaire mauricienne, Lord Goff of Chievely
rédacteur de l'arrêt.
265 CSM: 3 octobre 1991, Guyot c/ Government of Mauritius, MR,
1991, pp. 156 à 161, juge Yeung Sik Yeun rédacteur de
l'arrêt.
266 Monsieur le bâtonnier Anil Gayan pense que:
«Maurice étant un petit pays, parce qu?il y a, entre les gens ici,
toutes sortes d?associations, il est important que nous maintenons le Conseil
Privé comme cour d?appel final», in LEBRASSE Jossie:
«Entretien avec Me Anil Gayan», WE, 20 mars 1994, pp. 14 à 15,
v. p. 15. V. aussi DAVID Jacques: «Le point de la situation avec Me Anil
Gayan, Président du Bar Council», Le Mauricien, 3 octobre 1994, p.
6.
267 Le barreau mauricien était au départ
très florissant. V. HEIN R.: «A. Herchenroder 1865- 1982»,
MtsLR, 1986, pp. 141 à 144 et HEIN R.: «L. Leconte», MtsLR,
1982, pp. 247 à 251. Mais le
b. Le statu quo
Devant l?absence d?une solution adaptée à
l?île Maurice, le constituant de 1991 a maintenu le droit de se pourvoir
au Comité Judiciaire268 en opérant toutefois une
adaptation technique de l?appellation de l?institution au statut de
République de Maurice.
En effet, deux types de réforme étaient
envisageables. Un pays où la Reine Elisabeth II n?est plus le chef de
l?Etat mais qui veut maintenir la juridiction du Comité Judiciaire,
peut, en accord avec les autorités anglaises, décider que les
pourvois seraient adressés au nouveau chef de l?Etat qui saisirait le
Comité Judiciaire pour avis et prendrait ensuite une Ordonnance
judiciaire sur la teneur de l?avis269. La deuxième solution
serait que les recours ne soient plus adressés à Sa
Majesté en Conseil
barreau fut en déclin dans les années
quatre-vingt-dix. V. L?Express du 9 avril 1994, p. 9: «Propositions pour
un barreau plus performant».
268 «There appears to be a general feeling not only in
the legal profession but in every section of the population that, if Mauritius
becomes a Republic, the Judicial Committee of the Privy council (as distinct
from Her Majesty in Council) should remain our highest Court», Sir
Aneerood Jugnauth, Premier ministre, LAD, 2ème lecture sur le projet de
révision de la Constitution n° IX de 1991, p. 9.
269 Cette procédure fut utilisée par la
Malaisie. Le Comité Judiciaire adressait un rapport au Chef de l?Etat de
la Malaisie, le Yang di Pertuan Agong. V. par exemple, CJCP: 19 juillet 1979,
Zainal Bin Hashim c/ Government of Malaysia, WLR, 1980, vol. 2, pp. 136
à 143, affaire de la Malaisie, Vicomte Dilhorne rédacteur de
l'arrêt.
(Her Majesty in Council)270 mais simplement
et directement au Comité Judiciaire qui prononcerait des
arrêts271, des décisions directement
exécutables.
Le constituant mauricien a opté pour la deuxième
solution. Le recours intenté devant le Comité Judiciaire
correspond désormais à un recours direct à une juridiction
extérieure, du moins sur le plan géographique, à
l?île Maurice. Cette solution est commode et s?inscrit dans la
continuité. Ainsi, depuis 1991, le Comité Judiciaire
bénéficie d?une légitimité accrue car il a
été inséré dans la Constitution par le constituant
dérivé, c?est-à-dire mauricien.
Outre que de dire le droit, le Comité Judiciaire est un
élément indispensable au bon équilibre des institutions
à Maurice. A ce titre, il a conquis une position éminente.
Sous-section 2. Les raisons particulières du
maintien de la juridiction du Comité Judiciaire
Il est bien certain que le traditionalisme, le désir de
maintenir la continuité a joué un rôle important dans la
conservation du droit de recours à Londres. Le Comité Judiciaire
a beau être une juridiction un peu inadaptée au statut souverain
des Etats par les événements, il demeure néanmoins
à Maurice un élément important au maintien de la paix
sociale et au fonctionnement de la démocratie. La Haute Instance
londonienne est un facteur de stabilité dans la vie nationale. Elle
résume le consensus à tout moment où celui-ci est
affecté. Ce prestige, cette situation exceptionnelle est la
rançon de sa suppression. C?est ainsi que personne à l?heure
actuelle ne songe sérieusement à la supprimer272.
En effet l?île Maurice est un petit pays273
composé d?une mosaïque de peuples. La pluralité ethnique
marque la vie du pays au point où l?on peut douter de l?existence d?une
véritable nation mauricienne274. Les
génocides275 qui
270 Telle était la clause de style utilisée dans
les pays soumis au Comité Judiciaire et où la Reine d?Angleterre
est le Chef de l?Etat.
271 DE SMITH Stanley, cité note 239, v. p. 163.
272 «There are no plans to abolish the possibility of
appealing to the Privy Council although it can be doubted whether the Privy
Councillors, meeting in London, are really a body suitable to decide cases
arising in a society about which they know very little... Perhaps the fact that
the present Prime Minister of Mauritius is a Privy Councillor (though he does
not sit in the Judicial Committee) make appeals to the Privy Council more
palatable from the Mauritian point of view», BOGDAN Micheal: «The Law
of Mauritius and Seychelles: a study of two small mixed legal systems»,
Lund, Jurisfôfloget, 1989, 54 p., v. p. 22.
273 Elle est d?une superficie de 1865 km2, mais a
plusieurs dépendances dont l?île Rodrigues d?une superficie de 105
km2, Agaléga de 70 km2 et de l?Archipel de
Chargados Carajos qui regroupe vingt-deux îles.
274 La question est posée par M. DUPON J.
François au terme d?une intéressante présentation de la
société mauricienne. V. DUPON Jean-François: «La
société mauricienne», RJPIC, 1969, pp. 337 à 356.
ont eu lieu dans les années quatre-vingt-dix, notamment
en ex-Yougoslavie et au Rwanda, sont venus confirmer la fragilité de
tout équilibre intercommunautaire et du danger de la
démocratie276. Une justice totalement impartiale et
indépendante, voire extérieure, est un élément
nécessaire au maintien de cet équilibre.
Par ailleurs, la Constitution mauricienne établit un
système de collaboration plutôt que de séparation des
pouvoirs. Le monocaméralisme, conjugué avec la rationalisation de
l?activité parlementaire et de la discipline majoritaire, sacrifie tout
pouvoir de contrôle du Parlement. Le Cabinet détient tout pouvoir
décisionnel. Les institutions judiciaires purement mauriciennes, par la
faiblesse de leur structure, ne jouent que difficilement leur rôle de
contre-pouvoir.
Ces deux raisons, la pluralité ethnique de l?île
Maurice (paragraphe 1) et l?absence d?équilibre entre les pouvoirs
publics (paragraphe 2) font que la perpétuation des recours à
Londres soit nécessaire. Il s?avère, dès lors, de s?y
attarder.
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