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Le Comité Judiciaire du Conseil Privé de la Reine Elisabeth II d'Angleterre et le Droit Mauricien

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par Parvèz A. C. DOOKHY
Université Paris I Panthéon-Sorbonne - Docteur en Droit 1997
  

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SECTION 2. LA NATURE ET LE FONCTIONNEMENT DU COMITÉ JUDICIAIRE

La nature du Comité Judiciaire est incertaine et variable. Cette institution n?a pas d?équivalent au monde. Elle constitue une catégorie en elle- même et peut être qualifiée sans dérobade d?institution sui generis532. Sa nature reste controversée. En faire une analyse ne relève pas de la pure spéculation intellectuelle mais démontre l?étendue de la charge et de la responsabilité de la Haute Instance londienne. Bien de conséquences juridiques pratiques et importantes peuvent s?attacher au fait que l?on qualifie le Comité Judiciaire de tel ou tel type d?organisme (sous-section 1).

On verra dans un deuxième temps comment l?essence indéterminée et variable du Comité Judiciaire qui, tout en influant sur le fonctionnement de

532 MC WHINNEY Edward, cité note 438, v. p. 49. L?auteur parle d?une institution anormale.

l?institution, accorde aux procès constitutionnels des normes juridiques une forme contentieuse très affirmée (sous-section 2).

Sous-section 1. La nature du Comité Judiciaire

Deux séries de questions se posent à propos de la nature du Comité Judiciaire. La première est relative à sa nature administrative ou juridictionnelle: est-il un organe consultatif ou une juridiction (paragraphe 1) ? La deuxième a trait à sa nature nationale ou étrangère: est-il un tribunal mauricien ou britannique (paragraphe 2) ?

Il convient surtout, en répondant à ces questions, non pas de prendre position en faveur d?une des thèses en présence, mais de souligner au mieux la nature variable, donc plurielle, du Comité Judiciaire. Cette caractéristique du Comité Judiciaire nous permettra de tirer un enseignement majeur sur la haute qualité de l?institution.

Paragraphe 1. La problématique organe consultatif ou juridiction

Dans le silence des textes, la doctrine en général et le Comité Judiciaire lui-même expriment la thèse juridictionnelle de la Haute Instance (B). Mais les traits de son caractère d?organe purement administratif demeurent très apparents (A).

A. Un organe administratif et consultatif

Plusieurs traits généraux (a) caractérisent sa nature de simple comité et principalement son moyen d?action, la rédaction des avis (b).

a. Les traits généraux

En premier lieu, il convient d?observer que le législateur a choisi comme nom de l?institution la dénomination de comité, terme prosaïque des organes administratifs. Le Comité Judiciaire est un comité au sein d?une instance exécutive et consultative, le Très Honorable Conseil Privé de Sa Majesté le Souverain d?Angleterre533. Dans sa forme initiale il n?a pas d?autonomie

533 Monsieur Coen G. Pierson constate que «le Comité Judiciaire n?était pas institué comme une cour. Il était et est toujours techniquement un organe d?investigation (an investigating body) qui rapporte ses constatations». V. PIERSON Coen G., cité note 104, v. p. 9.

Aussi, lors d?un débat à la Chambre des Lords, Lord Cairns avait soutenu que: «... the Judicial Committee of the Privy Council has no jurisdiction whatever. It is a consultative body», in SWINFEN B. David, cité note 38, v. p. 18.

organique et de structure propre. Le Comité Judiciaire n?a aucune existence en dehors du Conseil Privé. Il est un organe interne du Conseil et est supplanté par ce dernier à la fois dans l?opinion publique et officiellement. L?avis du Comité Judiciaire est publié dans les recueils de jurisprudence britanniques comme celui du Conseil Privé.

En second lieu, comme nous l?avons déjà fait allusion, les membres du Comité Judiciaire ne sont pas, du point de vue de la stricte théorie juridique, en tant que conseillers privés, inamovibles comme le sont les hauts magistrats. Au sein du Comité Judiciaire, ils occupent leur fonction à la seule discrétion et au bon vouloir du Monarque, comme de vrais conseillers. Ils ne sont inamovibles qu?en tant que juges à leurs juridictions d?appartenance et non en tant que conseillers mis à la disposition du Souverain bien que les moeurs politiques anglaises confondent les deux situations.

Il convient de relever que les membres du Conseil Privé, parce qu?ils sont des conseillers, ne portent pas de costume judiciaire, la toge, l?épitoge, et la perruque comme le font les hauts magistrats britanniques534. Egalement, l?architecture même de l?édifice dans lequel se trouve le Comité Judiciaire ne ressemble en rien à celui d?un palais de justice traditionnel. L?hôtel du Conseil Privé a la forme d?un bâtiment abritant des services administratifs plutôt qu?une architecture qui, par son style et ornementation535, rend intelligible ses fonctions juridictionnelles.

Par ailleurs, du moins en théorie, le Comité Judiciaire n?a jamais, contrairement aux cours de Common Law, été lié par sa propre jurisprudence. Sa nature administrative et non juridictionnelle l?exempte de la règle du précédent536.

Enfin, il convient de souligner que le juge réel est le Souverain. La justice est retenue et non déléguée pour la majorité des pays ayant conservé le droit de recours à Londres. Le Comité Judiciaire avait affirmé ce principe avec force en critiquant une loi qui prévoyait la saisine du Conseil Privé d?Angleterre car le pourvoi était en réalité adressé à Sa Majesté en Conseil (Her Majesty in

534 Au Comité Judiciaire, seuls les auxiliaires de justice sont contraints de porter leurs habits traditionnels.

535 La chambre d?audience du Comité Judiciaire ne comporte aucun faste de type de la première chambre civile de la Cour de Cassation française. Elle est néanmoins une chambre élégante et est décrite comme «a pleasant looking room, the size of a largish dining room in a country house and having the same smell of leather, English gentlemen and old, old dust», in RANKIN George, Sir, cité note 13, v. p. 11.

536 MC WHINNEY Edward, cité note 438, v. p. 54-55.

Council)537. Il revient au Souverain de trancher en Son Conseil les litiges qui sont portés devant lui et le Comité Judiciaire ne donne théoriquement qu?un avis au Souverain sur la décision à donner au litige.

b. La fonction de donner des avis

Le critère matériel, la nature stricte de la mission du Comité Judiciaire, fait de l?institution un organisme administratif. Est une juridiction, notamment du point de vue français, l?organisme faisant partie de la hiérarchie des tribunaux habilité à rendre des décisions, à trancher des litiges et à dire le droit538, ce qui implique a contrario l?exclusion du caractère juridictionnel dès lors qu?il n?a que le pouvoir de formuler des propositions539. Or le Comité Judiciaire ne peut que préparer au nom du Conseil Privé un véritable rapport qui est soumis au Souverain540. Le rapport est rédigé sous la forme d?un avis et conclut par une formule de recommandation au Souverain telle que: «Leurs Seigneuries conseilleront humblement Sa Majesté en ce sens»541. Le Souverain traduit en Ordonnance542, qui a valeur de décision de justice, les dispositifs du rapport543.

Ce rapport ne devait, jusqu?en 1966, comporter que l?avis majoritaire du collège des Lords. L?avis devait être unique (a single opinion). Il était rédigé par un Lord appelé techniquement le rapporteur. L?avis était considéré comme ayant été délivré par le Conseil Privé dans son entité. A l?inverse de la tradition observée dans les juridictions anglaises de droit commun,544 l?expression d?une opinion dissidente par un juge était interdite au Comité Judiciaire. Deux raisons imposaient cette conduite: les juges de la Haute Instance sont a priori des conseillers privés du Souverain et, en tant que conseillers, ils étaient tenus par une vieille obligation de garder secrètes les délibérations du Conseil

537 CJCP: 9 décembre 1896, The Dominion of Canada c/ Attorney-General for Ontario, AC, 1897, pp. 199 à 213, affaire canadienne Lord Watson rédacteur de l'arrêt. Le juge souligne que: «The concluding part of that enactment ignores the constitutional rule that an appeal lies to Her Majesty and not to this Board; and that no such jurisdiction can be conferred upon their Lordships, who are merely advisers of the Queen...», ibid., p. 208.

538 WEIDERKEHR Georges: «Qu?est-ce qu?un juge ?», pp. 575 à 586, in MELANGES EN L?HONNEUR DE ROGER PERROT: «Nouveaux juges, nouveaux pouvoirs ?», Dalloz, 1996, 598 p., v. p. 581-82.

539 GOHIN Olivier: «Qu?est-ce qu?une juridiction pour le juge français ?», DR, 1989, n° 9, pp. 93 à 105.

540 Article 3 de la Loi de 1833 sur le Comité Judiciaire.

541 «Their Lordships will humbly advise Her Majesty accordingly».

542 L?Ordonnance équivaut à un acte juridictionnel (judicial act). V. CJCP: 11 décembre 1963, Ibralebbe c/ Reginam, All ER, 1964, vol. 1, pp. 251 à 261, affaire de Ceylan, Vicomte Radcliffe rédacteur de l'arrêt.

543 L?Ordonnance vise le rapport en ces termes: «Attendu qu?en ce jour a été lu au Conseil un rapport du Comité Judiciaire du Conseil Privé...».

544 Dans les cours britanniques, chaque juge rend son propre jugement (seriatim judgment). Un juge peut soit faire un exposé pour renforcer les raisons apportées par un autre juge (concurring opinion) et se rallier à lui soit encore exprimer une opinion dissidente (dissenting opinion).

Privé545. Une Ordonnance de 1627 disposait qu?aucune publication ou diffusion ne pouvait être faite des votes et de la manière dont ils étaient émis546. Aussi, comme le rapport établi par le Comité Judiciaire est adressé au Souverain, ce dernier ne devait recevoir qu?un avis faisant l?objet d?une unanimité de la part des conseillers547.

Cependant, depuis 1966, l?expression d?une ou plusieurs opinions dissidentes par les conseillers est autorisée548, ce qui a juridicisé davantage l?institution.

B. Une juridiction

Malgré la survivance de ses traits administratifs, la nature juridictionnelle du Comité Judiciaire transparaît dans son fonctionnement comme une cour de justice (a) et, à l?égard de Maurice, du fait que le Souverain lui a délégué ses pouvoirs juridictionnels (b).

545 V. le texte du serment prêté par tous les conseillers privés in ANSON William R., Sir: «The law and custom of the Constitution», volume II, tome 1, «The Crown», Oxford, Clarendon Press, 1935, 325 p., v. p. 153.

546 SWINFEN David B., cité note 38, v. p. 222.

547 M. Reeve, secrétaire du Conseil Privé, disait que: «What would be the position of the Sovereign if at the very moment when a report is laid before Her for approval... a particular representation is laid before Her Majesty from a minority of the Committee... advising Her Majesty not to give effect to the report of the Committee but to interpose the Royal authority for the purpose of suspending or defeating it ?», in SWINFEN David B., cité note 38, v. p. 266.

548 V. Ordonnance du 4 mars 1966 sur les opinions dissidentes (Dissenting Opinions Order 1966).

a. Le fonctionnement comme une cour de justice

De même qu?en matière politique le Souverain détient tous les pouvoirs exécutifs mais dans la pratique ne les exerce que sur proposition du gouvernement, en matière juridictionnelle, il suit l?avis exprimé par le Comité Judiciaire. La pratique, qui se démarque de la théorie, fait du Comité Judiciaire une cour de justice549. L?existence d?une convention constitutionnelle propre à l?Angleterre a permis au Comité Judiciaire de s?auto-proclamer comme une cour de justice550 dans un arrêt de 1935. Dans cet arrêt, le Lord-Chancelier Vicomte Sankey écrivit qu?il «est évident que le Comité Judiciaire est considéré par la Loi (de 1833) comme un organe juridictionnel ou une cour... En vertu d?une convention constitutionnelle, ce serait un fait non encore produit et impossible à imaginer que Sa Majesté en Conseil n?accorde au rapport du Comité Judiciaire, qui est en réalité une juridiction suprême, tout son effet»551. L?Ordonnance en Conseil, qui donne force juridique au rapport, ne fait que se référer à celui-ci de manière laconique et entérine, sans nouvelle délibération, la décision du Comité Judiciaire. L?Ordonnance ne vaut que pour la forme.

Par ailleurs, comme nous l?avons vu, le Comité Judiciaire est en réalité composé de juges professionnels552 et la procédure suivie devant le Comité est complètement juridictionnalisée553. L?audience est publique et chaque plaideur peut se faire assister par un ou deux avocats. A l?audience, les membres du Comité Judiciaire ont tous les pouvoirs juridictionnels nécessaires à la conduite du procès, tels ceux d?interroger les éventuels témoins, de trancher eux-mêmes les questions incidentes. Le Comité Judiciaire a le pouvoir d?établir, sans intervention du Souverain, certaines règles de procédure à suivre devant lui554 et les membres du Comité sont protégés comme des juges au moyen du droit

549 «The Judicial Committee of the Privy Council is in form an executive organ, but is in fact an independent court of law», BRADLEY A. W. et EWING K. D.: «Constitutional and administrative law», Londres, Longman, 1994, 11e édition, 782 p., v. p. 60.

550 CJCP: 6 juin 1935, British coal Corporation c/ The King, AC, 1935, pp. 500 à 523, affaire de Canada, Vicomte Sankey rédacteur de l'arrêt.

551 «It is clear that the Judicial Committee is regarded in the Act (of 1833) as a judicial body or court... According to constitutional convention it is unknown and unthinkable that His Majesty in Council should not give effect to the report of the Judicial Committee who is thus in truth an appellate court of law», ibid., pp. 510-11.

552 Selon Lord Haldane: «We are really judges... the Judicial Committee is made up of men who are already or have been judges in the higher English appellate courts or the House of Lords itself», in BETH Loren P., cité note 15, v. p. 224. V. aussi CJCP: 25 juillet 1923, Alexander E. Hull and Company. c/ A. E. M?Kenna, IR, 1926, pp. 402 à 410, affaire de l?Irelande, Vicomte Haldane rédacteur de l'arrêt. Il atteste que: «We are not ministers in any sense: we are a committee of Privy Councillors who are acting in the capacity of judges...», ibid., p.403.

553 Le Comité Judiciaire est administré par un greffier-secrétaire (Registrar).

554 Article 11 de la Loi de 1844 sur le Comité Judiciaire.

britannique de l?outrage à magistrat555.. Ainsi, le critère procédural fait du Comité Judiciaire une véritable juridiction. D?ailleurs la chambre d?audience du Comité, qui exprime en structure la nature de la procédure, ressemble en tout point à celle d?une cour de justice.

Enfin, il est à souligner que l?avis du Comité Judiciaire est rendu public avant même qu?il ne soit adressé au Souverain du fait qu?il est considéré comme le véritable arrêt comportant les motifs de droit de la décision. En outre, il est publié dans les recueils.

b. La justice déléguée

Lors de la modification du statut de Maurice en République en mars 1992, le Monarque britannique, n?étant plus le Chef de l?Etat de l?île Maurice, a délégué au Comité Judiciaire ses pouvoirs juridictionnels à l?égard de cet ancien dominion, l?île Maurice, en vertu d?une convention implicite avec les autorités mauriciennes. Une Ordonnance en Conseil du 15 juillet 1992556 a substitué le système de justice déléguée (au Comité Judiciaire) à celui de justice retenue. Le Comité Judiciaire est désormais investi d?un pouvoir propre de décision concernant les appels interjetés contre les décisions des cours mauriciennes comme celles de certaines Républiques du Commonwealth, telle Trinité et Tobago. Le Comité Judiciaire est devenu autonome et s?est affranchi organiquement de la tutelle royale. Sa fonction est de dire le droit lui-même à l?égard de ces pays. Il répond aux critères nécessaires pour être qualifié de juridiction.

En droit positif mauricien, le Comité Judiciaire est donc une véritable cour de justice. L?interrogation du juriste n?est pas pour autant épuisé sur la nature de la Haute Instance londonienne.

555 V. supra. Il est à noter qu?à l?entrée du Comité Judiciaire à la Downing Street, un panneau indique que le fait de prendre une photographie à l?intérieur de l?institution constitue un délit d?entrave au bon fonctionnement de la justice comme dans toute autre cour en Angleterre.

556 The Mauritius Appeals to the Judicial Committee Order 1992 (N° 1716).

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"Il y a des temps ou l'on doit dispenser son mépris qu'avec économie à cause du grand nombre de nécessiteux"   Chateaubriand