Paragraphe 2. La problématique tribunal anglais
ou mauricien
Le Comité Judiciaire n?est pas un tribunal
international557 car il n?a pas été créé
par un Traité ou accord entre des Etats et il n?est pas a priori un juge
de l?application du droit international558. Dans quelle
catégorie de juridiction peut-on alors le classer ? Est-ce un tribunal
étranger, donc anglais (A) ou transnational (ou multinational),
c'est-à-dire mauricien selon le cas (B) ? La présente
étude, comme la dernière sur la nature administrative ou
juridictionnelle du Comité Judiciaire, n?a pas pour objet de
résoudre le problème, ce qui nous aurait amené à
n?avoir qu?une vision réduite du Comité Judiciaire. Notre
objectif, en traitant les questions que nous avons posées, est de mettre
de l?avant le fait que la Haute Instance londonienne appartient à
plusieurs systèmes juridiques et d?en tirer ensuite les
conséquences en droit mauricien.
A. Un tribunal anglais
Nous prendrons la liberté d?évoquer
l?hypothèse et de démontrer du point de vue juridique le
caractère anglais de la juridiction du Whitehall (a). Nous verrons
ensuite comment, si cette hypothèse est retenue, elle peut influer sur
l?administration de la justice par le juge londonien (b).
a. Les caractères
La doctrine fonde son opinion sur le fait que le Comité
Judiciaire est régi par les lois anglaises uniquement559.
L?institution a été instituée par la Loi britannique de
1833 et réformée par des lois successives du Parlement de
Westminster et des Ordonnances du Souverain britannique. On a vu que l?origine
même de l?institution provient du droit du Souverain de faire justice
entre ses sujets560. Il n?est point besoin d?en insister
davantage.
557 Il est des fois considéré ainsi par certains
auteurs. V. par exemple SCHABAS William A.: «Soering?s legacy: the Human
Rights Committee and the Judicial Committee of the Privy Council. Take a walk
down death row», ICLQ, pp. 913 à 923, v. p. 914. De même,
Monsieur le Doyen Louis Favoreu le qualifie de juridiction supranationale dans
sa préface dans l?ouvrage de COLOM Jacques: «La justice
constitutionnelle dans les Etats du nouveau Commonwealth: le cas de l?île
Maurice», Economica, 1994, 244 p., v. p. 5.
558 Selon la définition donnée par Monsieur le
Professeur Michel Virally, une organisation internationale est une
«association d?Etats, établie par accord entre ses membres,
disposant d?organes permanents chargés de réaliser les objectifs
d?intérêt commun par une coopération entre eux». V.
«Organisations internationales», La Documentation Française,
1993, 146 p., v. p. 11. Le Comité Judiciaire ne répond pas
à ces critères.
559 DOOKHY Parvèz: «Le Privy Council est-il un
tribunal mauricien ou anglais ?», Le Mauricien, 29 août 1995, p.
7.
560 Monsieur Jacques Colom avance dans sa thèse que:
«Cette juridiction (le Comité Judiciaire) d?essence britannique est
étrangère au système juridique mauricien à tous les
niveaux», COLOM Jacques, cité note 245, v. p. 126.
Il appartient aux autorités anglaises d?assurer le
fonctionnement du Comité Judiciaire561. Il est symptomatique
de relever que la procédure suivie quant au mode de saisine de
l?institution par le plaideur mauricien est décrite par les Ordonnances
royales, dont principalement celle de 1968562. Les pouvoirs publics
mauriciens, ou ceux des autres pays du Commonwealth, n?exercent aucun
contrôle sur les règles de procédure. Les relations entre
Maurice et la Grande - Bretagne relatives au fonctionnement du Comité
Judiciaire ne répondent pas au modèle traditionnel des rapports
entre Etats souverains. Ces relations ne sont pas entretenues sur une base
synallagmatique, sur une rencontre des volontés563 mais par
des actes unilatéraux de l?ancienne métropole. Ainsi, lors du
changement de statut de Maurice en 1992, le gouvernement mauricien n?a que
sollicité des autorités anglaises une mise en conformité
des règles anglaises régissant le Conseil Privé à
l?évolution constitutionnelle de Maurice sans pour autant participer, ne
serait-ce que sur le plan des consultations, à l?élaboration des
nouvelles règles.
Par ailleurs, le Comité Judiciaire, manifestant son
caractère étranger, rejette expressément toute extension
de sa compétence en matière pénale par le
législateur mauricien bien que la Constitution mauricienne,
originellement une loi britannique, investisse ce dernier d?un tel pouvoir.
L?article 81-1-d de la Constitution dispose qu?un pourvoi contre les
décisions rendues en dernière instance à Maurice peut
aussi avoir lieu dans les cas prescrits par le Parlement. En ce sens, l?article
7 d?une Loi mauricienne sur la justice de 1980 (Courts Act 1980) avait
élargi la compétence materiae du Conseil Privé à
toutes les affaires pénales. Le Comité Judiciaire ne
s?était estimé lié par cette disposition. Il avait
décliné sa compétence et écarté de son
prétoire les affaires pénales entrant dans les termes de la Loi
mauricienne564 en considérant que cette Loi était
contraire aux règles de la pratique du Comité Judiciaire.
561 En dehors des lois spécifiques, le fonctionnement
du Comité Judiciaire se conforme au droit commun anglais. Par exemple,
le plaideur mauricien qui commet un outrage à l?égard des membres
du Comité Judiciaire à l?audience est punissable selon le droit
commun anglais et non mauricien.
562 The Mauritius Appeals to Privy Council Order 1968.
563 «... l?égalité entre les Etats
souverains qui est à la base du droit international, la
nécessité d?un accord entre eux pour établir par le libre
consentement des obligations mutuelles, donnent à ce droit un
caractère essentiellement concerté», COMBACEAU Jean et SUR
Serge: «Droit international public», Monchrestien, 1995, 2e
édition, 827 p., v. p. 47.
564 CJCP: 15 novembre 1982, Lutchmeeparsad Badry c/ Director
of Public Prosecutions, cité note 386. Le Lord-Chancelier Hailsham of
St. Marylebone indique que: «By these words, their Lordships,
notwithstanding any new legislation in the territories of the Commonwealth from
which appeals may be brought in criminal matters, continue to feel themselves
bound, and in that instant appeal, their Lordships consider that they have been
guided by them», ibid., p. 166.
V. aussi sur la critique de cette attitude du Comité
Judiciaire, GUJADHUR Madhan, QC: «Is there parliamentary sovereignty in
Mauritius ? A serious question», CBM, 1989, n° 1, pp. 10 à
14.
La fiction établie sur la localisation du Comité
Judiciaire ne résiste pas à l?analyse. Dans un arrêt de
1923, la Haute Instance avait fait ressortir qu?elle ne se situait aucune part
tout en étant dans tout l?Empire britannique565. Aujourd?hui,
avec l?émancipation du Comité Judiciaire et l?évolution
constitutionnelle survenue dans les nouveaux Etats du Commonwealth, le recours
porté devant le Comité Judiciaire se fait bien à la
Downing Street à Londres.
Enfin, dernier indice principal de sa nature britannique, le
Comité Judiciaire, en formation de jugement est composé
majoritairement, si non uniquement, de juges anglais sans jamais un seul juge
mauricien. Il revient au Monarque britannique seul de nommer les membres de la
Haute Instance.
b. Les conséquences sur l'administration de la
justice
Au vu de ce qui précède, il ne fait aucun doute
que le Comité Judiciaire peut être considéré comme
faisant partie des institutions anglaises d?autant que dans le cas où le
mode de justice administré est encore retenu (à l?égard
des dominions et colonies britanniques), le juge nominal réside dans la
personne même de la Reine d?Angleterre. Le Comité Judiciaire
assure donc l?exécution d?un service public britannique financé
entièrement par l?Etat britannique. La mission du Comité
Judiciaire ne fait pas partie du service public mauricien telle que cette
notion est définie dans la Constitution mauricienne566. En
tant qu?institution publique anglaise, le Comité Judiciaire ou le
Souverain, devrait respecter, dans l?exécution de leurs fonctions
juridictionnelles les droits anglais et international, notamment
européen.
Sur la base de ce postulat, l?Etat britannique pourrait voir
sa responsabilité engagée dès lors que, par exemple, le
service public judiciaire de la Haute Instance londonienne devienne
défectueux. Un dysfonctionnement de l?institution devrait donner droit
à réparation des préjudices causés selon les termes
du droit anglais. Dans le même cas de figure, le fonctionnement du
Comité Judiciaire devrait être respectueux du droit de la
Convention
565 CJCP: 25 juillet 1923, Alexander E. Hull and Company c/ A.
E. M?Kenna, cité note 552. Lord Haldane écrit que: «The
Judicial Committee of the Privy Council is not a body, strictly speaking, with
any location. The Sovereign is everywhere throughout the Empire in the
contemplation of the law», ibid., p. 404.
566 L?article 111 de la Constitution mauricienne dispose que
«service public signifie le service de l?Etat (la République de
Maurice) en sa capacité civile pour le gouvernement de Maurice».
Cette tautologie exclut la mission du Conseil Privé.
Européenne des Droits de l?Homme567 qui lie
l?Etat britannique. Par exemple, une lenteur excessive accusée par le
Comité Judiciaire dans le traitement d?une affaire serait de nature
à engager la responsabilité de l?Etat britannique aux termes de
l?article 6 de la Convention susmentionnée568.
L?hypothèse selon laquelle le Comité Judiciaire
est un tribunal anglais pourrait-elle, dans une perspective plus large, avoir
des conséquences sur le droit substantiel que doit appliquer le juge
londonien? En principe, seules les lois locales entrent en ligne de compte. Il
est tout de même permis d?en douter en ce sens que la Convention
Européenne des Droits de l?Homme oblige les Etats membres à faire
appliquer par leurs juridictions et toute autre autorité publique le
droit de la Convention. L?article premier de celle-ci stipule que «Les
Hautes Parties contractantes reconnaissent à toute personne relevant de
leur juridiction les droits et les libertés définis au titre I de
la présente Convention». Selon cet article, les titulaires des
droits et libertés reconnus par la Convention sont toutes les personnes
relevant de l?autorité et compétence (juridiction) des Etats
contractants569 dont, selon notre hypothèse, les justiciables
du Conseil Privé. Il se pourrait qu?en vertu de cette clause, la Haute
Instance londonienne soit contrainte d?appliquer le droit local en l?ayant au
préalable mis en conformité avec les normes de la Convention car
dans le cas contraire la responsabilité de l?Etat britannique pourrait
être engagée pour violation de celle-ci.
A titre illustratif, le Comité Judiciaire avait dans
des pourvois en provenance principalement de Maurice570 et de la
Jamaïque571, autorisé l?application de la peine de mort
par les autorités locales à certains condamnés
conformément aux droits locaux. Or cette peine, dont la mise en
exécution est autorisée en dernier par une autorité
anglaise572, est susceptible de violer les stipulations de l?article
3 de la Convention Européenne relative à l?interdiction des pays
membres d?appliquer une sentence inhumaine et dégradante. Ce n?est pas
l?autorité anglaise qui procède à l?exécution des
décisions de la Haute
567 La dénomination exacte de la Convention est Convention
de Sauvegarde des Droits de l?Homme et des Libertés Fondamentales. Elle
fut signée à Rome le 4 novembre 1950.
568 Cet article dispose dans son premier alinéa que:
«Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue
équitablement, publiquement et dans un délai
raisonnable...»
569 CARRILLO-SALCEDO Juan Antonio: «Article 1», pp.
135 à 141 in PETTITTI Louis-Edmond, DECAUX Emmanuel et IMBERT
Pierre-Henri: «La Convention Européenne des Droits de l?Homme,
commentaire article par article», Economica, 1995, 1234 p., v. p. 135.
570 CJCP: 2 octobre 1984, Louis Léopold Myrtile c/ The
Queen, affaire de Maurice, Lord Roskill rédacteur de l'arrêt.
571 CJCP: 28 juin 1982, Noël Riley c/ Attorney-General, WLR,
1982, vol. 3, pp. 557 à 570, affaire de la Jamaïque, Lord Bridge of
Harwich rédacteur de la décision majoritaire.
572 Le Comité Judiciaire ne déclarait pas la
mise à exécution de la peine de mort, même après une
longue période de détention du coupable, contraire à la
protection constitutionnelle contre les traitements inhumains. V. ibid.
Instance londonienne mais ce sont les autorités
locales, et en ce qui nous concerne, l?autorité mauricienne, qui ont la
charge de leur application. Cependant, l?analyse de la jurisprudence
européenne démontre qu?il est permis de penser que, même
dans ce cas de figure, l?Etat britannique pourrait être tenu responsable.
En effet, la Cour Européenne a décidé que la
responsabilité de l?Etat contractant peut «entrer en jeu à
raison d?actes émanant de leurs organes et déployant leurs effets
en dehors dudit territoire (de l?Etat contractant)»573. L?Etat
contractant est responsable des décisions prises par ses
autorités dès lors qu?elles entraînent des
conséquences contraires à la Convention, même si elles sont
exécutées en dehors des limites de son territoire
conformément au droit international classique574. Ainsi, en
matière d?extradition, la Cour Européenne a
considéré que la décision prise par un Etat, l?Etat
requis, d?extrader un individu vers un pays tiers à la Convention,
l?Etat requérant, où celui-ci courra le risque réel
d?être soumis à des peines inhumaines et dégradantes,
entraîne pour l?Etat contractant une violation de la
Convention575. Le rapprochement du raisonnement de la Cour
Européenne avec le prononcé des arrêts par le Comité
Judiciaire peut légitimement avoir lieu.
L?hypothèse que nous avons évoquée est
audacieuse mais est juridiquement inévitable. Il nous a paru obligatoire
dans notre analyse de l?institution du Comité Judiciaire
d?établir les réels enjeux et l?ouverture que représente
pour le plaideur mauricien la justice londonienne. Il serait souhaitable que le
caractère anglais du Tribunal londonien soit reconnu.
B. Un tribunal mauricien
Si la thèse de la nature britannique du Comité
Judiciaire peut être soutenue, les arguments en faveur de la thèse
inverse sont aussi nombreux que pertinents.
Le Comité Judiciaire se présente aussi comme une
institution mauricienne à l?analyse des données (a) et surtout au
regard du droit international classique (hors européen) (b).
573 CEDH: 26 juin 1992, Drozd et Jarouzek c/ France et Espagne,
PCEDH, 1992, série A, vol. 240, 72 p., v. p. 29 paragraphe 91.
574 NGUYEN Quoc Dinh, DAILLER Patrick et PELLET Alain:
«Droit international public», LGDJ, 1994, 1317 p., v. p. 484 à
487.
575 CEDH: 7 juillet 1989, Soering c/ Royaume-Uni, PCEDH, 1989,
série A, vol. 161, 83 p.
V. également MARKS Susan: «Yes, Virginia,
Extradition may breach the European Convention on Human Rights», CLJ,
1990, pp. 194 à 197 et SUDRE Fédéric: «Extradition et
peine de mort: arrêt Soering de la Cour Européenne des Droits de
l?Homme du 7 juillet 1989», RGDIP, 1990, pp. 103 à 121.
a. Le faisceau de critères
Si l?origine de la Haute Instance émane du droit de
tous les sujets de l?Empire de faire appel à la justice du Roi
d?Angleterre, l?évolution politique et constitutionnelle de l?Empire,
puis celle du Commonwealth récusent désormais la doctrine de
l?indivisibilité de la personne du Monarque. Nous avons indiqué
qu?avant le Statut de Westminster de 1937 la Couronne britannique
représentait le pouvoir suprême, non seulement dans le Royaume-Uni
mais aussi dans tous les dominions et colonies, c'est-à-dire dans
l?Empire dans sa globalité. Le Roi de l?Angleterre, en tant que tel,
était le Chef d?Etat de tous les dominions et colonies576.
Ceux-ci n?avaient pas la capacité juridique d?agir
internationalement577. Il appartenait à la métropole
de les représenter.
Cependant depuis 1937, la Couronne est divisible et le
Monarque prête serment, du moins sur un plan théorique, en sa
qualité de Chef d?Etat de chaque Etat578. Le Souverain porte
son titre selon la Loi de chaque dominion qui le reconnaît comme Chef de
l?Etat. Il réalise une pluralité en sa personne. Il remplit les
fonctions de Chef d?Etat des dominions à titre personnel et non en tant
que Chef de l?Etat de la Grande-Bretagne579. En ce sens, la Reine
Elisabeth II a été proclamée Reine de Maurice par le
Gouverneur le 8 février 1952580 et est demeurée Chef
de l?Etat de l?île Maurice jusqu?à l?accession de celle-ci au
statut de République en mars 1992. Les jurisprudences britannique et
mauricienne corroborent cette théorie. La Cour d?Appel anglaise a
estimé, à propos de la nature d?un passeport
délivré à Maurice au nom de la Reine Elisabeth II,
qu?à «Maurice la Reine est Reine de Maurice»581. De
même le juge mauricien a affirmé que le terme de «Reine en
Son Parlement de Maurice» est tout différent de la
576 Exception doit être faite des îles
Anglo-Normandes. Le recours des habitants de ces îles se faisait, selon
une ancienne fiction, au Roi en tant que Duc de Normandie.
577 BAKER Phillip Noël, cité note 119.
578 COUTEAU Armelle: «Le Commonwealth et le droit
international public: la renaissance du Commonwealth», thèse,
Université de Rouen, 1988, 604 p.
579 V., en ce qui concerne l?île Maurice, l?Ordonnance
du 25 avril 1968 sur les titres du Souverain (Royal Style and Titles Order
1968). «We do have thought and we do hereby, at the request of the
Prime minister of Mauritius, appoint and declare that... Our Style and Titles
shall henceforth be accepted, taken and used as the same as set forth in the
manner and form following: Elizabeth the Second, Queen of Mauritius
and of Her other Realms and Territories and Head of the Commonwealth?».
580 V. L?Ordonnance du même jour: «Accession of Her
Majesty Queen Elizabeth II. Where as it has pleased Almighty God to call to His
Mercy our late Sovereign, Lord King George the Sixth... We, therefore, Governor
of Mauritius, associated with the Members of the Executive and Legislative
Councils... and other inhabitants of this island do now hereby with one voice
and consent of tongue and heart publish and proclaim that the High and Mighty
Princess Elizabeth Alexandra Mary is now, by the Death of our Late Sovereign of
Happy Memory, become Queen Elizabeth the Second, by the Grace of God, Queen of
all her Realms and Territories... to whom Her lieges do acknowledge all
faith... beseeching God... to bless Princess Elizabeth the Second with long and
happy years to reign over us», in ATTORNEY-GENERAL?S OFFICE, cité
note 219, v. vol. 1, 148 p., v. p. 75.
581 «In Mauritius the Queen is Queen of Mauritius. The
Government there is the Queen?s Government of Mauritius», CA: 17
août 1967, Regina c/ Secratary of State for Home Department, QBD, 1968,
vol. 1, pp. 266 à 268, Lord Denning rédacteur de l'arrêt,
v. p. 284.
«Reine en Son Parlement de
Westminster»582. La Reine Elisabeth était la Souveraine
de l?île Maurice, pays indépendant, et agissait en tant que telle
lors de l?exercice de ses fonctions juridictionnelles. Sa Majesté en
Conseil (Her Majesty in Council) faisait donc partie des institutions
mauriciennes583.
Lors du changement de statut de Maurice en 1992, les
autorités publiques y ont aboli la monarchie. L?institution judiciaire
dénommée Sa Majesté en Conseil a été
substituée par le Comité Judiciaire584. Cette nouvelle
juridiction suprême s?appréhende comme une institution certes
extérieure d?un point de vue géographique mais qui a un
engagement avec l?Etat mauricien en vertu d?une convention et de la Loi
anglaise du 18 juin 1992 sur la République de Maurice585 et,
de ce fait, est une institution mauricienne586. En dépit du
fait que le Comité Judiciaire siège à Londres, sa
compétence demeure principalement extraterritoriale587. Il
est d?ailleurs significatif de souligner que les avocats au barreau de Maurice
ont droit d?audience devant le Comité Judiciaire.
b. Au regard du droit international (hors
européen)
Il ne fait aucun doute qu?au regard du droit international
classique, les Lords du Conseil Privé agissent pour le compte du service
judiciaire mauricien. Ils sont comme mis à la disposition de
l?autorité mauricienne pour appliquer le droit mauricien. C?est l?Etat
mauricien en toute souveraineté qui confère au Comité
Judiciaire des pouvoirs juridictionnels à son égard. L?île
Maurice peut, du point de vue théorique, à tout moment y abolir
ce système juridictionnel. Ainsi, dans le cas où la Haute
Instance n?applique pas un engagement international de l?île Maurice, la
responsabilité de celle-ci serait engagée.
Ce raisonnement vaut aussi pour d?autre pays retenant encore
le droit de recours à Londres. Ainsi, en Jamaïque où
certains plaideurs, après avoir été déboutés
par le Comité Judiciaire, ont saisi le Comité des Droits de
l?Homme des Nations Unies, organisme international. En effet, dans
l?arrêt Robinson c/ La Reine588 le Comité Judiciaire a
considéré que les droits de la défense ont
été respectés mais le Comité des Droits de l?Homme,
constatant une violation de
582 CSM: 17 juin 1983, Esther c/ The Prime Minister, LRC, 1985,
vol. constitutional, pp. 429 à 437, les juges Espitalier-Noël et
Lallah rédacteurs de l'arrêt.
583 Article 81 de la Constitution de 1968.
584 Article 81 nouveau CM.
585 The Mauritius Republic Act 1992.
586 PHILLIPE Xavier, cité note 32.
587 KINDER-GEST Patricia: «Les institutions
britanniques», PUF, Que sais-je ?, 1995, 128 p., v. p. 103.
588 CJCP: 7 mai 1985, Frank Robinson c/ The Queen, WLR, 1985,
vol. 3, pp. 84 à 98, affaire de la Jamaïque, Lord Roskill
rédacteur de l'arrêt majoritaire.
l?engagement international de la Jamaïque, a retenu la
responsabilité de celleci589. D?autres plaideurs
déboutés par le Comité Judiciaire ont saisi avec
succès la Commission Interaméricaine des Droits de
l?Homme590. Par ailleurs, le Comité Judiciaire a soutenu
à juste titre que le recours à Londres est un recours de droit
interne591.
589 CDHNU: 30 mars 1989, Robinson c/ La Jamaïque, ORHRC,
1988/89, vol. 2, pp. 426 à 427.
590 SANTOSCOY Bertha: «La Commission Interaméricaine
des Droits de l?Homme et le développement de sa compétence par le
système des pétitions individuelles», PUF, 1995, 209 p.
591 CJCP: 13 juin 1995, Thomas Reckley c/ The Minister of
Public Safety and Immigration, WLR, 1995, vol. 2, pp. 390 à 396, affaire
des îles Bahamas, Lord Browne-Wilkinson rédacteur de
l'arrêt. Il soutient que: «The process of exhausting the domestic
rights of appeal, including an appeal to their Lordships...», ibid., v. p.
394.
*
Il transparaît à la lecture du présent
ouvrage que, nous-même, nous prenons partie pour la thèse
juridictionnelle de la Haute Instance et la plaçons au sommet de la
hiérarchie des cours de justice de Maurice. Sa nature demeure
néanmoins complexe et est à géométrie variable. Si
le Comité Judiciaire a accédé au rang de juridiction
pleine et entière en droit positif mauricien, il demeure aussi, dans le
cas particulier de la mise en jeu de la responsabilité des hauts
magistrats, un conseil du Chef de l?Etat mauricien, en l?occurrence,
désormais, le Président de la République. De même,
il est en droit anglais un organe de conseil du Monarque. Sa nature anglaise,
du point de vue du droit mauricien, est tout aussi réelle et peut
difficilement être occultée par le théoricien du droit.
Le Comité Judiciaire assume des fonctions pour le
compte et des responsabilités à l?égard de plusieurs
autorités. Il est le conseil des Chefs d?Etat (la Reine d?Angleterre en
tant que souveraine de nombreux pays et le Président de la
République de Maurice dans le cas sus-mentionné). Il est une
autorité juridictionnelle suprême à la fois dans plusieurs
pays du Commonwealth, dont l?île Maurice. Cette multitude de fonctions,
font du Comité Judiciaire un organe dont la charge est
éminente.
On aurait pas grand-peine à relever, lors de l?analyse
du fonctionnement du Comité Judiciaire, à laquelle on va se
livrer, des éléments de la pluralité de son
caractère.
Sous-section 2. Le fonctionnement du Comité
Judiciaire
Le Comité Judiciaire est juge de cassation. Il statue
sur des décisions de justice attaquées devant lui. Le pourvoi au
juge londonien est une voie de recours grave. Ainsi s?explique la
réglementation stricte de la saisine. Les grandes règles de
procédure n?ont pas fondatalement changé depuis la
création du Comité Judiciaire.
L?action, la procédure pour être entendu, au
Comité Judiciaire comprend deux phases bien distinctes: d?abord celle de
l?autorisation de saisine de l?institution (paragraphe 1), puis celle du
déroulement de l?instance, la procédure comme devant toute
juridiction (paragraphe 2). Aussi, serait-il utile
dans le cadre de la présente étude, d?analyser le
jugement rendu à l?issue de la procédure (paragraphe 3) qui met
fin à l?action592.
L?examen de ces phases de la procédure nous conduira
à nous interroger sur les vertus du fonctionnement du Comité
Judiciaire notamment dans le cadre du contentieux constitutionnel, discipline
sur lequel nous nous attarderons dans le deuxième titre de notre
étude.
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