Paragraphe 2. La réorganisation du Conseil
62 LOVELL Colin Rhys, cité note 51, v. p. 159-60.
63 C?est ainsi que la Chambre des Lords est encore aujourd?hui la
juridiction suprême en Grande- Bretagne.
64 DICEY Albert Venn: «The Privy Council», Londres,
Macmillan and Co., The Arnold Prize, 1847, 147 p., v. p. 12-13.
Suite à ces développements, il était
nécessaire de doter le Conseil du Roi d?une nouvelle structure. Si ses
compétences originaires étaient dispersées entre divers
organismes, il avait conservé des compétences vagues et mal
définies. Tout ce qui n?étaient pas délégué
lui appartenait toujours. Il avait ainsi suffi qu?une désorganisation
fût causée dans l?Etat par des troubles pour que les pouvoirs du
Conseil fussent accrus. Le Conseil regagna son prestige et sa suprématie
d?autrefois par la création en son sein de la Chambre Etoilée
(A). Par ailleurs, devant l?incapacité des cours de Common Law et du
Parlement de rendre justice en matière coloniale, le Conseil avait
été doté d?une compétence additionnelle (B).
A. La création de la Chambre Etoilée
En 1487, sous le règne de Henri VII (1485-1509), le
Parlement avait adopté une Loi portant création de la Cour de la
Chambre Etoilée (The Court of the Star Chamber). Cette Loi
avait, semble-t-il, pour objectif de mettre sur pied un tribunal
détaché du Conseil et doté d?une compétence
d?attribution. La Loi fut interprétée différemment et les
attributions du nouveau tribunal avaient été absorbées par
la Chambre Etoilée du Conseil qui existait de facto
déjà65. Sans entrer davantage dans la discussion
technique de ce point d?histoire, qu?il nous soit permis d?étudier en
revanche la mise en place (a) et le fonctionnement (b) de la Chambre
Etoilée afin d?apprécier son apport au développement des
compétences du Conseil.
a. Sa mise en place
La Chambre Etoilée, nommée ainsi à cause
des étoiles en cercle qui se trouvaient au plafond, était une
chambre du Palais de Westminster construite en 1347 et était
utilisée pour des audiences juridictionnelles du Conseil. Dans le
langage courant de l?époque, la Chambre Etoilée désignait
aussi la réunion de certains membres du Conseil pour juger des affaires
et avait plutôt tendance à acquérir une autonomie et se
séparer du Conseil.
Selon l?énoncé de la Loi de 1487, la Chambre
Etoilée devait être composée exclusivement du Chancelier,
du Trésorier, du Lord-Garde du Sceau Privé et des juges en chef
(Chief Justices) des cours de Common Law. Toutefois, la pratique
65 Cependant, Sir Edward Coke et Sir William Holdsworth
pensent que la Loi de 1487 n?avait pas supprimé la juridiction du
Conseil et investi une nouvelle dénommée Chambre
Etoilée?. Elle avait simplement conféré la charge de la
justice en matière de crime et d?ordre public à une chambre du
Conseil. Sur cette thèse, v. PATEY Jacques cité note 41, v. p.
27.
voulait que tous les membres du Conseil pussent siéger
dans la Chambre66. Aussi, ses compétences, limitées
selon les dispositions de la Loi, étaient devenues universelles. Par
conséquent, la Chambre Etoilée était presque
identifiée au Conseil. Le Roi présidait souvent les audiences et
le Roi Jacques I (1603-1625) avait même siégé dans un
procès pendant cinq jours consécutifs67. Le Souverain
rendait lui-même les jugements. Quand il n?avait pas assisté aux
débats, il prenait l?avis de ses conseillers, tout en conservant le
droit de modifier la sentence proposée68.
b. Son fonctionnement
Sous le règne de la dynastie des souverains de la
maison des Tudors, la criminalité constituait l?un des problèmes
majeurs de la Couronne. La Chambre Etoilée, telle qu?elle était,
offrait l?avantage de pouvoir juger les accusés sans la constitution
d?un jury et pouvait imposer plusieurs types de peine. Elle permettait au
gouvernement de poursuivre les auteurs des délits de sédition
rapidement.
Cependant, ce tribunal était vite devenu un instrument
de l?arbitraire et de la tyrannie. Il menait l?instruction dans la
clandestinité. L?accusé ne pouvait contre-interroger les
témoins adverses. Son silence était considéré comme
un aveu de culpabilité 69 . La Chambre Etoilée avait
le pouvoir d?arracher des aveux par des tortures qui étaient aussi
barbares les unes que les autres: brûlures au fer chaud, la mise au
pilori et le fouettement. Mais elle ne pouvait prononcer la peine de mort en
vertu d?un principe de Common Law qui voulait que seul un tribunal
composé d?un jury populaire eût un tel droit70 Elle
rendait la justice à l?image d?une société archaïque
et violente.
Les juristes de Common Law et l?opinion publique
désapprouvaient ces pratiques d?autant plus que parfois les juges
participaient eux-mêmes à l?exécution des sentences. Le
Lord-Chancelier Wriothesley, par exemple, avait serré les vis de
l?instrument de torture qui avait écartelé une femme à la
Tour de Londres (London Tower)71. Devant ces actes de
barbarie, certains juristes de Common Law avaient adressé à la
Reine Elisabeth I (1558-1603) une humble
66 CARTER A. T.: «Council and Star Chamber», LQR, 1902,
vol. 18, pp. 247 à 254.
67 DICEY Albert Venn, cité note 64, v. p. 101.
68 PATEY Jacques, cité note 41, v. p. 29.
69 FITZROY Almeric, Sir, cité note 53, v. p. 118 à
126.
70 LOVELL Colin Rhys, cité note 45, v. p. 275. Le jury
avait pour objectif de légitimer la sentence. V. MILSON S.F.C.:
«Historical foundation of the Common Law», Londres, Butterworths,
1981, 475 p., v. p. 410 et s.
71 FITZROY Almeric, Sir, cité note 53, v. p. 125.
supplique contre les abus des membres du Conseil et contestaient
la légalité de la Chambre Etoilée.
Il était revenu au Roi Charles I (1625-1649) de
convoquer en 1640 le Parlement72 qui adopta une Loi portant
abolition de la Chambre Etoilée et réglementation du Conseil
Privé73. La Loi reprenait des dispositions de la Grande
Charte dans son préambule et rappela que les juges de la Chambre
n?avaient pas agi dans les limites de la Loi74.
B. La compétence du Conseil Privé en
matière coloniale
Le Conseil Privé, la nouvelle appellation du Conseil du
Roi75, qui avait survécu à l?abolition de la Chambre
Etoilée était une institution dotée d?une
compétence plus réduite que le Conseil du Roi. Le Conseil
Privé se réunissait en secret que pour délibérer
sur la politique du gouvernement76 et exercer un pouvoir
juridictionnel d?appel à l?encontre des décisions des cours
coloniales. Après avoir été l?instrument clé de la
consolidation du royaume britannique, le Conseil Privé devint un
élément majeur de la logistique conquérante de la
Grande-Bretagne. En effet, sous le règne du Roi Henri VII (1485-1509),
des justiciables des colonies avaient pris l?habitude de recourir au Roi pour
trancher des litiges (a). Avec le regain d?intérêt des plaideurs
pour l?institution, des comités spécialisés avaient
été créés au sein du Conseil Privé pour
entendre ces appels (b).
a. L'origine des recours des justiciables au Roi
Les habitants des îles Anglo-Normandes (Channel
Islands) avaient revendiqué avec succès le privilège
d?un appel gracieux au Roi en tant que Duc de Normandie en vertu d?un droit
acquis77. Ces îles étaient considérées
comme étant trop petites pour pouvoir elles-mêmes disposer d?une
cour souveraine78.
72 Cette réunion était connue sous le nom de
Long Parlement?. V. sur le sujet MAUROIS André:
«Histoire d?Angleterre», Paris, Librairie Arthème Fayard,
1937, 754 p., v. p. 423 et s.
73 «An Act for the regulation of the Privy Council and for
the taking away of the Court commonly called the Star Chamber.»
74 HOLDSWORTH William, Sir, cité note 47, v. p. 515.
75 Selon Albert Venn Dicey, l?expression Conseil Privé
était apparue bien auparavant sous le règne du Roi Henri V
(1399-1413). Les termes Conseil? et Conseil Privé?
évoquaient à l?époque l?ancien Conseil du Roi. V. DICEY
Albert Venn, cité note 58, v. p. 43.
76 Le cabinet prit naissance de cette pratique. Son
fonctionnement ne s?était jamais codifié. Aussi, c?est ce qui
explique que le Comité Judiciaire, qui est un organe du Conseil
Privé tout comme le Cabinet, se trouve à la Downing Street.
77 «Ce devait être le bien modeste début de la
juridiction la plus étendue au monde», PATEY Jacques, cité
note 41, v. p. 24.
78 Sur le début de ces appels, v. SMITH Joseph Henri:
«Appeals to the Privy Council from the American plantations»,
Columbia University Press, 1950, 770 p., v. p. 11.
Une Ordonnance en Conseil (Order in
Council)79 prise par le Roi Henri VII en 1495 disposait que les
appels en provenance de ces îles ne devaient être portés
à aucune autre cour d?Angleterre, mais au Roi et à son Conseil
(au Roy et a Consaill). Avec l?émergence de nouvelles colonies,
le recours au Conseil devenait un moyen pour la Couronne de contrôler les
affaires de ses colonies d?autant que les ressortissants britanniques de l?Inde
désapprouvaient la justice de la Compagnie des Indes Orientales
(East-India Company). La justice royale devenait le contrefort du
pouvoir impérial et un facteur d?unification et d?intégration des
possessions acquises.
Une Ordonnance en Conseil de 1580 avait fixé les
premières règles de procédure devant le Conseil à
l?égard de l?île de Guernesey. L?Ordonnance réglementait le
délai dans lequel l?appel devait être interjeté, la
manière pour l?appelant de faire transmettre par les autorités de
l?île le dossier et les questions de frais et de cautions
conformément aux anciennes coutumes de l?île80.
Le Conseil Privé, dépourvu de toute
compétence juridictionnelle en droit interne depuis l?abolition de la
Chambre Etoilée, était plutôt composé de conseillers
personnels et de conseillers politiques du Roi que de juristes, hormis le
Lord-Chancelier et le Lord-Garde du Sceau. En certaines occasions, il avait
été nécessaire aux conseillers du Roi de consulter des
juristes non-membres du Conseil pour trancher des litiges. Aussi, le traitement
des appels n?était-il fondamentalement pas différencié des
affaires politiques81.
En revanche, il y avait là un début de
spécialisation. Mais le droit général d?appel au Roi
n?était pas encore expressément proclamé et certains
dirigeants des colonies déniaient son existence82. Par la
suite, le Roi affirmait et revendiquait sa prérogative dans ses
communications avec ses représentants dans les colonies.
b. La création des comités
spécialisés
Il était devenu nécessaire de mettre au point une
organisation dont la finalité était la spécialisation en
matière juridique et, par voie de conséquence,
79 L?Ordonnance en Conseil est une décision
exécutoire à portée générale ou individuelle
signée par le Souverain.
80 SAFFORD Frank: «The practice of the Privy Council in
judicial matters», Londres, Sweet and Maxwell, 1901, 1136 p., v. p.
702.
81 SMITH Joseph Henri, cité note 78, v. p. 24.
82 Ibid.
l?efficacité de la justice royale. Ainsi, en 1661, le
Roi Charles II (1660-1685) créa avec peu de succès une instance
spécialisée dénommée Comité d?Appel
(Appellate Committee) au sein du Conseil. En 1681, il fut
constitué au Conseil un Comité pour les Affaires Commerciales
(Committee for the Business and Trade). C?était un
comité permanent (Standing Committee) devant s?occuper de tout
ce qui concernait les colonies de Guernesey83. La procédure
n?était pratiquement pas réglementée, mais une Ordonnance
en Conseil de 1683 avait prévu un dépôt de cautionnement
(sufficient security) alors que la même année, Lord
Keeper North, dans un arrêt célèbre84, affirmait
le principe selon lequel dans les endroits tenus en don de la Couronne, il
existait un droit de recours au Roi en Son Conseil.
En 1687, il avait été décidé que
tous les Lords du Conseil Privé devaient composer le Comité pour
le Commerce et les Plantations (Committee for Trade and Plantations)
ainsi créé. Ce comité avait plus ou moins les mêmes
compétences que le précédent. Cependant, il ne
fonctionnait pas comme une juridiction. Il pouvait rendre sa décision
sans avoir entendu une des parties et la procédure était
informelle.
Après la Glorieuse Révolution de 1688-89, un
Comité de Lords Commissaires de Commerce et des Plantations
(Committee of Lords Commissioners of Trade and Plantations) avait
été créé. Il fallait en priorité
contrôler et diriger le commerce extérieur du royaume et trancher
les litiges dans le sens le plus favorable à celui-ci. Un
élément de procédure fut institué. Une Ordonnance
en Conseil de 1696 disposait qu?un quorum de trois Lords du Conseil
Privé était nécessaire pour statuer sur des appels venant
des plantations85. Le Comité devait établir un rapport
à Sa Majesté sur chaque affaire86.
Avec le développement de l?Empire britannique aux
dix-septième et dix- huitième siècles, le nombre de
pourvois au Conseil augmenta considérablement87. La lenteur
de la procédure constituait, toutefois, un problème majeur tant
la communication avec la métropole n?était pas rapide et le
Conseil était essentiellement un organe exécutif plus
préoccupé de l?administration que de
83 BENTWICH Norman, cité note 41, v. p. 2.
84 Haute Cour d?Equité: 14 julli 1683, Jennet and Ux? c/
Bishopp and Al?, ER, vol. 23, Chancery, affaire n° 181 p., 403, Lord
Keeper rédacteur de l'arrêt, rapporté par Thomas Vernon.
85 SAFFORD Frank cité note 80, v. p. 704-5.
86 Ibid.
87 De 1674 à 1694, le Comité avait statué
sur 60 appels des plantations américaines. De 1726 à 1833, il y
avait 300 pourvois de la seule Cour Suprême de l?Inde.
rendre la justice. En 1833, il était impératif de
rationaliser le système et créer un tribunal permanent.
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