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Le Comité Judiciaire du Conseil Privé de la Reine Elisabeth II d'Angleterre et le Droit Mauricien

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par Parvèz A. C. DOOKHY
Université Paris I Panthéon-Sorbonne - Docteur en Droit 1997
  

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Paragraphe 1. Les méthodes et attitudes du juge anglais en général

Deux périodes sont à distinguer dans l?attitude du juge britannique en matière d?interprétation. Il a pendant assez longtemps plus ou moins été statique et formaliste (A). Cette attitude est révolue et ne conserve principalement qu?un intérêt historique. A partir des années soixante, le juge adopte une démarche progressiste et dynamique (B).

A. L'attitude statique

L?approche statique implique que le juge interprète littéralement la règle de droit (a) et qu?il se tient rigoureusement aux décisions précédemment prononcées par lui (b).

a. L'interprétation littérale et stricte

Certes le juge anglais a créé (ou, selon la fiction, a déclaré)787 la Common Law de manière inductive et était par excellence le juge le plus créateur de normes. Par contre, au début du vingtième siècle, avec l?avènement de la démocratie et du suffrage universel, le juge anglais se voulait être complètement apolitique. Les Lords judiciaires faisaient valoir que la fonction du juge était mécanique dans l?application du droit788. Ils appliquaient le droit de manière désintéressée789 depuis que la doctrine de la souveraineté de la Loi, prônée par Albert Venn Dicey, ait triomphé en Angleterre. Le juge anglais voulait donner l?impression que lui-même ait cru en cette fiction. Le juge se soumettait à la Loi, qu?il interprétait de manière stricte et littérale790 et exégétique791. Il était

787 «Those with a taste for fairy tales seem to have thought that in some Aladdin?s cave there is hidden the Common Law in all its splendour and that on a judge?s appointment there descends on him knowledge of the magic words open sesame», REID, Lord, cité note 517, v. p. 22.

788 STEVENS Robert, cité note 452, v. p. 196. Selon l?auteur: «(The Law Lords) exhibited an increasing tendency to articulate a declaratory theory of law and to insist that the judicial function, even in the final appeal court, was primarily the formalistic or mechanical one of restating existing doctrines», ibid.

789 JAFFE Louis L.: «English and American judges as lawmakers», Oxford, Clarendon Press, 1969, 116 p., v. p. 1.

790 CL: 12 décembre 1946, Wicks c/ Director of Public Prosecutions, AC, 1947, pp. 362 à 368, Vicomte Simon rédacteur de l'arrêt principal. Le juge souligne que: «... the intention of Parliament is not to be judged by what is in its mind, but by what its expression of the Statute itself».

791 Il y a en droit anglais trois grandes règles (major rules) d?interprétation d?une norme écrite: la règle littérale (literal rule), la règle d?or ou souple (golden rule), permettant au juge de déroger à l?approche littérale dans le cas où celle-ci provoquerait un résultat ou une solution absurde, et la règle de la finalité (mischief rule) autorisant au juge de faire une lecture de la règle de droit selon son objet. V. sur le sujet CROSS Rupert, Sir, BELL John et ENGLE George, Sir, QC: «Statutory Interpretation», Londres, Butterworths, 1995, 211 p., v. chapitre 3.

De ces trois règles précitées, la première a primé et a été plus couramment utilisée. Le juge était attaché au mythe de la Loi (basic legal myth).

respectueux de la lettre de la Loi792 et la transcrivait fidèlement. Il ne voulait pas s?arroger du pouvoir parlementaire de définir les politiques publiques et s?immiscer dans les domaines de l?exécutif793.

Il s?ensuivait que le juge ne recherchait pas réellement l?intention du législateur794. Il ne pouvait pas, contrairement à son homologue français, se référer aux travaux préparatoires et avait, de ce fait, de grandes difficultés à interpréter certains textes de loi795. Enfin, la Common Law d?origine jurisprudentielle était devenue plus ou moins statique et était sclérosée en ce sens que les juges s?interdisaient de développer le droit.

b. La règle de stare decisis

La règle du précédent constitue un des fondements majeurs de la Common Law796. Selon la théorie classique, la Common Law existe depuis un temps immémorial et est inchangée et immuable sauf par la Loi. Etant un droit unificateur et unique, elle doit être stable et prévisible (certain). Elle tire sa légitimité de la sécurité juridique et de la rationalité qu?elle offre. Le juge suprême britannique a posé le principe selon lequel il ne doit pas s?éloigner de ce qu?ont décidé ses prédécesseurs sur l?interprétation d?une norme écrite ou de leur déclaration de la Common Law. Le juge est tenu par la cohérence du droit.

Selon la hiérarchie des tribunaux, les cours inférieures à la Chambre des Lords, notamment la Haute Cour de Justice et la Cour d?Appel, doivent obligatoirement statuer dans le sens indiqué par le Palais de Westminster. Celui-ci était, en vertu de ce qui vient d?être dit, lié par sa propre jurisprudence797. Le système du précédent attribue une force contraignante à la

792 «Nor was there anything in the British Constitution which compelled the Victorian Law Lords and their successors to limit their powers by adopting literal rules for the interpretation of Acts of Parliament. Yet, they decided that to avoid making laws, they were compelled to give effect to the plain and unambiguous language of a Statute... no matter how absurd might be the result of the literal interpretation», LESTER Anthony, QC: «English judges as lawmaker», PL, 1993, pp. 269 à 290, v. p. 272.

793 CL: 3 novembre 1941, Liversidge c/ Sir John Anderson, AC, 1942, pp. 206 à 283, Vicomte Maugham rédacteur de l'arrêt principal.

V. également DIPLOCK Kenneth, Sir, The Right Honourable: «The court as legislators», pp. 265 à 287 in HARVEY Brian W. (dir): «The lawyer and justice», Londres, Sweet and Maxwell, 1978, 304 p.

794 CL: 9 mars 1978, Davis c/ Johnson, AC, 1979, pp. 264 à 350, Lord Denning rédacteur de l'arrêt principal.

795 Une Loi sur le vol de 1968 a été qualifiée de «cauchemar judiciaire» (judicial nightmare) par un juge de la Cour d?Appel anglaise. V. CA: 9 novembre 1971, Regina c/ Royle, All ER, 1971, vol. 3, pp. 1359 à 1366, Lord-Juge Edmund Davies rédacteur de l'arrêt, v. p. 1363.

796 GOLSTEIN Laurence (dir): «Precedent in law», Oxford, Clarendon Press, 1987, 279 p., CROSS Rupert, Sir: «Precedent in English law», Oxford, Clarendon Press, 1977, 242 p. et JOLOWICZ J. A.: «La jurisprudence en droit anglais, aperçu sur la règle du précédent», ADP, 1985, tome XXX, pp. 105 à 115.

797 Selon Lord Campell: «A decision of this high court in point of law is conclusive upon inferior
tribunals. I consider it the constitutional mode in which the law is declared, and that, after

jurisprudence de principe et aux motifs déterminants (ratio decidendi)798 qui ont conduit à la solution juridique de l?arrêt. Mais, le cas d?espèce d?une affaire est souvent différent d?un autre et comme la règle de droit énoncée par le juge est en général formulée en des termes concrets et est relative au fait de la première affaire, ce système s?adaptait mal à l?élaboration et à la classification de grands principes pour la conduite de la vie en société. Devant cette difficulté, le juge a développé une pratique de distinction des cas lorsque l?application d?une jurisprudence à une affaire donnée causerait une absurdité. La distinction devait être fondée799 et être en parfait accord avec la règle posée800.

Le juge suprême britannique répugnait le revirement de jurisprudence (overruling a precedent) considéré comme étant contraire au principe fondamental de non-rétroactivité des normes juridiques801. Un revirement produit son effet immédiatement, aux faits régis par l?ancienne jurisprudence. Aussi, l?idée de création d?un nouveau droit par les juges est en conflit avec les valeurs mêmes de la Common Law: la certitude, la prévisibilité du droit et le principe de non-rétroactivité de la Loi802.

Les difficultés de fonctionnement de ce système avaient nécessité son abandon.

such a judgment has been pronounced, it can only be altered by an Act of Parliament», CL: 25 avril 1898, The London Street Tramways Company Ltd c/ The London Councty Council, AC, 1898, pp. 375 à 381, le Lord-Chancelier Comte de Halsburry rédacteur de l'arrêt.

798 Dans un arrêt, les motifs déterminants (ratio decidendi) se distinguent de l?opinion simplement incidente du juge non nécessairement au raisonnement stricte (obiter dictum).

799 JAUFFRET-SPINOSI Camille: «Comment juge le juge anglais ?», DR, 1989, n° 9, pp. 57 à 67, v. p. 64.

800 «Le droit jurisprudentiel est casuistique, souvent approprié à un seul litige, discontinu et dans une large mesure il est lié au sort d?espèces concrètes déterminées», CAPPELLETTI Mauro, cité note 737, v. p. 77.

801 DEVLIN Patrick: «The Judge», Oxford University Press, 1979, 207 p., v. p. 11.

802 En réalité, il arrive que les juges anglais créent de nouveaux délits. V. infra.

B. L'attitude dynamique et évolutive

Le rôle et l?attitude du juge britannique, comme ses homologues des pays continentaux, changent radicalement après la deuxième guerre mondiale (a). Le juge devient un activiste (b) dans la mise en oeuvre des grandes politiques.

a. Le rôle nouveau du juge

Après la deuxième guerre mondiale ce fut en réalité le rôle de l?Etat qui changea dans les sociétés modernes. La deuxième guerre mondiale avait bouleversé les données traditionnelles des sociétés d?Europe. Le poids des conflits et des opérations militaires avait affaibli l?Europe sur le plan physique, démographique, économique et sociale803. L?Etat avait dû accentuer considérablement son intervention804 dans les sphères de droit privé et de l?économie. Le secteur public s?étendait et l?Etat assumait de larges responsabilités, notamment en matière sociale. L?Etat avait pour objet de créer une société nouvelle. Il mit en oeuvre une politique promotionnelle et, par là même, élaborait des droits sociaux. A la différence des droits traditionnels pour lesquels il suffit que l?Etat sanctionne leur violation, les droits sociaux exigent une action active, souvent prolongée dans le temps par tous les appareils de l?Etat. Les législations sociales posent des principes généraux et il appartient aux juges, comme d?autres autorités publiques, de sanctionner ces droit afin de les rendre applicables directement (self-executing).

L?attitude formaliste des juges était inadaptée au développement de l?Etat-Providence. L?activité des juges devait prendre un aspect nouveau dans sa manière d?interpréter les Lois, en vue de donner un contenu concret à la législation et aux droits sociaux. Des écoles contre le formalisme judiciaire se faisaient vivement entendre aux Etats-Unis d?Amérique805 et en Angleterre806. Certains Lords judiciaires s?étaient insurgés contre l?idée selon laquelle les précédents pourraient dicter une solution toute faite au juge surtout quand ils étaient divers et imprécis.

Un aspect particulier de l?évolution opérée chez les Lords judiciaires mérite d?être mis en lumière. A partir des années cinquante, les Lords étaient

803 SUR Serge: «Relations internationales», Monchrestien, 1995, 587 p., v. p. 75.

804 L?Etat-Providence (welfare state) avait pris le relais à l?Etat-Gendarme. Le gouvernement travailliste britannique s?était embarqué sur un programme gigantesque de développement.

805 MICHAULT Françoise: «Le rôle créateur du juge selon l?Ecole de la sociological jurisprudence? et le mouvement réaliste américain. Le juge et la règle de droit», RIDC, 1987, pp. 343 à 371.

806 V. en général sur le sujet EDMUND-DAVIES, Lord: «Judicial activism», CLP, 1975, pp. 1 à 14.

convaincus qu?ils avaient aussi pour mission de combler les vides juridiques car, exécutant un service public, le juge est nécessairement au service de l?homme807. Davantage encore, les Lords avaient décidé d?assouplir la règle du précédent obligatoire afin de permettre à la Chambre des Lords d?effectuer, dans certains cas, des revirements de jurisprudence808.

On assiste depuis à une nouvelle définition du rôle et de la fonction du juge. Il doit désormais être dynamique et il pèse sur lui une responsabilité politique lorsqu?il rend une décision. En tranchant un litige, le juge doit avoir à l?esprit les suites pratiques et implications morales et politiques de son choix809. C?est ainsi que le juge britannique accepte depuis 1993 de recourir comme ses homologues français et mauricien810 aux travaux préparatoires afin de découvrir la pensée du législateur811.

b. L'activisme du juge

Avec le développement de l?Etat-Providence, les transformations sociales et économiques se produisent à un rythme précipité et les pouvoirs législatif et exécutif accusent un retard dans la réglementation de nouvelles activités. En de telles circonstances, les possibilités de mise en oeuvre d?un dynamisme judiciaire sont très grandes812.

Les juges privilégient le mode d?interprétation téléologique des Lois et des principes fondamentaux afin d?appliquer leur politiques jurisprudentielles. D?une manière active, les juges britanniques formulent et précisent des règles, surtout en matière administrative et sur la bonne conduite des agents publics. La Chambre des Lords, à la manière du Conseil d?Etat français, a élaboré après

807 «The judges in modern society are not potentates: they are rather servants, servants of the people in the highest and most honourable sense of that term», MCLACHLIN Beverly: «The role of judges in modern Commonwealth society», LQR, 1994, pp. 260 à 269, v. p. 262.

808 CL: 26 juillet 1966, Practice statement (Judicial Precedent), WLR, 1966, vol. 1, p. 1234, le Lord-Chancelier Gardiner auteur de la déclaration. Il fait ressortir que: «Their Lordships nevertheless recognise that too rigid adherence to precedent may lead to injustice in a particular case and also unduly restrict the proper development of the law», ibid.

809 «... the new race of judges are not mere technicians but are men of the world as well. We can - indeed we must- trust them to acquaint themselves with public policy and apply it in a reasonable way to such new problems as will arise from time to time», REID, Lord, cité note 517, v. p. 27.

810 Le Comité Judiciaire, statuant en contentieux mauricien, utilise les travaux préparatoires. CJCP: 19 mai 1988, S. Buxoo c/ The Queen, affaire de Maurice, Lord Keith of Kinkel rédacteur de l'arrêt.

811 SLAPPER Gary: «Statutory interpretation, a new departure», BLR, 1993, pp. 56 à 58.

812 «... if the judges had not used their law-making power to develop greater judicial protection of public powers, we can be certain that no government would have sought to persuade Parliament to do so», LESTER Anthony, QC, cité note 792, v. p. 279.

la deuxième guerre mondiale un droit administratif autonome813. En l?absence de textes précis, le juge britannique est appelé à porter sur la question du litige un jugement de valeur qui implique une vision de la société de demain et à soumettre le pouvoir public et politique à une éthique de bonne conduite814. Le contrôle de l?Administration est renforcé et les cas d?ouverture d?un recours en annulation d?un acte administratif se sont considérablement multipliés815 et sont en Angleterre souples et flexibles816. Un acte administratif peut être annulé non seulement pour violation de la Loi et incompétence comme autrefois, mais également pour détournement de pouvoir et vice de procédure817. Une grande partie du droit administratif est de création prétorienne818 et le juge britannique a repris son activité créatrice819.

Cette esquisse de la nouvelle place et fonction du juge, en particulier les Lords, dans la société britannique nous permettra de porter un jugement plus précis sur l?attitude des membres du Conseil Privé en ce qui concerne l?interprétation des normes fondamentales.

813 DISTEL Michel: «Aspects de l?évolution du contrôle juridictionnel de l?Administration en Grande-Bretagne», RIDC, 1982, pp. 41 à 100.

814 BELL John: «Le juge administratif anglais, est-il un juge politique ?», RIDC, 1986, pp. 791 à 809.

815 Le droit britannique du contentieux administratif est sensiblement similaire de celui pratiqué en France.

816 «There is a definite judicial desire that grounds for intervention be sufficiently flexible to accommodate the particular circumstances of any individual case», FORDHAM Micheal: «Judicial review handbook», Londres, Wiley Chancery Law Publishing, 1994, 701 p., v. p. 270.

817 V. infra.

818 WOOLF Harry, Sir, The Right Honourable: «Protection of the public: a new challenge», Londres, Stevens and Sons,The Hamlyn Lectures, 1990, 132 p., SCHWARTZ Bernard: «Lions over the throne. The judicial revolution in the English administrative law», New-York, New-York University Press, 1987, 223 p. et GRIFFITH J. A. G.: «Judicial decision-making in public law», PL, 1985, pp. 564 à 582.

819 «Over the last 40 years, the courts have developed general principles of judicial review», CL: 3 décembre 1992, Regina c/ Lord President of the Privy Council, ex parte Page, AC, 1993, pp. 682 à 712, Lord Browne-Wilkinson rédacteur de l'arrêt principal, v. p. 701.

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"Les esprits médiocres condamnent d'ordinaire tout ce qui passe leur portée"   François de la Rochefoucauld