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Le Comité Judiciaire du Conseil Privé de la Reine Elisabeth II d'Angleterre et le Droit Mauricien

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par Parvèz A. C. DOOKHY
Université Paris I Panthéon-Sorbonne - Docteur en Droit 1997
  

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Paragraphe 2. Les méthodes et attitudes propres du Comité Judiciaire

Que le Comité Judiciaire présente dans son fonctionnement des différences de celui de la Chambre des Lords n?est guère discutable. A la Downing Street, la règle du précédent n?a jamais été obligatoire bien que dans la pratique cette règle soit depuis fort longtemps suivie avec rigueur. Le Comité Judiciaire s?est toujours réservé le droit de déroger à sa propre jurisprudence820. Cette attitude d?avant-garde lui a permis d?élaborer une jurisprudence plus souple que celle du Palais de Westminster et de poser de nouveaux principes821. En revanche, on regrettera que sa jurisprudence ait été assez fluctuante sur certains principes (A). Toutefois, prolongeant dans les années soixante-dix le rôle dynamique de la Chambre des Lords, le juge du Whitehall a développé une nouvelle politique jurisprudentielle tendant à assurer aux particuliers une protection toujours plus large et plus forte de leurs droits fondamentaux à l?instar des cours constitutionnelles d?Europe occidentale. Pour ce faire, il a, à travers une interprétation téléologique, vitalisé la Constitution (B).

A. Oscillation de la jurisprudence

La jurisprudence du Comité Judiciaire a été au demeurant dans bien des cas imprévisible et sans suite logique. Vu la multiplication des opinions dissidentes dès lors que le litige portait principalement sur l?interprétation d?une Norme Fondamentale, il ne fait de doute que la Haute Juridiction, comme la Chambre des Lords, a connu une opposition virulente entre, d?une part, les juges favorables à une interprétation ordinaire des droits fondamentaux (a) et, d?autre part, les juges en faveur d?une interprétation spécifique ou large (b).

820 CJCP: 19 mai 1975, Eaton Baker c/ The Queen, cité note 634. Lord Diplock écrit que: «The Judicial Committee of the Privy Council is not strictly bound to follow the ratio decidendi of its previous decisions. It has always claimed the power to overrule its previous decisions even where they are fully reasoned although in the interest of certainty of law this is a power that it will exercise only in exceptional circumstances», ibid., p. 123.

821 «... the Judicial Committee of the Privy Council, which had always been free to depart from its prior decision and therefore has been better able than the House (of Lords) to develop its jurisprudence», HILLER Jack A.: «The law-creative role of appellate courts in the Commonwealth», ICLQ, 1978, pp. 85 à 126, v. p. 107. Cette affirmation de Monsieur Jack Hiller est à distinguer de celle de Lord Reid, citée note 650.

a. L'interprétation ordinaire

Le Comité Judiciaire, influencé par la Chambre des Lords, a pendant longtemps privilégié le mode d?interprétation stricte et littérale822 des lois ordinaires et fondamentales en raison de son éloignement géographique avec les pays concernés. Leurs Seigneuries laissaient entendre qu?ils manquaient de connaissance des affaires locales suffisante pour pouvoir faire évoluer le droit dans le cadre d?une politique jurisprudentielle appropriée. Ils accordaient aux juges locaux le pouvoir d?apprécier souverainement, non seulement les faits de l?espèce823 mais aussi le contexte juridique824 ou les conséquences de telle ou telle interprétation possible d?une Loi825. Dans ces conditions, le mode d?interprétation stricte et formaliste était le mieux adapté à l?oeuvre du Comité Judiciaire.

A ce titre, la modération judiciaire (judicial restraint) était souvent de mise dans les affaires impliquant la protection d?une ou des libertés publiques. La jurisprudence de la Haute Juridiction n?offrait pas d?originalité. Elle ne faisait appel qu?à des techniques contentieuses traditionnelles. La doctrine avait émis d?acerbes critiques contre certaines décisions et parla de «l?austérité d?un légalisme systématique» (the austerity of tabulated legalism)826 et «d?une conception naïve de la justice constitutionnelle» (unsophisticated philosophy of constitutional adjudication). Un exemple de modération du juge provient de l?arrêt Runyowa c/ La Reine. Le Comité Judiciaire y déclina de sanctionner la peine de mort alors que la Loi Fondamentale interdit tout traitement inhumain et la torture827. Dans les cas où la peine capitale était prévue par la Constitution, le Comité Judiciaire considérait que le mode d?exécution de la

822 Certains juges sont très attachés à cette méthode. V. par exemple, CJCP: 5 novembre 1975, Moses Hinds c/ The Queen, cité note 233, v. l?opinion dissidente de Vicomte Dilhorne et de Lord Fraser. Ils disent que: «A written Constitution must be construed like any other written document. It must be construed to give effect to the intentions of those who made and agreed to it and those intentions are expressed in or to be deduced from the terms of the Constitution itself... It must not be construed as if it was partly written and partly not», ibid., p. 396.

823 CJCP: 2 octobre 1990, Abdool Cader Abdool Gaffoor c/ The Queen, cité note 415.

824 CJCP: 30 avril 1985, Hubert Bell c/ Director of Public Prosecutions, cité note 756. Le juge précise que «... their Lordships accept the submission of the respondents that in general courts of Jamaica are best equipped to decide whether in any particular case delay from whatever cause contravenes the fundamental rights by the Constitution of Jamaica», ibid., p. 82.

825 CJCP: 7 novembre 1983, The Commissioner of Income Tax c/ Espérance Company Limited, affaire de Maurice, Lord Templeman rédacteur de l'arrêt majoritaire. V. l?opinion dissidente de Lord Bridge of Harwich qui affirme que: «... it seems entirely right to attribute to that court (of Mauritius) a greater familiarity than this Board can claim with the somewhat imprecise style of draftmanship which appears to characterise legislation in Mauritius».

826 EWIG K. D.: «A Bill of Rights: lessons from the Privy Council», pp. 231 à 249 in FINNIE W., HIMSWORTH C. et WALKER N. (dir): «Edinburgh essays in public law», Edinburgh University Press, 1991, 380 p., v. p. 236-7, ZELLICK Graham: «Fundamental rights in the Privy Council», PL, 1982, pp. 344 à 346 et BARKER Kent: «Final appeal to a remnant Empire», The Independant, 31 mai 1991, p. 15.

827 CJCP: 19 janvier 1966, Simon Runyowa c/ The Queen, AC, 1967, vol. 1, pp. 26 à 49, affaire de la Rodhésie, Lord Morris of Borth-y-Gest rédacteur de l'arrêt.

sentence, la pendaison, n?était non plus une peine dégradante ou inhumaine828. De même dans une affaire mauricienne, le juge avait privilégié l?interprétation grammaticale d?une Loi malgré les effets complexes que sa décision pourrait comporter829 et dans une affaire de la Jamaïque, le juge avait privilégié le sens grammatical de la Loi même si une telle lecture était susceptible de créer des absurdités juridiques830.

b. L'interprétation spécifique au droit constitutionnel

La méthode précédente n?était pas convenable. Les Lords du Conseil Privé opérèrent à la fin des années soixante-dix un tournant interprétatif qui bouleversa l?évolution du droit constitutionnel. En réalité, ils firent un retour au procédé inauguré par le Lord-Chancelier Vicomte Sankey qui avait consacré la spécificité et l?autonomie de l?interprétation constitutionnelle par rapport aux autres branches du droit. Vicomte Sankey faisait appel aux méthodes de l?interprétation logique et systémique pour interpréter la Constitution canadienne. Dans un arrêt de 1929, dont le paragraphe de la motivation principale mérite d?être reproduit, il déclara que la Loi sur l?Amérique du Nord Britannique (la Constitution du Canada), a «planté au Canada un arbre vivant susceptible de croître et de se développer dans ses limites naturelles. L?objet de cette loi était de donner au Canada une Constitution... Leurs Seigneuries n?estiment pas qu?il soit de leur devoir -ce n?est en tout cas certainement pas leur désir- de restreindre l?effet des dispositions de cette loi par une lecture étroite et technique de ses termes mais il leur appartient bien plutôt de lui donner une interprétation large et libérale»831. La conception du Vicomte Sankey se justifiait par le fait que la Constitution était destinée à régir la société durant une longue période. N?étant pas facilement modifiable, elle devait pouvoir s?adapter aux situations nouvelles832. La métaphore de l?arbre vivant833

828 V. infra.

829 CJCP: 7 novembre 1983, The Commissioner of Income Tax c/ Espérance Company Ltd., cité note 825.

830 CJCP: 19 mai 1975, Eaton Baker c/ The Queen, cité note 634. Lord Salmon, auteur d?une opinion dissidente, a estimé que: «The function of a court is to give effect to the intention of the legislative as expressed in the language of the Statute under consideration. If the language is capable of bearing only one meaning then that is the meaning which the courts are bound to apply even if to do so leads to injustice», ibid., p. 125.

831 «(The British North America Act) planted in Canada a living tree capable of growth and expansion within its natural limits. The object of the Act was to grant a Constitution to Canada... Their Lordships do not conceive it to be the duty of this Board -it is certainly not their desire- to cut down the provisions of the Act by a narrow and technical construction, but rather to give it a large and liberal interpretation», CJCP: 18 octobre 1929, Henrietta Muir Edwards c/ Attorney-General for Canada, AC, 1930, pp. 124 à 143, affaire de Canada, le Lord- Chancelier Vicomte Sankey rédacteur de l'arrêt.

832 BRUN Henri et TREMBLAY Guy: «Droit constitutionnel», Québec, Editions Yvon Blais, 1990, 2e édition, 1232 p., v. p. 206 et s.

833 WILSON Bertha: «The making of a Constitution: approaches to judicial interpretation», PL, 1988, pp. 370 à 384, v. p. 378.

et des juges agissant comme des jardiniers fut appliquée avant d?être abandonnée dans quelques affaires portant sur la répartition des pouvoirs entre l?Etat fédéral et les Etats fédérés834.

Le rejet de la spécificité de l?interprétation constitutionnelle dura jusqu?en 1975 lorsque Lord Diplock redéfinit dans le célèbre arrêt Moses c/ La Reine835 la discipline du droit constitutionnel des pays du Commonwealth836. Il pose définitivement les règles de la lecture des normes constitutionnelles afin d?éviter la multiplication des opinions dissidentes en la matière.

Reprenant l?analyse de Monsieur le Professeur Michel Troper837, il est possible de soutenir que Lord Diplock a injecté dans les nouvelles décisions du Conseil Privé un double syllogisme, un syllogisme secondaire concernant le type d?interprétation à donner au texte fondamental et un syllogisme primaire relatif au cas de l?espèce. En effet, ce qui est nouvellement en cause, c?est le sens des termes de la majeure, autrement dit, l?interprétation de la règle constitutionnelle qu?il s?agit d?appliquer. C?est cette interprétation que le juge justifie. L?analyse du texte constitutionnel trouve son fondement dans une proposition plus générale que lui. Le syllogisme secondaire a pour règle majeure une règle d?interprétation.

L?appel au procédé de la dualité des syllogismes a lieu lorsque le juge cherche à mettre en oeuvre une politique constitutionnelle définie au préalable838. Le type d?interprétation choisi est dans ce cas fonction des finalités que le juge attribue à la Constitution. S?agissant du Conseil Privé, sa nouvelle méthode d?interprétation est guidée par l?objectif de maintenir un équilibre de type Westminster entre les pouvoirs publics et de protéger les droits de l?homme. L?objet et le but de la Constitution occupent une place primordiale dans le système jurisprudentiel du juge londonien. Ainsi, les Lords judiciaires commencent par choisir une interprétation qui pourra corroborer avec le sens

834 CJCP: 6 juin 1935, British Coal Corporation c/ The King, cité note 160.

835 CJCP: 5 novembre 1975, Moses c/ The Queen, cité note 233.

836 Le retour à l?interprétation téléologique était nécessaire d?autant que certains tribunaux des pays qui avaient aboli le droit de recours au Conseil Privé élaboraient une jurisprudence plus libérale sur certains points. V. OKPALUBA Chucks: «Judicial approach to constitutional interpretation», Matt Madek and Company, 1992, 570 p.

837 TROPER Michel: «Le problème de l?interprétation et la théorie de la supralégalité constitutionnelle», pp. 133 à 151 in RECUEIL D?ETUDES EN L?HOMMAGE DE CHARLES EISENMANN, Editions Cujas, 1975, 467 p., v. p. 147.

838 Cette méthode de Lord Diplock a été dénoncée par deux membres du Conseil Privé, Vicomte Dilhorne et Lord Fraser of Tullybelton, in CJCP: 5 novembre 1975, Moses Hinds c/ The Queen, cité note 233, v. p. 396.

attribué au texte839. L?interprétation n?est pas simplement un acte de connaissance mais surtout de volonté. L?interprète crée le sens qu?il substitue au texte840.

Lord Diplock part de l?idée suivante: les nouvelles Constitutions du Commonwealth, dont celle de l?île Maurice, sont des textes juridiques de nature complètement différente de celle d?une Loi ordinaire. La Constitution est un document de compromis entre les représentants des principaux groupes politiques. Elle n?a pas été élaborée par une Assemblée constituante. Elle n?a constitutionnalisé que de manière évolutive et non révolutionnaire les institutions publiques841. Le caractère évolutif impose nécessairement au juge l?obligation de poursuivre la politique convenue par les représentants lors de l?écriture de la Constitution. Le juge doit faire appel à la logique interne du texte, à sa cohérence globale et à ses finalités842, en somme, à l?esprit de la Constitution.

Les jurisprudences successives du Comité Judiciaire sont très illustratives de cette approche. Dans l?arrêt Ministère de l?Intérieur c/ Fisher843, Lord Wilberforce met l?accent sur la similarité des Constitutions du Commonwealth, notamment leurs catalogues de droits fondamentaux, avec de grands textes internationaux telles la Convention Européenne des Droits de l?Homme et la Déclaration Universelle des Droits de l?Homme844. Autrement dit, les Constitutions sont rédigées en de termes généraux comme des manifestes politiques845. Il s?ensuit que les Constitutions doivent être interprétées dans un

839 «Ainsi, la motivation cherche à faire illusion, à faire croire que la décision est rigoureusement déduite de normes juridiques supérieures», TROPER Michel: «La motivation des décisions constitutionnelles», pp. 287 à 302 in PERELMAN C. et FOIRIERS P.: «La motivation des décisions de justice», Bruxelles, Etablissement E. Bruyant, 1978, 428 p., v. p. 295.

840 AGUILA Yann: «Le Conseil Constitutionnel et la philosophie du droit», LGDJ, Travaux et Recherches Panthéon-Assas,1993, 123 p., v. p. 57.

841 «They (the Constitutions) embody what is in substance an agreement reached between representatives of various shades of political opinion in the state as to the structure of the organs of government... The new Constitutions... were evolutionary, not revolutionary», in CJCP: 5 novembre 1975, Moses Hinds c/ The Queen, cité note 233, v. p. 372.

842 «To seek to apply to constitutional instruments the canons of construction applicable to ordinary legislation in the fields of substantive criminal or civil law would, in their Lordships? view, be misleading», ibid.

843 CJCP: 14 février 1979, Minister of Home Affairs c/ Collins Mac Donnald Fisher, cité note 30.

844 «It is known that this chapter, as similar portions of other constitutional instruments drafted in the post-colonial period... was greatly influenced by the European Convention for the Protection of Human Rights and Fundamental Freedoms. That Convention was signed and ratified by the United Kingdom and applied to dependent territories... It was in turn influenced by the United Nations Universal Declaration of Human Rights of 1948», ibid., p. 328-9.

845 «They are statement of principles of great breath and generality expressed in the kind of language more commonly associated with political manifestos», CJCP: 27 novembre 1979, Torence Thornhill c/ Attorney-General, WLR, 1980, vol. 2, pp. 510 à 520, affaire de Trinité et Tobago, Lord Diplock rédacteur de l'arrêt, v. p. 516.

sens approprié à leur nature, c'est-à-dire, de manière généreuse et libérale846. Ce principe a été appliqué par les Sages du Whitehall avec la même constance à tous les pays entrant dans le champ de leur compétence, dont l?île Maurice847. De même cette jurisprudence fait l?objet d?une attention particulière par la Cour Suprême locale qui dans certains arrêts prolonge avec hardiesse la logique de l?activisme judiciaire848.

Le tournant interprétatif opéré par le Comité Judiciaire représente une avancée significative dans la dynamisation de la Loi Fondamentale. A ce titre, elle peut résolument être vitalisée.

B. La vitalisation de la Constitution

Puisque le Comité Judiciaire a pour fonction de redécouvrir et dynamiser la Constitution, il tend à actualiser la Loi Fondamentale, notamment le catalogue des droits fondamentaux. Son travail d?interprétation prend désormais le caractère d?une activité créatrice (a) et d?impulsion (b).

846 CJCP: 26 mars 1984, Attorney-General c/ Mamoudou Jobe, cité note 743. Lord Diplock soutient que: «A Constitution, and in particular that part of it which protects and entrenches fundamental rights and freedoms to which all person in the state are entitled, is to be given a generous and purposive construction», ibid., p. 183.

847 CJCP: 25 octobre 1984, Société United Docks c/ The Government of Mauritius, LRC, 1985, vol. constitutional, pp. 801 à 850, affaire de Maurice, Lord Templeman rédacteur de l'arrêt de l?arrêt, v. p. 841.

848 CSM: 27 octobre 1995, Marie Gérard Christian Pointu c/ The Minister of Education and Science, Le Mauricien, 28 octobre 1995, pp. 6 à 7, les juges Paul Lam Shang Leen, Vinod Boolell et Eddy Balancy rédacteurs de l'arrêt.

a. La création des droits non écrits ou l'extension du bloc de constitutionnalité

Les conseillers privés ont une conception vivante du droit constitutionnel et ont développé une fonction de suppléance du Comité Judiciaire au constituant. Ils comblent certains vides juridiques au bloc de constitutionnalité car la liste des droits fondamentaux ne doit pas être limitée. Lord Diplock considère que les Constitutions du Commonwealth, du fait qu?elles sont des textes de compromis politiques, comportent nécessairement des notions vagues et indéterminées et des lacunes dans leurs énoncés849. Certains principes fondamentaux n?ont pas été mentionnés dans les Constitutions. Des normes de rang constitutionnel existent en dehors de la Loi constitutionnelle. Le Comité Judiciaire attribue valeur constitutionnelle à certaines pratiques ou certaines lois antérieures à l?entrée en vigueur des Lois constitutionnelles des pays du Commonwealth. Cette méthode d?élévation des normes à la dignité constitutionnelle s?apparente à la technique française de création des principes à valeur constitutionnelle. Ceux-ci ne sont pas prévus par la Constitution. Dans certains cas, le juge prolonge une norme constitutionnelle et dans d?autres, il crée ex nihilo des principes. Par exemple, le juge londonien considère que le droit accordé à toute personne gardée à vue de pouvoir communiquer et d?être assisté d?un conseiller juridique impose aux services de police judiciaire un devoir d?information à l?égard du gardé à vue850. De même, il dégage avec force de l?article 10 de la Constitution de Maurice sur l?impartialité et l?indépendance des tribunaux le principe selon lequel il appartient exclusivement aux juges devant lesquels une affaire a été débattue d?en délibérer851. Aussi, le Conseil Privé considère que le principe de la séparation des pouvoirs est inhérent au modèle Westminster de Constitution. Ce principe n?est rattaché à aucun texte mais le juge londonien l?engendre852. Ici, le lien avec un texte constitutionnel n?apparaît pas mais le juge proclame le principe.

L?interprétation du texte de la Constitution a lieu dans une perspective normative853. Le droit constitutionnel perd sa signification sans la réinterprétation continuelle de son contenu normatif. L?attitude des Lords

849 «Because of this a great deal can be, and in drafting practice often is, left to necessary implication from the adoption in the new Constitutions of a governmental structure which makes provision for a legislature, an executive and legislature... As respects the judicature, particularly if it is intended that the previously existing courts shall continue to function, the Constitution may even omit any express provision concerning judicial power upon the judicature», CJCP: 5 novembre 1975, Moses Hinds c/ The Queen, cité note 233, v. p. 372.

850 CJCP: 17 avril 1991, Attorney-General c/ Wayne Whiteman, WLR, 1991, vol. 2, pp. 1200 à 1205, affaire de Trinité et Tobago, Lord Keith of Kinkel rédacteur de l'arrêt. V. infra.

851 CJCP: 20 juillet 1987, Pierre Simon André Sip Heng Wong Ng c/ The Queen, cité note 521.

852 CJCP: 5 novembre 1975, Moses Hinds c/ The Queen, cité note 233, v. p. 384. V. infra.

853 STAMANTIS Constantin M.: «Argumenter en droit, une théorie critique de l?argumentation juridique», Paris, Publisud, 1995, 241 p., v. p. 72 et s.

judiciaires rejoint la théorie de Monsieur le Professeur Ronald Dworkin pour qui le juge ressemble à un écrivain chargé d?ajouter un chapitre dans un roman entamé par d?autres personnes, ce qui est un processus intellectuel sans fin. La cohésion est assurée par l?obligation des juges de retenir l?interprétation la plus conforme aux principes généraux de droit, de justice et d?équité854.

b. L'impulsion

Si le Comité Judiciaire ne s?est pas attribué un pouvoir d?invocation d?office d?un moyen d?annulation d?une Loi, en revanche, il s?autorise à statuer au-delà des termes d?un pourvoi. Il assure un contrôle global du point de droit soulevé. Le juge londonien ne tend pas seulement à trancher un litige mais remédie aux situations objectives. Sa juridiction est dans ce cas volontaire et non obligatoire. Il exerce des fonctions extrajuridictionnelles. Par exemple, il peut critiquer les malfaçons rédactionnelles d?une Loi855. De même, lorsque le juge londonien crée un principe à valeur constitutionnelle, il donne par là même des directives aux autorités locales sur sa mise en oeuvre. Par exemple, en créant le principe de l?identité obligatoire entre les juges à l?audience et les juges du délibéré, les Lords suggèrent aux autorités publiques mauriciennes de prendre des mesures pour son application et leur proposent de se référer à la loi anglaise y relative856. Par ailleurs, la création des droits nouveaux amplifie le problème de conciliation que posent les applications concrètes des principes constitutionnels et le juge de la Downing Street tend par anticipation à résoudre les difficultés en formulant des conseils. Concernant le problème d?engorgement des tribunaux, le Conseil Privé recommande aux autorités, en l?occurrence celles de la Jamaïque, de trouver une solution qui maintiendra un équilibre entre le droit fondamental de tout individu d?être jugé dans un délai raisonnable et l?intérêt public de conserver une bonne justice non expéditive. Il récuse l?idée de remédier aux faits de retard par la simple création de tribunaux additionnels857. A la fin d?un arrêt, le Conseil Privé peut analyser les défectuosités législatives

854 DWORKIN Ronald: «Law?s Empire», Londres, Fontana Press, 1991, 470 p., v. p. 229 et s.

855 CJCP: 7 novembre 1983, The Commissioner of Income Tax c/ Espérance Company Ltd., cité note 825. Dans cette affaire Lord Bridge of Harwich parle du «style imprécis qui caractérise les législations à Maurice».

856 CJCP: 11 novembre 1991, Curpen c/ Regina, LRC, 1992, vol. criminal, pp. 120 à 125, affaire de Maurice, Lord Goff of Chieveley rédacteur de l'arrêt. «it would, in their (Lordships?) opinion, be possible for such a provision to be made, in an appropriate case consistently with section 10(1) of the Constitution of Mauritius. Examples of provisions of this kind are to be found in section 9 of the Criminal Justice Act 1967 applicable in England, concerned with the admissibility of written statements in evidence...», ibid., p. 125.

857 «Delays are inevitable. The solution is not necessarily to be found in an increase in the supply of legal services by the appointment of additional judges, the creation of new courts and qualification of additional lawyers... An injudicious attempt to expand an existing system of courts, judges and practitioners could lead to the deterioration in the quality of the justice administered», CJCP: 30 avril 1985, Hubert Bell c/ The Director of Public Prosecutions, cité note 756, v. p. 81 à 82.

et réglementaires et appeler des réformes. Il exerce ainsi une sorte de fonction d?appel au législateur ou à l?exécutif858.

*

Devient-il alors un juge qui gouverne ? Ce risque peut apparaître

imminent du fait que le Comité Judiciaire est juge du législateur et de l?exécutif, donc du pouvoir. Il serait en mesure d?exercer une influence politique surtout lorsqu?il fait oeuvre créatrice859. Il pourrait faire prévaloir ses propres conceptions et faire échec aux décisions émanant des organes investis de la confiance du peuple. Il serait erroné de conclure que le spectre du gouvernement des juges londoniens est réel. Ceux-ci usent de leurs moyens avec beaucoup de prudence tout en demeurant rigoureux sur le respect des principes fondamentaux. Le juge londonien refuse de faire ce qu?il qualifie d?être de la divination, c'est-à-dire, aller à l?encontre du texte fondamental860.

Après l?étude de l?interprétation par le juge londonien du texte fondamental, qui lui permet de définir le champ constitutionnel, il convient maintenant d?analyser les techniques de contrôle des normes inférieures à l?égard de la norme supérieure redéfinie et éventuellement les sanctions prononcées par le juge.

Sous-section 2. Les techniques et les types de contrôle

L?interprétation large de la Constitution permet de vivifier la Norme Fondamentale. La confrontation d?une norme ordinaire, notamment la Loi et le règlement, à la Constitution amène le Comité Judiciaire à mettre en oeuvre des techniques d?élargissement des bases du contrôle (paragraphe 1). Ces techniques d?élargissement des bases du contrôle peuvent se distinguer de celle d?extension du champ constitutionnel par l?interprétation. L?élargissement des bases du contrôle est une technique complexe qui vise d?abord à accroître le pouvoir de

858 A l?inverse de la Cour de Cassation française qui établit annuellement un rapport, le Conseil Privé, en dépit du principe de la séparation des pouvoirs, participe régulièrement à l?élaboration des lois futures.

859 Selon Monsieur le Doyen George Vedel, «la vraie pierre de touche du gouvernement des juges se trouve dans la liberté que le juge constitutionnel s?octroie non d?appliquer la Constitution ou de l?interpréter même de façon constructive, mais, sous quelque forme que ce soit, de la compléter sinon de la corriger par des règles qui sont sa propre création», in ANGUILA Yann: «Cinq questions sur l?interprétation constitutionnelle», RFDC, 1995, pp. 9 à 46, v. p. 9.

860 CJCP: 13 décembre 1995, La Compagnie Sucrière de Bel Ombre Ltée c/ The Government of Mauritius, affaire de Maurice, Lord Woolf rédacteur de l'arrêt. Le juge londonien applique ici le raisonnement du juge constitutionnel de l?Afrique du Sud. V. CCSA: 5 avril 1995, State c/ Zuma, SALR, 1995, vol. 1, pp. 642 à 664, le juge Kentridge rédacteur de l'arrêt. Il souligne que: «If the language used by the lawgiver is ignored in favour of a general resort to values?, the result is not interpretation but divination», v. p. 653.

contrôle du juge en ce sens qu?il permet de confronter la norme, non à un texte, mais à des valeurs extérieures.

Au terme de son contrôle, le Comité Judiciaire prononce plusieurs types de décision en vue de faciliter leur exécution (paragraphe 2).

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"Un démenti, si pauvre qu'il soit, rassure les sots et déroute les incrédules"   Talleyrand