WOW !! MUCH LOVE ! SO WORLD PEACE !
Fond bitcoin pour l'amélioration du site: 1memzGeKS7CB3ECNkzSn2qHwxU6NZoJ8o
  Dogecoin (tips/pourboires): DCLoo9Dd4qECqpMLurdgGnaoqbftj16Nvp


Home | Publier un mémoire | Une page au hasard

 > 

Le Comité Judiciaire du Conseil Privé de la Reine Elisabeth II d'Angleterre et le Droit Mauricien

( Télécharger le fichier original )
par Parvèz A. C. DOOKHY
Université Paris I Panthéon-Sorbonne - Docteur en Droit 1997
  

précédent sommaire suivant

Bitcoin is a swarm of cyber hornets serving the goddess of wisdom, feeding on the fire of truth, exponentially growing ever smarter, faster, and stronger behind a wall of encrypted energy

Paragraphe 2. Les types de décision

Du fait que le Comité Judiciaire est une juridiction de cassation (on peut dire de deuxième degré lorsqu?il contrôle la Loi par la voie d?action), ses décisions prennent une variété de formes afin d?être mieux exécutées et modulées selon les circonstances propres à chaque affaire.

En effet, un texte peut être déclaré absolument conforme à la Constitution ou conforme sous réserves. Dans cette dernière hypothèse, le Comité Judiciaire, bien qu?il dégage à l?issue de son examen des imperfections au texte litigieux au regard de la Constitution, ne le déclare pas pour autant contraire à celle-ci. Il rétablit la constitutionnalité de la norme en la donnant une nouvelle signification ou une nouvelle lecture, la seule autorisée (A).

A l?inverse, il peut aussi annuler une norme en la déclarant non conforme à la Loi Fondamentale (B).

908 NORDELL Gordon: «Presumed innocence, proportionality and the Privy Council», LQR, 1994, pp. 223 à 228.

909 «The presumption is rebuttable. Parliament cannot evade a constitutional restriction but a colourable device: Ladore v. Bennet (1939), AC, 468, 482. But in order to rebut the presumption their Lordships would have to be satisfied that no reasonable member of Parliament who understood correctly the meaning to the relevant provision of the Constitution could have supposed that hearings in camera (provisions of the Act impugned) were reasonably required for the protection of any of the interests referred to, or in other words, that Parliament in so declaring was either acting in bad faith...»,CJCP: 5 novembre 1975, Moses Hinds c/ The Queen, cité note 233, p. 383.

A. La lecture (construction) de la Loi

Une analyse approfondie de la jurisprudence londonienne nous amène à constater ceci. Plutôt que de déclarer inconstitutionnelle une Loi, le Comité Judiciaire préfère, pour ne pas dire que les représentants du peuple ont méconnu la Constitution, façonner lui-même la norme à travers des techniques sophistiquées, subtiles et souples ou faire, selon la terminologie anglaise, une construction de la norme de sorte à la rendre conforme à la Constitution.

Cette attitude s?inscrit dans une logique que nous avons déjà souligné. Le Comité Judiciaire accorde aux Lois une présomption réfragable de conformité910 en vertu de la maxime d?interprétation selon laquelle on doit dans la mesure du possible attribuer un sens à tous les termes d?une norme (magis est ut res valeat quam pereat). Si l?inconstitutionnalité d?une Loi est minime ou repose sur un doute quant à la manière selon laquelle elle serait appliquée, le juge londonien réécrira la Loi et la présomption ne sera pas renversée. En ce sens également, l?article 5-1 de l?Ordonnance en Conseil du 4 mars 1968 portant sur l?indépendance de Maurice dispose que les tribunaux doivent interpréter et construire des textes édictés avant l?entrée en vigueur de la Constitution conformément à celle-ci911.

Il est classique en droit public français de distinguer la lecture (ou l?interprétation) constructive (a) de la lecture neutralisante (b). Nous suivrons, pour la commodité de la synthèse la même typologie.

a. La lecture constructive

La lecture constructive est une méthode par laquelle le juge londonien ajoute une signification supplémentaire au texte afin de supprimer l?éventuel risque de non-conformité à la Constitution. Il y a lieu de distinguer cette technique de la vitalisation de la Constitution déjà rencontrée. Ici, le juge complète la Loi qui est trop vague et abstraite ou délègue trop de pouvoirs à une autorité. Le juge donne des directives précises aux autorités publiques sur le sens supplémentaire à donner au texte litigieux. L?exemple le plus

910 «It should be presumed, until the contrary is established clearly, that legislation adopted by Parliament is valid and within the Constitution», CJCP: 22 mars 1994, Fakeemeah Chel Mohamad c/ Essouf Amanoullah Ahmad, WLR, vol. 1, pp. 697 à 707, affaire de Maurice, Lord Slynn of Hadley rédacteur de l'arrêt, v. p. 704.

911 «... any existing laws... shall be construed with such modifications, adaptations, qualifications and exceptions as may be necessary to bring them into conformity with the Mauritius Independence Act 1968 and this Order», in ATTORNEY GENERAL?S OFFICE, cité note 219, vol. 1, p. 63 et s.

caractéristique et manifeste d?une lecture constructive par le Comité Judiciaire se trouve dans une affaire antillaise912. Une Ordonnance en Conseil de 1959 avait prévu que le Gouverneur était habilité en période de crise à prendre toute mesure qu?il jugeait opportune pour maintenir l?ordre public. Il disposait d?un pouvoir exécutif et législatif étendu. Le Comité Judiciaire considère que doit être rajouté à l?Ordonnance précitée la condition selon laquelle le Gouverneur ne pouvait prendre les mesures normatives proportionnées et raisonnables par rapport aux circonstances913.

De même dans l?arrêt Momoudou Jobe914, les Lords avaient à interpréter une loi elliptique915 et avaient incorporé dans le texte les dispositions manquantes916 dans le but de prévenir son inconstitutionnalité.

Cette technique d?interprétation positive de la norme ordinaire a aussi été utilisée dans des affaires mauriciennes. Par exemple, dans l?affaire Wong Ng917, les Sages de la Downing Street admettent que la constitutionnalité de l?article 124 de la Loi de 1945 sur les juridictions sous réserve de l?interpréter selon sa lecture. Cet article prévoit le remplacement des magistrats empêchés au cours du déroulement de l?instance. Les juges londoniens posent des conditions à la déclaration de conformité de cet article. Le changement de magistrat ne peut avoir lieu pendant le procès sauf si l?audition des témoins, autrement dit la procédure, soit recommencée. Cette condition est impérative à la constitutionnalité de l?article 124 au regard de l?article 10-1 de la Constitution de Maurice garantissant le droit à un procès équitable918.

912 CJCP: 25 juin 1979, Attorney-General of Christopher Nevis and Aguilla c/ John Joseph Reynolds, WLR, 1980, vol. 2, pp. 171 à 189, affaire antillaise, Lord Salmon rédacteur de l'arrêt.

913 «Their Lordships are of opinion that the Order in Council should be construed in accordance with section 103-1 and in the light of section 14 of the Constitution as follows: The Governor of State may make such laws... to the extent that those laws authorise the taking of measures that are reasonably justifiable for dealing with the situation that exists in the State during any such period of public emergency», p. 182.

914 CJCP: 26 mars 1984, Attorney-General c/ Momoudou Jobe, cité note 743.

915 «... sections 8 and 10 of the Act which their Lordships have just been examining is characterised by an unusual degree of ellipsis that has made it necessary to spell out explicitly a great deal that is omitted from the actual words appearing in the sections and has to be deprived by implication from them», ibid., p. 184.

916 «... their Lordships have found no difficulty in construing sections 8 and 10 of the Act as incorporating by necessary implication provisions which prevent these portions of the Act from contravening any of the provisions of chapter III of the Constitution», p. 184.

917 CJCP: 20 juillet 1987, Pierre Simon André Sip Heng Wong Ng c/ The Queen, cité note 851.

918 «This section (124 of the Courts Act) cannot bear the construction placed upon it by the Court of Appeal, for to do so would conflict with the right to a fair trial provided by section 10(1) of the Constitution. If after part of the evidence has been heard in a trial which the accused pleads not guilty, it becomes necessary to replace a magistrate, there is no alternative but to recommence the trial and recall the evidence that all magistrates hear all the evidence and the submissions made on behalf of the accused», ibid., p. 1360.

Il est possible de soutenir que le juge londonien, en statuant ainsi, s?arroge d?un quasi pouvoir normatif et prononce des arrêts de règlement. Pour notre part, nous pensons qu?une telle conclusion est davantage imagée que rigoureuse. Le juge ne fait que combler les vides inconstitutionnels de la Loi. L?interprétation constructive de la Loi apporte des garanties supplémentaires aux citoyens et impose des obligations aux seuls pouvoirs publics.

L?interprétation neutralisante produit l?effet inverse en ce sens qu?elle diminue le pouvoir des organismes publics à l?encontre des citoyens.

b. La lecture neutralisante

L?interprétation neutralisante est une méthode de contrôle fluide de la Loi couramment utilisée en droit britannique. Nous avons précédemment vu comment le juge anglais, à travers son pouvoir interprétatif, rend la Loi conforme aux grands principes de la Common Law. La mise en oeuvre de cette technique dans le contentieux constitutionnel du Commonwealth poursuit la même logique du contrôle souple britannique. Le Comité Judiciaire ne peut exercer qu?un contrôle a posteriori de la Loi. La nécessité de maintenir la stabilité de celle-ci justifie sa conciliation à la Norme Fondamentale. Cette méthode appartient au domaine de prédilection du Comité Judiciaire.

La déclaration de conformité d?un texte juridique à la Constitution sous réserve de la lecture opérée par le Comité Judiciaire tend à rendre inopérantes les dispositions du texte qui sont potentiellement contraires à la norme de référence. Ainsi, dans l?affaire Reynolds précitée919, le Comité Judiciaire considère que les termes «si le gouverneur estime qu?une personne ait commis un acte de sédition» de l?Ordonnance relative aux pouvoirs de crise de 1967 ne peuvent en aucun cas conférer un pouvoir absolu ou dictatorial au Gouverneur lors de son appréciation, mais signifient qu?il doit fonder sa décision et utiliser ses pouvoirs qu?en cas de nécessité. Les juges londoniens écartent l?interprétation de l?Ordonnance qui la mettrait en contradiction avec la Constitution du pays920.

La décision de conformité sous réserve d?interprétation neutralisante n?est pas encore appliquée par le Comité Judiciaire dans les affaires

919 CJCP: 25 juin 1979, Attorney-General of Christophern Nevis and Anguilla c/ John Joseph Reynolds, cité note 912.

920 «Their Lordships consider that it is impossible that a regulation made on May 30, 1967... could be properly construed as conferring dictatorial powers on the Governor», ibid., p. 183.

mauriciennes. Cette technique a été simplement évoquée par le juge londonien dans l?affaire La Compagnie Sucrière de Bel Ombre Ltée921. Cependant, la Cour Suprême, de tendance conservatrice, utilise la technique même dans des cas d?inconstitutionnalité flagrante afin de ne pas censurer expressément les représentants du peuple. Par exemple, la Loi sur la nationalité mauricienne de 1968 attribue au ministre des naturalisations le pouvoir discrétionnaire d?accorder ou de refuser la naturalisation à l?étranger qui en fait la demande. L?article 17-2 de la Loi dispose que la décision du ministre n?est susceptible d?aucun contrôle du juge. Or cet article est en conflit avec l?article 76 alinéa premier de la Constitution qui dispose que la Cour Suprême est investie d?une compétence générale pour entendre ou juger tout procès civil ou pénal. La Cour, dans l?arrêt Esther922 constate que le législateur n?est pas habilité à exclure du contrôle juridictionnel une décision administrative. La Cour Suprême est investie d?un pouvoir de contrôle général de la légalité des actes administratifs. La neutralisation partielle de la Loi sur les naturalisations est discrète alors même que sa conciliation avec la Constitution est difficile.

B. Invalidation de la norme

Comme le modèle mauricien de contrôle de constitutionnalité est mixte, les décisions d?inconstitutionnalité prononcées par le Comité Judiciaire connaissent deux types de figure. Certes la Constitution énonce dans son article 2 que toute loi non conforme à elle est, dans la mesure de sa non-conformité, nulle et non avenue (void). A l?occasion d?un contrôle par la voie d?action, le Comité Judiciaire peut invalider la norme qui disparaît de l?ordre juridique. La décision produit ses effets erga omnes et possède une valeur de res judicata. Par contre, une incertitude subsiste quant à l?effet de l?annulation de la norme lorsque le Comité Judiciaire statue par la voie d?exception. Dans certains cas, les juges déclarent dans le dispositif de la décision que la norme litigieuse est invalidée923, donc son application n?est pas seulement écartée. Dans d?autres cas, le juge peut simplement déclarer que la Loi viole la Constitution mais ne prononce pas son annulation924. Dans l?affaire Marine Workers, la procédure

921 CJCP: 13 décembre 1995, La Compagnie Sucrière de Bel Ombre Ltée c/ The Government of Mauritius, cité note 860.

922 CSM: 17 juin 1983, Esther c/ The Prime Minister, LRC, 1985, vol. constitutional, pp. 429 à 437, les juges Espitalier-Noël et Lallah rédacteurs de l'arrêt.

923 CJCP: 18 février 1992, Ali c/ Regina, 635. Lord Keith of Kinkel écrit que: «it follows that the constitutional vice which their Lordships have found to exist stems from section 38(4) of the 1986 Act which must accordingly be held to be invalid», ibid., p.411.

924 CJCP: 25 octobre 1984, Marine Workers Union c/ Mauritius Marine Authority, cité, note 905. Lord Templeman déclare que: «It suffices that the Amendment Act was a coercive act of the Government which alone deprived and was intended to deprive the appellants of property without compensation and thus infringed the Constitution», ibid., p. 850.

utilisée -une action en déclaration (declaratory action)- justifie la décision du juge londonien. En effet, dans le cadre d?un tel type de recours925, le juge ne se prononce que sur les droits des parties sans trancher le litige. Dans le contentieux constitutionnel, la déclaration ne produit qu?un effet inter partes. Mais, l?effet erga omnes de la décision peut être obtenu indirectement grâce à l?application par les juridictions de la règle du précédent.

Sous le bénéfice de cette observation d?ordre général, on abordera les deux types de décisions d?invalidation, l?invalidation partielle (a) et l?invalidation totale (b).

a. L'invalidation partielle

A défaut de pouvoir interpréter une Loi pour la rendre conforme à la Constitution, le Comité Judiciaire, dans l?objectif d?éviter autant que possible tout conflit avec le législateur, cherche à invalider que les dispositions contraires à la Loi. La Haute Instance applique deux critères, les mêmes que le Conseil Constitutionnel français utilise pour apprécier le caractère détachable (severable) des dispositions inconstitutionnelles de la Loi.

D?abord, la Haute Instance recherche si malgré l?amputation des dispositions censurées, la Loi reste applicable. Au cas où les dispositions annulées sont inextricablement liées à l?ensemble de la Loi, cette dernière ne sera plus appliquée926. A supposer que la Loi demeure applicable, le juge londonien analyse alors si les dispositions censurées avaient une importance telle que les parlementaires, sans elles, n?auraient adopté la Loi927. Toute la Loi est annulée si les dispositions censurées constituaient l?élément essentiel de la Loi. Ce dernier critère, malgré la référence aux travaux préparatoires, entraîne nécessairement le juge dans un examen subjectif de l?intention du législateur. Il s?efforce d?imaginer, dans une sorte de considérant de balai, ce qu?aurait fait le législateur 928.

925 Une action en déclaration est une procédure d?origine de droit privé. V. WADE William, Sir: «Administrative law», Oxford, Clarendon Press, 1995, 7e édition, 1039 p., v. p. 591.

926 «The real question is whether what remains is so inextricably bound up with the part declared invalid that what remains cannot independently survive», CJCP: 27 juillet 1947, AttorneyGeneral for Alberta c/ Attorney-General for Canada, AC, 1947, pp. 503 à 520, affaire de Canada, Vicomte Simon rédacteur de l'arrêt, v. p. 518.

927 «... or as it has sometimes been put, whether on a fair review of the whole matter it can be assumed that the legislature would have enacted what survives without enacting the part that is ultra vires at all», ibid.

928 «It can, in their Lordships? view, be confidently assumed that the Parliament of Gambia would have enacted the remainder of the Act without enacting section 8(5) at all», CJCP: 26 mars 1984, Attorney-General c/ Momoudou Jobe, cité note 743, v. p. 185.

Cependant, souvent aussi, le Comité Judiciaire ne se prononce pas sur la séparabilité de la disposition annulée et, ainsi, elle ne se dégage qu?implicitement du dispositif929.

b. L'invalidation totale

L?invalidation totale d?une Loi est rarement prononcée par le juge londonien. Il opère nécessairement un contrôle a posteriori de la Loi. Le juge de la Downing Street ne statue qu?après un minimum de deux années suite à l?entrée en vigueur de la Loi et une déclaration de non-conformité totale pourrait causer de graves conséquences et un grand vide juridique930. L?annulation partielle offre aux autorités publiques l?avantage de pouvoir procéder à une conformisation de la Loi de manière chirurgicale. Une Loi peut réformer la seule disposition invalidée en tenant compte de la décision du Comité Judiciaire. Ainsi, lors de la procédure législative, les parlementaires et surtout le gouvernement bénéficient de l?avantage de ne devoir examiner une multitude d?amendements qu?auraient pu déposer les groupes de l?opposition s?il avait fallu reprendre l?examen de tous les articles de la Loi.

Toutefois dans le cas particulier où la procédure d?élaboration de la Loi est irrégulière, l?annulation totale de celle-ci est la sanction inévitable. Le juge apprécie alors le caractère substantiel de l?irrégularité qui seul justifie la sanction suprême.

929 V. par exemple CJCP: 18 février 1992, Ali c/ Regina, cité note 635.

930 V. par exemple CJCP: 5 novembre 1975, Moses Hinds c/ The Queen, cité note 233. Le juge invalide les dispositions déterminantes de la Loi créant la Cour des Armes à Feu (Gun Court) mais n?annule pas complètement la Loi.

précédent sommaire suivant






Bitcoin is a swarm of cyber hornets serving the goddess of wisdom, feeding on the fire of truth, exponentially growing ever smarter, faster, and stronger behind a wall of encrypted energy








"Le don sans la technique n'est qu'une maladie"