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Le Comité Judiciaire du Conseil Privé de la Reine Elisabeth II d'Angleterre et le Droit Mauricien

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par Parvèz A. C. DOOKHY
Université Paris I Panthéon-Sorbonne - Docteur en Droit 1997
  

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Paragraphe 1. Les exigences d'une bonne justice

Dans un véritable Etat de droit et dans une société démocratique, le citoyen bénéficie, outre des libertés proclamées, des droits de sauvegarde des garanties fonctionnelles et effectives de ses libertés.

L?un de ces droits est la garantie promise à chaque citoyen, pour la défense de sa personne, de bénéficier d?un procès équitable (A), ce qui assure la sauvegarde d?une bonne justice. La célérité du procès est aussi un aspect de l?équité. Toutefois, du fait de l?importance des problèmes posés par la lenteur de la procédure en contentieux mauricien, nous traiterons séparément la question de la célérité (B).

A. Le droit à un procès juste et équitable

A la manière de la Convention Européenne des Droits de l?Homme, la garantie du procès juste et équitable est consubstantielle à l?esprit même des catalogues des droits fondamentaux qui existent dans les pays ayant des Constitutions du type Westminster.

Dans les affaires portées au Comité Judiciaire, les exigences de l?équité se sont focalisées sur l?organe même du tribunal et le procès: sur le tribunal le grief invoqué par les requérants était tiré des manquements à son caractère

adéquat (a) et sur le procès, il a souvent été question de la garantie de l?innocence de l?accusé ou du prévenu pendant le déroulement du procès (b).

a. Le caractère adéquat du tribunal

Vu la spécificité de l?organisation judiciaire et de la profession d?avocat à l?île Maurice, la loi et la jurisprudence locales ont autorisé le changement de composition d?une formation de jugement survenu même au cours d?un procès. L?article 124 de la Loi de 1945 sur les juridictions (section 124 of the Courts Act 1945) dispose en effet qu?en cas d?empêchement d?un magistrat à la Cour de District ou à la Cour Intermédiaire (District or Intermediate Court), le Chef- Juge peut désigner un magistrat pour le remplacer. Le magistrat remplaçant poursuit l?audience, éventuellement jusqu?à son terme et prononce la décision.

Une illustration de cette pratique se trouve dans l?affaire Wong Ng, évoquée plus haut dans d?autres contextes. Le procès de Sieur Wong Ng avait débuté en décembre 1981 devant la Cour Intermédiaire composée de deux magistrats mais avait été ajourné plusieurs fois. Il ne prit fin qu?en octobre 1984. Entre-temps un changement était intervenu dans la composition du tribunal. Le magistrat remplaçant, qui avait participé au délibéré, n?avait pas assisté à toutes les audiences de la cause alors que son appréciation des faits avait été déterminante dans la mesure où la Loi de 1945 exige une décision unanime quand le tribunal est composé de deux magistrats932.

Les juges du Comité Judiciaire933 n?endossent pas une telle pratique934 à l?inverse de la Cour locale. Ils considèrent que le droit à un procès juste et équitable contenu dans l?article 10 de la Constitution mauricienne constitue un des fondements essentiels du système juridique. Dans un procès pénal, les magistrats ou les jurés qui se prononcent sur la culpabilité du prévenu ou de l?accusé doivent avoir entendu et examiné personnellement tous les témoignages produits à l?audience935. En effet, la procédure devant les juges répressifs doit privilégier le caractère oral du fait de la règle de l?intime conviction des magistrats. Ils doivent se décider qu?au vu des preuves soumises au débat. L?appréciation de la véracité des témoignages oraux dépend en large partie de la

932 Article 85 de la Loi de 1945 sur les juridictions.

933 CJCP: 20 juillet 1987, Pierre Simon André Sip Heng Wong Ng c/ The Queen, cité note 851.

934 La jurisprudence du Comité Judiciaire est sensiblement proche de celle de la CEDH: 6 décembre 1988, Barberà c/ Espagne, PCEDH, 1989, série A, vol. 146, 51 p.

935 «Those charged with returning a verdict in a criminal case have the duty cast upon them to assess and determine the reliability and veracity of the witnesses who give oral evidence and it is upon this assessment that their verdict will ultimately depend», CJCP: 20 juillet 1987, Pierre Simon André Sip Heng Wong Ng c/ The Queen, cité note 851, v. p. 1359.

prestation même des témoins. Certains éléments conditionnent la véracité du témoignage, tels le ton de la voix et les gestes. Ces éléments n?apparaissent pas à la lecture par le magistrat remplaçant du rapport et des notes établis par le magistrat remplacé. Le Comité Judiciaire considère que les juges qui n?ont pas assisté à l?intégralité des opérations de justice à propos desquelles ils statuent doivent se récuser936. En cas de défaillance et remplacement de l?un des magistrats au cours de la procédure du jugement, la cour doit recommencer les audiences tout au début. Les Lords ont dans cette affaire invoqué à l?appui de leur raisonnement plusieurs précédents anglais937 et un du Conseil Privé938.

La Cour Suprême a été constamment hostile à reconnaître au principe d?équité une portée aussi large. Dans l?arrêt Wong Ng939, elle n?exprime qu?un regret à propos de la méconnaissance d?une telle institution940. Elle accorde à la Loi coloniale sur les juridictions de 1945 un brevet de constitutionnalité et la considère comme faisant écran à l?exigence de l?équité.

En réaction au précédent et au principe protecteur de la défense posé par le Comité Judiciaire dans l?affaire Wong Ng941, la Cour Suprême locale marque sa désapprobation de deux manières bien qu?elle s?estime liée par l?arrêt des juges londoniens. Dans un cas, la Cour reconnaît la force obligatoire et impérative de l?arrêt de la juridiction supérieure, mais analyse et présente longuement, parfois même en outrepassant la mesure, des difficultés pratiques posées à l?administration de la justice dans l?hypothèse où la jurisprudence du Conseil Privé serait appliquée942. Le principe du Conseil provoquerait un accroissement excessif de la durée du procès, voire un désordre et chaos

936 «If they have not had the opportunity to carry out this vital part of their function as judges of the facts, they are disqualified from returning a verdict and any verdict they purport to return must be quashed», ibid.

937 V. par exemple HC: 3 novembre 1936, Fulker c/ Fulker, All ER, 1936, vol. 3, pp. 636 à 640, Sir Boyd Merriman rédacteur de l'arrêt.

938 CJCP: 28 juin 1867, The Attorney-General of our Lady the Queen for the Colony of the New South Wales c/ Henry Louis Bertrand, cité note 404.

939 CSM: 24 juin 1985, Pierre S. André Sip Heng Wong Ng c/ The Queen, Le Chef-Juge Moollan et le juge Forget rédacteurs de l'arrêt. Ils y appliquent la jurisprudence de principe posée par la Cour. V. CSM: 22 janiver 1980, Audibert c/ Raghoonundun, MR, 1980, pp. 7 à 11, le juge Moollan rédacteur de l'arrêt.

940 «Although it is a matter of regret that the two magistrates who heard most of the evidence could not deliver the final judgment, yet, at least one was present throughout», in CSM: 24 juin 1985, Pierre S. André Sip Heng Wong Ng c/ The Queen, cité note, 939.

941 Les Sages du Whitehall ont appliqué la même exigence dans une affaire de la Jamaïque. V. CJCP: 20 juillet 1987, Beswick c/ Regina, LRC, vol. criminal, pp. 6 à 10, Lord Griffiths rédacteur de l'arrêt. Le Lord-Chancelier Mackay of Clashfern faisait partie de la formation du jugement ayant prononcé cet arrêt.

942 Les juges mauriciens invoquent l?éloignement géographique des Lords et leur manque de connaissance des situations locales. «Now, the delays inherent to our judicial process, for a number of reasons which those who do not operate in Mauritian Courts are certainly not aware of...», CSM: 23 novembre 1987, Samputh c/ Regina, LRC, 1988, vol. criminal, pp. 11 à 17, le juge Glover rédacteur de l'arrêt, v. p. 16.

administratif943. Aussi, les juges mauriciens suggèrent que la Loi de 1945 ne devrait être interprétée dans le sens indiqué par le Comité Judiciaire944. Dans un autre cas945, les juges opèrent une distinction entre le principe posé par les Lords dans l?affaire Wong Ng et le problème du cas de l?espèce. Les juges locaux distinguent les témoins qui à la fois déposent à l?audience et sont contre- interrogés de ceux qui ne produisent principalement qu?une affirmation écrite946 et qui ne sont pas contre-interrogés ou pas contre-interrogés substantiellement (not seriously cross-examined). S?agissant de ce dernier type de témoins (formal witnesses), la Cour soutient que le magistrat remplaçant (substitute magistrate) n?a pas l?obligation de les entendre de nouveau et peut simplement prendre connaissance de leurs déclarations écrites. Les juges locaux considèrent irrégulièrement que dans le cas de l?affaire Curpen947, les témoins entendus et contre-interrogés par l?avocat du prévenu avant le changement de composition du tribunal correctionnel tombaient dans la catégorie des témoins qui ne déposent principalement que par écrit (formal witnesses).

Le Comité Judiciaire948 rejette et la classification manifestement erronée de la Cour Suprême949, car les témoins en question ont bien été contre-interrogés et ainsi ont déposé oralement, et la distinction opérée par elle entre l?affaire Curpen et Wong Ng. Le Comité Judiciaire consacre une conception rigoureuse de l?unicité de la composition du tribunal. Le juge britannique, conformément à la tradition de la Common Law, attache aussi un facteur d?apparence à la justice exprimé dans l?adage «il ne suffit pas que la justice soit rendue, mais encore faut-il qu?elle soit apparente, que chacun puisse voir qu?elle soit rendue»950. L?image de la justice, voire de la fiction qu?elle englobe, doit être préservée. Si un magistrat statue sans avoir entendu les témoins ayant déposé à la barre, le

943 «... to start every single case partly heard by a differently constituted Court, whatever the circumstances would be illogical, would cause chaotic administrative problems and cause injustice in the sense that the accused would not, at the end of the day, have had a fair trial within a reasonable time», ibid., p. 13-14.

944 «With great respect, we venture to suggest that if a certain interpretation of what the law is produces chaotic results, it may be opportune to consider whether that interpretation is the correct one», ibid., p. 14.

945 CSM: 28 novembre 1987, Curpen c/ Regina, les juges Pillay et Proag rédacteurs de l'arrêt.

946 Par exemple un agent de police judiciaire qui a mené un interrogatoire et recueilli les déclarations de la personne poursuivie et a donc dressé le procès-verbal de l?interrogation.

947 CSM: 28 novembre 1987, Curpen c/ Regina, cité note 945.

948 CJCP: 11 novembre 1991, Curpen c/ Regina, LRC, 1992, vol. criminal, pp. 120 à 125, affaire de Maurice, Lord Goff of Chieveley rédacteur de l'arrêt.

949 «Before their Lordships, Mr Ollivry submitted that the reasoning of the Supreme Court was open to serious criticism... he directed particular criticism to the treatment by the Supreme Court of the evidence given on the 28 November 1985, which they dismissed as evidence of formal witness who were not cross-examined at all or who were not seriously cross-examined... Their Lordships are of opinion that Mr Ollivry?s criticism are well-founded», ibid., p. 124-5.

950 «Justice must not only be done but also seen to be done».

justiciable peut ne pas être convaincu que la justice ait été réellement rendue951 même s?il a été amplement démontré que le prévenu est coupable d?avoir commis les faits incriminés.

Le Comité Judiciaire privilégie les considérations de caractère organique au détriment du critère fonctionnel, autrement dit, le procès juste sur la politique répressive. Les deux juridictions ne favorisent les mêmes valeurs.

La divergence de vue entre le juge du fond et le juge de cassation est-elle patente en matière de présomption d?innocence ?

b. La présomption d'innocence

Un procès juste et équitable implique également que les pouvoirs de l?autorité de poursuite soient cantonnés et l?office du juge répressif soit réglementé. L?individu traduit devant le tribunal doit bénéficier d?une protection particulière: le droit au respect de la présomption de son innocence952 jusqu?à ce que sa culpabilité ait été établie par une décision de justice953. Il doit exister un statut protecteur de l?inculpé.

Le principe de la présomption d?innocence, défendu par les philosophes des Lumières954, est affirmé à peu près partout dans le monde955 même s?il n?est ni toujours exprimé dans les mêmes sources du droit, ni de la même manière. A Maurice, l?article 10-2-a dispose que «toute personne accusée d?une infraction pénale est présumée innocente jusqu?à ce que sa culpabilité ait été établie ou qu?elle ait plaidé coupable». Cette disposition est sensiblement similaire à l?article 6-2 de la Convention Européenne des Droits de l?Homme qui se lit ainsi: «Toute personne accusée d?une infraction est présumée innocente jusqu?à ce que sa culpabilité ait été légalement établie». En réalité, la version mauricienne est la transcription dans l?ordre constitutionnel d?un principe de la Common Law exprimé dans le célèbre arrêt Woolmington956 de 1935 dans lequel Vicomte Sankey a magistralement indiqué que «dans la toile du droit pénal anglais, un

951 CJCP: 20 juillet 1987, Pierre Simon André Sip Heng Wong Ng c/ The Queen, cité note 851. Lord Griffiths déduit dans cette affaire que: «Whether or not justice was done in the present case, it was certainly not seen to be done», p. 1360.

952 LOMBOIS Claude: «La présomption d?innocence», Pouvoirs, 1990, n° 55, pp. 81 à 94.

953 Certains auteurs considèrent qu?en la Common Law, la présomption d?innocence cesse avec la condamnation par le premier juge alors qu?en droit français elle joue jusqu?à la condamnation définitive. V. RASSAT Michèle Laure: «Procédure pénale», PUF, Droit Fondamental, 1995, 2e édition, 861 p., v. p. 303.

954 V. article 9 de la Declaration Française des Droits de l?Homme et du Citoyen du 26 août 1789.

955 PRADEL Jean: «Le droit pénal comparé», Paris, Précis-Dalloz, 1995, 733 p., v. p. 379.

956 CL: 22 mai 1935, Woolmington c/ The Director of Public Prosecutions, AC, 1935, pp. 462 à 483, Vicomte Sankey rédacteur de l'arrêt principal.

fil d?or se voit toujours, c?est un devoir du poursuivant de prouver la culpabilité de l?accusé»957. Ce principe souffre d?un aménagement. Le juge prévoit que le moyen de défense fondé sur l?aliénation mentale ou toute autre exception prévue par la loi est à la charge de l?accusé958.

D?un point de vue global, le principe de la présomption d?innocence implique que la personne poursuivie n?a pas à faire la preuve de son innocence. La preuve incombe au demandeur (actori incumbit probatio) et la charge de la preuve (onus probandi) pèse sur lui tout au long du procès. La personne poursuivie n?a pas à répondre aux charges qui pèsent sur elle. En principe, l?accusation doit établir l?élément matériel (actus reus) et moral ou psychologique (mens rea) de l?infraction. Le principe comporte une conséquence sur la prise de décision. Il impose de faire bénéficier à la personne poursuivie du doute sur la balance des preuves pénales959. Cette règle du bénéfice du doute qui profite à l?accusé ou le prévenu (in dubio pro reo) impose, selon le cas, l?acquittement ou la relaxe de l?individu. La condamnation ne peut survenir que lorsque la poursuite ait été si persuasive qu?il ne reste plus aucun doute raisonnable (beyond reasonable doubt).

Néanmoins, autant le principe de la présomption d?innocence est universel, autant sa portée est relativisée. Il existe à l?égard de certaines infractions minimes une sorte de présomption de culpabilité sur l?élément moral en droit français et anglais, parfois même de manière identique, et l?on peut parler de véritables correspondances960. La Cour Européenne des Droits de l?Homme considère, dans l?arrêt Salabiaku, qu?il est conforme à la Convention d?ériger en infraction un fait matériel considéré en soi, qu?il précède ou non

957 «Throughout the web of the English criminal law, one golden thread is always to be seen, that it is the duty of the prosecution to prove the prisoner?s guilt», ibid., p. 481.

958 La Constitution mauricienne prévoit dans son article 10-11-a de telles exceptions. V. CSM: 1 juillet 1993, Simandree c/ The State, MR, 1993, pp. 333 à 334, le juge Pillay rédacteur de l'arrêt. V. aussi à propos des Constitutions de Westminster CJCP: 29 juin 1994, Dean Edwardo Vasquez c/ The Queen, WLR, 1994, vol. 1, pp. 1304 à 1306, affaire de Bélize, Lord Jauncey of Tullichettle rédacteur de l'arrêt.

959 CSM: 29 juin 1993, Callychurn c/ The State, MR, 1993, pp. 330 à 333, le juge Ahnee rédacteur de l'arrêt.

960 Par exemple, le fait de vivre avec une prostituée et de ne pouvoir justifier de ses propres ressources constitue un cas de proxénétisme. En France, ce délit est prévu à l?article 255-6,3° du Code Pénal: «Est assimilé au proxénétisme... le fait... de ne pouvoir justifier de ses ressources correspondant à son train de vie tout en vivant avec une personne qui se livre habituellement à la prostitution». En Angleterre, l?article 30 de la Loi sur les infractions contre les moeurs sexuelles de 1956 (Sexual offences Act 1956) dispose également que: «... a man who lives with or is habitually in the company of a prostitute... shall be presumed to be knowingly living on her earnings of prostitution unless he proves the contrary». V. sur le sujet ANDREWS John A. et HIRST Micheal: «Criminal Evidence», Londres, Sweet and Maxwell, 1992, 696 p., v. «Statutory presumptions against the accused», p. 110 et s.

d?une intention délictueuse961. Les difficultés de preuves que pourrait parfois rencontrer le ministère public incitent les juges à donner au prévenu un rôle plus important dans sa défense.

Dans ce secteur, un point de vue commun unit la Cour Suprême locale au Conseil Privé. En effet, la Cour de Maurice attribue au principe de la présomption d?innocence une portée similaire à celle de la jurisprudence anglaise962. Le principe était respecté bien avant l?entrée en vigueur de la Constitution de 1968 en vertu de l?application à Maurice du droit britannique de la preuve. La Loi Fondamentale n?a que constitutionnalisé les normes jurisprudentielles963. L?exception prévue par l?article 10-11-a de la Constitution et qui attribue à l?accusé le devoir de rapporter exceptionnellement la preuve de certains faits ne renverse en aucun cas la charge, le fardeau même de la preuve qui pèse sur le ministère public964. Ce ne sont que des faits justificatifs d?exonération (law ful authority or excuse) qui peuvent être à la charge du prévenu. Il est le seul à avoir connaissance de ces faits et c?est ainsi qu?il lui appartient de les rapporter. Par ailleurs, bien que la Constitution n?en fait pas mention, le juge considère que le législateur peut établir des présomptions de faits. Par un lien particulièrement étroit, certains faits sont liés à des infractions965. L?infraction est alors fondée sur la vraisemblance. Cependant, poursuit le juge, ces exceptions ne renversent pas la charge de la preuve, mais déterminent des circonstances exceptionnelles dans lesquelles le procureur peut prouver plus facilement certains éléments des délits ou contraventions966. Il ne peut s?agir en aucun cas d?une présomption de culpabilité967. Ainsi, une

961 Le Code des Douanes français crée une présomption légale de responsabilité du détenteur des marchandises de fraude. V. CEDH: 7 octobre 1988, Salabiaku c/ la France, PCEDH, 1989, série A, vol. 141, 45 p. et JUNOSZA-ZDROJEWSKI: «La présomption d?innocence contre la présomption de culpabilité», Gaz.Pal, 1989, Chronique, pp. 308 à 309 et VIRIOT-BARRIAL Dominique: «La preuve en droit douanier et la Convention Européenne des Droits de l?Homme», RSC, 1994, pp. 537 à 547.

962 RAMSEWAK Doorgesh, QC: «Mauritian law, the Constitution, its legal aspect and political philosophy», Port-Louis, Proag Printing Ltd, 1991, 177 p., v. p. 65 et s.

963 CSM: 28 janvier 1972, Police c/ Moorbanoo, MR, 1972, le juge Garrioch rédacteur de l'arrêt. Il souligne que: «But it is no less known that in this country, as also in all those countries where the English law of evidence has been and is still applied... that principle, in the very form in which it is stated in our Constitution has been a cardinal and most carefully guarded commandment of the criminal law», ibid., p. 24.

964 «To say that an accused party is to be presumed innocent is really to say that the burden is on the prosecution to prove every ingredient of the charge against him», ibid., p. 25.

965 «... certain facts will be prima facie evidence of some other facts which it is incumbent on the prosecution to prove under charge... In other words, the basic fact is of the kind that could according to common experience reasonably warrant the inference of the other fact...», ibid., p. 26.

966 «It has for effect not to dispense the prosecution with the onus of proving the elements of the offence charged but to determine what evidence would in certain circumstances be sufficient to prove those elements in the absence of proof to the contrary», ibid., p. 27.

967 «In my view a Statute is repugnant to the Constitution not only when it casts on the accused the whole burden of proving his innocence, but also when it provides that upon proof which is pima facie innocent, and which is a common incident of daily life, it shall be for the accused to prove that no crime was committed», CSM: 13 septembre 1973, Velle Vidron c/ The Queen, MR,

Ordonnance mauricienne qui prévoit que la cassure des scellés d?un compteur d?électricité fait présumer que le client a frauduleusement soustrait et consommé de l?énergie est contraire au principe car elle exige, au-delà de ce qui est raisonnable, une participation du prévenu à l?effort probatoire968.

La ligne jurisprudentielle adoptée par le Comité Judiciaire en la matière est sensiblement similaire à celle de la Cour de Maurice. Dans une affaire de Hongkong969, le juge londonien a défini de manière générale le principe de la présomption d?innocence et sa portée dans la famille juridique de la Common Law.

Citant de prime abord les arrêts Woolmington de la Chambre des Lords et Salabiaku de la Cour Européenne des Droits de l?Homme précités, le Comité Judiciaire soutient que la présomption d?innocence, comme tout principe constitutionnel, est sujette à la flexibilité. Des aménagements peuvent y être portés sans méconnaître l?essentiel du principe. Des exceptions sont admissibles dès lors qu?il appartient toujours au ministère public de prouver la culpabilité selon le niveau (standard) requis, c'est-à-dire, au-delà des doutes, et que l?exception est raisonnable970. L?exception sera d?autant plus autorisée qu?elle est minime. Elle violerait, par contre, le principe si elle fait présumer la commission de l?infraction pénale ou attribue les diligences probatoires à la personne poursuivie971. Le Comité Judiciaire soutient à juste titre que s?il appartient à l?accusé de prouver son innocence, il pourrait alors être condamné s?il subsiste un doute sur sa culpabilité. Le bénéfice du doute profiterait alors à la partie poursuivante au détriment de l?accusé.

L?adhésion de la Cour Suprême à la jurisprudence britannique et londonienne sur la présomption d?innocence n?a pas entraîné la sanction de ses

1973, pp. 245 à 255, les juges Garrioch et Rault rédacteurs des arrêts concurrents, v. opinion du juge Rault à la page 254. Il invoque à l?appui de son raisonnement la jurisprudence CJCP: 26 mars 1936, Attygale c/ The King, AC, 1936, pp. 338 à 345, affaire de Ceylan, Lord-Chancelier Vicomte Hailsham rédacteur de l'arrêt.

968 V. dans le même sens CSM: 9 mars 1965, Director of Public Prosecutions c/ Labavarde, MR, 1965, pp. 72 à 76, le Chef-Juge Sir Rampersad Neerunjun rédacteur de l'arrêt.

969 CJCP: 19 mai 1993, Attorney-General c/ Lee Kwong-Kut, WLR, 1993, vol. 3, pp. 329 à 346, affaire de Hongkong, Lord Woolf rédacteur de l'arrêt.

970 «Some exceptions will be justifiable, others will not. Whether they are justifiable will in the end depend upon whether it remains primarily the responsibility of the prosecution to prove the guilt of an accused to the required standard and whether the exception is reasonably imposed...», ibid., p. 341.

971 «The less significant the departure from the normal principle, the simpler it will be to justify an exception. If the prosecution retains responsibility for proving the essentials ingredients of the offence, the less likely it is that an exception will be regarded as unacceptable... If the exception requires certain matters to be presumed until the contrary is shown, then it will be difficult to justify that presumption...», ibid.

décisions par le Comité Judiciaire. La présomption d?innocence n?est pas un droit nouveau. Elle fait partie d?une longue tradition.

Par contre, la démarche de la Cour Suprême est différente sur le droit d?être jugé dans un délai raisonnable, droit plus récent.

B. Le droit d'être jugé dans un délai raisonnable

La Constitution mauricienne pose le principe visant à ce que la justice ne soit pas rendue avec un retard qui compromettrait son efficacité, sa crédibilité et surtout les droits de la défense. La notion de «procès équitable dans un délai raisonnable» a été diversement interprétée et appliquée par la Cour locale et le Conseil Privé.

Deux séries de questions ont été formulées, d?abord à propos de la computation du délai (a) et ensuite du caractère raisonnable du délai (b).

a. La computation du délai au déclenchement des poursuites

Est-ce que le délai raisonnable pour être jugé commence à courir au jour de la commission de l?acte délictueux ou criminel ou au jour de la mise en examen de l?inculpé, du déclenchement des poursuites ?

L?article 10-1 de la Constitution mauricienne dispose que «toute personne accusée d?avoir commis une infraction (charged with a criminal offence)... a droit à un procès juste et équitable tenu dans un délai raisonnable». La Cour locale, dans l?affaire Police c/ Labat972, interprète de manière littérale et stricte les dispositions de l?article précité. Elle considère que le point de départ du délai (dies a quo) ne survient pas au moment de la commission des faits, c'est-à-dire, avant la saisine du tribunal973 par le ministère public lors de l?arrestation de l?auteur suspecté de l?infraction. Toutefois, les juges Latour-Adrien et Garrioch estiment que le délai écoulé avant la saisine de la juridiction du jugement, pourrait, s?il est excessif, selon le cas de l?espèce, affecter le caractère équitable du procès. Le juge du premier degré, chargé de veiller à la loyauté du procès, a éventuellement le devoir de déclarer irrecevables les poursuites si elles

972 CSM: 19 novembre 1970, Police c/ Labat, MR, 1970, pp. 214 à 234, le Chef-Juge Latour-Adrien rédacteur de l'arrêt majoritaire et le juge Ramphul rédacteur de l'arrêt d?une opinion concurrente.

973 «The expression «reasonable time» has thus no relation in the section to the time elapsed before the preferment of the information», ibid., p. 221.

paraissent contraires à l?équité974 dans des cas exceptionnels. Autrement dit, les juges Latour-Adrien et Garrioch soutiennent l?existence d?un principe éteignant l?action publique pour cause de prescription. Par contre le juge Ramphul, rédacteur d?une opinion concurrente dans l?arrêt précité, dénie l?existence de l?institution de la prescription et l?exigence de toute célérité975.

Dans un arrêt plus récent976, la Cour Suprême, en approuvant le juge Ramphul, manifeste une virulente opposition à l?extinction de l?action publique par la prescription977. Les faits de l?affaire méritent d?être soulignés afin que la position de la Cour Suprême soit mieux analysée. Sir Gaétan Duval est arrêté sous le chef d?accusation d?avoir été l?instigateur d?un assassinat commis dix- huit ans auparavant. Dans un recours à la Cour Suprême pour garantir ses droits constitutionnels (constitutional redress) il invoque la nécessaire prescription du crime car s?il est traduit devant la formation d?assises de la Cour, le procès ne serait pas juste et équitable. Il subirait des préjudices dans la préparation de sa défense. Certains de ses témoins sont décédés et d?autres ne mémorisent plus les faits. Le risque d?une erreur judiciaire est grande. La Cour Suprême marque son désaccord à ces arguments978. La Constitution mauricienne ne garantit, selon elle, que la célérité du procès. Elle soutient, à tort, que le droit mauricien, comme celui de l?Angleterre979 ne pose aucun délai à l?exercice

974 «It seems, however, that undue delay in the institution of proceedings against the accused party may be a factor, viewed in the context of the particular circumstances of each case, which a court of trial is entitled to take into account when considering whether the delay has not had for effect to prevent the accused from having a fair trial, a result which is incumbent on the court of trial to ensure. If, therefore, a court of trial comes to the conclusion that delay in preferring a charge against a person has made it impossible for him to be fairly tried, the court of trial, it seems to us, would be entitled to dismiss the information», ibid.

975 «There is no duty cast on the Director of Public Prosecutions or any other person or authority to prosecute within a reasonable time a person arrested on a criminal charge and subsequently released on bail», ibid., p. 232.

976 CSM: 20 octobre 1989, Duval c/ District Magistrate of Flacq (N° 1), LRC, 1990, vol. constitutional, pp. 570 à 577, les juges Glover et Yeung Sik Yuen rédacteurs de l'arrêt.

977 Dans un deuxième recours à la Cour Suprême, constituée différemment, celle-ci approuve la première décision. V. CSM: 5 juin 1990, Duval c/ District Magistrate of Flacq (N° 2), LRC, 1990, vol. criminal, pp. 245 à 251, les juges Lallah et Pillay rédacteurs de l'arrêt.

978 V. également dans le sens des arrêts précités, CSM: 24 novembre 1992, Lutchmeeparsad c/ The State, MR, 1992, pp. 271 à 281, le Chef-Juge Glover rédacteur de l'arrêt majoritaire. Le juge Ahnee, auteur d?une opinion dissidente, tranche le cas de l?espèce dans le sens indiqué par le Conseil Privé. V. ibid., p. 279 à 281.

979 En Angleterre, les infractions légères (summary offences) sont systématiquement prescrites au bout de six mois. D?autres lois particulières prévoient un obstacle à la poursuite, même parfois pour des infractions graves. V. EMMINS Christopher J.: «A practical approach to criminal procedure», Londres, Blackstone Press Limited, 1990, 4e édition, 500 p., v. p. 20 et s.

Aussi, la juridiction du fond (trial court) dispose d?un pouvoir général aux fins de déclarer irrecevables les poursuites lorsqu?elle estime que celles-ci seraient contraires à l?équité ou seraient déloyales. V. DELMAS-MARTY Mireille (dir): «Procédures pénales d?Europe», PUF, Thémis, 1995, 638 p., v. p. 169 et CHOO Andrew L. T.: «Halting the criminal prosecutions: the abuse of process doctrine revisited», CLR, 1995, pp. 864 à 874.

de l?action publique980. Elle fait valoir que la préscription nuit au devoir de la société de faire justice.

Le Comité Judiciaire, conformément à sa politique libérale et progressiste, récuse une telle interprétation stricte de l?article 10-1 de la Constitution de Maurice et rétablit le raisonnement qui convient. Que la formule de l?article 10-1 soit maladroite est évident puisque prise à la lettre elle ne devrait avoir qu?une portée réduite à laquelle le juge de la Downing Street ne s?est pas résigné981. Il étend considérablement la portée de la norme. Il lui donne un sens autonome. Dans l?affaire Mungroo982, Lord Templeman déclare que l?article 10-1 de la Constitution protège en premier lieu la partie poursuivie contre tout préjudice qu?elle pourrait subir dans sa défense à cause des faits de retard983. Poursuivant son analyse, le juge londonien rejette intégralement la thèse de la Cour Suprême soutenue dans l?affaire Police c/ Labat précitée. Ils considèrent que l?article 10-1 englobe tout retard, donc aussi celui qui court à partir de la commission de l?infraction. Poursuivre quelqu?un pour une infraction très ancienne dont les preuves ont disparu ou sont devenues incertaines est contraire au principe d?équité984. Pour éviter l?erreur judiciaire et dans l?intérêt même de la justice répressive, il convient de renoncer à l?action publique.

Ainsi, le juge londonien inclut dans la Constitution de Maurice la théorie anglaise de l?abus de procès (abuse of process) qui permet à l?accusé de se protéger contre les atteintes à l?établissement de sa défense985. En réalité, il traduit juridiquement le vieil adage lapidaire «justice rétive, justice fautive» (justice delayed, justice denied). Le juge britannique s?est toujours attribué le pouvoir d?annuler tout procès dans lequel la défense est défavorisée (is

980 «Our law like the law in England, does not set, as a general rule, any limit for a criminal prosecution to be stated», CSM: 20 octobre 1989, Duval c/ District Magistrate of Flacq (N° 1), cité note 976, v. p. 573.

981 En revanche, si la Loi prévoit un délai de prescription court (de douze mois pour exportation illicite de devises), il advient que le juge londonien renferme l?application de la prescription strictement dans les termes de la Loi. V. CJCP: 17 décembre 1992, Goinsamy Chinien c/ The State, cité note 869.

982 CJCP: 11 novembre 1991, Mungroo c/ Regina, LRC, 1992, vol. constitutional, pp. 591 à 595, affaire de Maurice, Lord Templeman rédacteur de l'arrêt (également publié in JCL, 1992, pp. 168 à 171).

983 «The right to a trial «within a reasonable time secures, first, that the accused is not prejudiced in his defence by delay...», ibid., p. 592.

984 Indeed, it may be that in some cases, in considering whether a reasonable time has elapsed before the conclusion of a hearing of criminal proceedings, it would be proper to take into account the period before the accused was arrested. For present purposes it is sufficient to say that the decision in Police c/ Labat... can no longer be relied upon in any respect», p. 594.

985 HC: 31 juillet 1984, R c/ Derby Crown Court, ex parte Brooks, CAR, 1985, vol. 80, pp. 164 à 169, Sir Roger Omrod rédacteur de l'arrêt.

prejudiced), notamment à cause des faits de retard986 au cours du déroulement du procès pénal.

Depuis 1993, le juge mauricien s?est rallié à la jurisprudence londonienne987 pour ne pas courir le risque d?une sanction.

986 CA: 13 avril 1992, Attorney-General?s reference (N° 1 of 1990), QBD, 1992, vol. 1, pp. 630 à 644, le Lord-Chef-Juge Lane rédacteur de l?avis. Il soutient que: «There is no statutory limitation period for criminal proceedings such as those in the instant case. The court is not however powerless to regulate its own proceedings in this area... there must be a residual discretion to prevent anything which savours of abuse of process», ibid., p. 640-1.

987 CSM: 2 novembre 1993, Dahal c/ The State, MR, 1993, pp. 220 à 225, le Chef-Juge Glover rédacteur de l'arrêt.

b. La durée du procès pénal

La Constitution mauricienne garantit expressément la célérité du procès pénal. Une fois que le ministère public déclenche les poursuites à l?égard d?une personne, celle-ci a droit d?être jugée dans un délai raisonnable. La Haute Juridiction londonienne988 considère que le principe est fondé, non seulement sur le besoin de ne pas défavoriser la défense, mais également sur la nécessité de protéger psychologiquement la personne poursuivie. Considérée comme innocente jusqu?à preuve du contraire par un tribunal, elle ne doit vivre dans l?inquiétude et l?angoisse que pour une période la plus courte possible989. Le juge londonien marque son souci de préserver la liberté individuelle sur le plan psychologique et de limiter, dans la mesure du possible, les contraintes abusives du procès. La Haute Juridiction opte pour la conception la plus libérale en matière de protection contre la durée excessive du procès.

Poursuivant cette logique, le Conseil Privé s?efforce d?aligner sa jurisprudence en la matière sur des modèles (standards) internationaux. Le Comité Judiciaire épouse une conception universelle de la garantie procédurale. Il ne réduit pas son analyse de l?article constitutionnel à son simple énoncé mais le considère comme un principe universel proclamé dans d?autres pays. Les Sages du Whitehall se démarquent des juges mauriciens qui cherchent, dans bien des cas, à distinguer les articles correspondants des autres pays du texte constitutionnel mauricien. Leur démarche est de type privatiste et syntaxique. Le Comité Judiciaire pratique la comparaison alors que la Cour mauricienne se livre dans certains cas à la distinction. Ainsi, le Comité Judiciaire soutient que l?article 10-1 de la Constitution mauricienne est identique (indistinguishable) à l?article correspondant de la Constitution de la Jamaïque qu?il a interprété et appliqué dans l?arrêt Bell990. Dans cette affaire, Lord Templeman transpose en totalité une jurisprudence de la Cour Suprême des Etats-Unis d?Amérique991 sur le droit constitutionnel à un procès rapide (right to a speedy trial)992. Le juge

988 Le moyen tiré d?une durée excessive est opérant sur un pourvoi au Comité Judiciaire. Il semble que le même moyen n?est pas une cause de nullité de la décision des juges du fond à la Cour de Cassation française. V. C.Cas: 3 février 1993, Kemmoche Michel c/ Cour d?Assises du Var, Bull, crim, 1993, pp. 132 à 137, n° 57.

989 «The right to a trial «within a reasonable time» secures... that the period during which an innocent person is under suspicion and any accused suffers from uncertainty and anxiety is kept to a minimum», CJCP: 11 novembre 1991, Mungroo c/ Regina, cité note 982, v. p. 592.

990 CJCP: 30 avril 1985, Herbert Bell c/ Director of Public Prosecutions, cité note 756.

991 CSEUA: 23 juin 1972, Baker c/ Wingo, Warden, US, 1972, vol. 407, 3e partie, pp. 514 à 538, le juge Powell rédacteur de l'arrêt.

992 «Their Lordships acknowledge the relevance and importance of the four factors lucidly expanded and comprehensively discussed in Baker v. Bingo. Their Lordships also acknowledge the desirability of applying the same or similar criteria to any Constitution, written or unwritten, which protects an accused from oppression by delay in criminal proceedings», CJCP: 30 avril 1985, Herbert Bell c/ Director of Public Prosecutions, cité note 756, v. p. 81.

américain a posé quatre critères d?appréciation de la notion du délai, pratiquement similaires à ceux retenus par la Cour Européenne des Droits de l?Homme993. D?abord le délai doit s?apprécier suivant la complexité de l?affaire en question994. La complexité inclut plusieurs données, de fait ou de droit, considérées globalement. Les comportements des autorités compétentes doivent entrer en ligne de compte pour déterminer les lenteurs imputables à l?Etat. Etant entendu, souligne le juge, que les problèmes d?administration de la justice, de dysfonctionnement, d?engouement des cours relèvent de la responsabilité de l?Etat et non de la personne poursuivie995. Ensuite, le juge doit peser la force de la revendication par la personne poursuivie de son droit à un procès rapide car plus elle se sentira privée de ce droit, plus elle l?invoquera. Enfin, le juge doit apprécier le préjudice subi par l?intéressé en prenant en considération la durée de la détention provisoire, les troubles psychologiques subis et les atteintes aux droits de la défense.

Par ailleurs, le Comité Judiciaire a renforcé au fil des arrêts, la garantie contre la lenteur juridictionnelle en créant une sorte de présomption de préjudice subi par l?accusé. Plus la lenteur est considérable, plus elle sera imputée au ministère public et plus elle sera considérée comme ayant désavantagé l?accusé996. Il déduit que la présomption fait peser sur l?autorité poursuivante la charge de démontrer que la lenteur n?est pas imputable à l?Etat, à la justice et qu?elle résulte par contre du caractère délicat et complexe de l?affaire ou de l?attitude abusive ou dilatoire du justiciable997.

La justice prend une nouvelle dimension avec la jurisprudence du Conseil Privé. Elle n?est pas réduite au simple fait de trancher des litiges mais obéit à une éthique.

993 CEDH: 31 mars 1992, X c/ France, PCEDH, 1992, série A, vol. 234, pp. 77 à 104.

994 Sur l?appréciation de ce critère v. CJCP: 26 mars 1984, Attorney-General c/ Momoudou Jobe, cité note 743.

995 Le juge du Whitehall précise toutefois, que pour apprécier les faits de retard, il faudrait prendre en compte le système de fonctionnement des organes de justice et la situation économique propre à chaque pays du Commonwealth. V. CJCP: 11 novembre 1991, Mungroo c/ Regina, cité note 982, v. p. 594.

996 «Normally, the longer the delay the more likely it will be that the prosecution is at fault, and that the delay has caused prejudiced to the defendant, and the less that the prosecution has to offer by explanation, the more easily can fault be inferred», CJCP: 29 juin 1992, George Tan Soon Gin c/ Judge Cameron, AC, 1992, vol. 2, pp. 205 à 228, affaire de Hongkong, Lord Mustill rédacteur de l'arrêt, v. p. 225.

997 «Their Lordships consider that, in any future case in which excessive delay is alleged, the prosecution should place before the court an affidavit which sets out the history of the case and the reasons (if any) for the relevant periods of delay», CJCP: 11 novembre 1991, Mungroo c/ Regina, cité note 982, v. p. 595. V. également CJCP: 29 mars 1993, Attorney-General c/ Charles Cheung Wai-bun, cité note 414.

Sous le bénéfice de cette conception de la justice, les droits de la défense gagnent en importance.

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