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Le Comité Judiciaire du Conseil Privé de la Reine Elisabeth II d'Angleterre et le Droit Mauricien

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par Parvèz A. C. DOOKHY
Université Paris I Panthéon-Sorbonne - Docteur en Droit 1997
  

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Paragraphe 2. Les droits de la défense

Dans le système accusatoire de la procédure pénale de la Common Law998, l?intérêt de la société de punir avec plus ou moins de sévérité les infractions est contrebalancé de manière fort convenable avec l?intérêt de l?individu au respect de sa liberté999. Si la justice commande que le coupable de l?infraction soit puni, elle exige aussi non moins impérieusement que celui qui est poursuivi ait toute la possibilité de se défendre et ne puisse jamais être frappé d?une sanction que si sa culpabilité ait été établie conformément au droit1000. Le droit pénal est soucieux du respect de la liberté de l?individu et des droits de la défense sans le respect desquels il ne saurait y avoir une bonne justice répressive. Il importe à la dignité et à l?autorité même de la Justice et au respect qu?elle doit inspirer de ne mettre en oeuvre aucun moyen qui attente aux grandes valeurs de l?équité et la loyauté.

Le droit pénal constitutionnel mauricien s?inspire de cette perspective fondamentale de la Common Law. Les prérogatives procédurales accordées à l?accusé pour pouvoir répondre à la poursuite sont proclamées dans le catalogue constitutionnel des droits et les juges du Conseil Privé les ont appliquées avec hardiesse. Les droits de la défense sont aujourd?hui en phase d?expansion.

La montée générale du principe de l?égalité des armes est affirmée dans les deux phases du contentieux répressif: au stade policier ou avant l?audience du jugement (A) et lors du procès, lors de l?audience du jugement (B).

A. Au stade policier ou avant l'audience du jugement

Les Constitutions du Commonwealth confèrent au suspect gardé à vue deux privilèges. Il n?est pas tenu de répondre aux questions des enquêteurs1001 et

998 Pour un aperçu historique, v. SEITZ Emile F.: «Les principes directeurs de la procédure criminelle de l?Angleterre», thèse, Nancy, 1928, Rousseau, 1928, 339 p.

999 «There is thus the need to ensure that the police have adequate measures to protect the public without at the same time conferring powers that undermine the very freedom which the police are employed to defend», BRADLEY A. W. et EWING K. D., cité note 549, v. p. 468.

1000 CJCP: 12 juillet 1993, The Police c/ Rajandah Coomar Kristamah, affaire de Maurice, Lord Slynn of Hadmey rédacteur de l'arrêt. Les Lords sanctionnent la fabrication des éléments de culpabilité par les autorités de police.

1001 Le droit de ne pas déposer au Commissariat est maintenant reconnu en France. V. article 62 alinéa 2 nouveau (Loi du 4 janvier 1993) du Code de Procédure Pénale.

aucune conséquence adverse ne peut être tirée de ce silence1002. On ne s?attardera pas sur cette première garantie qui n?a suscité aucune divergence jurisprudentielle. On retiendra par contre le deuxième privilège, celui du droit à l?assistance d?un défenseur au commissariat et pendant la détention provisoire (a) et ses modalités de mise en oeuvre, notamment en ce qui concerne l?avertissement au suspect de ses droits (b).

a. Le principe du droit à l'assistance d'un défenseur au commissariat et pendant la détention

A Maurice, comme dans les pays de la Common Law y compris le Q uébec1003, la présence de l?avocat lors de l?enquête est très largement admise1004. L?article 5-3 de la Constitution prévoit expressément cette garantie en disposant que «Quiconque est arrêté ou détenu... se verra accorder les facilités raisonnables afin de consulter un défenseur de son choix». Cette protection s?explique par le fait que les enquêtes de police sont menées sous la direction et de la seule responsabilité de la police et non d?un magistrat instructeur comme en France. Si l?inculpation et la détention sont relatives à la commission d?un crime, un magistrat du siège sera amené à exercer un contrôle de légalité lors de l?audience préliminaire (au jugement de l?affaire au fond) afin d?établir si celle- ci devra être renvoyée devant la formation d?assises de la Cour Suprême. L?absence de l?instruction confère aux investigations policières une grande importance et justifie l?intervention de l?avocat. La procédure pénale organise déjà à ce stade une certaine confrontation entre les parties en présence et l?égalité devant la Loi trouve son prolongement dans l?assistance accordée à la personne gardée à vue ou détenue.

Le droit constitutionnel à un avocat au commissariat a pour origine une extension du Règlement des juges d?Angleterre de 1964 (The Judges' Rules of England of 1964)1005 par arrêté du ministre britannique des colonies en 1965 à diverses colonies dont l?île Maurice. Le Règlement a été élaboré par les magistrats de la Cour d?Appel d?Angleterre. Il ne devait avoir de force juridique mais le non-respect de ses dispositions entraîne l?exclusion des éléments de

1002 En principe, l?agent de police doit indiquer à l?intéressé que: «Vous pouvez ne rien dire à moins que vous désiriez parler, mais tout ce que vous diriez peut être utilisé comme un élément de preuve contre vous». V. article 15 de la Loi sur les Cours de district et intermédiaire du 5 novembre 1888.

1003 BELIVEAU Pierre: «Les garanties juridiques dans les chartes des droits», Montréal, Les Editions Thémis, 1991, 658, p., v. p. 473.

1004 KACHKOUSH Hoda: «L?arrestation, étude de la procédure pénale comparée, France, Egypte, Angleterre, Islam», thèse, Université de Pau, 1989, 472, p., v. p. 200 p. et s.

1005 CA: 24 janiver 1964, Practice Note, Judges? Rules, WLR, 1964, vol. 1, pp. 152 à 158, le LordChef-Juge Parker rédacteur du Règlement.

preuve irrégulièrement obtenus au vu du Règlement1006. Le Règlement1007 encadre les modes de preuves et les pratiques policières et prévoit avec minutie le droit du suspect de communiquer en privé avec son conseiller.

Le Comité Judiciaire a consolidé et poursuivi la constitutionnalisation des normes du Règlement, notamment en ce qui concerne le droit à l?assistance d?un défenseur. Dans l?affaire Thornhill1008, les juges londoniens tiennent le raisonnement suivant. La Constitution1009 dispose que tout individu a droit à la protection de la loi. Le Règlement fait partie du corpus juridique dont a joui de jure ou de facto le citoyen. Conjuguant ces deux propositions, le juge londonien soutient que l?interdiction par l?autorité de police à une personne gardée à vue de communiquer, selon les termes du Règlement, avec son défenseur équivaut non moins à une violation de la Constitution.

1006 HAMPTON Celia: «Criminal Procedure and Evidence», Londres, Sweet and Maxwell, 1973, 470 p., v. p. 22 et s.

1007 En Angleterre, le Règlement est aboli et remplacé par la Loi sur la Police et les Preuves en droit pénal (The Police and Criminal Evidence Act) de 1984. V. sur le sujet REID Anne: «Un nouveau départ pour la procédure pénale anglaise, le Police and Criminal Evidence Act», RSC, 1987, pp. 577 à 587 et ZANDER Micheal: «The Police and Criminal Evidence Act», Londres, Sweet and Maxwell, 1990, 475 p.

1008 CJCP: 27 novembre 1979, Terence Thornhill c/ Attorney-General, cité note 845.

1009 Article 1er de la Constitution de 1962 de Trinité et Tobago et article 3 de la Constitution de Maurice.

b. L'obligation aux autorités de police d'informer la personne gardée à vue de ses droits

Le principe des garanties accordées aux personnes retenues au commissariat exige-t-il aussi que celles-ci soient informées par l?autorité de police de leurs droits ? Le Comité Judiciaire a rendu une décision capitale sur le sujet dans l?affaire Whiteman1010. Le précédent posé par le juge londonien a été appliqué dans son intégralité par certains juges de la Cour Suprême de Maurice, alors que d?autres, de tendance conservatrice, s?y sont opposés.

Le Comité Judiciaire impose à la police de fournir au suspect, dès qu?il soit retenu pour un interrogatoire, un certain nombre d?informations sur ses droits alors même que la Constitution ne prévoit pas une telle obligation. L?information est nécessaire afin que le suspect soit à même d?exercer ses droits. Le Comité Judiciaire part de l?idée selon laquelle le droit constitutionnel (constitutional right) du suspect de communiquer avec un conseil pourrait être dépourvu de sens si la personne n?est pas informée de ce droit. Il considère que beaucoup de personnes ne connaissent pas leurs droits ou si elles en sont au courant, les troubles psychologiques provoqués par l?état d?arrestation leur feraient oublier leurs prérogatives1011. Selon le juge londonien, c?est le Règlement des juges qui précise en effet les modalités d?application de ce droit constitutionnel. Le Règlement prévoit ainsi que la personne gardée à vue doit être informée verbalement des facilités et droits qui lui sont accordés et au surplus que les autorités de police doivent afficher des avis indiquant les susdits droits dans des lieux convenables, c'est-à-dire, à portée de vue, dans le commissariat1012. Les Sages du Whitehall élèvent encore une fois le Règlement des juges à une certaine dignité constitutionnelle. La violation de ses dispositions entraîne une méconnaissance de la Constitution1013.

Par ailleurs, la Haute Juridiction s?est montrée particulièrement audacieuse en posant une exigence supplémentaire aux devoirs des autorités de police et outrepasse par là même incontestablement les termes non pas seulement du texte constitutionnel mais également du Règlement des juges. Statuant de façon tout à fait prétorienne, elle déclare notamment qu?il appartient aux agents de police de s?assurer que la personne gardée à vue ait effectivement pris connaissance de l?existence de ses droits. La personne gardée

1010 CJCP: 17 avril 1991, Attorney-General c/ Wayne Whiteman, cité note 850.

1011 Ibid., p. 247.

1012 Annexe B, paragraphe 7-b du Règlement des juges de 1964 d?Angleterre.

1013 «Their Lordships accordingly consider that persons who have been arrested or detained have a constitutional right to be informed of their right to communicate with a legal adviser», CJCP: 17 avril 1991, Attorney-General c/ Wayne Whiteman, cité note 850, v. p. 248.

à vue peut être analphabète ou peut ne pas être familière avec le langage (juridique) employé1014.

Il semble que la Haute Juridiction a voulu rapprocher les Constitutions du Commonwealth du cinquième Amendement à la Constitution des Etats-Unis d?Amérique selon lequel «nul ne pourra être obligé de témoigner contre luimême»1015. Comme son homologue américain, le juge londonien a mis en place un système phare de protection, un code protecteur, des droits de la défense afin d?éviter que le suspect fasse de déclarations qui nuiraient à son intérêt.

Certains juges mauriciens ont suivi le raisonnement effectué par le Conseil Privé et transposé avec pertinence le précédent Whiteman en droit local1016. Ils conclurent que l?obligation pour les autorités de police d?informer la personne gardée à vue de ses droits est une garantie de nature constitutionnelle1017. D?autres juges de la Cour Suprême ont rejeté le principe posé par le juge londonien1018. Récusant toute interprétation dynamique et évolutive, ils attribuent au texte constitutionnel et au Règlement des juges que leurs sens les plus stricts. Dans l?arrêt Samserally1019, ils ne font pas mention dans la motivation de l?arrêt de la jurisprudence Whiteman du Comité Judiciaire.

Une telle lecture de la Constitution ne nous paraît pas pouvoir être conservée. La lecture formaliste et étroite des normes fondamentales retarde considérablement le développement des droits de l?homme et, par conséquent, celui de la société. Le précédent mauricien mérite d?être sanctionné d?autant qu?il méconnaît l?autorité de la jurisprudence du juge londonien.

B. Lors de l'audience du jugement

1014 «They (their Lordships) would add that it is incumbent upon police officers to see that the arrested person is informed of his right in such a way that he understands it. He may be illiterate, deaf or unfamiliar with the language», ibid.

1015 COLAS Dominique: «Textes constitutionnels français et étrangers», Larousse, 1994, 814 p., v. p. 187 et s.

1016 CSM: 9 décembre 1991, Regina c/ Boyjoo, MR, 1991, pp. 292 à 301, le juge Boolell rédacteur de l'arrêt et CSM: 27 août 1993, State c/ Pandiyan, MR, 1993, pp. 169 à 181, le juge Boolell rédacteur de l'arrêt.

1017 «This would mean that the rule requiring the accused to be informed of his right to counsel is protected by our Constitution», CSM: 9 décembre 1991, Regina c/ Boyjoo, cité note 1016, v. p. 295.

1018 CSM: 18 juin 1993, Samserally c/ The State, MR, 1993, pp. 94 à 100, les juges Forget et Yeung Sik Yuen rédacteurs de l'arrêt.

1019 Ibid.

La notion de justice naturelle? (natural justice)1020 ou de principes fondamentaux de justice? est une des plus solides garanties des droits de la défense. Elle pose, outre le principe de l?impartialité du juge, celui selon lequel toute personne a droit à ce que sa cause ou défense soit équitablement et loyalement entendue (audi alteram partem). Dans la famille juridique de Common Law, le principe de justice naturelle s?applique aussi à l?égard de l?Administration1021 et s?avoisine de la garantie américaine de procédure légale en bonne et due forme (due process of law)1022 reprise par certaines Constitutions du Commonwealth1023. Il s?agit, dans la famille juridique de Common Law, de ne pas priver la défense, dans les circonstances de la cause, d?une part de ses chances.

Deux exigences constitutionnelles de la notion de justice naturelle? ont fait l?objet d?une interprétation et application par le Conseil Privé. Ainsi, nous examinerons d?abord l?étendu du droit au ministère d?avocat (a) et ensuite le droit à un interprète (b).

a. Le droit au ministère d'avocat

A l?audience, l?assistance d?un avocat est un droit fondamental1024 dans son principe mais est concilié avec les nécessités de fonctionnement de la cour et de l?administration de la justice. Il existe un relatif accord entre la Cour locale et le Conseil Privé sur la portée d?un tel droit1025.

Dans l?arrêt Robinson1026, les Lords majoritaires soulignent l?importance pour l?accusé d?être assisté d?un défenseur surtout lorsqu?il encourt une peine capitale1027. L?assistance d?un auxiliaire de justice est indispensable. Leurs Seigneuries ont estimé que le droit au ministère d?avocat n?est pas un privilège absolu et intangible. Il est limité afin d?éviter les abus et tout détournement de l?exercice de ce droit par l?accusé1028. Un accusé peut être privé d?un défenseur

1020 MARSHALL Hedley Herbert: «Natural justice», Londres, Sweet and Maxwell, 1959, 201 p. 1021 V. infra.

1022 Article 1er du XIVe Amendement à la Constitution des Etats-Unis d?Amérique. 1023 V. par exemple la Constitution de Trinité et Tobago.

1024 Pour un étude de droit comparé v. TRECHSEL Slefan: «Ensuring the right to effective counsel for the defence», RIDP, 1992, pp. 717 à 728.

1025 Toutefois, ce droit a été considéré comme étant inaliénable par la Cour Suprême de Maurice. V. CSM: 23 décembre 1981, Ameer c/ The Queen, MR, 1981, pp. 545 à 554, le juge Ahnee rédacteur de l'arrêt.

1026 CJCP: 7 mai 1985, Frank Robinson c/ The Queen, cité note 588.

1027 «Their Lordships do not for one moment underrate the crucial importance of legal representation of those who require it», ibid., p. 91.

1028 «Their Lordships cannot construe the relevant provisions of the Constitution in such a way as to give rise to an absolute right to legal representation which if exercised to the full could all too easily lead to manipulation and abuse», ibid.

lors de l?audience si l?absence de celui-ci relève de sa seule et entière responsabilité. En l?occurrence, l?accusé, Sieur Robinson, a décliné les services de l?aide judiciaire et a retenu les services de deux avocats qui, n?ayant finalement pas été rémunérés par lui, se retirent de l?affaire dont l?audience a été renvoyée à plusieurs reprises, alors que le premier juge les a commis d?office.

Si le Comité Judiciaire a relativisé, pour des raisons pratiques, la portée de ce droit fondamental, il apprécie, en revanche, les conséquences que le défaut d?assistance a pu provoquer sur le bien fondé de la décision du juge du fond. Soulignant aussi que l?avocat commis d?office qui renonce à assurer la défense de l?accusé se rendrait coupable d?une faute disciplinaire, le juge londonien recherche si dans le cas de l?espèce, le risque d?une erreur judiciaire (risk of miscarriage of justice) existe, autrement dit, si l?accusé était dans une situation si désavantageuse qu?il n?avait pas pu valablement se défendre.

Dans l?affaire Robinson l?analyse des juges majoritaires est pour le moins sévère1029. Ils soutiennent qu?en vertu du fait que le coaccusé bénéficiait de l?aide d?un avocat, les témoins à charge (witnesses for the prosecution) ont été contre- interrogés par un des défenseurs. Comme leur témoignage est apparu probant au juge du fond, ce dernier, dans son intime conviction, a valablement pu conclure sur la culpabilité de l?accusé principal, Sieur Robinson. Nous ne nous permettrions point de critiquer cette décision quand bien même elle ne se justifierait, selon nous, au regard de la poursuite d?une bonne politique répressive, mais nous conclurons avec les Lords dissidents, Scarman et EdmundDavies, qui soutiennent qu?il n?y a de plus grand intérêt public que d?accorder à un accusé passible de la peine de mort une réelle opportunité de se défendre1030.

Dans une affaire plus récente1031, le Conseil Privé, tout en maintenant la jurisprudence, Robinson assouplit sa rigidité. Sans doute, le juge eut perdu une occasion de procéder à un revirement de jurisprudence mais fit évoluer considérablement celle-ci dans un sens favorable aux droits de la défense. Désormais, au cas où un avocat se retirait d?un procès pour une cause non

1029 PRICE Nigel S.: «Constitutional adjudication in the Privy Council and reflections on the Bill of Rights debate», ICLQ, 1986, pp. 946 à 950.

1030 «First, there can... be no greater public interest than that one who is accused of an offence, conviction of which carries with it the sentence of death has, a proper opportunity of defending himself», CJCP: 7 mai 1985, Frank Robinson c/ The Queen, cité note 588, v. p. 97. La jurisprudence Robinson du Comité Judiciaire fut sévèrement désapprouvée par le doctrine. V. supra sur l?interprétation ordinaire par le Comité Judiciaire.

1031 CJCP: 4 octobre 1994, Erol Dunkley c/ The Queen, WLR, 1994, vol. 3, pp. 1124 à 1133, affaire de la Jamaïque, Lord Jauncey of Tullichettle rédacteur de l'arrêt.

imputable à l?accusé, l?intérêt de la justice exigerait que l?accusé bénéficie de la possibilité de retenir les services d?un autre défenseur. La discrétion du juge du fond d?ajourner le procès est limité et devient pratiquement obligatoire dans un tel cas.

b. L'assistance d'un interprète

L?assistance linguistique au cours d?un procès est expressément prévue par la Constitution mauricienne1032. Tout accusé peut se faire assister gratuitement d?un interprète s?il ne comprend pas la langue employée à l?audience. La disposition constitutionnelle mauricienne est sensiblement identique à celle de la Convention Européenne des Droits de l?Homme1033. L?objectif est que l?accusé soit mis à même de comprendre les charges retenues et les éléments de preuve produits contre lui afin de pouvoir les réfuter.

Quel est le caractère de ce droit: doit-il être revendiqué par l?accusé pour pouvoir en bénéficier ou est-il une obligation générale pesant sur l?Etat ? L?opposition entre la Cour Suprême et le Comité Judiciaire sur la question est fondée sur la valeur de ce droit. Pour la Cour Suprême, le conseil de l?accusé doit exiger l?assistance linguistique devant les juges du fond (trial judge)1034. Le moyen tiré d?une violation de ce droit est inopérant en appel si le plaideur s?était abstenu de l?invoquer en première instance1035. A l?inverse, pour le juge londonien, le droit à un interprète est de nature d?une règle d?ordre public et doit être appliqué d?office par le juge du fond. L?obligation incombant aux tribunaux n?est pas subordonnée à la demande de l?accusé1036. En ce sens, le manquement à l?exercice de ce droit peut être invoqué pour la première fois en appel pour attaquer la décision rendue en première instance. Le juge londonien attribue au premier juge un rôle actif dans la conduite des débats. Il doit s?assurer que l?interprète prête effectivement son concours et que l?accusé bénéficie d?un procès équitable1037. Cette conception du rôle actif du juge répressif dans la conduite des débats est quelque peu proche de la pratique

1032 Article 10-2-f CM.

1033 Article 6-3-e CM.

1034 CSM: 20 mars 1990, Radhakrishan Kunnath c/ The Queen, les juges Glover, Ahmed et Pillay rédacteurs de l'arrêt.

1035 Les juges mauriciens appliquent dans l?affaire Kunnath (ibid.) une jurisprudence de la Cour Suprême de Nigéria: 18 mars 1983, The State c/ Gwonto, LRC, 1985, vol. constitutional, pp. 890 à 908, le juge Nnamani rédacteur de l'arrêt.

1036 CJCP: 27 juillet 1993, Radhakrishan Kunnath c/ The State, WLR, 1993, vol. 1, pp. 1315 à 1321, affaire de Maurice, Lord Jauncey of Tullichettle rédacteur de l'arrêt (également publié in JCL, 1994, pp. 74 à 75).

1037 «... their Lordships consider it plain that, by virtue of the judge?s duty to ensure that the defendant has a fair trial, the judge is in any event bound to ensure that, in accordance with established practices, effective use is made of the interpreter pro vided for the assistance of the defendant», ibid., p. 1319.

juridictionnelle française1038. Disposant des pouvoirs généraux, le président de l?audience doit assurer l?équité des débats.

Le Comité Judiciaire motive son insistance sur le droit à un interprète par le fait qu?en Common Law, le jugement par défaut (in absentia) est interdit pour les infractions graves (indictable offences)1039. Par extension, il déduit de la présence obligatoire de l?accusé non seulement une exigence quant à la présence physique mais aussi intellectuelle de l?accusé. Sa présence est nécessaire afin de lui permettre de suivre le procès et qu?il puisse par conséquent se défendre et faire éventuellement entendre des témoins à décharge1040. Les juges londoniens appliquent au cas mauricien une jurisprudence bien établie de la Cour d?Appel anglaise1041 et soutiennent que l?intérêt du prévenu ou de l?accusé prime les inconvénients posés par la traduction.

Dans l?affaire Kunnath précitée, le Comité Judiciaire affirme avec force son raisonnement. La Constitution mauricienne, qui prévoit le droit à un interprète, ne saurait en aucun cas être interprétée dans un sens qui produit une protection des droits de la défense en deçà des exigences de la Common Law. Une Constitution, affirme le juge londonien, a pour objet de protéger les droits et doit être interprétée dans un tel objectif1042. Les Sages de la Downing Street distinguent trois types de protection jurisprudentielle: celui de la Cour de Nigeria et qui est également appliqué par la Cour Suprême de Maurice, celui des juridictions britanniques et le sien qui pourrait se situer au-delà du niveau des cours anglaises. C?est pourquoi les Sages affirment que le droit à un interprète subsiste alors même qu?il existe des preuves concordantes et déterminantes à l?encontre de l?accusé. Le Comité Judiciaire casse la décision attaquée même s?il ne peut, faute de dispositions juridiques à cet effet, renvoyer l?affaire devant la juridiction locale du fond.

*

1038 C. Cas: 18 juillet 1991, Kamiri Nasseri Mohran c/ Ministère Public, Bull, crim, 1991, pp. 761 à 762, n° 302.

1039 CJCP: 20 juillet 1933, B. R. Lawrence c/ The King, AC, 1933, pp. 699 à 709, affaire de Nigéria, Lord Atkin rédacteur de l'arrêt.

1040 «...the basis of this principle is not simply that there should be corporal presence but that the defendant, by reason of his presence, should be able to understand the proceedings and decide what witnesses he wishes to call...», CJCP: 27 juillet 1993, Radhakrishan Kunnath c/ The State, cité note 1036, v. p. 1319.

1041 CA: 17 décembre 1915, Rex c/ Lee Kun, KBD, 1916, vol. 1, pp. 337 à 345, le Lord-Chef-Juge Reading rédacteur de l'arrêt principal.

1042 «... it appears that the Constitution must have been intended to produce a result no less favourable to a defendant than that resulting from existing Common Law principles. Indeed, it would be surprising if a Constitution intended to protect the rights of individual should be construed to have the opposite effect», CJCP: 27 juillet 1993, Radhakrishan Kunnath c/ The State, cité note 1036, v. p. 1320.

Analyser le niveau des droits accordés à la défense est un des plus sûrs moyens d?appréciation de la qualité de la justice d?un pays. Une justice n?est bonne que si la défense est à même de se faire entendre. Le souci du Comité Judiciaire en matière des droits de la défense et l?effet de sa jurisprudence marquent l?avancement dont a bénéficié le système mauricien dans ce domaine.

Après l?étude des droits procéduraux, il importe d?examiner l?oeuvre du Conseil Privé en droit pénal substantiel.

Sous-section 2. En droit pénal substantiel et général

A l?instar du droit pénal procédural, le droit pénal général puise ses bases directrices dans la Constitution.

A ce titre, la question de la peine de mort a occupé une place essentielle dans la jurisprudence du Comité Judiciaire (paragraphe 1) et poursuivant son travail de création des normes, le juge londonien a érigé certaines règles pénales au rang de grands principes de droit (paragraphe 2).

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"Ceux qui vivent sont ceux qui luttent"   Victor Hugo