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Le Comité Judiciaire du Conseil Privé de la Reine Elisabeth II d'Angleterre et le Droit Mauricien

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par Parvèz A. C. DOOKHY
Université Paris I Panthéon-Sorbonne - Docteur en Droit 1997
  

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Paragraphe 1. Les libertés fondamentales et le contrôle de l'Administration

Deux questions essentielles doivent nécessairement être formulées. Quelles sont les grandes libertés qui ont été protégées par le Comité Judiciaire (A) ? Et comment la Haute Juridiction a développé son contrôle de l?Administration (B) ?

A. Les libertés fondamentales

Dans les jeunes démocraties, seule une conception dynamique et activiste des libertés peut renforcer le caractère effectif de l?Etat de droit. Le Conseil Privé s?inscrit, notamment après les années soixante-dix, dans le droit fil de cette conception. Sans qu?il soit besoin de multiplier les exemples, il s?agit de le démontrer dans deux secteurs de libertés primordiaux à la démocratie: la liberté d?expression (a) et la liberté individuelle (b).

a. La liberté d'expression

La liberté d?expression, dans toutes ses manifestations, est consacrée à l?article 12-1 de la Constitution mauricienne qui est ainsi rédigé: «Sauf avec son propre consentement, il ne sera porté aucune entrave au droit de quiconque à la liberté d?expression, c'est-à-dire, à la liberté d?opinion, la liberté de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées sans ingérence, et le droit au secret de la correspondance». La liberté d?expression constitue l?un des fondements essentiels de toute société démocratique1141, qui implique dans son fondement même la confrontation des idées, le pluralisme1142, la tolérance et

1141 MARSHALL Goeffrey: «Press freedom and free speech theory», PL, 1992, pp. 40 à 60.

1142 «It is of the highest importance that a democratically elected governmental body... should be opened to uninhibited public criticism», CL: 18 février 1993, Derbyshire County Council c/ Times

l?esprit d?ouverture1143 et rejette la pensée unique. John Stuart Mill, dont les idées influencèrent considérablement le développement de la Common Law, soutenait que la vérité jaillit du débat et que la liberté d?expression est nécessaire à l?épanouissement de l?homme et au progrès de toute société1144. Le constituant originaire considère la liberté d?expression comme une liberté si fondamentale que les ingérences de l?Etat et la limitation de ce droit, sont sujettes à deux conditions. Pour être licite, une limitation doit correspondre à l?un des motifs énoncés à l?article 12-2 de la Constitution, c'est-à-dire correspondre globalement aux besoins de maintien de l?ordre public ou à la protection de la vie d?autrui ou à la protection de l?autorité du pouvoir judiciaire. Aussi l?ingérence doit être raisonnablement compatible avec le bon fonctionnement d?une société démocratique1145.

Toutefois certaines atteintes à ce droit fondamental ont été révélées au point où un auteur a qualifié la liberté d?expression de droit inférieur1146. L?aménagement du droit d?information s?est réalisé à travers deux types de procédés juridiques. Premièrement, les autorités publiques l?ont astreint à un régime de droit dit préventif. La liberté ne pouvait alors s?exercer qu?avec le consentement de l?Administration. Le régime préventif est peu libéral et entraîne souvent non un aménagement de la liberté mais sa négation même1147. Deuxièmement, les autorités publiques ont fait usage de diverses techniques de répression pénale pour sanctionner toute transgression de la loi.

Ainsi, pendant la période de l?Etat d?urgence des années soixante-dix, la presse était soumise à la censure et un contrôle préalable portant sur des articles à publier. En 1984, le gouvernement avait projeté d?instituer un système de consignation obligatoire d?une somme de RPM 500,000 par les entreprises de presse auprès du gouvernement. Selon l?objectif affirmé, ce cautionnement permettrait de dédommager effectivement les victimes des délits de presse en cas d?impossibilité de paiement par l?entreprise sanctionnée. L?influence du Comité Judiciaire bien qu?indirecte, fut déterminante dans cette affaire. Suite

Newspaper Ltd, WLR, 1993, vol. 2, pp. 449 à 461, Lord Keith rédacteur de l'arrêt principal, v. p. 456.

1143 FENWICK Helen: «Civil liberties», Londres, Cavendish Publishing Ltd, 1994, 546 p., v. p. 116.

1144 MILL John Stuart: «On liberty and considerations on representative government», (1859), Oxford, Basil Blackwell, 1946, 324 p., v. chapitre II Of the Liberty of thought and discussion?, p. 13 à 48.

1145 CJCP: 19 avril 1966, Honourable Dr. Paul B. Oliver c/ Honourable Dr. Anton Buttigieg, WLR, 1966, affaire de l?île de Malte, Lord Morris of Borth-y-Gest rédacteur de l'arrêt.

1146 COLOM Jacques: «Liberté d?information à l?île Maurice, droit fondamental de second rang ?», AIJC, 1987, pp. 353 à 358.

1147 RIVERO Jean: «Les libertés publiques, les droits de l?homme», PUF, Thémis, 1995, 7e édition, 262 p., v. p. 181 et s.

aux vives protestations des journalistes, une commission dirigée par Sir Maurice Rault, ancien Chef-Juge de la Cour Suprême, fut instituée. Celui-ci, se référant à un précédent du Comité Judiciaire, déclare dans son avis le projet du gouvernement inopportun1148.

En effet, le Comité Judiciaire, dans l?affaire Antigua Times1149, similaire au cas d?espèce mauricien, a estimé que le paiement préalable d?une somme d?argent imposée par la loi à l?exercice de la liberté d?expression pourrait constituer une entrave à celle-ci au regard de la Constitution1150 mais que la Loi peut à bon droit poursuivre un objectif de protection des droits d?autrui. Certes, la restriction de la liberté d?expression pour un tel motif est expressément prévue par la Constitution1151. Mais le Comité Judiciaire se réserve le droit d?exercer un contrôle de proportionnalité afin de vérifier l?adéquation du dispositif de la loi à son objectif, de sa compatibilité avec les valeurs de la démocratie, et de sanctionner tout détournement ou abus de pouvoir.

Dans un arrêt postérieur, le Tribunal de la Downing Street a analysé sous un angle novateur la liberté d?expression. Afin de comprendre l?originalité que revêt la décision londonienne, il convient de situer le contexte dans lequel elle intervient.

A Maurice, comme dans beaucoup de pays du Commonwealth, les délits de presse se caractérisent par une particularité qui constitue leur dénominateur commun. Il s?agit de l?imprécision des dispositions de droit pénal en ce qui les concerne. Par exemple, le droit pénal mauricien punit les auteurs d?écrits susceptibles de troubler la paix publique1152 et d?écrits séditieux1153. Il punit également le délit d?atteinte à l?autorité de justice1154. Ces délits sont formulés

1148 COLOM Jacques, cité note 1146, v. p. 354-55.

1149 CJCP: 19 mai 1975, Attorney-General c/ Antigua Times Ltd, AC, 1976, pp. 16 à 34, affaire des Antilles, Lord Fraser of Tullybelton rédacteur de l'arrêt.

1150 «It can be argued that any expenditure, required by law from those responsible for the publication of a newspaper, is a hindrance to its freedom of expression in that such expenditure must reduce the resources of the paper which might otherwise be available for increasing its circulation», ibid., p. 34.

1151 Article 12-2-b CM et article 10-2-a-ii de la Constitution d?Antigua de 1967. En ce qui concerne la Convention Européenne des Droits de l?Homme, v. article 10-2.

1152 CSM: 16 novembre 1993, Director of Public Prosecutions c/ Sydney Selvon, Le Mauricien, 17 novembre 1993, p. 8, les juges V. Glover, R. Proag et V. Boolell rédacteurs de l'arrêt.

1153 CSM: 27 juillet 1972, Director of Public Prosecutions c/ Masson, cité note 525.

1154 CSM: 5 juillet 1978, Director of Public Prosecutions c/ Cateaux, MR, 1978, pp. 141 à 145, le Chef-Juge Rault rédacteur de l'arrêt. Il souligne que le délit d?atteinte à l?autorité de justice est constitué par tout écrit qui est susceptible d?influencer ou la décision de la juridiction du fond ou le public ou les témoins.

V. également en ce sens, CSM: 9 mars 1994, Director of Public Prosecutions c./ Gilbert Ahnee, les juges J. Forget et Y. K. J. Sik Yuen rédacteurs de l'arrêt. Cette décision est l?objet d?un pourvoi au Comité Judiciaire.

en des termes très vagues et ainsi le juge dispose d?un large pouvoir pour en apprécier les contours. Sa décision devient largement imprévisible. Le journaliste, au moment où il écrit, ne sait avec une bonne certitude si son texte sera considéré ou non comme tombant sous le coup de la Loi. Quand l?infraction est large, elle permet de frapper des comportements qui, initialement, n?avaient pas été prévus.

Devant ce système répressif dangereux pour l?exercice effectif de la liberté, le Comité Judiciaire accorde une attention particulière au droit de débattre, de contester et à la liberté d?opinion ou du journaliste1155. L?affaire Hector1156 est illustrative de cette prise de position. Une Loi d?Antigua et de Barbuda réprimait la publication de fausses nouvelles susceptibles de troubler la confiance du public en l?Administration. Un journaliste était poursuivi sous ces chefs d?accusation. Dans un motif essentiel, le Comité Judiciaire ouvre considérablement le champ de la liberté d?expression dans le débat politique et rappelle la fonction d?information et de contrôle de la presse. «Dans une société démocratique libre, soutient le juge, il est trop évident pour affirmer que les membres du gouvernement, les responsables de l?administration publique, doivent toujours se prêter à la critique. Toute tentative d?entraver ou de restreindre les critiques équivaut à une censure politique du type les plus dangereux et répréhensibles. Aussi, n?est-il pas moins évident que le but de toute critique formulée à l?égard des dirigeants de l?Etat par leurs adversaires politiques est d?ébranler la confiance du public en leur capacité de gestion et de convaincre l?électorat que l?opposition ferait mieux que ceux qui sont actuellement au pouvoir»1157.

Dans le prolongement de cette idée, le Tribunal de la Downing Street met l?accent sur le fait qu?il faut se garder de décourager les citoyens et en particulier les journalistes qui, par crainte de sanction pénale, ne se prononcent de manière critique sur des sujets politiques. Avec une grande hardiesse, le juge conclut de façon catégorique qu?il constituerait à tout point de vue «une grave

La légalité du délit d?atteinte à l?autorité de justice en droit mauricien est incertaine. Il est peu défini dans les textes de loi. Il puise son origine principalement dans la Common Law alors qu?en Angleterre ce délit est désormais régi en grande partie par la Loi.

1155 BRADLEY A. W.: «Press freedom, governmental constraints and the Privy Council», PL, 1990, pp. 453 à 461.

1156 CJCP: 22 janvier 1990, Leonard Hector c/ Attorney-General, AC, 1990, vol. 2, pp. 312 à 320, affaire d?Antigua et Barbuda, Lord Bridge of Harwich rédacteur de l'arrêt.

1157 «In a free democratic society it is almost too obvious to need stating that those who hold office in the government and who are responsible for public administration must always be open to criticism. Any attempt to stifle or fetter such criticism amounts to political censorship of the most insidious and objectionable kind. At the same time, it is no less obvious that the very purpose of criticism levelled at those who have the conduct of public affairs by their opponents is to undermine public confidence in their stewardship and to persuade the electorate that the opponents would make a better job of it than those presently holding office», ibid., p. 318.

entorse à la liberté de la presse si ceux qui impriment et a fortiori ceux qui distribuent des articles de presse comportant des réflexions critiques sur la conduite des affaires publiques ne pouvaient le faire en toute impunité que s?ils parvenaient d?abord à vérifier l?exactitude matérielle des faits sur lesquels est basé le raisonnement»1158.

La Haute Instance consacre-t-elle un droit de publication et de distribution de fausses nouvelles ? Il serait peu judicieux de répondre à la question mais il semble que le juge londonien admet que le défaut d?exactitude de la matérialité des faits rapportés et publiés ne soit pas un motif de condamnation. Jusqu?alors le journaliste et le distributeur devaient, pour se défendre, invoquer leur bonne foi et solliciter l?indulgence du juge. Or désormais, la mauvaise foi du journaliste et du distributeur n?est pas un élément de culpabilité en soi1159. On conçoit aisément que le souci du Comité Judiciaire est de préserver la liberté de la presse contre un régime répressif dangereux d?autant plus qu?il est mal défini et on est obligé de reconnaître ici que les pays qui ont conservé la compétence du juge londonien sont parvenus à des solutions inconcevables ailleurs.

b. La liberté individuelle et la sûreté

Dans les pays de Common Law, les cas de privation de liberté sont minutieusement prévus par le constituant et, éventuellement, le législateur. Ces pays sont paradoxalement très formalistes sur le principe de la liberté individuelle contrairement aux pays de tradition romano-germanique1160. En Angleterre, la crainte de l?arbitraire a été l?une des préoccupations constantes de l?opinion au dix-septième siècle et le Roi Charles II (1660-1685) avait ainsi institué en 1679, la procédure très efficace de l?habeas corpus1161, étendue ensuite à toutes les colonies de l?Empire. Aujourd?hui encore, les principaux pouvoirs dont disposent les autorités de police afin de priver de leur liberté les citoyens sont soumis à des conditions strictes1162. Ces pouvoirs sont

1158 «(Their Lordships) observe, however, that it would on any view be a grave impediment to the freedom of the press if those who print, or a fortiori, those who distribute matter reflecting critically on the conduct of public authorities could only do so with impunity if they could first verify the accuracy of all statements of fact on which the criticism was based», ibid., p. 318.

1159 «On this basis it was submitted that it was unobjectionable to penalise false statements made without taking due care to verify their accuracy. Their Lordships do no find it necessary for present purposes to examine the question what element of mens rea is required as an ingredient of the offences», ibid.

1160 PRADEL Jean, cité note 955, v. p. 494 et s.

1161 Littéralement, l?habeas corpus signifie «soit présent avec ton corps».

1162 LEIGH Leonard H.: «La Convention Européenne des Droits de l?Homme. Des délais en matière de rétention policière, garde à vue et détention provisoire. Note sur le droit anglais», RSC, 1989, pp. 45 à 53.

substantiellement définis dans un seul texte, la Loi sur la police et les preuves en matière pénale de 1984. Ce procédé s?apparente à une certaine codification du droit dans ce secteur1163.

A Maurice, l?article 5 de la Constitution de 1968 assure que nul ne doit être arbitrairement dépouillé de sa liberté physique. Cet article se substitue à l?ancienne procédure de l?habeas corpus. Il s?avère que le principe de la liberté individuelle dans son fondement n?a pas eu à être rappelé fréquemment par les juridictions. Cette relative absence de contentieux est un signe. Le principe de la liberté personnelle paraît tellement naturel et de solide tradition que les autorités politiques ont rarement essayé de le remettre en cause.

Mais, n?étant pas un principe absolu, la Constitution mauricienne a prévu des cas où un individu peut être privé de sa liberté. Les catégories de cas, limitativement énumérées, concernent notamment l?incarcération après condamnation par un tribunal compétent et la détention provisoire d?une personne suspectée d?avoir commis une infraction pénale. Dans ce dernier cas, la mesure prise porte des conséquences graves sur la liberté individuelle et est conciliée avec la présomption d?innocence. En réalité, l?intéressé subit l?équivalent d?une peine sérieuse alors qu?il n?a pas encore été jugé1164. C?est pourquoi la Constitution impose l?exercice d?un contrôle maximum par un tribunal. Ce tribunal apprécie le caractère raisonnable des motifs de la détention invoqués par la police au cours d?une audience publique et contradictoire. Le juge peut prononcer à tout moment la libération de l?individu s?il estime que sa détention n?est plus nécessaire à la poursuite de l?enquête. Ainsi, la Constitution mauricienne prévoit que si le détenu n?est pas jugé dans un délai raisonnable, il doit être remis en liberté1165.

Par ailleurs, la législation des pays de Common Law privilégie une mesure traditionnelle alternative à la détention provisoire: la libération du détenu en contrepartie d?un cautionnement ou le paiement par l?individu d?une somme d?argent (bail)1166. Le montant de cette somme d?argent est fixé par le juge et est versé au greffe de la juridiction. Cette pratique est très courante et est régie à Maurice par la Loi sur la libération sous caution de 1989 (The Bail

1163 STONE Richard: «Textbooks on civil liberties», Londres, Blackstone Press Limited, 1994, 367 p., v. p. 30.

1164 BADINTER Robert: «Un pré-jugement: la détention provisoire», Le Monde, 12-13 avril 1970, p. 11.

1165 Article 5-3, alinéa c CM.

1166 LEIGH Leonard: «La détention provisoire en droit anglais», pp. 125 à 130 in PRADEL Jean (dir): «Les atteintes à la liberté avant jugement en droit pénal comparé», Travaux de l?Institut de Sciences Criminelles de Poitiers, Editions Cujas, 1992, pp. 424 p.

Act 1989) et la Loi sur les Cours de District et la Cour Intermédiaire du 5 novembre 1888.

Quelle peut être l?étendue constitutionnelle de la liberté individuelle au regard de ces diverses dispositions ? Le législateur peut-il interdire ou restreindre considérablement la libération sous caution (bail) des suspects d?un type déterminé d?infraction pénale ?

Le Comité Judiciaire adopte une démarche mesurée empreinte de grande sagesse. Selon la Haute Instance, la Constitution ne garantit pas le droit à la remise en liberté sous caution pendant la procédure de l?enquête et il est donc loisible au législateur de restreindre ou d?abolir ce droit d?origine législative1167. Toutefois les Lords marquent leur souci de préserver la liberté individuelle en mettant en relief l?interdiction de toute détention excessive. Si la durée de la détention dépasse le délai raisonnable à la conduite de l?enquête, le délai butoir, la libération est de droit. La motivation est juste et on voit mal comment elle aurait pu être autrement.

Le point de vue de la Cour Suprême locale, certainement plus libéral que celui du Comité Judiciaire sur la question, est mal construit et motivé en droit dès lors qu?elle opère une confusion entre trois notions voisines: le droit constitutionnel d?être libéré par un magistrat si la détention apparaît purement arbitraire, celui de ne pas être détenu pendant une durée excessive et le droit d?origine législative (ou jurisprudentiel) d?être mis en liberté sous caution. Il y a lieu de souligner que les deux premières protections (constitutionnelles) ont pour objet d?éviter à ce que la détention ne soit arbitraire, dans le premier cas, au simple regard des faits, du caractère non sérieux de l?action publique, et dans le deuxième, au regard de sa durée. La remise en liberté sous caution (protection légale ou jurisprudentielle) poursuit une finalité différente. La détention de l?individu n?est plus nécessaire aux fins de l?enquête. Il est maintenu en détention afin qu?il ne se soustrait à la justice, ne disparaît pour échapper au jugement et, éventuellement, à la peine. Le caractère arbitraire n?est pas en jeu. Dans ce cas de figure, il peut être libéré sous caution. Le cautionnement sert de garantie à sa présentation devant le juge le moment venu. Ayant mal distingué les trois situations, la Cour Suprême de Maurice soutient qu?une loi qui méconnaît le droit à la libération sous caution des

1167 «There is nothing in the Constitution which invalidates a law imposing a total prohibition on the release on bail of a person reasonably suspected of having committed a criminal offence, provided that he is brought to trial within a reasonable time after he has been arrested and detained», CJCP: 26 mars 1984, Attorney-General c/ Momoudou Jobe, cité note 743.

personnes suspectées de s?être livrées à un trafic de stupéfiants viole la Constitution1168. Cependant, la jurisprudence de la Cour Suprême a pour mérite de maintenir le caractère exceptionnel du placement en détention et d?interdire son automaticité. Mais, l?effet de cette jurisprudence a été anéanti suite à une révision de la Constitution. La Loi constitutionnelle nouvelle prévoit désormais que certains détenus suspectés de trafic de stupéfiants ne peuvent être libérés sous caution jusqu?au prononcé du jugement au fond les concernant1169. A notre avis, le droit constitutionnel d?être libéré si la détention est arbitraire ou excessive demeure. La jurisprudence du Comité Judiciaire, mieux construite, conserve toute son utilité.

B. La protection contre l'Administration

Le Comité Judiciaire a élaboré et diffusé vers les pays du Commonwealth des moyens nouveaux de protection des administrés. Les autorités politiques considéraient que la possibilité d?exercer des recours juridictionnels contre les décisions de l?Administration offrait aux citoyens une protection suffisante contre les risques d?excès ou d?abus de pouvoir. Mais, voulant démocratiser l?action administrative et créer de meilleures conditions pour la prise des décisions régulières et opportunes, le Comité Judiciaire a mis en valeur et posé des garanties préalables. Le juge londonien impose dans certains cas à l?autorité administrative de ne pas décider sans que les intéressés aient été à même de faire valoir leur point de vue et de présenter leurs objections à la décision projetée. La procédure administrative non contentieuse doit obéir à des principes: le principe du contradictoire (a) et le principe de l?enquête préalable en matière d?expropriation (b).

a. Le droit d'être entendu

En Angleterre1170, les cours de justice avaient depuis fort longtemps accordé à toute personne qui serait sanctionnée le droit de développer devant l?Administration pour la défense de ses intérêts, des objections contre la décision que l?Administration elle-même s?apprête à prendre. L?obligation pour celle-ci de respecter le principe du contradictoire (audi alteram partem), qualifié

1168 CSM: 26 octobre 1986, Noordally c/ Attorney-General, cité note 758.

1169 Article 5-3-A (Loi consitutionnelle du 1er août 1994) CM.

1170 Pour une étude de droit comparé, v. BREWEER-CARIAS Allan R.: «Les principes de la procédure administrative non contentieuse, étude de droit comparé, France, Espagne, Amérique Latine», Economica, 1992, 167 p. et aussi LEFAS Aubert: «Essai de comparaison entre le concept de natural justice? en droit administratif anglo-saxon et les principes généraux de droit? ainsi que les règles générales de procédure? correspondants en droit administratif français», RIDC, 1978, pp. 745 à 775.

aussi de principe général de droit (rules of natural justice), avait été affirmé en 1615 dans l?affaire Bagg1171 et en 1723 dans l?affaire du Docteur Bentley1172. Monsieur Bagg était privé de sa qualité de bourgeois sans être averti et entendu préalablement à la sanction. Le Docteur Bentley, à la suite d?une procédure expéditive, avait été dépouillé de ses diplômes par l?Université de Cambridge. Les juges avaient annulé les deux décisions pour vice de procédure1173. Cependant, l?analyse de la jurisprudence britannique démontre que le principe avait été écarté pour des besoins d?efficacité et de promptitude de l?Administration durant la première moitié du vingtième siècle1174 et avait été rétabli avec force en 19621175 à la suite d?une réforme du droit administratif intervenue après 1957 sur la base des recommandations du rapport du Comité dénommé Franks1176. Depuis, le respect des droits de la défense a été étendu à toute personne intéressée par une décision faisant grief notamment lorsqu?elle intervient dans le domaine des droits de la personne ou du droit de propriété1177. Il est accepté que les droits procéduraux soient un élément essentiel dans un régime démocratique car «la démocratie est un système de gouvernement dans lequel chacun a une possibilité loyale d?être entendu»1178.

Inspiré par la jurisprudence britannique, le Comité Judiciaire applique le principe des droits de la défense non seulement aux mesures administratives présentant un caractère de sanction1179, même provisoire1180, mais aussi aux décisions pouvant légalement revêtir d?un caractère discrétionnaire. En effet, dans une affaire des Bahamas1181, le ministre compétent avait refusé d?accorder la naturalisation à un individu qui en avait fait la demande en vertu d?une loi

1171 Banc du Roi: 1615, affaire James Bagg, ER, série King?s Bench, vol. 77, pp. 1271 à 1281, Sir Edward Coke rédacteur de l'arrêt.

1172 Banc du Roi: 1723, The King c/ The Chancellor of the University of Cambridge (Doctor Bentley?s case), ER, série King?s Bench, vol. 92, pp. 818 à 820, le juge John Lord Fortescue rédacteur de l'arrêt.

V. DISTEL Michel: Le droit d?être entendu dans la procédure administrative en Grande- Bretagne», thèse, Univerité de Paris II, 1979, 757 p., v. p. 156.

1173 Dans l?affaire du Docteur Bentley, le juge John Lord Fortescue justifie l?annulation de la décision de l?Université de Cambridge en affirmant que même Dieu n?avait condamné Adam avant de l?avoir fait comparaître pour se défendre.

1174 CL: 20 juillet 1914, Local Government Board c/ Arlidge, AC, 1915, pp. 120 à 151, Vicomte Lord-Chancelier Haldane rédacteur de l'arrêt principal.

1175 CL: 14 mars 1962, Ridge c/ Baldwin, AC, 1964, pp. 40 à 142, Lord Reid rédacteur de l'arrêt principal.

V. GOODHART A. L.: «Ridge c/ Baldwin: Administration and natural justice», LQR, 1964, pp. 105 à 116.

1176 ROBSON William A.: «Administrative justice and injustice: A commentary on the Franks report», PL, 1958, pp. 12 à 31.

1177 CLARK D. H.: «Natural justice: susbtance and shadow», PL, 1975, pp. 27 à 63.

1178 «Democracy is a system of government under which everyone is given a fair chance to be heard», GOODHART A. L.: «Legal procedure and democracy», CLJ, 1964, pp. 51 à 59, v. p. 57.

1179 CJPC: 13 novembre 1972, Paul Wallis Furnel c/ Whangane High Stchools Board, AC, 1973, pp. 660 à 691, affaire de la Nouvelle-Zélande, Lord Morris of Borth-y-Gest rédacteur de l'arrêt majoritaire

1180 CJCP: 14 février 1994, Rees c/ Crane, cité note 427.

1181 CJCP: 24 juillet 1979, Attorney-General c/ Thomas d?Arcy Ryan, WLR, 1980, vol. 2, pp. 143 à 155, affaire des Bahamas, Lord Diplock rédacteur de l'arrêt.

l?autorisant à prendre de telle décision pour des motifs impérieux d?ordre public (reasons of public policy). Les juges londoniens s?appuient essentiellement sur le devoir de loyauté (fairness)1182 et d?impartialité (rule against bias) de l?Administration1183 et le fait que seule une procédure contradictoire peut l?emmener à prendre des mesures conformes aux devoirs d?un Etat de droit. L?obligation de loyauté est dans les pays de Common Law un principe de service public lié à son essence même. Sur la base de ce raisonnement, les Lords annulent la décision du ministre des naturalisations.

b. L'enquête préalable en matière d'expropriation

Par une sorte d?arrêt de règlement, le Comité Judiciaire a imposé aux autorités mauriciennes l?organisation d?une enquête préalable aux mesures de cession forcée des biens (compulsory acquisition of property) afin d?assurer au maximum la protection des propriétaires d?immeubles.

Dans l?affaire Harel1184, les Lords soulignent que la Loi mauricienne de 1973 sur le transfert des terres (Land Acquisition Act 1973) n?institue aucune enquête préalable à l?opération d?expropriation mais simplement un recours juridictionnel à la différence des Lois anglaises sur la cession forcée des biens1185. En effet, depuis les recommandations du Comité Franks, il est établi en Angleterre une enquête préalable, conduite par une personne qualifiée, et à laquelle l?exproprié peut participer1186. Le commissaire-enquêteur recueille les observations, les contre-projets et tout autre moyen invoqué en vue de contester le projet d?expropriation. L?expropriant est tenu de fournir tous les éléments essentiels à l?appréciation de l?utilité publique du projet, notamment une notice explicative, un plan de situation, une appréciation sommaire des dépenses ou une étude d?évaluation socio-économique. Le commissaire-enquêteur exerce un contrôle poussé et réel sur ces données et apprécie l?opportunité de l?opération1187. Le ministre ne prend un arrêté de cessibilité qu?au vu des

1182 CJCP: 21 février 1983, Attorney-General c/ Ng Yuen Shui, AC, 1983, vol. 2, pp. 629 à 639, affaire de Hongkong, Lord Fraser of Tullybelton rédacteur de l'arrêt.

1183 SEEPERSAD C. P.: «Fairness and audi alteram partem», PL, 1975, pp. 242 à 258.

1184 CJCP: 15 décembre 1987, Harel Frères Ltd c/ Minister of Housing, Lands and Town and Country Planning, cité note 889.

1185 «There is no provision in the Act for any inquiry into the merits of the proposed acquisition to be held or otherwise giving the landowner objecting to the acquisition any opportunity to be heard before the Minister makes his decision to acquire...», ibid., p. 474.

1186 DISTEL Michel: «Aspects de l?évolution du contrôle juridictionnel de l?Administration en Grande-Bretagne», RIDC, 1982, pp. 41 à 100, v. p. 94-95 sur le développement des procédures administratives contradictoires.

1187 FOULKES David: «Administrative law», Londres, Butterworths, 1990, 7e édition, 554 p., v. p. 109 et s.

conclusions du commissaire-enquêteur et sa décision est éventuellement soumise au contrôle de légalité par le juge.

Face à l?absence de telles procédures administratives à Maurice, le Comité Judiciaire instaure un système sui generis d?enquête devant le juge préalablement au transfert de propriété sur saisine de l?exproprié. Lors de l?enquête-procès, l?expropriant est tenu de fournir à la cour un dossier détaillant le projet, de justifier son utilité publique et de communiquer tous les documents y relatifs dont il dispose. L?expropriant peut être soumis à un contre-examen par l?exproprié. En dernier lieu, il revient à la Cour, et non au ministre, de statuer sur l?opportunité du projet1188. Le Comité Judiciaire réunit ici les deux étapes, présentes dans la procédure anglaise, en une seule tout en faisant preuve d?une grande création prétorienne.

Dans un Etat de droit, les décisions de l?Administration doivent être démocratiques, c'est-à-dire, prises au vu des consultations avec les usagers et citoyens. Le juge londonien veut exporter cette valeur aux pays retenant encore sa compétence.

L?Etat de droit implique aussi que chaque institution publique soit cantonnée dans un rôle spécifique.

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