Paragraphe 2. En droit public institutionnel
Toute Constitution instaure un système de partage de
compétences entre les organes suprêmes de l?Etat et il appartient
au juge constitutionnel de régler les litiges qui ne peuvent manquer de
survenir à ce propos.
Dans les nouveaux Etats du Commonwealth, la distribution
constitutionnelle des pouvoirs n?est pas affirmée expressément
dans le texte suprême mais y est implicite (A), selon le Tribunal de la
Downing Street.
Le Comité Judiciaire a davantage défini et
complété ce principe dans l?objectif de valoriser et de
défendre les prérogatives du judiciaire (B).
1188 CJCP: 15 décembre 1987, Harel Frères Ltd c/
Minister of Housing, Lands and Town and Country Planning, cité note
889.
A. La distribution constitutionnelle des pouvoirs
Le Comité Judiciaire a accordé pleine valeur
constitutionnelle au principe de la séparation des pouvoirs et son
corollaire, l?indépendance du judiciaire (a) et a cantonné le
législateur dans son domaine d?attribution (b).
a. L'affirmation du principe de la séparation des
pouvoirs et l'indépendance du judiciaire
Suite aux travaux de John Locke1189, auteur de
référence en Angleterre après la Glorieuse
Révolution de 1688-89, l?indépendance du judiciaire y fut
affirmée dans la Loi d?Etablissement (Act of Settlement) du 12
juin 1701. La Couronne demeurait la «fontaine de la justice» mais les
juges étaient nommés et demeuraient en fonction aussi longtemps
que leur conduite était bonne et non plus selon le bon plaisir du
Souverain. Leur salaire était garanti. Pour autant, la doctrine stricte
de la séparation des pouvoirs n?a jamais été formellement
appliquée en Angleterre bien que Montesquieu ait fondé sa
théorie sur les institutions britanniques1190. Le
Lord-Chancelier cumule encore aujourd?hui des fonctions au sein des trois
organes suprêmes de l?Etat. Il a rang d?un ministre d?Etat (Senior
Minister). Il assure la présidence de la deuxième chambre
parlementaire et est un des plus hauts magistrats. De même, la Reine en
Son Conseil exerce des fonctions juridictionnelles en droit interne. La chambre
haute du Parlement, la Chambre des Lords, est une des juridictions
suprêmes1191 du Royaume-Uni1192. On se
méfiera tout de même de toute conclusion hâtive. Les juges
britanniques se sont affranchis de la double tutelle du Parlement et de
l?exécutif. Seuls des juges professionnels et inamovibles siègent
à formation juridictionnelle de la Chambre des Lords, à
l?exception du Lord-Chancelier qui assure la synthèse entre les trois
pouvoirs. De même, la tutelle royale sur le Conseil Privé n?est
que symbolique.
Le modèle de distribution constitutionnelle des
pouvoirs fut rationalisé dans les nouveaux Etats du Commonwealth.
L?indépendance des juges est assurée organiquement1193
et le domaine de compétence du Parlement est limité.
1189 LOCKE John: «Deuxième traité du
gouvernement civil», Paris, Librairie Philosophique J. Vrin, 1967, 255 p.,
v. p. 159, paragraphe 143.
1190 MONTESQUIEU Charles Louis de Secondat: «De l?Esprit des
Lois», (1748), Paris, Editions Sociales, 1969, 333 p., v. Livre X,
chapitre VI, pp. 118 et s.
1191 SHELL Donald: «The House of Lords», Harvester,
Wealsheaf, 1992, 276 p.
1192 BRADLEY A. W. et EWIG K. D., cité note 549, v.
chapitre 4: «The relationship between legislature, executive and
judiciary», p. 52 et s.
1193 ALLOT Anthony: «The independence of the judiciary in
the Commonwealth countries: problems and provisions», CLB, 1994, pp. 1428
à 1446.
Le Comité Judiciaire a démontré qu?il est
très attaché au principe de la séparation des pouvoirs et
l?a affirmé de manière solennelle. Dans l?affaire
Hinds1194, Lord Diplock, dans une motivation surabondante qui
ressemble davantage à un cours de droit qu?à une décision
de justice1195, rappelle les principes de base du système
institutionnel des nouveaux Etats du Commonwealth, le modèle
Westminster. Plaçant son analyse dans une perspective historique, il
soutient que le principe de la séparation des pouvoirs y était
appliqué précédemment à l?entrée en vigueur
des nouvelles Constitutions qui, de surcroît, n?ont que consolidé
les institutions existantes. Les Constitutions ont été
élaborées sur la base d?un consensus entre les différentes
forces politiques en présence. Documents de compromis, les Constitutions
contiennent nécessairement des principes non affirmés
expressément, parmi lesquels se trouve celui de la séparation des
pouvoirs. En général, elles ne comportent aucune disposition
formelle tendant à interdire l?usurpation des compétences du
judiciaire par le Parlement ou l?exécutif1196 mais la
séparation des pouvoirs est un principe implicite et accepté.
Ainsi, faisant partie de la nature même du régime, le principe de
la séparation des pouvoirs, est érigé par le juge
londonien en valeur quasi supraconstitutionnelle.
Quant à l?indépendance des institutions
judiciaires élevées, elle se manifeste, affirme Lord Diplock, par
le principe qui veut que le gouvernement ne puisse exercer aucune pression
directe ou indirecte sur les hauts magistrats (Judges). Tout un
chapitre de la Constitution pose des garanties protectrices concernant le
recrutement des hauts magistrats et le cheminement de leur
carrière1197. Ils sont inamovibles et leur
responsabilité disciplinaire ne peut être engagée que sur
la base d?une procédure lourde nécessitant la saisine du Conseil
Privé.
b. Le cantonnement du législatif
Le principe de la séparation des pouvoirs sert devant le
Conseil Privé de principe gigogne?, tel le principe
d?égalité en contentieux constitutionnel
1194 CJCP: 5 novembre 1975, Moses Hinds c/ The Queen, cité
note 233.
1195 Lord Diplock qualifie lui-même sa longue motivation
de «règle de droit» (ratio decidendi) et non
d?affirmation incidente (obiter dicta), ibid., p. 371.
1196 «Thus the Constitution does not normally contain any
express prohibition upon the exercise of legislative powers by the executive or
of judicial powers by either executive of the legislature», ibid., p.
372.
1197 «The Chapter dealing with the judicature invariably
contains provisions dealing with the method of appointment and security of
tenure of the members of the judiciary which are to assure to them a degree of
independence from the other two branches of government», ibid., p. 373.
français1198, en ce sens qu?il se
décompose en une multitude de cas d?application. Il est invoqué
de manière quasi systématique par les requérants car
chaque Loi peut se lire à travers un aspect particulier du principe de
la séparation des pouvoirs, notamment de l?indépendance du
judiciaire.
Le domaine de la Loi est circonscrit. Comme nous l?avons
déjà indiqué, le législateur ne peut
légiférer que pour la paix, l?ordre et le bon
gouvernement1199, c'est-à-dire, il ne peut pas s?immiscer
dans le domaine d?attribution du judiciaire.
Le Comité Judiciaire a affirmé qu?il
n?appartient pas au législateur de censurer les décisions des
juridictions ou de se substituer dans le jugement des litiges relevant de leur
compétence. Une illustration de ce principe se trouve dans l?affaire
Liyanage1200. Une Loi ceylanaise avait institué une
procédure dérogatoire au droit commun pour le jugement des
auteurs d?un coup d?Etat. L?étendue de cette Loi ne permettait au juge
que de constater l?infraction et la culpabilité de certaines personnes
visées. Le législateur lui avait pratiquement dicté la
décision à rendre. La Haute Instance londonienne sanctionne ce
qu?il qualifie d?être «un jugement législatif» et
affirme que «si une telle Loi n?est pas censurée, tout le pouvoir
judiciaire pourra être absorbé par le
législateur»1201. Le même principe a
été rappelé par le juge londonien dans une affaire
mauricienne dans laquelle une Loi à effet rétroactif infirmait
une sentence arbitrale prononcée contre le gouvernement. Avant
l?entrée de la Loi nouvelle, la sentence arbitrale était
susceptible d?une exécution forcée en vertu d?une ordonnance
d?exequatur, délivrée par la Cour Suprême.
Désormais, le ministre de la justice (the Attorney-General)
pouvait s?y opposait, ce qu?il fit dans le cas d?espèce. Le
Comité Judiciaire sanctionne la violation de la séparation des
pouvoirs1202.
La Cour de Maurice s?inscrit dans le droit fil de la
jurisprudence du Comité Judiciaire et sanctionne la Loi dite de
validation1203. Celle-ci est une catégorie de Loi qui tend
à valider un acte qui ne l?était pas initialement du fait de la
censure du juge. La Loi est promulguée après le jugement ayant
déclaré
1198 MICLO François: «Le principe
d?égalité et la constitutionnalité des lois», AJDA,
1982, pp. 115 à 135.
1199 Article 45-1 CM.
1200 CJCP: 21 décembre 1965, Don John Francis Douglas
Liyanage c/ The Queen, AC, 1967, vol. 1, pp. 259 à 292, affaire de
Ceylan, Lord Pearce rédacteur de l'arrêt.
1201 If such Acts were valid, the judicial power could be wholly
absorbed by the legislative and taken out of the hands of the judges»,
ibid., p. 129.
1202 CJCP: 25 octobre 1984, Marine Workers Union c/ Mauritius
Marine Authority, cité note 905, v. p. 849-50.
1203 Un regard rétrospectif permet de constater que le
gouvernement britannique avait avant la deuxième guerre mondiale
tenté d?annuler une décision du Conseil Privé. V. LOWE A.
V. et YOUNG J. R.: «An executive attempt to rewrite a judgment», LQR,
avril 1978, pp. 255 à 275.
l?acte nul avec effet rétroactif de sorte que l?acte
litigieux devienne conforme à la Loi. La Cour de Maurice se montre,
à juste titre, très exigeante et applique avec rigueur le
principe de la séparation des pouvoirs1204 tel
qu?énoncé par le Comité Judiciaire dans l?affaire Liyanage
précitée. Selon la Cour, le législateur ne peut avoir le
pouvoir de censurer les décisions des juridictions ou de
méconnaître le principe de l?autorité de chose jugée
(the doctrine of res judicata). Le Parlement ne peut pas trancher des
litiges et s?ériger en une cour de dernier ressort. Il n?y aurait,
poursuit la Cour, d?Etat de droit (rule of law) s?il en fut
autrement1205.
B. La défense des prérogatives des
organes juridictionnels
Le Comité Judiciaire a jalousement
préservé le pouvoir des institutions judiciaires. Il exerce un
contrôle maximum et n?admet aucune atténuation à l?exercice
des prérogatives du juge en général (a) et de celles des
hauts magistrats (b).
a. De la magistrature en général
Le juge est la seule autorité compétente
à autoriser des atteintes à la liberté individuelle, tel
est semble-t-il le principe qu?a posé le Comité Judiciaire dans
le grand arrêt Ali1206. Afin de comprendre la portée de
cet arrêt, il serait utile de faire un bref rappel des circonstances de
l?affaire. Une Loi mauricienne, votée un peu à la hâte en
1986 suite à une série de scandales, avait prévu que le
procureur de Maurice pouvait, selon sa discrétion, déférer
quelqu?un suspecté de trafic de stupéfiants soit devant un
magistrat (unique) de la Cour Suprême, soit devant la Cour
Intermédiaire (le tribunal correctionnel) soit encore devant la Cour de
District (tribunal de police). Si l?accusé était reconnu coupable
par un juge de la Cour Suprême dans des circonstances aggravantes
spéciales, il devait impérativement être sanctionné
de la peine de mort1207. S?il était reconnu coupable dans les
mêmes conditions par un autre tribunal, la sanction qu?il encourrait
pouvait être différente, c'est-à-dire,
inférieure.
1204 DAUDET Y. et MEETARBHAN M., cité note 368, v. p. 284
et s.
1205 CSM: 26 avril 1982, A. R. Mahboob c/ The Government of
Mauritius, MR, 1982, pp. 135 à 145, le Chef-Juge Sir Maurice Rault
rédacteur de l'arrêt principal. Dans cette affaire, la Cour de
Maurice avait déclaré nulle et non avenue une vente
immobilière entre un individu et une organisation
étrangère. Le législateur avait adopté une Loi qui
déclarait ladite vente valide.
1206 CJCP: 18 février 1992, Ali c/ Regina, cité
note 635.
1207 Articles 28-1 et 28-8 et 38 de la Loi de 1986 sur les
stupéfiants (Dangerous drugs Act).
Est-ce que la discrétion attribuée au procureur,
en l?occurrence le Directeur des poursuites publiques1208, quant au
choix du tribunal et, par conséquent, de la peine encourue est une
violation des pouvoirs du juge répressif1209 ? Le
Comité Judiciaire, saisi de la question, marque sa volonté de
consacrer une conception stricte de la séparation des pouvoirs. Le
Directeur des poursuites publiques, bien qu?il soit considéré
comme étant indépendant de toute autorité
publique1210, est qualifié par le juge londonien d?agent de
l?exécutif, autrement dit, d?agent public. Il ne peut donc pas,
même indirectement, choisir la peine à appliquer sans violer la
distribution constitutionnelle des pouvoirs, les prérogatives du
judiciaire.
Le Comité Judiciaire, dans son analyse reconnaît
que le législateur peut prévoir des peines impératives
(mandatory sentences) pour une catégorie
d?infraction1211. La fixation de la peine par le législateur
est une disposition d?ordre général et se distingue de
l?énoncé de la Loi mauricienne. Dans le premier cas, il revient
en dernier lieu au juge d?appliquer la peine alors que dans le deuxième,
le procureur, en choisissant le tribunal préalablement au procès,
choisit également au cas par cas la peine qui serait appliquée.
Le Comité Judiciaire distingue encore la discrétion
attribuée au procureur mauricien de la pratique tolérée
dite de la correctionnalisation des crimes1212. La technique de la
correctionnalisation (the referring of a case before the magistrate
court) consiste pour l?autorité chargée des poursuites
à négliger une qualification plus grave, souvent criminelle, des
faits pour ne retenir qu?une qualification plus faible ou correctionnelle.
Cette pratique revient à tourner les règles légales
relative à la compétence juridictionnelle afin que le juge saisi
prononce une peine moins sévère. Cette discrétion de
l?autorité poursuivante ne viole aucun principe constitutionnel selon le
Comité Judiciaire. Par contre, celle du procureur mauricien, en vertu de
la Loi litigieuse, lui permettait non seulement de choisir le tribunal mais
aussi la peine qui devait obligatoirement être appliquée si la
culpabilité de l?accusé était reconnue. Sa
discrétion n?aurait pas été contraire à
1208 LABAUVE D?ARIFAT Cyrille, QC: «Le Directeur des
poursuites publiques à l?île Maurice», APOI, 1976, pp. 513
à 578.
1209 La Cour Suprême avait dans sa décision
opéré une neutralisation de la discrétion du procureur en
soutenant que le prévenu suspecté d?avoir agi dans des
circonstances aggravantes ne pouvait être déféré que
devant un juge de la Cour Suprême. V. CSM: 20 septembre 1991, Muktar Ali
c/ Regina, MR, 1991, pp. 138 à 146, le Chef-Juge Glover rédacteur
de l'arrêt.
1210 L?article 72-6 CM dispose que: «Dans l?exercice des
pouvoirs qui lui son conférés par le présent article, le
Directeur des poursuites publiques n?est pas soumis à l?autorité
ou au contrôle de nulle autre personne ou autorité».
1211 Certains Lords judiciaires, dont Lord Donaldson, ancien
président de la Division civile de la Cour d?Appel anglaise conteste
aujourd?hui les législations qui diminuent la liberté du juge
dans le choix de la peine. V. DONALDSON Lord: «Beware of this abuse»,
The Guardian, 1er décembre 1995, p. 21.
1212 CJCP: 11 décembre 1978, The Cheng Poh alias Char Meh
c/ Public Prosecutor, AC, 1980, pp. 458 à 476, affaire de la Malaisie,
Lord Diplock rédacteur de l'arrêt.
la Constitution si le juge du jugement pouvait
déterminer le quantum de la peine1213. La combinaison des
deux éléments, choix du tribunal et peine impérative, rend
la Loi non conforme à la Constitution et viole les prérogatives
du juge.
b. De la haute magistrature
Le Comité Judiciaire a constitutionnalisé la
compétence des hauts magistrats1214. Cette
constitutionnalisation est importante parce qu?elle met un obstacle juridique
à tout dessaisissement des juges des cours supérieures
(higher judiciary) de leur compétence par les autorités
publiques. Le législateur ne peut créer de nouvelles juridictions
composées de simples magistrats1215 qui ne
bénéficient pas d?une totale indépendance pour
connaître des litiges relevant, avant l?entrée en vigueur de la
Constitution, de la compétence exclusive de la Cour Suprême.
L?argumentation du Comité Judiciaire est fort juste. La
Constitution, en évoquant les cours supérieures, se
réfère implicitement aussi aux magistrats composant ces
juridictions1216. Seuls ceux-ci, en raison de leur
indépendance, leur statut et leur mode de recrutement1217
peuvent exercer, même en première instance, certaines fonctions
juridictionnelles et appliquer certaines peines, notamment celle de
réclusion criminelle à vie ou la peine de mort, à
l?inverse des magistrats des cours inférieures1218.
*
1213 «... a discretion vested in a prosecuting authority
to choose the court before which to bring an individual charged with a
particular offence is not objectionable if the selection of the punishment to
be inflicted on conviction remains at the discretion of the sentencing
court», CJCP: 18 février 1992, Ali c/ Regina, cité note 635,
v. p. 410.
1214 CJCP: 5 novembre 1975, Moses Hinds c/ The Queen, cité
note 233.
1215 Dans les nouveaux pays du Commonwealth, les tribunaux
sont classés en deux catégories: les cours supérieures
(higher judiciary) et les cours inférieures (lower
judiciary). Une cour supérieure, telle la Cour Suprême peut
statuer en première instance sur un nombre important d?affaires. Elle ne
correspond pas toujours à une cour de second degré. Les cours
inférieures statuent sur de petites affaires en première
instance.
1216 «Thus, where a Constitution on the Westminster model
speaks of a particular court already in existence when the Constitution comes
into force, it uses this expression as a collective description of all those
individual judges who, whether sitting alone or with other judges or with a
jury, are entitled to exercise the jurisdiction exercised by that court before
the Constitution came into force», CJCP: 5 novembre 1975, Moses Hinds c/
The Queen, cité note 233, v. p. 373.
1217 CJCP: 19 mars 1957, Attorney-General c/ The Queen, AC,
1957, pp. 288 à 324, affaire de l?Australie, Vicomte Simmonds
rédacteur de l'arrêt.
1218 Les cours inférieures ne sont pas
évoquées dans les Constitutions du modèle Westminster mais
sont bien des juridictions valides. V. CJCP: 4 octobre 1993, Commissioner of
Police c/ Skip Patrick Davies, AC, 1994, vol. 1, pp. 283 à 302, affaire
des Bahamas, Lord Goff of Chieveley rédacteur de l'arrêt.
La séparation des pouvoirs est un des principes
fondamentaux d?un Etat de droit. Le judiciaire, du fait de son rôle dans
la défense des valeurs de la République et de la
démocratie libérale, doit être sérieusement
protégé contre les atteintes du pouvoir politique à sa
compétence.
Après l?examen de l?apport du Comité Judiciaire
en droit administratif et droit public institutionnel, il convient d?analyser
enfin la protection du droit de propriété par le juge du
Whitehall.
Sous-section 2. En droit public des biens
A l?île Maurice, le droit public des biens puise son
origine à la fois dans le Code Civil de 1804, la Déclaration des
Droits de l?homme et du Citoyen de 17891219 et la Common Law.
L?article 544 du Code Civil mauricien énonce encore aujourd?hui, comme
celui du Code Civil français, que «la propriété est
le droit de jouir et de disposer des choses de la manière la plus
absolue». De même, la Common Law a attribué, depuis les
écrits de John Locke1220 et de William
Blackstone1221, le caractère d?un droit pratiquement naturel,
voire d?une liberté1222 à la
propriété.
Cependant, la Constitution mauricienne, élaborée
dans un contexte moderne, prend acte de l?évolution des conditions
d?exercice du droit de propriété survenue après la
deuxième grande guerre, lors du développement de
l?Etat-Providence, et s?abstient de toute affirmation du caractère
presque divin et sacré du droit de propriété. L?essence
divine et inviolable du droit est remise en cause pour des motifs
impérieux d?intérêt général à l?instar
des pays de Common Law1223 et de tradition
romano-germanique1224. L?intervention du
1219 CJCP: 13 décembre 1995, La Compagnie Sucrière
de Bel Ombre Ltée c/ The Governement of Mauritius, cité note
860.
1220 ALLIOT Brigitte: «Locke et l?économie
politique», mémoire de DES, Paris, 1963, 81 p., v. p. 16 et s.
1221 BLACKSTONE William, Sir: «Commentaries of the laws
of England», vol. 2 «Of the right of things», (1766), Londres,
The University of Chicago Press, 1979, 520 p., v. p. 2. L?auteur affirme que:
«There is nothing which so generally strikes the imagination and engages
affections of mankind as the right of property; or that sole despotic dominion
which one man claims and exercises over the external things of the world, in
total exclusion of the right of any other individual of the universe».
1222 COVAL S., SMITH J. C. et COVAL S.: «The foundations
of property and property law», CLJ, 1986, pp. 457 à 475.
1223 «But property law has lost its traditional
constitutional status. For decades property has ceased to serve as a
significant formal boundary between individual rights and governmental
power», NEDELSKY Jennifer: «Private property and the limits of
American constitutionalism», Londres, The University of Chicago Press,
1990, 343 p., v. p. 223.
V. aussi CRAIG P. P.: «Constitutions, property and
regulation», PL, 1991, pp. 538 à 554. 1224 «... on est conduit
à en conclure que le droit de propriété est une
liberté ou un droit de second rang par opposition aux droits et
libertés de premier rang telle la liberté de la presse ou la
liberté de l?enseignement», FAVOREU Louis et PHILIP Loïc,
cité note 881, v. p. 471.
législateur dans le domaine foncier,
d?aménagement du territoire et dans la régulation des
activités commerciales est fréquente. Ainsi, la Constitution
mauricienne a été libellée de façon à ce
qu?il en résultât en réalité que de minimes
limitations au pouvoir de la puissance publique de porter atteinte au droit de
propriété. La Constitution déclare de manière
anodine que tout individu a droit à la protection de ses biens et que
nul ne peut en être privé ou dépossédé, dans
ce dernier cas uniquement que pour cause d?utilité publique, sans
indemnité.
Devant un tel dispositif constitutionnel peu contraignant, il
eut apparu qu?une violation du droit de propriété tirée de
l?énoncé de la Loi Fondamentale eût été
impossible tant le pouvoir public conservait une trop grande discrétion
et la majorité des hauts magistrats de la Cour Suprême ne voulait
contrer, fût- ce sur un plan strictement juridique, la politique de
l?Etat dans un secteur aussi sensible que ce droit de l?homme de nature
économique. Or, l?incertitude n?est plus permise
aujourd?hui1225. Depuis un arrêt de principe du Comité
Judiciaire de 19841226, le juriste est obligé d?apporter un
regard neuf sur le droit de propriété. La Haute Instance
londonienne a donné une consistance élevée à ce
dernier dans la hiérarchie des normes (paragraphe 1) et entreprend
depuis de le définir assez libéralement de façon à
étendre considérablement le champ d?application de la protection
constitutionnelle réorganisée et dynamisée (paragraphe 2).
Véritable tournant jurisprudentiel, l?arrêt de 1984 constitue le
point de départ de tout une riche élaboration dont il est
important de mettre en valeur les principaux résultats.
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