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Le Comité Judiciaire du Conseil Privé de la Reine Elisabeth II d'Angleterre et le Droit Mauricien

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par Parvèz A. C. DOOKHY
Université Paris I Panthéon-Sorbonne - Docteur en Droit 1997
  

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Paragraphe 1. Le fondement constitutionnel du droit de propriété

Comme nous l?avons évoqué, la protection constitutionnelle des biens se décompose en deux séries de normes qui correspondent à deux niveaux d?atteinte. La première énonce le principe d?interdiction de toute privation (deprivation) des biens par l?autorité publique sans indemnité1227 (A) et la deuxième soumet à des conditions la cession forcée d?une propriété (compulsory acquisition of property) (B).

V. également FROMONT Michel: «Le droit de propriété dans les jurisprudences constitutionnelles européennes, République Fédérale d?Allemagne», AIJC, 1985, pp. 214 à 218. 1225 COLOM Jacques: «La protection constitutionnelle du droit de propriété à l?île Maurice», pp. 155 à 189 in UNIVERSITE DE DROIT ET D?ECONOMIE ET DES SCIENCES D?AIX MARSEILLE, cité note 375.

1226 CJCP: 25 octobre 1984, Société United Docks c/ Government of Mauritius, cité note 847.

1227 Dans ce dernier cas, tous les attributs du droit de propriété n?ont pas été enlevés au titulaire de ce droit. La privation peut être une limitation de l?exercice de ce droit, une gêne non supportable qui vide le droit de son contenu.

A. Le respect des biens ou la protection contre la privation des biens

L?existence dans la Constitution d?une norme à effet direct protégeant contre la privation des biens a été sérieusement contestée devant le juge londonien (a), qui, tranchant le débat dans un sens positif a également déterminé la portée de la privation (b).

a. Le caractère de la protection constitutionnelle

L?article 3 de la Constitution dispose, à la manière d?un préambule, qu?il «est reconnu et proclamé qu?il a existé et qu?il continue d?exister à Maurice... le droit de tout individu à la protection... contre toute atteinte à ses biens ou toute privation de propriété sans compensation». Le gouvernement a fait valoir que cet article ne comporte aucun caractère impératif en vertu de la jurisprudence locale et londonienne1228.

En effet, la Cour de Maurice rejetait la thèse que l?article 3 fût une disposition opérationnelle (fully operative). Les garanties posées par cet article seraient soumises aux articles suivants et correspondants de la Constitution, c'est-à-dire, à l?article 8 de la Constitution en ce qui concerne le droit de propriété. L?article 3 n?aurait aucune autonomie1229. Le juge local répugnait à lui reconnaître toute valeur positive sans doute à cause de son caractère imprécis et vague1230. De même, le Comité Judiciaire avait manifesté une grande hésitation à accorder au préambule des Constitutions du Commonwealth une valeur positive. Tout au plus, le préambule n?était qu?une partie préliminaire à laquelle le juge pouvait recourir pour interpréter des normes constitutionnelles1231. Sur la base de ces jurisprudences, le gouvernement mauricien soutenait que le propriétaire n?était pas protégé contre la privation de ses biens.

Seul le Chef-Juge Sir Maurice Rault, minoritaire sur ce point à la Cour locale, remet en question la survivance des jurisprudences précitées en droit mauricien de la fin du vingtième siècle1232. Le juge utilise la technique des distinctions pour écarter les précédents invoqués et fonder sa décision sur

1228 Aucune Loi ordinaire ne protégeait non plus effectivement les citoyens contre la privation de leurs biens.

1229 «The guarantee in section 3 has consequently no separate existence», CSM: 3 mai 1976, Jaulim c/ Director of Public Prosecutions, MR, pp. 96 à 109, le juge Garrioch rédacteur de l'arrêt, v. p. 99.

1230 CSM: 14 novembre 1980, Reufac c/ Minister of Agriculture and Natural Resources, MR, 1980, pp. 264 à 278, le juge Glover rédacteur de l'arrêt.

1231 CJCP: 19 avril 1966, Honourable Dr Paul Borg Oliver c/ Honourable Dr Anton Buttigieg, cité note 1145.

1232 CSM: 7 décembre 1981, Société United Docks c/ Government of Mauritius, LRC, 1985, vol. constitutional, pp. 805 à 828, v. opinion individuelle du Chef-Juge Rault.

d?autres autorités. Sa motivation se divise en deux branches. D?abord, il insiste sur l?inclusion de l?article 3 dans le bloc de constitutionnalité en citant une décision plus récente du Conseil Privé1233 et une décision du Conseil Constitutionnel français1234 dans lesquelles ces deux juridictions opèrent une extension du champ des normes constitutionnelles en y incluant le préambule. Ensuite, il applique une décision des juges londoniens consacrant le droit pour un individu de ne pas être privé de ses biens, par opposition à la dépossession1235.

Le Comité Judiciaire approuve la solution retenue par le juge Rault1236 et dans un motif dont il est difficile de rendre compte sans le paraphraser, les Lords affirment que l?article 3 n?est pas simplement un préambule mais dispose d?une pleine autonomie. Ils renversent la hiérarchie des normes au sein même de la Constitution. Désormais, l?article 3 a pleine valeur juridique et toutes les dispositions subséquentes du catalogue des droits doivent s?interpréter à la lumière de ses énonciations1237. L?article 3 prévaut sur l?article 8 qui prévoit les cas de cession forcée. Leurs Seigneuries déclarent d?une manière assez provocante que si le droit contre la privation de la propriété n?est pas effectif, la puissance publique pourrait détruire toute propriété privée sans compensation. Et, comme pour bien affermir leur jurisprudence, ils rappellent l?existence en Common Law d?un principe de responsabilité de la puissance publique à raison des dommages causés par elle aux biens des personnes privées même en temps de guerre1238. Le même principe de responsabilité joue également en matière de privation des biens1239.

b. La signification de la privation des biens

Une fois déterminées l?existence et la valeur de la norme contenue dans l?article 3 de la Constitution, il est nécessaire de s?attarder sur la portée du

1233 CJCP: 27 novembre 1979, Terence Thornhill c/ Attorney-General, cité note 845. 1234 CCF: 16 juillet 1971, Liberté d?Association, cité note 881.

1235 «Their Lordships agree that a person may be deprived of his property by a mere negative or restrictive provision but it does not follow that such a provision which leads to deprivation also leads to compulsory acquisition», CJCP: 11 janvier 1977, Government of Malaysia c/ Selangor Pilot Association, AC, 1978, pp. 337 à 359, affaire de la Malaisie, Vicomte Dilhorne rédacteur de l'arrêt majoritaire, v. p. 347-48.

1236 CJCP: 25 octobre 1984, Société United Docks c/ Governement of Mauritius, cité note 847.

1237 «Their Lordships have no doubt that all provisions of Chapter II, including section 8, must be construed in the light of the provisions of section 3. The wording of section 3 is only consistent with an enacting section; it is not a mere preamble or introduction», ibid., p. 841.

1238 CL: 21 avril 1964, Burmah Oil Company Ltd c/ Lord Advocate, AC, 1965, pp. 75 à 171, Lords Reid et Upjohn rédacteurs des arrêts principaux.

1239 CSC: 3 octobre 1978, Manitoba Fisheries c/ The Queen, DLR, 1979, vol. 88, pp. 462 à 474, le juge Ritchie rédacteur de l'arrêt.

terme de privation des biens. Qu?est-ce qui constitue, selon l?interprétation du Comité Judiciaire, une privation des biens ?

Les Sages de la Downing Street découvrent une véritable richesse juridique enfouie sous le terme privation dans l?affaire La Compagnie Sucrière de Bel Ombre Limitée1240. Ils analysent de façon concrète les mesures administratives susceptibles de porter atteinte au droit de propriété à la manière de la Cour Européenne des Droits de l?Homme dans l?arrêt intitulé Sporrong et Lönnroth1241 auquel ils se réfèrent abondamment1242. Selon eux, pour classer une mesure administrative ou législative parmi celle de privation des biens, ce qui compte n?est pas son intitulée mais l?effet réel qui en découle pour le particulier. Il faut rechercher si la décision de la puissance publique ne porte pas une atteinte disproportionnée aux attributs de la propriété1243. Le juge londonien rabaisse le seuil toléré d?ingérence aux attributs de la propriété en s?appuyant sur un précédent de la Cour Suprême des Etats-Unis d?Amérique1244. Pour la Cour Suprême de Maurice, il ne fallait pas que la mesure de l?autorité politique ou administrative dévidât la propriété complètement de ses éléments. La propriété ne devait pas, selon la formule utilisée, être réduite à une coquille vide. Ce seuil est considéré trop élevé par les Sages de la Downing Street. Désormais, la mesure législative ou administrative ne peut toucher à la substance de la propriété, c'est-à-dire, en restreindre substantiellement son exercice sans constituer une privation1245. Le juge londonien consacre le droit de l?individu à «la jouissance paisible de ses biens» (peaceful enjoyment of his property), notion employée dans la version anglaise de l?article premier du Premier Protocole additionnel à la Convention Européenne des Droits de l?Homme1246. Ce principe comporte une limite: toute législation ou réglementation portant sur l?usage d?une propriété n?équivaut pas à une violation du droit à une jouissance paisible. De nos jours, le droit de propriété est soumis à des impératifs économiques, sociaux et esthétiques. Ainsi, une Loi

1240 CJCP: 13 décembre 1995, La Compagnie Sucrière de Bel Ombre Ltée c/ The Government of Mauritius, cité note 860.

1241 CEDH: 23 septembre 1982, Sporrong et Lönnroth c/ La Suède, PCEDH, 1982, série A, vol. 52, 50 p.

1242 Dans l?arrêt La Compagnie Sucrière de Bel Ombre Ltée précité Lord Woolf identifie les articles 3 et 8 de la Constitution de Maurice aux dispositions de l?article du Premier Protocole additionnel à la Convention Européenne des Droits de l?Homme.

1243 Les trois attributs de la propriété sont (i) le droit d?user de la chose (jus utendi), (ii) le droit de percevoir les fruits de la chose (jus fruendi) et (iii) le droit de disposer de la chose (jus abutendi).

1244 CSEUA: 11 décembre 1922, Pennsylvania Coal Company c/ H. J. Mahon, US, 1922, pp. 393 à 422, le juge Holmes rédacteur de l'arrêt, v. p. 415-6.

1245 «It is right as Lord Lester also argues that to refer to a valueless shell? is to overstate the situation which needs to exist before there is a constructive deprivation», in CJCP: 13 décembre 1995, Compagnie Sucrière de Bel Ombre Ltée c/ The Government of Mauritius, cité, 860.

1246 La notion de la jouissance paisible des biens a été, à notre avis, maladroitement traduite dans la version française du texte de la Convention en «respect de biens».

qui fait obligation au propriétaire de renouveler un bail de métayage sur demande de l?exploitant1247 ne porte pas une atteinte démesurée au droit du propriétaire1248. L?intervention du pouvoir public dans les rapports contractuels est fréquente dans beaucoup de pays. En France par exemple, il est traditionnellement reconnu au locataire d?un immeuble dans lequel il exploite un fond de commerce, un droit particulier de se maintenir dans les lieux. Aussi, le fermier a droit de continuer son exploitation agricole même après expiration de son bail. Il apparaît que les juges londoniens admettent que la puissance publique puisse réglementer le jus abutendi du propriétaire sans porter atteinte à son droit de jouissance. La Loi mauricienne n?a pour effet que d?imposer un contrat, ce qui bien évidemment, est dérogatoire au principe de l?autonomie de la volonté des contractants1249.

B. La protection contre la dépossession des biens

La Constitution de Maurice protège dans un article séparé des dispositions de l?article 3, l?individu contre la cession forcée des biens à la puissance publique.

Il s?agit d?analyser le dispositif constitutionnel (a) et voir comment, malgré les dispositions peu libérales, le Comité Judiciaire a imposé un contrôle puissant des mesures de dépossession des biens (b).

a. Le dispositif constitutionnel

L?article 8 de la Constitution de Maurice a été révisé partiellement en 1983 sous l?impulsion du second gouvernement de Monsieur Aneerood Jugnauth afin de dynamiser le développement économique du pays1250. Les remparts juridiques contre la dépossession ont été affaiblis. Le texte de 1983 a introduit une philosophie socialisante dans l?énoncé de l?article 8, absente dans le texte initial et le Code Civil de 1804 d?inspiration libérale. Quatre grandes modifications ont été apportées. Il est désormais autorisé d?exproprier ou

1247 Article 5-A nouveau (Loi de 1993) de la Loi mauricienne de 1988 sur la Production de l?Industrie Sucrière (Sugar Industry Efficiency Act).

1248 «The ownership of land has a multiplicity of incidents and every regulation of those incidents in the public interest does not attract a prima facie right to compensation. This is especially true where, as here, the regulation is part of the general control of an industry which is already subj ect to substantial regulation in the interest of all those involved in the industry, including the appellants», CJCP: 13 décembre 1995, La Compagnie Sucrière de Bel Ombre Ltée c/ The Government of Mauritius, cité note 860.

1249 BENABENT Alain: «Droit civil, les obligations», Domat droit privé, Monchrestien, 1995, 5e édition, 492, v. p. 35-6.

1250 V. discours de Monsieur Aneerood Jugnauth, Premier Ministre, au Parlement, LAD, 1983, n° 6, pp. 753 à 756.

nationaliser pour «le développement social ou économique du peuple de Maurice»1251. Le constituant a supprimé l?obligation du paiement rapide de l?indemnité et a prévu, à la place, un système de dédommagement étalé sur une période de dix ans1252. Le mode de calcul de l?indemnité compensatoire a été modifié. L?indemnité a perdu son caractère adéquat. Elle est évaluée en terme d?équité, ce qui veut dire qu?elle pourrait éventuellement être inférieure à la valeur vénale du bien en question1253. Le terme équitable traduit l?idée d?un partage du coût entre l?exproprié et la puissance publique. Le dédommagement n?est plus intégral. Enfin, la Loi constitutionnelle de 1983 a soustrait au contrôle du juge toute Loi de nationalisation approuvée par au moins trois quarts des députés1254.

La révision de 1983 est inspirée de l?expérience indienne1255, et peut être aussi italienne1256, tendant à permettre un plus grand contrôle de l?Etat sur les secteurs clés de l?économie. Elle constitue un cas d?affermissement du droit au développement sur un droit de l?homme1257. Le droit de propriété, du fait de ses implications économiques, n?est plus une véritable liberté publique.

b. Le contrôle juridictionnel des mesures de cession forcée des biens

Les finalités autorisées de la dépossession sont larges et peuvent englober tous les besoins publics, de l?objectif de protéger la moralité publique à celui de promouvoir l?intérêt public en passant par le besoin d?assurer le développement social et économique du peuple1258. Une condition est toutefois posée par la Constitution. La cession forcée doit être raisonnablement justifiée au regard des difficultés (hardships) causées par l?opération1259. Le juge londonien entend cette condition de façon sévère puisqu?il enjoint à la Cour locale, juridiction souveraine des faits, de censurer les décisions de l?autorité publique non équilibrées1260 entre les intérêts de la nation et ceux de l?exproprié1261. Les

1251 Article 8-1-a CM.

1252 Article 8-4-c-i CM.

1253 Article 8-1-c-i CM.

1254 Article 8-4-A-a CM.

1255 HIDAYATULLAH M.: «Constitutional law of India», Liverpool, Lucas Publications, 1986, 2 vol., v. vol. 2, pp. 355 à 382 «Right to property and article 300 A».

1256 ZAGREBELSKY Gustavo: «Le droit de propriété dans les jurisprudences constitutionnelles, Italie», AIJC, 1985, pp. 219 à 227.

1257 COLOM Jacques, cité note 245, v. p. 43.

1258 Article 8-1-a CM.

1259 Article 8-1-b CM.

1260 Le juge londonien emprunte à la Cour Européenne des Droits de l?Homme le critère du juste équilibre entre les exigences de l?intérêt général et les impératifs de sauvegarde des droits fondamentaux des individus. V. CEDH: 23 septembre 1982, Sporrong et Lönnroth c/ La Suède, cité note 1241, v. p. 26, paragraphe 69.

1261 «... the executive director of the Sugar Authority gave ample evidence as to the background of
the statutory sugar regime to enable the balancing exercise to be performed between the

inconvénients que l?opération représente ne doivent pas être excessifs par rapport aux avantages qu?elle offre. L?autorité expropriante, s?il s?agit d?une expropriation, doit démontrer à la Cour en quoi les atteintes à la propriété privée, le coût financier de l?opération sont proportionnés ou mieux inférieurs à l?intérêt qu?elle représente1262.

La jurisprudence du bilan du Comité Judiciaire appelle toutefois une remarque pertinente. Elle n?aboutit qu?exceptionnellement à une annulation du projet par le juge du fond. Alors que les requérants soutiennent très souvent que le bilan de l?opération, au sens de la jurisprudence des Sages de la Downing Street, est négatif, ils n?arrivent à emporter la conviction des juges du fond locaux. Le contrôle du bilan ressemble au contrôle de l?erreur manifeste d?appréciation. Le juge ne peut annuler une décision de l?autorité publique que lorsqu?il a le sentiment que les inconvénients de l?opération l?emportent très largement sur ses avantages. Il faudrait qu?il soit confronté à un projet manifestement déraisonnable de l?Etat. Mais il demeure que l?article 3 de la Constitution, par la généralité de ses dispositions et son autonomie telle qu?elle a été consacrée par la Haute Instance londonienne, a acquis une vitalité primordiale dans la défense du droit de propriété.

Ainsi, une fois déterminés l?agencement entre les deux normes constitutionnelles et le caractère constitutionnel de la protection du droit de propriété, le Comité Judiciaire a eu le souci d?élargir la perspective de la notion de propriété.

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"Il y a des temps ou l'on doit dispenser son mépris qu'avec économie à cause du grand nombre de nécessiteux"   Chateaubriand