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Le Comité Judiciaire du Conseil Privé de la Reine Elisabeth II d'Angleterre et le Droit Mauricien

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par Parvèz A. C. DOOKHY
Université Paris I Panthéon-Sorbonne - Docteur en Droit 1997
  

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A. Les dominions

Le terme dominion désignait les grands territoires de l?Empire où vivaient des populations blanches et qui s?administraient eux-mêmes. Le gouvernement de chaque pays était responsable devant l?Assemblée locale. Il bénéficiait d?une autonomie complète dans les affaires intérieures119. Avant la deuxième grande guerre, il existait cinq dominions, à savoir, le Canada, la Terre-Neuve, l?Australie, la Nouvelle-Zélande et l?Afrique du Sud.

Aux fins de cette étude, nous avons choisi deux dominions, le Canada (a) et l?Afrique du Sud (b). Il y subsiste encore aujourd?hui des droits différents de la Common Law. Le choix de l?exemple du Canada se justifie également par le caractère très riche et passionné de ses relations avec le Comité Judiciaire.

118 «Its jurisdiction is more extensive, whether measured by area, population, variety of nations, laws and customs, than that enjoyed by any court known in history», BENTWICH Norman: «The rôle of equity in the jurisdiction of the Judicial Committee of the Privy Council» in BENTWICH, DE BUSTAMENTE et autres: «Justice and equity in the international sphere», Londres, Constable and Co. Ltd., 1936, 59 p., v. p. 40.

119 BAKER Phillip Noël: «Le statut juridique actuel des dominions britanniques dans le domaine du droit international», Recueil des Cours de l?Académie de Droit International, 1927, vol. IV, pp. 247 à 491.

a. L'exemple du Canada

Quand le dominion du Canada fut créé, il existait 60,000 colons français. Le Canada était composé de neuf provinces dont le Québec. Hormis ce dernier où les francophones constituaient 82 % de la population, les anglophones étaient majoritaires dans les provinces. Dans l?ensemble politique canadien, les francophones ne représentaient que 28 % de la population.

Les français, après une lutte pour la défense de leurs libertés linguistique, religieuse et culturelle, avaient obtenu du gouvernement britannique l?adoption de la Loi de 1774 sur le Québec qui garantissait la reconnaissance du culte catholique et la législation française en vigueur en 1763, c?est-à-dire, la Coutume de Paris. Bien que celle-ci fût abolie en août 1866, elle avait été remplacée par un Code Civil inspiré du Code Napoléon.

Chaque province disposait d?une organisation juridictionnelle complète. Les justiciables pouvaient interjeter appel des décisions des cours des provinces soit à la Cour Suprême du Canada et, ensuite, au Comité Judiciaire à Londres, soit directement à celui-ci.

A ce niveau de notre analyse, une interrogation intéressante mérite d?avoir lieu: le Comité Judiciaire fut-il protecteur de la minorité française ? Cette question est complexe et difficile et tout élément de réponse doit, à notre avis, être considéré avec prudence.

La Loi de 1867 sur l?Amérique du Nord Britannique (The British North America Act), qui avait valeur constitutionnelle à l?égard du Canada120, avait, dans ses articles 93 et 133, accordé des garanties en matière d?enseignement et d?usage de la langue française. Mais, saisi d?un pourvoi fondé sur les deux articles, la jurisprudence du Comité Judiciaire n?offrait aucune originalité et n?était pas plus favorable à la minorité française que celle offerte par la Cour Suprême du Canada121. Ainsi, dans l?arrêt Ville de Winnipeg c/ Barret 122, le Comité Judiciaire avait débouté la minorité catholique. Dans une autre

120 Pour une description du système constitutionnel du Canada, v. WOEHRLING José: «La Constitution canadienne et l?évolution des rapports entre le Québec et le Canada anglais de 1867 à nos jours», RFDC, 1992, pp. 196 à 250.

121 Sur le Comité Judiciaire et la protection des minorités au début du dix-neuvième siècle, v. SCOTT F. R.: «The Privy Council and the minority rights», QQ, 1930, pp. 668 à 678.

122 CJCP: 30 juillet 1892, City of Winnipeg c/ Barret, AC, 1892, pp. 445 à 459, affaire de Canada, Lord Macnaghten rédacteur de l'arrêt.

affaire123, l?instance londonienne approuvait la solution de la Cour locale tout en reconnaissant à la minorité le droit de se pourvoir par la voie politique, sous la forme d?un recours au Gouverneur-Général.

Par contre, le Comité Judiciaire interprétait la Loi sur l?Amérique du Nord Britannique dans un sens favorable aux provinces 124. La Loi constitutionnelle énumérait dans son article 91, les matières qui étaient du ressort du Parlement du Canada. Le pouvoir délibérant fédéral pouvait légiférer «pour la paix, l?ordre et le bon gouvernement du Canada»125. L?article 92 désignait les matières qui expressément relevaient de la compétence législative des provinces. Les juges de la Cour Suprême du Canada, nommés par le pouvoir fédéral, tranchaient les litiges dans le sens le plus favorable à la fédération alors que le Comité Judiciaire adoptait une démarche inverse. Il était, dans de nombreux litiges, question de savoir si le Parlement du Canada avait une compétence générale ou simplement subsidiaire. Autrement formulée, la question était celle-ci: le constituant britannique avait-il voulu créer une confédération ou une fédération ? Le Comité Judiciaire apporta à cette interrogation des réponses qui eurent de grands retentissements. Il avait plus ou moins neutralisé l?article 91 de la Loi126. Par exemple, dans l?arrêt Hodge c/ la Reine127, le Comité Judiciaire précisait qu?en vertu de la Constitution, les Parlements provinciaux étaient souverains et avaient la même compétence que le Parlement fédéral. Aussi, le Comité Judiciaire annula-t-il plusieurs dispositions des lois sociales dans les années précédent la deuxième guerre mondiale. En 1935, le Parlement du Canada institua les assurances de chômage. La Loi fut contestée par les autorités du Nouveau-Brunswick. Le gouvernement faisait valoir que la Loi litigieuse était conforme à la distribution constitutionnelle des pouvoirs et que le chômage fût un problème national. Le Comité Judiciaire déclara la Loi contraire à la Constitution parce qu?elle entrait, selon lui, dans le champ de compétence des provinces128. Quant au Québec, en tant que province minoritaire, il tirait profit de la lecture

123 CJCP: 29 janvier 1895, Brophy c/ Attorney-General for Manitoba, AC, 1895, pp. 202 à 229, affaire de Canada, Lord-Chancelier Watson rédacteur de l'arrêt.

124 BROWNE G. P.: «The Judicial Committee and the British North America Act», University of Toronto Press, 1967, 246 p.

125 «For peace, order and good government of Canada».

126 Sur le conflit entre les deux institutions, v. GUIFFAULT Didier: «La Cour Suprême canadienne dans l?ordre constitutionnel fédéral», thèse, Université de Lyon III, 1978, 662 p.

127 CJPC: 15 décembre 1883, Archibald G. Hodge c/ The Queen, AC, 1884-85, pp. 117 à 135, affaire du Canada, Sir James Peacock rédacteur de l'arrêt.

128 CJCP: 28 janvier 1937, Attorney-General for Canada c/ Attorney-General for Ontario, AC, 1937, pp. 355 à 367, affaire de Canada, Lord Atkin rédacteur de l'arrêt.

provincialiste de la Constitution par le Comité Judiciaire129. Bénéficiant d?une plus grande autonomie, sa spécificité était mieux protégée.

b. L'exemple de l'Afrique du Sud

Lorsque les anglais acquirent définitivement la souveraineté sur l?Afrique du Sud, il y vivait déjà, dans les colonies du Cap, du Natal, de l?Orange et du Tansvaal, des colons hollandais, c?est-à-dire, des Boers. Suite à des guerres de défense de leurs libertés, les boers obtinrent du gouvernement britannique l?adoption de la Loi sur l?Afrique du Sud de 1909 qui fondait l?Union Sud Africaine. Cette Loi, de valeur constitutionnelle, disposait que la langue anglaise et la langue hollandaise étaient l?une et l?autre langue officielle du pays et devaient être traitées sur un pied d?égalité. Par ailleurs, le droit hollandais et le droit romano-hollandais (Roman-Dutch law) demeuraient en vigueur.

Les dirigeants hollandais manifestaient une hostilité contre le droit de recours au Comité Judiciaire130. Ils ne voulaient pas qu?un tribunal anglais, si éminents qu?en fussent ses juges, administrât un droit différent du sien. Ils étaient d?avis que les tribunaux locaux étaient mieux placés pour appliquer le droit hollandais et que la Cour Suprême locale devait trancher en dernier ressort leurs différends.

Vu ces réticences, le Comité Judiciaire était principalement saisi des seules affaires portant sur le droit romano-hollandais131 dans lesquelles des questions d?ordre constitutionnel étaient soulevées 132.

Cependant, en 1933, le Comité Judiciaire accorda une autorisation spéciale d?appel portant sur une affaire impliquant des questions de droit romano-hollandais en matière contractuelle133. Le Comité Judiciaire cassa la décision de la Cour Suprême de l?Afrique du Sud. L?arrêt du Comité Judiciaire

129 Mr Bradeur dit: «As to Canada, there is no part of Canada more pleased with the decisions of the Privy Council than the province of Quebec», in PIERSON G. Coen, cité note 104, v. p. 42.

130 C. J. G.: «The Privy Council», SALJ, 1935, pp. 277 à 285.

131 L?article 106 de cette Loi avait déjà considérablement restreint le droit de se pourvoir au Comité Judiciaire. Ainsi, de 1909 à 1949, le juge londonien ne fut saisi que de dix pourvois.

132 CJCP: 8 juillet 1920, Whittaker c/ Durban Corporation, LJPC, 1921, pp. 119 à 126, affaire de l?Afrique du Sud, Vicomte Haldane rédacteur de l'arrêt.

133 CJPC: 10 juillet 1934, Pearl Assurance Company c/ Government of the Union of South Africa, AC, 1934, pp. 570 à 586, affaire de l?Afrique du Sud, Lord Tomlin rédacteur de l'arrêt.

provoqua de vives critiques134 sur sa compétence de la part des juristes et politiques de l?Afrique du Sud.

B. Les colonies et territoires d'outre-mer

Parmi les grandes colonies, l?Inde occupait une place primordiale et mérite qu?on s?y arrête (a). Nous évoquerons aussi les îles Anglo-Normandes qui se distinguaient des territoires conquis par leurs particularités (b).

a. L'exemple de l'Inde

Il existait en Inde, avant de la deuxième guerre mondiale, plus de trois cent cinquante-cinq millions d?habitants composant plusieurs communautés ethniques135. Les législations variaient d?une communauté à l?autre. Par exemple, en droit de la famille, les hindous et les musulmans avaient conservé leurs droits propres136. Ces législations étaient peu respectueuses des droits fondamentaux de l?homme. Le Conseil Privé se prononçait sur la régularité de ces normes. Le contrôle portait sur la moralité et la civilité des lois religieuses. Il privait d?effet les normes inhumaines. A titre indicatif, en 1831, le Conseil Privé avait revu en appel une décision de la Compagnie des Indes Orientales. Les requérants, des hindous de Calcutta, demandaient au Conseil Privé l?annulation d?une décision du Gouverneur-Général interdisant la pratique de sutti?137. Selon cette coutume hindoue, à la mort de l?époux, l?épouse devait se sacrifier et se donner la mort elle aussi pour prouver sa fidélité envers le défunt. Le Conseil Privé rejeta le pourvoi en vertu d?une jurisprudence constante et de sa vocation à civiliser les normes juridiques des pays conquis. Il confirma la décision du Gouverneur-Général.

Quant au droit musulman, qui existait aussi bien en Inde que dans certains pays d?Afrique, le Comité Judiciaire s?était entrepris de l?unifier. Il considérait que le juge d?un pays soumis à son autorité devait appliquer le droit

134 «It was suggested... that the members of the Judicial Committee were charged with impossible task in trying to apply a system of law with which they were slightly acquainted», MARSHALL H. H.: «The Judicial Committee of the Privy Council: a waning jurisdiction», ICLQ, 1964, pp. 697 à 712, v. p. 705 et WELSH R. S.: «The Privy Council Act, 1950», SALJ, 1950, vol. LXVII, pp. 227 à 230.

135 Les hindous formaient 72 % de la population, les musulmans 21 %, les chrétiens 3 %, les bouddhistes et autres 3 %.

136 «It was a fundamental and persisting British policy that, in matters of family law, inheritance, caste and religion, Indians were not to be subjected to a single general territorial law», GALANTER Marc: «Law and society in modern India», Delhi, Oxford University Press, 1992, 329 p., v. p. 18.

137 OWEN D. H. O., cité note 37, p. 2.

musulman tel qu?il l?avait défini et appliqué même dans des affaires en provenance d?autres pays138.

b. L'exemple des îles Anglo-Normandes

Les îles Anglo-Normandes étaient des possessions françaises du Roi d?Angleterre en tant que Duc de Normandie139. Ces îles possèdent encore des statuts juridiques et constitutionnels médiévaux140.

Les pourvois des îles Anglo-Normandes au Comité Judiciaire peuvent poser des difficultés juridiques aux juges anglais du fait de l?extrême ancienneté de leurs lois. Par exemple, le Comité Judiciaire a statué sur une affaire impliquant un clameur de haro? et une pétition de doléance?. Devenir un clameur de haro est une solution médiévale. Il suppose une situation dangereuse et permet de protéger le propriétaire dans la jouissance de ses biens. S?il y a une violation de la propriété d?une personne et que celle-ci crie à haute voix haro, haro, haro?, l?intéressé doit immédiatement cesser le trouble141. De même, le Comité Judiciaire a eu à appliquer la Charte aux Normands de 1314 dans une affaire relative à la succession et la prescription de l?action civile142. La Charte a été promulguée par le Roi français Louis X (1314-1316). Elle était rédigée en un vieux français, peu lucide à la compréhension comme leurs Seigneuries l?ont souligné dans leur décision143. Les Lords y ont invoqué plusieurs autorités françaises sur les lois et coutumes de Guernesey.

*

Ces exemples démontrent l?extrême diversité du champ de compétence du juge londonien. L?inventaire de l?étendue de ce pouvoir avait incité les

138 CJCP: 10 octobre 1951, Fatuma Binti Mohamed Bin Salim Bakhshuwen c/ Mohamed Bin Salim Bakshuwen, AC, 1952, pp. 1 à 14, affaire de l?Afrique Orientale (Ethiopie), Lord Simmonds rédacteur de l'arrêt, v. p. 14.

139 PATEY Jacques, cité note 41, v. p. 167.

140 LEMASURIER René: «Le droit de l?île de Jersey», thèse, Paris, Editions A. Pédone, 1956, 344 p.

141 OWEN D. H. O., cité note 37, v. p. 4-5.

142 CJCP: 9 juin 1973, Adolphus Henri Vaudin c/ Adolphus John Hamon, WLR, 1973, vol. 3, pp. 257 à 267, affaire de Guernesey, Lord Wilberforce rédacteur de l'arrêt.

143 «The earlier law to which both statutes refer is contained in la Charte aux Normands promulgated by King Louis X in 1314. The relevant passage reads: «Item, que prescription ou la tenue de quarante ans suffise à chacun en Normandie dorénavant, pour titre compétent, ou toute justice haute ou basse, ou de quelconque autre chose que ce soit. Et s?aucun de la duché de Normandie de quelconque condition ou état qu?il soit possédé par quarante ans paisiblement, qu?il ne soit sur ce molesté, en aucune manière de nos justiciers, ne souffert être molesté...». This text, though not simple, on careful examination, leads to conclusions upon which the present appeal can be decided» ibid.

dirigeants locaux, une fois l?Empire affaibli, à redéfinir la place qu?occupait le Comité Judiciaire dans le système institutionnel des territoires de la Couronne.

Sous-section 3. Le déclin du Comité Judiciaire

L?après deuxième guerre mondiale ouvrit l?ère de la décolonisation. Il déclencha dans tous les pays soumis à la domination anglaise, des révoltes contre l?impérialisme. La grandeur, l?autorité et la compétence matérielle du Comité Judiciaire furent réduites. Dans tous les territoires occupés, le nationalisme se déchaîna (paragraphe 1) au nom des principes de démocratie et du droit des peuples à disposer d?eux-mêmes. Les populations des colonies réclamèrent l?indépendance politique et judiciaire. Le Comité Judiciaire ne pouvait s?adapter à cette évolution. La légitimité de sa juridiction fut sévèrement mise en cause dès lors que les autorités britanniques n?eussent parvenues à le transformer en une cour suprême du Commonwealth (paragraphe 2).

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"Nous voulons explorer la bonté contrée énorme où tout se tait"   Appolinaire