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Le Comité Judiciaire du Conseil Privé de la Reine Elisabeth II d'Angleterre et le Droit Mauricien

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par Parvèz A. C. DOOKHY
Université Paris I Panthéon-Sorbonne - Docteur en Droit 1997
  

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Paragraphe 1. La montée du nationalisme

A l?instar de la France, l?Angleterre était contrainte de s?engager dans un processus de décolonisation après la guerre (A).

Le Comité Judiciaire, perçu dans le Commonwealth comme un organe de l?Empire britannique, devenait incompatible avec le statut d?Etats indépendants des anciennes colonies. La mise en cause de l?institution s?était intensifiée (B).

A. L'émancipation des territoires

Les colonies et dominions se rangèrent aux côtés de la Grande-Bretagne lors des deux grands conflits mondiaux. Les Premiers ministres des dominions étaient en conséquence invités, dès le premier conflit, à participer aux séances du Conseil de guerre (War Cabinet) qui devint, par la suite, le Conseil de guerre impériale(Imperial War Cabinet). L?Inde, compte tenu de son importance démographique, était elle aussi représentée dans les conférences ultérieures.

Les dominions participèrent à la définition de leurs politiques extérieures et, notamment, aux négociations de paix de 1919. Ils signèrent le Traité de Versailles de la même année. Ils devinrent ensuite membres de la Société des Nations.

Ce nouveau rapport de force avait contraint la Grande-Bretagne à négocier elle-même avec ses dominions et colonies (a) et, éventuellement, à leur accorder l?indépendance (b).

a. Le processus d'émancipation des territoires

Pour maintenir l?unité de l?Empire dans les prises de position sur le plan international, la Grande-Bretagne organisa, en 1926, une conférence sur le devenir de l?Empire. Le gouvernement de Londres était déterminé à faire disparaître les dispositions juridiques de l?Empire contraires à l?égalité de statut entre l?Angleterre et les dominions. Il fut adopté une résolution dite «la déclaration de Lord Balfour» selon laquelle le Royaume-Uni et les dominions seraient des communautés autonomes et égales en statut et ne seraient subordonnées les unes aux autres sous aucun aspect de leurs affaires intérieures ou extérieures.

Cette déclaration constatait l?existence au sein de l?Empire d?un groupe de nations indépendantes, dont le seul lien organique entre elles et la Grande- Bretagne était l?institution royale. La Loi britannique de 1931 sur le Statut de Westminster (Statute of Westminster Act), qui reprenait les termes de la déclaration de Lord Balfour, disposait que le Parlement de Londres ne pouvait légiférer à l?égard d?un dominion qu?à la demande expresse de celui-ci. Les Parlements des dominions devenaient entièrement souverains. La Loi de 1931 abrogea la Loi de 1865 sur la validité des lois coloniales. Quant au Comité Judiciaire144, les dominions possédaient la faculté d?abolir à leur égard sa j uridiction145.

En ce qui concerne les colonies, leur volonté de s?émanciper atteignit un point culminant après la deuxième guerre. L?Inde réclamait le départ des anglais. Dans les autres pays d?Asie, un sentiment anti-européen avait pris naissance et la population se dressa contre la tutelle européenne146. De même, les colonies africaines revendiquaient le droit à l?indépendance.

Devant cette poussée du nationalisme, le gouvernement de Londres décida de conduire les territoires coloniaux au stade du gouvernement autonome (self-

144 JENNING Ivor: «The Statute of Westminster and appeals to the Privy Council», LQR, 1936, pp. 173 à 188.

145 Les dominions s?étaient émancipés en 1931. A l?exception de l?Afrique du Sud, qui accéda au statut de République en 1961, les dominions demeurent des monarchies constitutionnelles où le souverain est la Reine Elisabeth II. V. BRADY Alexander: «Democracy in the Dominions», Londres, University of Toronto press, 1955, 614 p.

146 GRIMAL Henri, cité note 114, v. p. 98.

government)147 dans le cadre du Commonwealth148. L?Angleterre ne s?était pas opposée à l?émancipation de ses colonies et avait proclamé son attachement au droit de ses colonies à disposer d?elles-mêmes.

147 L?Angleterre renonça volontairement à sa souveraineté politique pour s?assurer, grâce à un climat de bonne entente, le maintien de ses liens commerciaux et monétaires. V. GRIMAL Henri: «La décolonisation, de 1919 à nos jours», Bruxelles, Editions Complexes, 1985, 351 p., y. p. 179.

148 CONAC Gérard, in CONAC Gérard (dir), cité note 18, y. p. XI.

b. Le transfert de souveraineté

L?objectif du gouvernement de Londres était d?accélérer l?évolution politique et constitutionnelle des territoires d?outre-mer afin que des conditions d?installation d?un gouvernement stable et responsable fussent présentes. Le Commonwealth des Nations, organisation créée juridiquement par la Loi de 1931 sur le Statut de Westminster et qui s?était substituée progressivement à l?Empire, fut un élément favorable à la politique évolutive mise en oeuvre par l?Angleterre149. La Communauté des Nations avait permis le passage en douceur des colonies de l?Empire au stade d?Etats indépendants du Commonwealth.

Ainsi, dès la fin de la deuxième guerre mondiale, les autorités locales des grandes colonies, tels l?Inde150 et le Ceylan (Sri Lanka), étaient appelées à former des gouvernements qui devaient progressivement prendre la direction des affaires politiques des dirigeants britanniques, notamment du Gouverneur. Les institutions créées, le Conseil Exécutif et le Conseil Législatif, qui devenaient ensuite respectivement le gouvernement et le Parlement, traduisaient profondément la nature des institutions du régime parlementaire de la Grande - Bretagne. L?Inde obtint, même si le modèle d?évolution n?avait pas fonctionné parfaitement, son indépendance en 1947151 et le Ceylan en 1948.

Le processus d?évolution vers l?émancipation fut très rapide en Afrique anglaise152. L?introduction des autochtones dans les conseils locaux avait accéléré les revendications nationalistes. Chaque réforme et chaque avancée proposée et octroyée par la Grande-Bretagne furent dépassées par de nouvelles revendications jusqu?à l?accession des pays à l?indépendance. L?Angleterre établissait alors une Constitution dite finale? pour chaque nouveau pays.

B. Le retrait des nouveaux Etats du champ de compétence du Comité Judiciaire

Depuis la promulgation de la Loi de 1931 sur le Statut de Westminster, les juristes et politiques de certains dominions, puis des nouveaux Etats du

149 JUDD Denis et SLINN Peter: «The evolution of the modern Commonwealth 1902-80», Londres, Macmillan, 1982, 171 p., v. p. 97 et s.

150 FISCHER Georges: «Le Parti travailliste et la décolonisation de l?Inde», Paris, Librairie François Maspéro, 1966, 341 p.

151 PARSAD Rajendra: «The new Indian Constitution», pp. 123 à 133, in BAILEY Sydney D. (dir): «Parliamentary Government in the Commonwealth», Londres, Hansard Society, 1951, 217 p.

152 «L?avance constitutionnelle était l?aspect le plus important de la nouvelle politique. Elle ne posait, en principe, du côté de la Grande-Bretagne, aucune difficulté doctrinale: les territoires africains auraient simplement à suivre la voie déjà tracée par les dominions et Ceylan», GRIMAL Henri, cité note 147, v. p. 225.

Commonwealth, avaient mis en avant les imperfections et l?archaïsme de l?institution londonienne et demandait par conséquent sa dissolution.

Il serait utile de recenser les critiques émises à l?encontre du Comité Judiciaire (a) avant d?évoquer l?appauvrissement de sa compétence (b).

a. Les griefs invoqués par les nouveaux Etats

Les critiques à l?égard du Comité Judiciaire furent nombreuses et variées. La réticence fondamentale au droit de recours au Comité Judiciaire provenait, non pas des imperfections du système, mais plutôt de son existence même. En accédant à l?indépendance, les nouveaux Etats considéraient les appels à Londres comme incompatibles avec leur souveraineté parlementaire et judiciaire. Cet argument tenace fut le refrain de toute réflexion sur la justice londonienne par les autorités des nouveaux Etats. Le Comité Judiciaire représentait un des derniers insignes du colonialisme153. Aussi, certains juristes du Canada considéraient que la Haute Instance londonienne portait atteinte à la crédibilité de la Cour Suprême et inhibait le développement de son statut et de son prestige154. La Cour Suprême s?éclipsait devant le Comité Judiciaire.

Les dirigeants politiques canadiens voyaient dans le maintien de la juridiction londonienne une anomalie. Les litiges d?ordre constitutionnel d?un grand pays, tel le Canada, ne pouvaient être tranchés par un organe juridictionnel étranger, autrement dit un tribunal anglais155. L?éloignement géographique du Comité Judiciaire portait préjudice à la légitimité de ses décisions. Le juge londonien ne disposait pas d?une bonne connaissance des situations et des subtilités locales nécessaires à la bonne administration de la justice156 d?autant que le Comité Judiciaire était composé à majorité ou unanimement de juges anglais. Très peu de juges des ex-colonies furent nommés membres du Conseil Privé malgré l?existence de dispositions législatives à cet effet157. Par ailleurs, la composition de la formation de jugement du Comité

153 GORDON G. M., DE B. FARRIS J. W. et SCOTT F. R.: «Abolition of appeals to the Privy Council: A symposium», CBR, 1947, pp. 557 à 572. v. p. 571.

154 «The existence of the Privy Council undermined the credibility of the Supreme Court and inhibited the development of its status and prestige», CAIRNS Alain.: «The Judicial Committee of the Privy Council and its critics», RCSP, 1971, pp. 301 à 345, v. p. 344-5.

155 GUIFFAULT Didier, cité note 126, p. 14.

156 «The real complaint against the Committee in terms of judicial competence was that, its very nature, being composed in practice of entirely of U.K. judges, it could not possibly match local practitioners in their knowledge of local law and conditions», SWINFEN David B., cité note 38, v. p. 11.

157 Les Etats du Commonwealth n?avaient pas les mêmes garanties de représentation au Comité Judiciaire que les écossais en ont à la Chambre des Lords. Seuls les dominions et l?Inde pouvaient avoir un de leurs juges siéger au Comité Judiciaire.

Judiciaire variait de temps en temps. Le personnel n?était pas stable car les juges étaient désignés de manière occasionnelle'58 et la jurisprudence, en ce qui concernait le Canada, fut fluctuante, voire contradictoire d?autant que le Comité Judiciaire n?était pas lié par ses propres décisions.

L?égalité d?accès de tous les justiciables à la justice londonienne n?était pas assurée. Très coûteuse, la justice londonienne était fondamentalement injuste. Les moins fortunés furent défavorisés. L?aide juridictionnelle prévue (qui a pour appellation formâ pauperis?) ne permettait pas à tous les justiciables de revenus modestes d?en bénéficier. Seuls ceux qui ne possédaient pas plus, à l?époque, de £ 5 pouvaient recevoir cette aide.

b. L'appauvrissement du champ de compétence du Comité Judiciaire

Plusieurs pays mirent fin à la compétence du Comité Judiciaire à leur égard et il serait utile de rappeler quelques grandes dates.

Le premier pays à abolir le droit d?appel au Comité Judiciaire fut l?Etat Libre d?Irlande (The Irish Free State). La Constitution de 1922 avait établi une Cour Suprême mais elle ne comportait aucune disposition relative au droit de recours au Souverain d?Angleterre. Le Comité Judiciaire s?était reconnu compétent à l?égard de l?Etat Libre d?Irlande en considérant que son pouvoir relevait d?une convention constitutionnelle bien établie. En 1933, le Parlement irlandais adopta une Loi Constitutionnelle annulant le droit de recours au Roi d?Angleterre.

L?histoire de l?abolition des appels par le Canada fut passionnée. En 1926, une première tentative d?abolition partielle du droit de recours fut tenue en échec par le Comité Judiciaire. Le tribunal londonien annula la disposition législative qui lui est relative en vertu de la Loi de 1865 sur la validité des lois coloniale s'59.

Nous avons vu qu?en 1931 la Loi sur le Statut de Westminster proclama la souveraineté des parlements des dominions. Ainsi en 1933, le Parlement canadien vota une Loi réformant le Code Pénal dans le but de revenir sur le

158 «(It was) a court of fluctuating personnel characterised by the intermittent appearance and quick disappearance of many members», MAC DONNALD Vincent: «The Privy Council and the Canadian Constitution», CBR, 1951, pp. 1021 à 1037, v. p. 1024.

159 CJCP: 25 février 1926, Nadan c/ The King, AC, 1926, pp. 482 à 496, affaire canadienne, Vicomte Lord-Chancelier Cave rédacteur de l'arrêt. Selon le juge, la loi canadienne violait la Loi de 1833 sur le Comité Judiciaire.

dispositif de la précédente décision du Comité Judiciaire. En vertu du nouvel ordonnancement juridique, le Comité Judiciaire confirma la validité de la Loi canadienne160.

Le droit d?appel demeurait en droit privé et public (civil matters), mais les décisions du Comité Judiciaire furent mal accueillies au Canada. L?activisme judiciaire de la Haute Juridiction donnait l?impression qu?elle poursuivait une politique colonialiste dans l?interprétation de la Constitution canadienne161. Le Comité Judiciaire avait, selon ses adversaires, substitué son idéologie politique aux lois votées par les représentants du peuple canadien162. Il semble qu?au-delà des argumentations étayées, la réticence canadienne envers le Comité Judiciaire se situait sur un plan politique. Les autorités fédérales voulaient consolider la nation canadienne. Le Comité Judiciaire, soutenant le gouvernement britannique, tenait à empêcher la montée en puissance d?une telle nation qui aurait pu suivre le pas des Etats-Unis d?Amérique et se déclarer indépendante.

Une proposition de loi tendant à abolir le recours juridictionnel à Londres fut adoptée en 1939163. Déférée au Comité Judiciaire, le juge prononça la conformité de la Loi à la Constitution164.

Quant à l?Inde, elle supprima, une fois la République proclamée en 1947, tout droit de recours au Comité Judiciaire165 et délégua toute la compétence de ce dernier à une Cour fédérale suprême. Depuis son retrait du champ de compétence du Comité Judiciaire, le nombre général de pourvois des pays à Londres s?était diminué considérablement. Il y a lieu de souligner que les appels de l?Inde, du fait de leur nombre, étaient tranchés par une formation spéciale du Comité Judiciaire166.

Le conflit entre le Comité Judiciaire et la Haute Cour de l?Australie fut intense167. La Haute Cour avait refusé d?appliquer les précédents du Comité Judiciaire et refusait systématiquement d?accorder aux requérants une

160 CJCP: 6 juin 1935, British Coal Corporation c/ The King, AC, 1935, pp. 500 à 523, affaire du Canada, Vicomte Sankey rédacteur de l'arrêt.

161 CAIRNS Alain, cité note 154, v. p. 312 et s.

162 MARSHALL H. H., cité note 134, v. p. 701. Lors des débats sur la proposition de loi tendant à abolir le droit de recours à Londres, un député fit remarquer que: «Le droit d?appel existait pour les colonies. Le Canada n?est pas une colonie», ibid.

163 LIVINGSTON William S.: «Abolition of appeals from Canadian courts to the Privy Council», HLR, 1950-51, vol. 64, pp. 104 à 112.

164 CJCP: 13 janvier 1947, Attorney-General for Ontario c/ Attorney-General for Canada, AC, 1947, pp. 127 à 155, affaire de Canada, Lord-Chancelier Jowitt rédacteur de l'arrêt.

165 EDDY J. P.: «India and the Privy Council: the last appeal», LQR, 1950, vol. 66, pp. 206 à 215.
166 CAMPELL Enid M.: «The decline of the jurisdiction of the Privy Council», ALJ, 1959, pp. 196 à 209.

167 SAWER G.: «Appeals to the Privy Council», OLR, 1970, vol. 2, pp. 138 à 149.

autorisation de se pourvoir au Conseil Privé. Réagissant à cette attitude, le juge de la Downing Street admettait plus libéralement les demandes d?autorisation de se pourvoir devant lui. Les autorités politiques de l?Australie réagissaient à leur tour en limitant de manière progressive les cas d?ouverture d?un pourvoi à Londres. En 1975, le droit de former un pourvoi contre un arrêt de la Haute Cour fédérale au Comité Judiciaire fut aboli. Seuls les Etats fédérés pouvaient encore maintenir le droit de recours au Conseil Privé à l?encontre des décisions des cours suprêmes fédérées. Aussi, la Haute Cour fédérale affirmait sa souveraineté en déclarant que ses précédents prévalaient sur ceux du Comité Judiciaire en cas de conflit. Le Comité Judiciaire dénonça sévèrement cette prise de position168. Suite à un accord entre tous les Premiers ministres des Etats fédérés de l?Australie, il fut adopté, en 1985, une Loi mettant définitivement fin au droit des australiens de se pourvoir au Souverain.

Au cours des années soixante-dix et quatre-vingts, nombreux Etats africains du Commonwealth avaient suivi l?exemple des dominions. Le Comité Judiciaire s?affaiblit et ne s?adaptait pas à l?évolution du Commonwealth. L?institution ne s?était pas transformée malgré les propositions faites en ce sens par des pays alors encore soumis à sa juridiction et par des dirigeants britanniques.

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"Aux âmes bien nées, la valeur n'attend point le nombre des années"   Corneille