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Le pouvoir discrétionnaire du Procureur de la Cour pénale internationale

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par Pierre GIRAUD
Paris 2 Panthéon Assas - Institut des hautes études internationales  - Certificat de recherche approfondie 2012
  

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B) les controverses liées au pouvoir discrétionnaire

Les critiques formulées à l'encontre de la justice pénale internationale tiennent d'abord aux circonstances de création de ces juridictions. La création de juridictions à compétence rétroactive a en effet favorisé le discours selon lequel le vainqueur d'un conflit recourait à la justice afin d'obtenir une sanction pénale contre les perdants. Cette justice post-conflit était donc décrédibilisée ab initio. Ces critiques n'ont pas totalement disparu avec la signature et la ratification du Statut de Rome mais elles se sont malgré tout affaiblies, la Cour pénale internationale ayant une vocation permanente et n'ayant pas de compétence rétroactive.

En revanche, la marge d'appréciation conférée au Procureur, tout au long de la phase précédent le jugement, est le siège de nombreux reproches. Ces reproches ont trait tout autant à la mise en oeuvre du pouvoir discrétionnaire dans la décision d'enquêter qu'au choix des personnes poursuivies ou encore qu'aux incidences de la mise en oeuvre de ce pouvoir discrétionnaire sur les processus de paix.

Les griefs quant à la mise en oeuvre du pouvoir discrétionnaire dans la décision d'enquêter

L'octroi au Procureur de la Cour pénale internationale de la possibilité de mener discrétionnairement des enquêtes d'initiative a été discuté lors de la conférence diplomatique des plénipotentiaires qui s'est tenu à Rome en juin et juillet 1998.

Les délégations étaient divisées en deux camps. Certaines ont défendu cette possibilité affirmant que l'efficacité de la Cour serait renforcée ainsi que l'effectivité de sa juridiction dans les cas où le Conseil de sécurité, par le biais du veto, ou les Etats parties, ne voudraient pas la saisir. L'autosaisine devait donc constituer une garantie contre une politisation de la Cour à supposer bien sûr que le Procureur soit indépendant.

A l'opposé, certaines délégations arguaient que cette troisième voie allait précisément politiser l'action de la Cour et l'institution du Procureur. Selon ce point de vue en effet, le Procureur risquait d'être saisi de demandes d'enquêtes émanant d'entités diverses telles que des organisations non gouvernementales ou des personnes privées, animées par des considérations politiques. Parmi les Etats défavorables, les Etats-Unis d'Amérique ont fait

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valoir qu'il serait peu judicieux de donner au Procureur la faculté d'entamer de lui-même des enquêtes car, outre la surcharge de la Cour qui en résulterait, cela provoquerait des confusions et controverses et affaiblirait la nouvelle institution plutôt que de la renforcer. Considérant que la menace était que le Procureur se transforme en ombudsman des droits de l'homme se saisissant des plaintes émanant de n'importe quelle source, ils avaient plaidé en faveur de la limitation de la compétence de la Cour pénale internationale aux seuls cas qui lui seraient soumis par le Conseil de sécurité.

L'analyse des dispositions statutaires régissant l'enquête initiée par le Procureur montre que les décisions négatives de celui-ci, celles par lesquelles il refuse de s'autosaisir et de provoquer une enquête proprio motu sont parmi les plus critiquées26. En effet, le Procureur est conduit à opérer un choix que peuvent ne pas comprendre, ceux qui lui ont adressé les renseignements d'autant que le Procureur a pour seule obligation statutaire de leur notifier sa décision de ne pas diligenter d'enquête sans avoir à motiver cet avis. Or les raisons d'un tel refus peuvent être très variables.

L'examen préliminaire des renseignements reçus par le Bureau du Procureur peut en avoir révélé l'insuffisance de même qu'il ne peut parfois être tiré aucune conséquence juridique des renseignements reçus, lesquels ne caractérisent pas une infraction susceptible de relever de la compétence de la Cour. Dans ces deux cas de figure, le refus du Procureur se comprend dans la mesure où sa fonction impose de ne pas donner suite aux plaintes futiles le Statut réservant la compétence de la Cour aux crimes les plus graves.

Des considérations extra-juridiques peuvent cependant également être à l'origine du refus du Procureur d'envisager d'ouvrir de lui-même une enquête.

Ainsi notamment de la politique revendiquée par le Bureau du Procureur qui entend, au nom de l'efficacité de l'enquête postérieure à l'examen préliminaire, limiter l'usage des dispositions du Statut concernant l'enquête proprio motu et favoriser les enquêtes sur renvoi

26 Certains auteurs considèrent que le pouvoir discrétionnaire du Procureur se manifeste surtout dans ses décisions négatives. En ce sens, STITH (K), « The arc of the Pendulum ; Judges, Prosecutors and the Exercise of Discretion », Yale Law Journal 2008 ; pp 1420 à 1422 « In the context of the criminal law, to exercise discretion means, most simply, to decide not to investigate, prosecute, or punish to the full extent avalable under the law ».

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de situations27.

Ces refus s'inscrivent alors dans un choix de politique pénale du Bureau du Procureur. Les critiques quant au contenu même de cette politique pénale, voire quant à la légitimité du Procureur de la Cour à définir une politique pénale, sont alors mobilisées. Elles émanent notamment des organisations non gouvernementales et de la société civile internationale qui ne disposent que de la voie de l'article 15 (1) pour accéder à la juridiction de la Cour.

Par ailleurs, le choix des infractions objet des poursuites tout comme celui des personnes devant être poursuivies constituent également des aspects controversés de la mise en oeuvre du pouvoir discrétionnaire générant des critiques tenaces étant observé que contrairement au Statut des tribunaux militaires et des tribunaux ad hoc, le Statut de la Cour pénale internationale ne prédétermine pas les situations justifiant l'ouverture d'enquête et de poursuites28.

27 A la date de rédaction du présent rapport, le Procureur n'a sollicité la Chambre préliminaire aux fins d'autorisation d'ouverture d'une enquête, qu'à deux reprises, en 2008 s'agissant de la situation au Kenya dans le contexte des violences post- électorales ainsi que la situation en Côte d'Ivoire par demande du 23 juin 2011. Dans ces deux cas, la Chambre préliminaire a autorisé l'ouverture d'une enquête.

Dans un document du Bureau du Procureur d'octobre 2010, le Bureau indique que si l'Etat concerné refuse de déférer la situation, il peut alors à tout moment décider l'ouverture d'une enquête de sa propre initiative et rappelle que c'est ce choix qui a été fait s'agissant de la situation au Kenya. In « Document de politique générale relatif aux examens préliminaires », octobre 2010, p17, disponible sur www.icc-cpi.int

28 Par exemple l'accord de Londres du 8 août 1945 instituant le tribunal militaire de Nuremberg stipulait en son article 6 que : « Le Tribunal établi par l'Accord mentionné à l'article 1er ci-dessus pour le jugement et le châtiment des grands criminels de guerre des pays européens de l'Axe sera compétent pour juger et punir toutes personnes qui, agissant pour le compte des pays européens de l'Axe, auront commis, individuellement ou à titre de membres d'organisations, l'un quelconque des crimes suivants [à savoir] « Les crimes contre la paix (É), les crimes de Guerre, les crimes contre l'Humanité ».

La résolution 955/1994 du Conseil de sécurité de l'Organisation des Nations Unies portant Statut du Tribunal pénal international pour le RWANDA stipule en son article 1er qu'un tribunal international est crée et « chargé uniquement de juger les personnes présumées responsables d'actes de génocide ou d'autres violations graves du droit international humanitaire commis sur le territoire du Rwanda et les citoyens rwandais présumés responsables de tels actes ou violations commis sur le territoire d'États voisins, entre le 1er janvier et le 31 décembre 1994 ».

La loi sur la création des chambres extraordinaires au sein des tribunaux cambodgiens dispose en son article 1er que ces chambres sont établies pour juger « les hauts dirigeants du Kampuchéa démocratique et les principaux responsables des crimes et graves violations du droit pénal cambodgien, des règles et coutumes du droit international humanitaire, ainsi que des conventions internationales reconnues par le Cambodge, commis durant la période du 17 avril 1975 au 6 janvier 1979 ».

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Dans ces circonstances, le pouvoir discrétionnaire dont dispose le Procureur de la Cour pour choisir les Etats au sein desquels une enquête sera diligentée génère reproches et suspicions quant à sa capacité à agir contre les puissants.

Le Bureau du Procureur a par exemple procédé à un examen préliminaire s'agissant des situations en Irak, Afghanistan, Colombie, Géorgie, Guinée, Palestine, Venezuela, Honduras et République de Corée mais sans ouvrir d'enquête. En ce qui concerne la situation en Afghanistan de nombreuses organisations non gouvernementales ont dénoncé les agissements des forces de la coalition29. Le Bureau du Procureur a annoncé officiellement qu'il analysait cette situation en 2007 et que cet examen porterait sur des crimes présumés relevant de la compétence de la Cour qu'auraient perpétré tous les acteurs concernés, y compris les forces de la coalition et les rebelles, mais il expose, à ce jour, n'avoir reçu aucune réponse à ce jour du gouvernement afghan malgré ses demandes de renseignements.

L'implantation des situations actuellement soumises à la juridiction de la Cour conforte les critiques liées à la capacité de la Cour à agir contre les puissants et à tendre vers l'universalisme de la sanction. Toutes ces situations concernent en effet exclusivement l'Afrique.

Treize affaires dans le contexte de sept situations ont été ouvertes à la Cour depuis son instauration jusqu'à aujourd'hui.

Ces situations concernent l'OUGANDA qui a renvoyé en décembre 2003 au Procureur, la situation concernant le nord du pays et plus spécifiquement les agissements de l'Armée de résistance du seigneur30 ; la République centrafricaine, le gouvernement

29 Différentes accusations sont évaluées, aussi bien contre les soldats de l'OTAN que contre les rebelles. Selon les Nations unies, plus de 2 000 civils ont été tués en Afghanistan en 2008. Environ 40% d'entre eux l'ont été par les armées de la coalition. L'Afghanistan ayant ratifié le traité de Rome qui fonde la Cour pénale internationale, tout crime de guerre commis sur son sol après 2002 peut être l'objet d'une enquête de la Cour. Le procureur OCAMPO a annoncé qu'il procédait à un examen préliminaire.

30 Le conflit actuel en OUGANDA dure depuis l'insurrection réussie de 1986 d'un groupe rebelle mené par l'actuel président, Yoweri Museveni. Depuis que le Président Museveni et son mouvement, l'Armée de résistance nationale, ont pris le pouvoir et ont installé le système de « démocratie sans parti », il y a eu de nombreux mouvements rebelles basés dans le nord de l'OUGANDA. Le plus puissant, l'Armée de résistance du Seigneur (ARS) ou Lord Resistance Army (LRA) continue à lutter contre le gouvernement. L'armée de résistance du Seigneur (ARS), accusée d'avoir mené depuis 1987 une insurrection contre le gouvernement et l'armée ougandais, entendait renverser le président

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centrafricain ayant renvoyé au Procureur de la Cour les crimes commis sur son territoire depuis juillet 2002 date d'entrée en vigueur du Statut de Rome31 ; la situation en République démocratique du Congo (RDC) suite au renvoi de la situation par le président de la RDC le 19 avril 2004, pour des faits commis sur son territoire notamment en Ituri depuis l'entrée en vigueur du Statut32 ; la situation au Soudan et notamment dans la province du Darfour suite à la résolution 1593 du Conseil de sécurité des Nations Unies du 31 mars 200533 ; la situation

ougandais MUSEVENI et mettre en place un régime basé sur les Dix Commandements de la Bible. En 2002, son chef Joseph KONY aurait ordonné aux forces de l'ARS d'attaquer les populations civiles et aurait eu recours à la conscription forcée d'enfants. S'en seraient suivis des actes criminels comprenant le meurtre, l'enlèvement, la réduction en esclavage sexuel, la mutilation ainsi que l'incendie d'un grand nombre de logements et le pillage de camps. Le 7 juillet 2005, un mandat d'arrêt a été décerné par la Cour pénale internationale à l'encontre de Joseph KONY mais ce dernier est toujours en fuite.

31 Depuis son indépendance en 1960, la République centrafricaine a connu de nombreuses révoltes armées et coups d'État. En 2002 et 2003, le conflit armé entre les forces armées nationales du président de l'époque, Ange-Félix PATASSE et les forces de rébellion menées par M. François BOZIZE, ancien chef d'état-major des forces armées centrafricaines et, soutenues par les forces du Mouvement de libération du Congo (MLC) dirigé par Jean-Pierre BEMBA GOMBO a été marqué par quantité de violences sexuelles commises à l'encontre de la population civile. Le 22 décembre 2004, les autorités de République centrafricaine (RCA) ont déféré la situation au Bureau du Procureur. Après analyse de la situation, le Bureau du procureur a annoncé le 22 mai 2007 sa décision d'ouvrir une enquête en RCA. Le 24 mai 2008, Jean-Pierre BEMBA GOMBO a été arrêté par les autorités belges et remis à la Cour en exécution du mandat d'arrêt décerné à son encontre le 23 mai 2008 pour crimes de guerres et crimes contre l'humanité qu'il aurait commis en RCA pendant la période allant du 25 octobre 2002 au 15 mars 2003.

32 Le 17 mars 2006, un premier mandat d'arrêt concernant la situation en RDC a été descellé et rendu public. Il visait Thomas LUBANGA DYILO, le chef de l'Union des Patriotes Congolais (UPC), un mouvement politique et militaire. Thomas LUBANGA a été arrêté et transféré à La Haye le jour même. Le 26 janvier 2009, le procès contre Thomas LUBANGA DYILO s'est ouvert à La Haye, pour l'enrôlement et la conscription présumés d'enfants soldats pour les faire activement participer aux hostilités. Le procès contre Germain KATANGA et Mathieu NGUDJOLO CHUI qui s'est ouvert le 24 novembre 2009 est le deuxième procès de la CPI. Ils sont accusés de crimes de guerre et crimes contre l'humanité présumés commis dans le village de Bogoro (Ituri, est de la RDC) entre janvier et mars 2003.

33 La crise du Darfour est un conflit qui se déroule dans l'ouest du Soudan depuis 2003 et qui oppose d'une part l'armée soudanaise, et la milice janjaweed, recrutée principalement parmi les tribus du nord, les Rizeigat, aux populations « africaines » de la région (Fur, Zaghawa, MassalitÉ) notamment au Mouvement de Libération du Soudan et au Mouvement pour la Justice et l'Egalité. Le gouvernement soudanais dénie publiquement tout soutien au mouvement janjaweed, mais il lui aurait fourni argent et assistance et aurait participé avec elle à des attaques contre les Fur. Les attaques du gouvernement et des Janjaweed contre la population civile non-Baggara ont provoqué plusieurs centaines de milliers de morts et une crise humanitaire majeure avec le déplacement de plus de deux millions de personnes. Deux mandats d'arrêt ont été décernés à l'encontre du Président du Soudan, M. Omar Hassan Al Bashir qui serait pénalement responsable en tant que coauteur ou auteur indirect, au sens de l'article 25-3-a du Statut de Rome pour cinq chefs de crimes contre l'humanité : meurtre ; extermination; transfert forcé; torture; viol. Deux chefs de crimes de guerre : le fait de diriger intentionnellement des attaques contre une population civile en tant que telle ou contre des personnes civiles qui ne participent pas directement aux hostilités - article 8-2-e-i ; et pillage - article 8-2-e-v.

Trois chefs de génocide : génocide par meurtre (article 6-a), génocide par atteinte grave à l'intégrité physique ou mentale (article 6-b), et génocide par soumission intentionnelle de chaque groupe ciblé à

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au Kenya ; la situation en Côte d'Ivoire et enfin la situation en Libye suite à la résolution 1970 (2011) du Conseil de sécurité du 26 février 2011.

Dans les deux cas d'ouverture d'enquête proprio motu, seules des situations en Afrique ont été choisies. Il ne peut être exclu que le Procureur ne peut que difficilement envisager, non pas de procéder à un examen préliminaire, mais d'ouvrir une enquête sur des situations qui intéressent des puissances de premiers plans et a fortiori engager des poursuites contre leurs auteurs. En effet, ces dernières peuvent par le biais du Conseil de sécurité des Nations Unies, ordonner qu'il soit sursis à enquête ou à poursuites34. Certaines d'entre elles n'ont d'ailleurs pas signé ou ratifié le Statut de Rome35.

Mais si les attentes en terme d'universalisme des situations soumises à la Cour sont légitimes, aucune disposition statutaire n'énonce pour autant d'obligation particulière en matière de répartition géographique des situations. Le Statut n'oblige pas le Procureur à s'assurer que les enquêtes et les poursuites dont il a l'initiative concernent tous les continents, tout au plus a-t-il l'obligation d'être impartial dans l'exercice de ses prérogatives36.

Les cas d'enquête et de poursuites décidées après renvoi des États parties et du Conseil de sécurité de l'Organisation des Nations Unies suscitent quant à elles des critiques qui sont moins dirigées contre le Procureur, que contre ceux qui le saisissent.

S'agissant des renvois de situations par les Etats parties, il est parfois opposé que les nouveaux régimes politiques cherchent ainsi à se retourner contre leurs prédécesseurs et opposants. Cette remarque n'est pas sans fondement dans la mesure où certains Etats parties ont pu désigner au sein des situations qu'ils déféraient à la Cour, des groupes ou des individus susceptibles d'être poursuivies. Ainsi par exemple du renvoi par l'OUGANDA de la situation dans le nord du pays et spécifiquement des agissements de l'Armée de résistance du Seigneur. Toutefois, le Procureur de la Cour pénale internationale,

des conditions d'existence devant entraîner sa destruction physique (article 6-c).

Voir In SELLIER (J), Atlas des peuples d'Afrique, La Découverte, 2005, p 46. V. aussi BONIFACE (P), Atlas des relations internationales, Hatier.

34 Cette résolution doit cependant être adoptée sur le fondement du Chapitre VII de la Charte ce qui suppose que l'enquête ou les poursuites menacent la paix et/ou la sécurité internationales. V. Article 16 du Statut de Rome.

35 Notamment la Chine, Les Etats-Unis, la Russie et l'Inde.

36 Sur l'impartialité et la déontologie voir II -2.

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M. OCAMPO avait alors indiqué expressément qu'il fallait interpréter le cadre de ce renvoi à la lumière des principes énoncés dans le Statut de Rome et analyser en conséquence, les crimes liés à la situation au nord de l'OUGANDA, quels qu'en soient les auteurs37. Le Bureau rappelle régulièrement ce principe. Ainsi en ce qui concerne la situation en COTE D'IVOIRE, le Procureur a déclaré en marge des poursuites engagées contre l'ancien président Laurent GBAGBO qu'il saisirait la Cour de nouvelles affaires et ce quelque soit l'affiliation politique des personnes concernées, c'est-à-dire même si elles font parti du camp des Forces nouvelles, ex rebelles, du président OUATTARA38.

S'agissant des renvois de situations par le Conseil de sécurité, les critiques liées à la composition du Conseil de sécurité sont parfois utilisées pour tenter de jeter le discrédit sur le renvoi en soulignant le défaut d'impartialité du Conseil.

En ce qui concerne enfin le choix des personnes poursuivies, le Bureau du Procureur ne s'est jamais considéré lié par les listes nominatives éventuellement fournies par les Etats parties ou le Conseil de sécurité, à l'appui de leurs renvois39. Ainsi dans le cadre de la situation au Kenya, une commission avait été créée par le gouvernement kenyan en février 2008. Cette commission, dite « Commission of Inquiry on post Election violence », présidée par un juge kenyan, Philippe WAKI, avait fourni avec son rapport, une liste de suspects au Secrétaire général des Nations Unies qui l'a transmise le 9 juillet 2009, au Procureur de la Cour. M. OCAMPO a affirmé par l'intermédiaire de son Bureau que cette liste n'était pas tenue pour contraignante ; qu'elle reflétait les conclusions de la commission et qu'elle serait soumise au même examen que les autres sources qui lui parviennent40.

Le Procureur, seule structure investie du droit de poursuivre, a donc une liberté totale pour

37 Lettre du Procureur M. MORENO OCAMPO au Président de la Cour, M. KIRSCH. Lettre annexée à la Décision relative à l'assignation de la situation en Ouganda à la Chambre préliminaire II le 6 juillet 2004. Disponible sur www.legal-tools.org

38 Déclaration du Procureur du 30 novembre 2011, « Justice sera faite pour les victimes ivoiriennes de crimes commis à grande échelle : M. GBAGBO est le premier à devoir rendre compte de ses actes. Il ne sera pas le dernier. » sur http://www.icc-cpi.int

39 A l'inverse, au tribunal militaire de NUREMBERG, 4 organisations avaient été déclarées criminelles et le simple fait d'en faire partie constituait un crime (le NSDAP (le parti nazi) ; la S.S. ; le S.D. (Service de Sécurité) ; la Gestapo (Police politique).

40 Une approche similaire avait été suivie s'agissant de la situation au Darfour, la Commission internationale d'enquête de l'Organisation des Nations Unies ayant adressé au Procureur en avril 2005, une liste incluant les noms de 51 personnes ainsi que les raisons pour lesquelles la Commission les soupçonnait de s'être rendues coupables de crimes au Darfour.

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apprécier quelles personnes il poursuivra, en tenant compte en particulier de ce que la Cour est compétente pour juger les plus hauts criminels.

Les réserves quant aux incidences de la voie judiciaire sur les processus de paix

Cette critique opposée à la justice pénale internationale se décline en réalité en deux griefs. L'un est dirigé contre la justice pénale internationale en général au motif que la voie judiciaire serait inopportune et constituerait une forme d'ingérence dans le politique, les questions dont elle est amenée à connaître étant strictement politiques41. C'est ici le principe même de justice pénale internationale qui est en cause. D'autres contestent moins le principe que le moment où la justice pénale internationale tend à être mise en oeuvre en raison des incidences que peuvent avoir les décisions de justice sur des Etats en transition. Ce type d'argument est facilement mobilisable lorsque le Procureur de la Cour pénale internationale met en oeuvre son pouvoir discrétionnaire pour poursuivre les auteurs de crimes qui viennent de se commettre dans des Etats entrant à peine dans un processus de transition. Dans ces circonstances en effet, l'intervention judiciaire est perçue comme étant de nature à attiser les dissensions internes ; les décisions d'ouvrir une enquête voire d'engager des poursuites, perçues comme menaçantes pour la paix. Dans un article consacré « aux enquêtes et à la latitude du Procureur de la Cour pénale internationale42 », Arnaud POITEVIN cite la situation en OUGANDA et plus particulièrement l'intervention d'une délégation de chefs Acholi du Nord du pays ayant fait part au Procureur de ses craintes quant aux conséquences pernicieuses d'une décision d'enquête sur le cessez-le-feu alors en pourparlers. L'actualité plus récente fournit également des exemples similaires. Ainsi de la situation en COTE D'IVOIRE, le Front populaire ivoirien (FPI), parti du président GBAGBO, ayant annoncé qu'il suspendait sa participation à tout processus de réconciliation nationale par suite du transfèrement de l'ancien président à la Cour pénale internationale à LA HAYE.

L'examen des travaux préparatoires et des dispositions statutaires montre que les Etats parties ont également craint les possibles conséquences négatives de la mise en oeuvre de la voie judiciaire sur les processus de paix puisqu'ils se sont réservés la possibilité d'agir sur les

41 voir introduction

42 POITEVIN (A), « Cour pénale internationale : les enquêtes et la latitude du Procureur », Droits fondamentaux, n°4, janvier-décembre 2004. Voir aussi ALLEN (T), Trial Justice: The International Criminal Court and the Lord's Resistance Army (2006)

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travaux du Procureur de la Cour dans de telles circonstances. Le Statut permet en effet au Conseil, qui a la responsabilité principale du maintien de la paix, de suspendre les enquêtes ou les poursuites lorsqu'elles sont susceptibles de menacer la paix et/ou la sécurité internationales43. Le Conseil de sécurité n'a pas fait un usage efficace de cette prérogative même si à deux reprises, en 2002 et en 2003, il a adopté des résolutions préventives dans lesquelles il demandait sur le fondement de l'article 16 du Statut de Rome, qu'aucune enquête ou poursuite ne soit engagée à l'encontre de personnels originaires d'un Etat non partie, qui aurait contribué à une opération de maintien de la paix sur le territoire d'un Etat partie.

Cette initiative, particulièrement contestable sur un plan juridique dans la mesure où elle consistait pour le Conseil de sécurité à se reconnaître la faculté de suspendre préventivement les enquêtes et poursuites alors même que l'article 16 s'applique à des situations pendantes devant la Cour, n'a eu aucun effet et n'a pas été renouvelée44.

Le pouvoir discrétionnaire du Procureur de la Cour pénale internationale est incontestable tant dans sa décision d'ouvrir ou non une enquête que dans la sélection des affaires et des personnes poursuivies. La mise en oeuvre d'un tel pouvoir dans un domaine où les questions judiciaires et politiques s'imbriquent, explique les attentes et les craintes que cristallise le Procureur. Le Statut lui confère en effet des prérogatives de nature à en faire une institution essentielle dans l'approche des questions relatives à la résolution des conflits les plus graves. Mais, le Procureur reste avant tout une autorité judiciaire dont l'action est soumise au respect de la règle de droit, en l'occurrence du Statut, lequel le contraint à respecter des critères juridiques dans ses décisions sur l'action répressive. Aux garanties internes au Bureau du Procureur de nature à assurer du bon emploi du pouvoir discrétionnaire (A), s'ajoute la soumission éventuelle de ce dernier au contrôle juridictionnel (B).

43 L'article 16 du Statut de Rome intitulé « sursis à enquêter ou à poursuivre » dispose que : « aucune enquête ni aucune poursuite ne peuvent être engagées ni menées en vertu du présent Statut pendant les douze mois qui suivent la date à laquelle le Conseil de sécurité a fait une demande en ce sens à la Cour dans une résolution adoptée en vertu du Chapitre VII de la Charte des Nations Unies ; la demande peut être renouvelée par le Conseil dans les mêmes conditions ».

44 Résolution 1422 (2002) adoptée par le Conseil de sécurité lors de sa 4772e séance, le 12 juin

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et Résolution 1487 (2003) adoptée par le Conseil de sécurité lors de sa 4772e séance, le 12 juin

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"Soit réservé sans ostentation pour éviter de t'attirer l'incompréhension haineuse des ignorants"   Pythagore