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Le pouvoir discrétionnaire du Procureur de la Cour pénale internationale

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par Pierre GIRAUD
Paris 2 Panthéon Assas - Institut des hautes études internationales  - Certificat de recherche approfondie 2012
  

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IIème partie- Les contrôles et garanties dans la mise en oeuvre du pouvoir discrétionnaire du Procureur

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Dans ses décisions sur l'enquête et sur les poursuites, le Procureur est notamment soumis, au respect des dispositions des chapitres 2 et 5 du Statut de Rome. En interne, son Bureau doit s'assurer, chaque fois qu'il est fait usage du pouvoir discrétionnaire, de la juridicité de ses décisions et du respect des conditions énoncées dans le Statut. Ce contrôle de légalité effectué au sein même du Bureau témoigne de ce que le Procureur est avant tout une autorité judiciaire ce que confirment aussi les garanties statutaires qui s'attachent à la fonction de Procureur de la Cour (A). En tout état de cause, l'existence d'un contrôle judiciaire possible sur l'action discrétionnaire du Procureur constitue une garantie supplémentaire du bon emploi du pouvoir discrétionnaire (B).

A- Les garanties et contrôles internes au Bureau du Procureur

Le Procureur de la Cour pénale internationale dispose de garanties statutaires fortes inscrites à l'article 42 du Statut de Rome afin d'éviter que ses décisions soient arbitraires et de permettre donc, des décisions rendues de façon indépendante et impartiale.

Ainsi, aucune autorité n'exerce de contrôle direct sur le Bureau du Procureur de la Cour. La durée de son mandat, 9 ans, l'absence de possibilité d'être reconduit dans ses fonctions au-delà de ce délai, sont de nature à accroître l'efficacité de son action et le suivi d'une politique pénale cohérente.

Le Procureur doit agir en toute indépendance et a pour devoir d'être impartial sauf à s'exposer à la mise en oeuvre de la procédure de récusation organisée par le Statut. Le Procureur est mis à l'abri de poursuites inopportunes même s'il doit être relevé qu'il peut en cas de manquement aux devoirs de son état, être démis de ses fonctions par la voie judiciaire conformément à l'article 46 du Statut.

Les contrôles effectués par le Bureau, sur le respect des conditions de mise en oeuvre du pouvoir discrétionnaire apportent également des garanties.

Avant d'envisager l'ouverture d'une enquête, le Procureur doit conformément aux dispositions des articles 15 (3) et 53 (1) du Statut et 48 du Règlement de procédure et de preuve, s'assurer qu'il résulte des renseignements fournis, une base raisonnable laissant penser qu'un crime relevant de la compétence de la Cour a été commis. Le Procureur a

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l'obligation d'établir l'existence de cette base raisonnable devant la Chambre préliminaire lorsqu'il est à l'initiative de l'enquête ce qui implique qu'il s'assure de l'existence d'une base raisonnable anticipe dès le stade de l'enquête.

Dans certains cas restrictifs où il n'envisage pas d'initier une enquête bien qu'il a été sollicité en ce sens par le Conseil de sécurité ou par un Etat partie sur renvoi d'une situation, le Procureur peut être obligé de prouver l'absence de base raisonnable pour suivre.

La notion de base raisonnable ne se limite pas à l'appréciation d'éléments factuels. Elle renvoie également à une appréciation juridique de la compétence de la Cour et de la recevabilité de l'affaire.

Le Procureur doit s'assurer que la Cour pourrait être compétente temporellement, matériellement, territorialement et personnellement.

La compétence ratione temporis de la Cour implique que le crime ait été commis après l'entrée en vigueur du Statut, soit en général après le 1er juillet 2002 ou après l'entrée en vigueur du Statut pour l'Etat partie lorsque celui-ci l'a ratifié après45. En cas de renvoi par le Conseil de sécurité, le Procureur ne peut ouvrir d'enquête que pour les faits commis à partir de la date stipulée dans le résolution. Pour ce qui concerne la situation en Libye par exemple, seuls les faits postérieurs au 15 février 2011 entrent dans la compétence temporelle de la Cour. Enfin, en cas de déclaration déposée par un Etat partie en application de l'article 12-3 du Statut de Rome46, la compétence temporelle s'apprécie à la date indiquée dans cette déclaration. Ainsi s'agissant de la situation en Côte d'Ivoire actuellement pendante devant la Cour, le Procureur s'est fondé sur une déclaration d'acceptation de compétence de la Cour du 18 avril 2003 par laquelle l'Etat ivoirien a accepté pour une durée indéterminée, la compétence de la Cour. Cette déclaration ayant été confirmée par le Président OUATTARA, le 14 décembre 2010.

45 Article 11 (2) du Statut

46 Aux termes de l'article 12 (3) du Statut : « si l'acceptation de la compétence de la Cour par un Etat qui n'est pas Partie au présent Statut est nécessaire aux fins du paragraphe 2, cet Etat peut, par déclaration déposée auprès du Greffier, consentir à ce que la Cour exerce sa compétence à l'égard du crime dont il s'agit. L'Etat ayant accepté la compétence de la Cour coopère avec celle-ci sans retard et sans exception conformément au chapitre IX.

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La compétence matérielle implique que les renseignements examinés fassent ressortir l'existence d'un crime relevant de la compétence de la Cour c'est-à-dire conformément aux articles 5 et suivants du Statut, le crime de génocide, les crimes contre l'humanité, les crimes de guerre et le crime d'agression47.

Le contrôle effectué par le Bureau du Procureur sur la compétence ratione loci48 de la Cour pour connaître des faits pour lesquels il envisage de diligenter une enquête consiste à s'assurer que le crime a été commis sur le territoire d'un Etat partie ou dans un Etat non partie au Statut qui a néanmoins consenti par déclaration à ce que la Cour exerce sa compétence où encore dans n'importe quel Etat lorsqu'il a été saisi par le Conseil de sécurité.

Quant à la compétence personnelle, elle suppose, dans les cas notamment où les crimes ont été commis dans un Etat non partie au Statut, que le crime ait été commis par le ressortissant d'un Etat partie ou par n'importe quel ressortissant si le Conseil de sécurité est à l'origine du renvoi de l'affaire. Si le Procureur ne peut incontestablement ni enquêter ni poursuivre les crimes commis sur le territoire d'Etats non parties par les ressortissants d'Etats non parties, sauf saisine du Conseil de sécurité des Nations Unies, la communication de son Bureau dans de telles circonstances, est susceptible d'alerter l'opinion internationale et de constituer une pression sur le Conseil de sécurité afin que ce dernier renvoie le cas échéant, la situation au Procureur.

Ainsi que le rappelle le Procureur dans le Document de politique générale relatif aux examens préliminaires rendu public en octobre 2010, à travers le contrôle de la caractérisation des critères de compétence c'est un cadre objectif à l'intérieur duquel le Bureau peut mener ses enquêtes qui se définit. Il s'agit de s'assurer que l'action du Bureau du Procureur s'inscrive bien dans le respect du Statut et dans les limites qu'il lui impose.

47 Le Statut ne définissait pas le crime et ne prévoyait pas les conditions d'exercice par la Cour, de sa compétence. Le 11 juin 2010, les États présents à la Conférence de révision du Statut de Rome ont adopté par consensus des amendements au Statut de Rome, notamment une définition du crime d'agression. Désormais au terme de l'article 8 bis du Statut, le crime d'agression s'entend de « la planification, la préparation, le lancement ou l'exécution par une personne effectivement en mesure de contrôler ou de diriger l'action politique ou militaire d'un État, d'un acte d'agression qui, par sa nature, sa gravité et son ampleur, constitue une violation manifeste de la Charte des Nations Unies ». Les conditions d'entrée en vigueur adoptées à Kampala prévoient que la Cour ne pourra exercer sa compétence à l'égard du crime d'agression qu'à partir du 1er janvier 2017, date à compter de laquelle les États parties devront prendre une décision pour activer la compétence.

48 Articles 11 et 12 du Statut

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Le contrôle de la recevabilité de l'affaire implique de s'assurer que l'affaire pour laquelle une enquête est envisagée satisfait aux conditions de l'article 17 du Statut, c'est-à-dire qu'elle se concilie avec le principe de complémentarité, essentiel dans le Statut de Rome, et avec l'exigence d'un certain niveau de gravité de l'affaire.

Le Procureur doit s'assurer que l'affaire pour laquelle il envisage une enquête n'a pas fait l'objet d'une enquête ou de poursuites internes, la Cour étant complémentaire des juridictions nationales. Deux cas de figure doivent être envisagés, celui d'une enquête ou de poursuites en cours au sein de l'Etat partie concerné d'une part, celui d'un enquête terminée au sein de l'Etat partie concerné lorsque ce dernier a décidé de ne pas poursuivre d'autre part. En principe dans ces deux cas de figure, l'affaire est irrecevable. La Cour ne pouvant en connaître, le Procureur ne devrait pas la solliciter pour ouvrir une enquête. Cet article prévoit néanmoins des réserves qui tiennent aux cas où un Etat n'aurait pas la capacité de faire l'enquête, de poursuivre lui-même ou bien n'en aurait pas la volonté49. Le Bureau du Procureur doit donc procéder à un examen préliminaire de l'existence ou non d'enquêtes et de poursuites dans les Etats parties concernés. En l'absence d'enquête ou de poursuites sur les faits pour lesquels le Procureur envisage d'initier une enquête, la recevabilité de sa requête paraît acquise. En revanche, la tâche de son bureau est moins évidente lorsqu'une enquête a effectivement été faite par l'Etat partie concerné mais que celui-ci n'entend pas engager de poursuites. L'examen porte alors sur la volonté de l'Etat dans l'enquête ce qui implique d'apprécier le comportement des autorités de poursuites internes. Le Statut est taisant quant aux éléments de comparaison.

Le Procureur doit également s'assurer que les personnes qu'il entend éventuellement poursuivre n'ont pas déjà été jugées pour les mêmes faits et que l'affaire présente un caractère suffisant de gravité. L'examen de ce dernier critère constitue une obligation en vertu de l'article 17 (1d) du Statut mais également du préambule puisque celui-ci affirme que la Cour est instituée afin de sanctionner les crimes les plus graves touchant l'ensemble de la communauté internationale et ainsi de lutter contre leur impunité. Aucune disposition ne vient préciser la consistance de ce critère mais le Bureau du Procureur a précisé que dans son appréciation de la gravité, il tenait compte d'aspects qualitatifs et quantitatifs et qu'il prenait

49 Ce principe tend à distinguer la Cour pénale internationale des tribunaux pénaux internationaux qui avaient primauté sur les juridictions pénales nationales et qui pouvaient notamment demander le dessaisissement des juridictions à tout stade de la procédure et pour toute affaire.

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ainsi en considération, l'échelle, la nature, le mode opératoire et l'impact des crimes. Dans sa demande d'autorisation d'ouverture d'enquête s'agissant de la situation au Kenya, le Procureur a évoqué au soutien de sa demande, le nombre estimé de victimes, 1200, et leur nature, meurtres et violences sexuelles notamment. Dans son document de politique générale relatif aux examens préliminaires, le Bureau du Procureur invoque également le critère de gravité pour justifier qu'il n'a pas envisagé d'enquête s'agissant de la situation en Irak. Le Bureau affirme en effet que les renseignements reçus ont établi l'existence d'une base raisonnable permettant de croire que des crimes relevant de la compétence de la Cour avaient été commis, à savoir l'homicide intentionnel et le traitement inhumain. Toutefois, il indique qu'il ressort de ces renseignements que les crimes commis l'ont été en nombre limité, quatre à douze victimes estimées d'homicides intentionnels et un nombre réduit de victimes de traitements inhumains, à savoir, près de vingt personnes 50.

Le critère des intérêts de la justice est au nombre de ceux qui ont donné lieu à critiques51. Si le Procureur n'a pas à démontrer que l'enquête ou les poursuites serviraient les intérêts de la justice ce qui lui facilite la tâche dans sa décision d'ouvrir une enquête ou de poursuivre, il peut par contre invoquer le fait que cette enquête ou ces poursuites ne serviraient pas les intérêts de la justice, pour refuser d'enquêter ou de poursuivre. Ainsi l'article 53-1 (C) dispose que « s'il y a des raisons sérieuses de penser, compte tenu de la gravité du crime et des intérêts des victimes, qu'une enquête ne servirait pas les intérêts de la justice », le Procureur peut conclure qu'il n'y a pas de base raisonnable et donc ne pas ouvrir d'enquête. Une décision similaire peut-être prise en ce qui concerne les poursuites si conformément à l'article 53-2 (C), le Procureur estime que « poursuivre ne servirait pas les intérêts de la justice, compte tenu de toutes les circonstances, y compris la gravité du crime, les intérêts des victimes, l'âge ou le handicap de l'auteur présumé et son rôle dans le crime allégué ». Le Statut octroie au Procureur la possibilité de refuser l'ouverture d'enquête ou l'engagement de poursuites sur ce seul fondement. Aucune disposition statutaire ne vient en fixer précisément le contenu ce qui interroge quant à cette notion d'intérêts de la justice.

50 Le Bureau du Procureur précise que les autorités internes ont engagé des procédures pour ces faits bien que non concernées par le principe de complémentarité en raison de l'insuffisante gravité des crimes. V. le communiqué du Bureau du Procureur du 9 février 2006 intitulé « Réponse du Bureau du Procureur concernant les communications reçues à propos de l'Irak ».

51 Aucune décision de refus d'enquête ou de poursuites n'a pour le moment été fondée sur les intérêts de la justice.

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Les intérêts de la justice semblent autoriser à « ne pas savoir » puisque le Procureur peut, en les invoquant, refuser d'enquêter. Ils semblent également permettre et ce alors même que des responsabilités individuelles auraient été identifiées, que la Cour serait compétente et l'affaire recevable, de ne pas poursuivre.

Telle que formulée dans les articles 53-1 (C) et 53-2 (C), la notion d'intérêts de la justice semble donc ouvrir la voie à un possible « déni de justice ».

Malgré l'importance de ses effets, cette notion est imprécise dans son contenu, imprécision qui l'expose à de nombreuses interprétations possibles. D'aucuns défendent le fait qu'elle pourrait permettre au Bureau du Procureur de laisser place à la mise en oeuvre des formes alternatives de justice et notamment de formes réparatrices.

D'autres ne la définissent pas positivement mais concluent qu'elle n'est pas synonyme de bonne administration de la justice et ne renvoie pas exclusivement aux droits de la défense ou aux conditions du procès équitable52.

En tout état de cause, la notion d'intérêts de la justice est distincte de celle d'intérêts de la paix. Les intérêts de la paix dont la sauvegarde relève essentiellement du Conseil de sécurité de l'organisation des Nations Unies, ne sauraient être mobilisés trop aisément par le Procureur pour refuser d'enquêter ou de poursuivre ce d'autant plus que le Conseil dispose déjà de la prérogative de suspendre les enquêtes ou les poursuites pour ces mêmes motifs.

Une approche positive de la notion permet plutôt de conclure que les intérêts de la justice, qui s'apprécient toujours in concreto, incluent la gravité du crime et les intérêts des victimes, même si la formulation française est moins explicite que la formulation anglaise sur ce

52 Dans ses « réflexions sur la notion d'intérêts de la justice au terme de l'article 53 du Statut de

Rome », la Fédération internationale des droits de l'homme faisait valoir que cette notion est plusieurs fois mobilisée dans le Statut et dans le Règlement de procédure et de preuve faisant référence alternativement aux :

1- intérêts de l'institution judiciaire, au sens d'une bonne administration de la justice.

2 - Droits de la défense, l'intérêt de la justice est invoqué comme exception aux poursuites en cas de

violation de ces droits

3 - Procès équitables : l'exception est justifiée par une règle du droit international des droits de l'Homme ou, à défaut, en droit comparé.

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point53.

Le critère de gravité du crime ayant nécessairement été examiné au stade de la recevabilité de l'affaire, il est peu probable que le Procureur examine de manière autonome la caractérisation de ce critère dans le cadre de l'examen sur les intérêts de la justice et surtout qu'il apprécie cette notion différemment qu'au stade de l'examen préliminaire.

La notion d'intérêts des victimes n'est pas non plus précisée mais le Bureau du Procureur a tenté de l'expliciter affirmant qu'elle renvoyait tout autant à leur intérêt à voir la justice rendue qu'à celui de voir leur protection assurée. Ce critère a été particulièrement pris en compte par le Bureau du Procureur dans les situations en OUGANDA et au Darfour, la vie même des victimes étant en cause.

Le Statut précise les contours de la notion d'intérêts de la justice lorsqu'elle est utilisée pour refuser d'engager des poursuites. Dans ce cadre, des considérations propres à la personne de l'auteur peuvent être prises en compte notamment en ce qui concerne son âge ou son état de santé.

Le Statut est sans ambiguïté sur le fait que le recours aux intérêts de la justice se doit d'être exceptionnel, le principe étant l'enquête et les poursuites lorsque la compétence de la Cour est établie et que l'affaire est recevable.

Le Procureur de la Cour pénale internationale voit donc sa marge d'appréciation des situations considérablement encadrée par le Statut. Conduit à s'assurer par l'intermédiaire de son bureau de ce que les situations pour lesquelles il envisage une enquête ou des poursuites satisfont aux conditions juridiques requises, le Procureur peut par ailleurs voir ses décisions soumises à un contrôle judiciaire.

53 Aux termes de la version anglaise de l'article 17 du Statut, le Procureur doit déterminer si « taking into account the gravity of the crime and the interests of the victims, there are nonetheless substantial reasons to believe that an investigation would not serve the interests of justice ».

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"Soit réservé sans ostentation pour éviter de t'attirer l'incompréhension haineuse des ignorants"   Pythagore