![]() |
La protection judiciaire de l'enfant en conflit avec la loi: cas de coups et blessures volontaires et de volpar Herman NSIALA FUMULONDO Université de Kinshasa - Licence 2021 |
![]() §2. La portée du principe de l'intérêt supérieur de l'enfantL'absence de contours précis donnés à la notion d'intérêt supérieur de l'enfant par la Convention internationale relative aux droits de l'enfant (CIDE) est à l'origine d'interprétations divergentes de cette notion. Pour le juriste Jean Zermatten, président du Comité des Droits de l'enfant jusqu'en 2013, il s'agit d'un « concept juridique très moderne, qui n'a guère fait l'objet d'études de manière globale, car le contenu reste assez flou et les fonctions sont multiples. Il est dès lors plus examiné par rapport à tel point précis ou expliqué par la jurisprudence que véritablement expliqué de manière systématique60(*) . La convention internationale relative aux droits de l'enfant (CIDE) fournit des principes généraux obligeant les Etats et administrations sociales ou judiciaires dans leurs décisions relatives aux enfants, tout en reconnaissant leur autorité et en leur laissant une certaine latitude d'appréciation en fonction des traditions locales. L'équilibre entre ces deux niveaux de mise en oeuvre (supranational/ national) constitue la principale source de discussion et de fragilité du concept d'intérêt supérieur de l'enfant61(*). Outre, les textes internationaux intégrant ce concept, des guides à l'usage des administrations et juridictions locales ont été édictés par différents organismes internationaux ou ONG : Communiqué Provisoire sur les Directives du HCR sur la Détermination Formelle de l'intérêt Supérieur de l'Enfant ( mai 2006) ; les Enfants Séparés dans le Programme Europe : Déclaration de bonne pratique (HCR et international Save the Children Alliance, Bruxelles, troisième édition, octobre 2004) ; Travailler avec les Enfants Séparés, Guide de Terrain. Manuel de formation et Exercices de Formation (Save the Children Royaume-Uni, Londres, 1999). Pour Jean Zermatten, au-delà des articles généraux (art. 1 à 5) couvrant les autres dispositions, la CIDE doit être interprétée comme un tout articulé dont les articles ne peuvent être interprétés isolément, en particulier les articles 2 (non-discrimination ou principe d'égalité entre les enfants), 3 (intérêt supérieur de l'enfant) et 12 (audition/parole de l'enfant) : « sans ces dispositions charnières, la Convention n'aurait pas d'efficacité, risquerait d'être discriminante et n'offrirait qu'une énumération vaine de droits, comme une liste de prétentions sans se donner les moyens de l'application62(*). D'après l'article 3 de la Convention Internationale relative aux Droits de l'Enfant, la prise en considération de l'intérêt supérieur de l'enfant s'impose également aux organes législatifs des Etats, c'est-à-dire dans la rédaction de tout texte juridique, à quelques niveau que ce soit du plus central au plus local, ainsi qu'aux institutions publiques et privées de protection sociales, à savoir non seulement les organes directs de l'Etat mais aussi les associations, fondations et ONG indépendamment de leur idéologie particulière63(*). Le choix du terme supérieur dans la traduction française de best interests of the child a soulevé des inquiétudes quant à un risque de sacralisation du statut de l'enfant, de création d'un état d'exception avec abandon de toute autre considération (notamment le droit des personnes adultes) dans les décisions administratives ou juridiques concernant des enfants. Pour Jean Zermatten, la CIDE garantit cependant des obstacles contre une telle dérive et un juste équilibre collectif dans ses recommandations, l'adjectif supérieur n'étant qu'un « superlatif de portée déclarative et non de portée contraignante64(*). La notion d'intérêt supérieur de l'enfant ne recoupe pas exactement celle plus générale de bien ou de bien-être de l'enfant, mais constitue plutôt « l'instrument juridique conçu par la Convention qui cherche à atteindre cet état idéalisé et qui fonde la garantie pour l'enfant de voir son intérêt pris en compte de manière systématique. En tant que principe cardinal et la clé de voute de la protection de l'enfant, le principe de l'intérêt supérieur de l'enfant a pour finalité de servir de fil conducteur ou de guide aussi bien pour l'interprétation que pour la mise en oeuvre de l'ensemble des dispositions contenues dans les textes consacrant les droits et/ou les devoirs de l'enfant. A. Fonctions et caractéristiques du principe de l'intérêt supérieur de l'enfant Il faut dire qu'à l'origine, le concept d'intérêt supérieur de l'enfant était évalué de manière très discrétionnaire. En effet, cela ne restait que le point de vue d'un adulte sur la situation d'un enfant. Aujourd'hui, c'est heureusement de moins en moins le cas grâce à la place laissée à son droit d'expression65(*). L'intérêt supérieur possède alors, essentiellement trois(3) fonctions66(*) : Ø C'est un droit de fond car l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale à chaque fois que plusieurs intérêts sont en balance. Cependant, il s'agit aussi pour les Etats d'une obligation de garantir que ce droit sera mis en oeuvre dans toute décision impliquant des enfants devant les tribunaux. Ø C'est un principe juridique interprétatif car lorsqu'une norme juridique doit être interprétée, elle doit l'être d'une manière qui respecte le plus l'intérêt supérieur de l'enfant ; Ø C'est une règle de procédure car lorsqu'une décision relative à des enfants est prise par une autorité, cette dernière est contrainte d'indiquer les moyens mis en oeuvre pour respecter au mieux la notion d'intérêt supérieur de l'enfant. C'est cette dernière fonction qui nous intéresse plus dans le cadre de ce travail, car, le juge du tribunal pour enfants qui est saisi d'une affaire d'enfant âgé de quatorze à moins de dix-huit ans accusé avoir commis un manquement qualifié d'infraction à la loi pénale dit « enfant en conflit avec la loi » doit dans ses décisions ou carrément ses décisions doivent nécessairement et obligatoirement viser l'Intérêt supérieur de l'Enfant et son bien-être. 2. Caractéristiques du principe La notion d'intérêt supérieur de l'enfant revêt plusieurs caractéristiques : Ø Contrairement à la plupart des articles de la Convention, l'art. 3 ch. 1 ne constitue pas un droit subjectif comme tel ; mais il institue un principe d'interprétation qui doit être utilisé dans toutes les formes d'interventions à l'égard des enfants et qui confère une garantie aux enfants que leur sort sera examiné conformément à ce principe d'interprétation ; Ø Cette disposition impose néanmoins une obligation aux Etats : celle de prendre en compte l'intérêt supérieur de l'Etat dès qu'une décision officielle doit être prise ; Ø Cet article 3 ch. 1 ne peut pas être pris isolément. Il appartient à un tout (la Convention des Droits de l'Enfant) et fonde un nouveau statut : l'enfant sujet de droit. Cette appartenance confère une dimension particulière à ce concept, notamment si on le relie au principe de non-discrimination (art. 2 CDE) et à l'obligation de prendre en compte la parole de l'enfant (art. 12 CDE) ; Ø Le concept de l'intérêt supérieur de l'enfant est un concept juridique indéterminé qui doit être précisé par la pratique et qui devrait l'être par des règles d'application. La jurisprudence va aussi, en partant de l'étude des cas, amener des solutions applicables à d'autres situations ou à l'ensemble du groupe enfants. Il doit être fait confiance à celui qui est amené à trancher67(*). Comme en son temps, le concept de critère du discernement (Code criminel révolutionnaire de 1791) avait dû aussi être précisé par des sous critères et par la jurisprudence ; Ø Le critère de l'intérêt supérieur de l'enfant est relatif par rapport au temps et à L'espace : au temps, puisqu'il est dépendant des connaissances scientifiques surl'enfant et sur la prééminence de telle théorie à un moment donné ; relatif dansl'espace, puisque ce critère devrait prendre en compte les normes valables dans telpays, dans telle région68(*). Ø La notion du long terme69(*)devrait être une notion qui permet de mieux affirmer que ce qui est visé par l'application de l'intérêt supérieur de l'enfant n'est pas la situation hic et nunc, mais bien la situation de l'enfant, dans la perspective de son futur. Par définition, l'enfant évolue ; dès lors, son intérêt devrait se détacher de la loi du "tout, tout de suite", pour privilégier une vision d'avenir. Au moment où l'on écoute l'enfant sur ses aspirations dans le cadre de l'article 12 CDE, il faut rester attentif à cet aspect de prospective ; Ø La notion du critère de l'enfant est évolutive, puisque effectivement les avancées de la connaissance se poursuivent et que nous ne sommes que treize ans après l'adoption de la Convention. La doctrine et la jurisprudence devraient donc faire évoluer beaucoup cette notion. Ø Le critère de l'intérêt de l'enfant est subjectif à un double niveau. « Il s'agit tout d'abord d'une subjectivité collective, celle qu'une société donnée, à un moment donné de son histoire, qui se fait une image de l'intérêt de l'enfant : éducation de l'enfant dans telle ou telle religion par exemple ou refus de tout « excès »de pratique religieuse,.... On pourrait prendre l'exemple de l'assistance éducative et des « modes » qu'elle a pu connaître (qu'il s'agisse du type même des mesures à prendre ou du refus de toute peine de prison, presque « évident » hier mais qui commence aujourd'hui à être contesté...au nom de l'intérêt de l'enfant")70(*). Ø Subjectivité personnelle L'intérêt de l'enfant est aussi marqué par une subjectivité personnelle qui se manifeste à un triple niveau.
Ces caractéristiques de l'intérêt de l'enfant montrent à la fois la souplesse et la richesse de ce critère et ses faiblesses. N'étant pas défini de manière précise, étant relatif au temps et à l'espace et contenant une bonne dose de subjectivité, ce concept pourrait vider de sens les droits de l'enfant, voire se révéler contra productif, c'est-à-dire privilégier l'intérêt de l'Etat ou de la famille au détriment de l'enfant. Cela est vrai et les critiques ont été (et continuent à l'être) nombreuses contre l'imprécision de critère et le flou du concept. Nous disons donc, pour sa défense, qu'il présente l'avantage d'être large, souple et de pouvoir s'adapter (relativité dans le temps et l'espace) aux différences culturelles, socioéconomiques, de systèmes juridiques différents. Il peut être admis partout et sert à tous. C'est « la bonne à tout faire » de la Convention. B. L'intérêt supérieur de l'enfant, principe d'interprétation et de compréhension des normes protectrices des droits de l'enfant Si l'on se réfère à la Convention des Nations Unies de 1989, on s'aperçoit que le comité des Droits de l'Enfant organe chargé « d'examiner les progrès accomplis par les Etats parties dans l'exécution des obligations contractées par eux »72(*), tend à considérer la Convention comme un ensemble de règles interdépendantes, le principe de l'intérêt supérieur de l'enfant valant pour chacune d'entre elles. Ainsi, ce principe initialement posé à l'article 3 de la CIDE va vite servir de guide pour l'interprétation de toutes les clauses contenues dans les textes relatifs à la protection de l'enfant et la garantie de ces droits. Il s'ensuit que les différentes dispositions normatives des instruments protecteurs des droits de l'enfant gagnent à la fois en clarté et en profondeur. En particulier, le comité des Droits de l'Enfant recourt le plus souvent à une interprétation croisée des dispositions de la Convention, ne faisant que très rarement référence à un seul article. C'est ce qu'il a notamment rappelé en 2013 dans son observation générale consacrée au principe de l'intérêt supérieur de l'enfant. Dans ce texte de référence, le Comité des Droits de l'Enfant affirme « qu'il n'y a pas de hiérarchie des droits dans la Convention ; tous les droits qu'elle énonce sont dans l'intérêt supérieur de l'enfant et aucun droit ne saurait être compromis par une interprétation négative de l'intérêt supérieur de l'enfant »73(*). En conséquence, le principe de l'intérêt supérieur de l'enfant a été conçu suivant « une approche fondée sur les droits de l'homme, impliquant tous les acteurs, afin de garantir dans sa globalité l'intégrité physique, physiologique, morale et spirituelle de l'enfant et de promouvoir sa dignité humaine »74(*). Au fond, le principe de l'intérêt supérieur de l'enfant « crée une obligation intrinsèque pour les Etats, est directement applicable (auto-exécutoire) et peut être invoqué devant un tribunal (national) »75(*). En effet, l'intérêt supérieur de l'enfant viserait donc à fournir aux pouvoirs nationaux précisément aux autorités judiciaires l'idée de gérer et surtout de prendre des mesures pouvant sauvegarder l'intégrité physique, morale et psychologique de l'enfant. Ce faisant, bien que cette dernière fasse par exemple obligation aux autorités nationales de fixer un « âge minimum au-dessous duquel les enfants seront présumés n'avoir pas la capacité d'enfreindre la loi pénale »76(*), elle ne mentionne pas pour autant cet âge minimum requis pour la mise en jeu de responsabilité pénale de l'enfant. C'est alors que va intervenir le principe de l'intérêt supérieur de l'enfant, en tant que considération primordiale dans la protection de l'enfant et de la garantie de ses droits. Il va jouer le rôle de curseur et servir de grille d'analyse ou d'élément d'appréciation dans la fixation de cet âge minimum. Se basant sans doute sur cette obligation positive imposée aux Etats par la CIDE et désormais consacré par l'article 6 de la loi du 10 janvier 2009 portant protection de l'enfant que la République Démocratique du Congo a opté pour le bénéfice, « en matière pénale, d'une présomption irréfragable d'irresponsabilité(au profit de) l'enfant âgé de moins de 14 ans ». En pareil cas, l'article 96, alinéa 1 exige que : « lorsque l'enfant déféré devant le juge a moins de 14 ans, celui-ci relaxe comme ayant agi sans discernement(...) »77(*). Le principe retenu par le législateur congolais, selon lequel l'enfant âgé de moins de 14 ans serait a priori dépourvu de discernement, est discutable sur plusieurs points, dont deux essentiels. Le premier concerne la question de la consubstantialité établie par le législateur entre l'âge de l'enfant et sa capacité de discernement (1). Le second point de discussion est relatif au risque potentiel, voire avéré, de contradiction entre les articles 95 et 96 de la loi du 10 janvier 2009 et les dispositions de l'article 214 du Code de la famille (2). 1. La relation entre l'âge de l'enfant et sa capacité de discernement Après avoir donné la vraie signification du terme enfant, il nous faut à présent expliquer ce que l'on doit entendre par le mot « discernement ». En effet, Le discernement est la « faculté de bien apprécier les choses ». Il traduit l'idée claire de la conscience que l'on peut avoir des choses ou d'une situation. Il est vrai que l'enfant est un être a priori susceptible de faiblesse devant la tentation ; il n'a pas toujours conscience de la portée de ses actes. En revanche, et sauf exception, l'enfant est censé ne pas exprimer une volonté libre. Raison pour laquelle, on peut à juste titre considérer que le discernement apparait à l'opposé même de l'enfant. Mais malgré cette opposition apparente, le discernement a été érigé tant au niveau international que sur le plan de certaineslégislations en standard juridique devant faciliter non seulement l'exercice par l'enfant de ses droits mais également la mise en jeu de sa responsabilité. C'est dans cette logique que le Code de la Famille conditionne l'engagement de la responsabilité de toute personne juridiquement incapable dont l'enfant à sa capacité de discernement78(*). En vérité, la mise en jeu de la responsabilité pénale d'une personne juridiquement incapable est fondée non point sur son âge mais plutôt sur son niveau de maturité, son aptitude à distinguer le bien et le mal, sa propension à refaire le tri entre l'interdit et le permis. Un des enfants mis en cause reconnut effectivement les faits et expliqua qu'il avait fait appel à ses amis pour le secourir de l'autre enfant qui était plus âgé que lui. Il s'agirait donc a priori d'un cas de légitime défense. Ainsi, il faut dire que le législateur congolais ainsi que les différents juges pour enfants apprécient la question du degré de discernement d'un enfant in abstracto, c'est-à-dire au regard de son âge. Or, l'examen de la capacité de discernement de l'enfant doit nécessairement s'opérer in concreto, c'est-à-dire non pas en fonction de sa maturité. Autrement dit, l'âge représente en réalité « une (simple) indication raisonnable de l'indépendance (de l'enfant) »79(*). En définitive, le plus important réside dans le fait que l'enfant doit être apte à prendre ses décisions en toute liberté et en toute connaissance de cause. Ainsi, le tribunal fédéral suisse a décidé qu'un enfant de cinq ans ne pouvait pas être jugée capable de discernement et, en conséquence, n'était pas à même de prononcer sur le droit de visite de son père, de surcroit, elle ne connaissait pas80(*). Cette même vision a été suivie par le juge constitutionnel de la Belgique. En effet, l'article 319, §3 du code civil belge dispose : « Si l'enfant est mineur non émancipé, la reconnaissance n'est recevable que moyennant le consentement préalable de la mère. Est en outre requis le consentement préalable de l'enfant s'il a quinze ans accomplis ». Appelée à se prononcer sur la conformité de cette disposition au principe d'égalité et de non-discrimination contenu dans les articles 10 et 11 de la constitution congolaise du 18 février 2006, la cour d'arbitrage (devenue Cour constitutionnelle) a jugé la disposition contestée contraire à la constitution en ce qu'elle exclut la prise en compte par le juge du consentement d'un enfant de moins de quinze ans, alors même qu'il serait capable d'exprimer son avis avec discernement. Plus explicitement, le juge constitutionnel belge considère, en l'espèce, que « l'âge de quinze ans constitue simplement un critère objectif, et il ne saurait être considéré comme pertinent au regard de la mesure en cause. Rien ne peut donc justifier que le juge saisi d'une demande de reconnaissance de paternité prenne en considération l'intérêt de l'enfant lorsqu'il est âgé de plus de quinze ans et qu'il ne puisse en tenir compte lorsque l'enfant a moins de quinze ans81(*) ». Ce raisonnement fondé sur la maturité de l'enfant plutôt que sur son âge est le plus souvent retenu par certaines autres hautes juridictions étatiques pour écarter la thèse de la présomption irréfragable d'absence de discernement de l'enfant âgéde moins de 14 ans. Partant, le tribunal fédéral helvétique a admis la capacité de discernement d'une adolescente, en tenant compte de son aptitude « à comprendre les renseignements donnés successivement par chacun des deux praticiens, à saisir la lésion dont elle souffrait, à apprécier la portée du traitement proposé, ainsi que son alternative, et à communiquer son choix en toute connaissance de cause 82(*) ». Allant dans le même sans que le Tribunal fédéral suisse, la Cour suprême du Canada donne des indications encore plus précises. Tout en reconnaissant la difficulté à définir et à déterminer le concept de « capacité de discernement) ou de « maturité », la haute juridiction canadienne a néanmoins dégagé un certain nombre d'éléments constituant le faisceau d'indices sur lequel le juge de fond doit s'appuyer lors de l'examen de la capacité de discernement d'un enfant. Ces éléments sont les suivants : « la nature, le but et l'utilité du traitement médical recommandé, ainsi que ces risques et bénéfices ; la capacité intellectuelle de ( l'enfant) et le discernement requis pour comprendre les renseignements qui lui permettaient de prendre la décision et d'en évaluer les conséquences possibles ; l'opinion bien arrêtée de (l'enfant) et la question de savoir si elle reflète véritablement ses valeurs et croyances profondes ; l'impact que pourraient avoir le style de vie de ( l'enfant) sur sa capacité de décider. Il faut également prendre en considération les renseignements pertinents fournis par des adultes qui connaissent (l'enfant)83(*). On peut inférer, de ce qui précède, que la notion de discernement est une notion à la fois relative et contingente. En conséquence, la capacité de discernement de l'enfant ne peut s'apprécier qu'au cas et concrètement, en fonction de la nature et de l'importance ou de la gravité de l'acte considéré. C'est vraisemblablement pour cette raison que l'article 214 du code RD Congo de la famille révisé en 2016, énonce le fait que « l'incapacité juridique (...) n'affecte pas la responsabilité délictuelle ou quasi délictuelle de la personne si elle a le discernement ». D'où, le risque de contradiction. 2. La possible contradiction entre la loi du 10 janvier 2009 et le code de la famille En réalité, le principe de présomption irréfragable d'irresponsabilité pénale de l'enfant de moins de 14 ans signifie tout simplement que celui-ci bénéficie, eu égard à son état de fragilité ou de vulnérabilité, des règles spécifiques dérogatoires au droit pénal commun ou général84(*) c'est ce que semblent d'ailleurs confirmer l'article 96, alinéas 2 et 3 ainsi que les articles 97 et 98. En effet, lorsque l'enfant âgé de moins de 14 ans est relaxé par le juge car ayant agi sans discernement, celui-ci a l'obligation de le confier « à un assistant social et/ou un psychologue qui prend des mesures d'accompagnement visant la sauvegarde de l'ordre public et la sécurité de l'enfant et tenant compte de la réparation du préjudice causé. Ces mesures consistent notamment dans l'accompagnement psychosocial et le placement dans une famille d'accueil ou une institution privée agréée à caractère social autre que celle accueillant des enfants en situation difficile »85(*). Par ailleurs, le juge doit aussi veiller à ce qu'un enfant âgé de moins de 14 ans ne puisse pas « être placé dans un établissement de garde provisoire, ni dans un établissement de garde, d'éducation ou de rééducation de l'Etat »86(*). En tous les cas, le tribunal pour enfants doit prendre « en considération, l'âge de(l'enfant) au moment de la commission des faits »87(*). Il s'ensuit que la présomption d'absence de discernement de l'enfant âgé de moins de 14 ans, retenue par le législateur à l'article 96 de la loi de 2009 portant protection de l'enfant pour justifier son irresponsabilité pénale de façon irréfragable, n'exclut nullement l'imputabilité matérielle des faits à ce dernier. Bien au contraire, le principe de la présomption irréfragable d'irresponsabilité de l'enfant âgé de moins de 14 ans vise plutôt une adaptation des sanctions à prononcer à l'encontre de cet enfant, du fait de son jeune âge88(*). Autant signaler que l'enfant âgé de moins de 14 ans qui commet un délit ou un crime peut être déclaré pénalement responsable, s'il est prouvé qu'il avait la capacité de comprendre et de vouloir le fait à lui reproché. C'est ce qui ressort d'ailleurs des différentes décisions des Tribunal pour Enfants de Kinshasa, Bunia et Kikwit, que nous venons d'examiner plus haut89(*). Dès lors la prétendue irresponsabilité pénale posée par le législateur aux articles 95 et 96, alinéa 1 de la loi de 2009 au profit de tout enfant âgé de moins de 14 ans parait a priori en totale opposition avec les prescrits de l'article 214 du Code de la Famille. Mais au cas où l'on retiendrait l'idée d'une contradiction réelle des articles 95 et 96, alinéa 1 de la loi de 2009 portant protection de l'enfant avec l'article 214 du Code de la Famille, quelle devra être dans ce cas précis la clause pertinente et opérante pour l'engagement potentiel de la responsabilité pénale d'un enfant âgé de moins de 14 ans ? La réponse à cette interrogation peut être double. Dans un premier temps, on pourrait recourir à la règle lexposterior priori derogat, ce qui impliquerait que l'article 214 du Code de la famille puisse prima facie prévaloir sur les prescrits de la loi du 10 janvier 200990(*). Dans un second temps, on peut s'inspirer des analyses fournies par le Comité des Droits de l'Enfant en 2013. D'après celui-ci, le principe de l'intérêt supérieur de l'enfant est un principe dynamique qui opère, dans certains cas, comme une règle de procédure. Il pourrait donc permettre de trancher ce conflit de normes d'une manière beaucoup plus souple. L'idée est qu'il faut ici être pragmatique, et considérer que : « Quand une décision qui aura des incidences sur un enfant en particulier, un groupe défini d'enfants ou les enfants en particulier doit être prise, le processus décisionnel doit comporter une évaluation de ces incidences (positives ou négatives) sur l'enfant concerné ou les enfants concernés91(*) ». En ce qui concerne la mise en jeu de la responsabilité pénale de l'enfant âgé de moins de 14 ans, il faudrait donc apprécier la situation de façon casuistique, et appliquer l'une des deux dispositions en cause, en fonctionde la situation personnelle de l'enfant et de la gravité de l'infraction commise. Qui pourrait favoriser le développement incontrôlé d'une délinquance infantile ou juvénile organisée. Enfin, en tant que principe juridique interprétatif fondamental, l'Intérêt Supérieur de l'Enfant sert également de guide pour l'interprétation d'un texte protégeant l'enfant, lorsque deux ou plusieurs de ses dispositions peuvent entrer en conflit direct. A titre d'exemple, la loi n°09/001 du 10 janvier 2009 portant protection de l'enfant prévoit à son article 35 que : « L'enfant séparé de se parents ou de l'un deux a le droit de garder des relations personnelles avec ceux-ci ainsi qu'avec les autres membres de sa famille ». Or, dans la vie courante, il arrive parfois que ce droit de l'enfant au maintien des relations avec ses parents séparés entre en conflit direct avec un autre de ses droits : celui d'être protégé contre les mauvais traitements et/ou autres formes d'abus divers92(*). Pour faire face à une telle situation, le principe de l'intérêt supérieur de l'enfant va jouer un rôle déterminant dans la prise de décision. Voilà pourquoi ce même article 35 a prévu la possibilité pour enfant séparé de ses parents ou de l'un d'eux de ne pas devoir garder des relations personnelles avec ces deniers, « compte tenu de son intérêt supérieur ». Outre l'interprétation des clauses normatives, le principe del'Intérêt supérieur de l'enfant est un guide pour l'application effective des instruments de protection et de sauvegarder des droits de ce dernier. * 60 J. ZEMATTEN, « L'intérêt Supérieur de l'Enfant. De l'analyse littérale à la portée philosophique », in Revue Institut international des Droits de l'Enfant, Working report, Sion, mars 2003. p.4. * 61 UNHCR, Directives du HCR sur la Détermination Formelle de l'interet Supérieur de l'Enfant CommuniquéProvisoire, mai 2006. p.8. * 62 J. ZEMATTEN, op.cit,.p.5. * 63Idem, p.6-7. * 64Ibidem., p.7. * 65 T .MOREAU, « L'évolution du concept d'intérêt du mineur sur le plan juridique », Paris, 2e éd. Science et droit, 2009, texte posté sur Moodle dans le cadre du cours « Droit de la protection de la jeunesse », donné par T. Moreau, p.9. * 66 Comité des droits de l'enfant, Observation générale n°14 sur le droit de l'enfant à ce que son intérêt supérieur soit une considération primordiale (art.3, par.1), O.C., p.4. * 67 G. VAN BUEREN, « The international law on the rights of the child », Martins Nijhoff publishers, inthe Hague,Haye, éd. Child, 1998, p.46. * 68 H. FULCHIRON, « De l'intérêt supérieur de l'enfant aux droits de l'enfant » inUne convention, plusieurs regards, les droits de l'enfant entre théorie et pratique, IDE, Sion, 1997, p.30. * 69 A. RUMO-JUNGO, « Daskindund die scheidung seiner eltern : ausgewaltefragen », in le bien del'enfant, Fribourg, 2005, p.156. * 70 H. FULCHIRON, op.cit., p.35. * 71H. FULCHIRON, op.cit.,p.36. * 72 Article 43 de la Convention Internationale relative aux Droits de l'Enfant de 1989. * 73 Comité des Droits de l'Enfant (CRC/C/CG/14), 29 mai 2013, Observation générale n°14 (2013) sur le droit de l'enfant à ce que son intérêt supérieur soit une considération primordiale, principe n°4. * 74 Observation générale n°14(2013), précité, principe n°5. * 75Idem, principe n°6 a). * 76 Article 40, §3,a) de la Convention Internationale relative aux Droits de l'Enfant. * 77 P. MUKWABUHIKA MABANGA, op.cit., p.57. * 78 Article 214 de la loi n°16/008 du 15 juillet 2016 portant modification de la loi n°87-010 du 1er aout 1987 portant Code de la famille. * 79 Cour suprême du Canada, 26 juin 2009, A.C. et autres contre Directeur des services à l'enfant et à la famille, décision disponible sur http://www.codices.coe.int, sous rubrique CAN-2009-2002, consulté le 10 mai 2022 à 9h 28min. * 80 Tribunal fédéral, Deuxième Cour civile, 22 décembre 1997 (voir résumé disponible sur http//www.codices.coe.int, rubrique SUI-1998-1-001), consulté le 10 mai 2022 à 9h30min. * 81 Cour d'arbitrage (Belgique), 14 mai 2003, arrêt n°66/2003, disponible in http//www.codices.coe.int, rubrique BEL-2003-2-2-005, consulté le 13 mars 2022 à 12h30min. * 82 Tribunal fédéral, 2 avril 2008, x.c. Département de la santé et de l'action sociale et tribunal administratif du Canton de vaud, Décision 2C5/2008, extraits disponibles sur http://www.codies.coe.int, rubrique SUI-2009-1-001.consulté le 20 avril 2022 à 12h30min. * 83 Tribunal fédéral, 2 avril 2008, x.c. Département de la santé et de l'action sociale et tribunal administratif du Canton de vaud, Décision 2C5/2008, extraits disponibles sur http://www.codies.coe.int, rubrique SUI-2009'1-001, consulté le 20 avril 2022 à 12h30min. * 84 F.BAILLEAU, « La justice pénale des mineurs en France ou l'émergence d'un nouveau modèle degestion des illégalismes », inDéviance et Société, vol. 26, 2002/3, pp. 403-421 ; A. PONSEILLE, « De l'évolution de l'atténuation légale de la peine applicable aux mineurs », Archives de politique criminelle, n°30, 2008/1, pp.45-62 ; T. MOREAU, « La responsabilité pénale du mineur en droit belge », inRevueinternationale de droit pénal, vol. 75, 2004/1, pp. 151-200. * 85 Article 96, alinéas 2 et 3 de la loi n° 09/001 du 10 janvier 2009 portant protection de l'enfant. * 86Idem, article 97. * 87Ibidem, article 98. * 88 P. MUKWABUHIKA MABANGA, Protection de l'enfant, op.cit., p.66. * 89P. MUKWABUHIKA MABANGA, op.cit., p.66. * 90Idem, p.67. * 91 Comité des droits de l'enfant (CRC/C/CG/14), 29 mai 2013, op.cit., p.46. * 92 Article 9, alinéa 1de la loi n°09/001 du 10 janvier 2009 portant protection de l'enfant. |
|