CONCLUSION DE LA PREMIERE PARTIE.
De l'analyse menée sur le domaine de la
responsabilité pénale du médecin traitant, un constat se
dégage : la médecine est une discipline scientifique pleine de
subtilités et de complexités. En effet, il n'est pas toujours
aisé pour le profane de saisir aisément les contours de la
responsabilité pénale du médecin traitant tant ils sont
incertains. L'établissement de la responsabilité pénale du
médecin ne va pas de soi. Si c'est volontairement que le médecin
porte atteinte à l'intégrité physique de son patient,
c'est exceptionnellement que sa responsabilité peut être retenue.
Car, pour en arriver là, le médecin doit avoir commis une faute,
et cette faute doit avoir causé un préjudice au patient. Ce
préjudice est établi par l'existence d'un lien de
causalité.
La notion de faute est retenue parce que c'est en
vertu d'un contrat que le médecin et son patient sont liés.
Toutefois, il est des circonstances où, bien qu'étant fautif, le
médecin s'exonère en justifiant que son action était
motivée par le souci de la sauvegarde de la vie du patient, ou lorsque
ce dernier est atteint d'une maladie de l'esprit. Cette justification
l'exonère de sa responsabilité. En outre, la
responsabilité du médecin peut-être établie sur le
fondement des informations détenues par ce dernier.
La médecine est un corps qui, comme celui des
avocats ou des ministres du culte, est soumis au secret professionnel. Le
secret médical a été instauré pour protéger
la vie privée du patient. Il symbolise la confiance qui existe entre le
patient et son médecin. Toute violation expose le médecin
à des poursuites pénales, sauf si cette transgression est
survenue à l'initiative du patient.
Une fois le champ de la responsabilité du
médecin cerné, il ressort qu'il existe une diversité
d'infractions ressortissant de l'exercice de la médecine. Nous avons
reparti ces infractions en deux ordres. Tout d'abord, celles portant atteinte
à l'intégrité corporelle, et celles résultant de
l'inobservation des valeurs éthiques et déontologiques. Il
ressort donc que, contrairement à la France où le contentieux
contre le corps médical est << effectif
» car fortement réglementé et s'arrimant aux
évolutions de la science et de la technique, au Cameroun, il a encore du
mal à prendre son envol. Cela à cause de l'ignorance
caractérisée dont font preuve les profanes en la matière,
ignorance due en grande partie à l'inaccessibilité et à la
<< mystification » faite autour du corps
médical. Les vides juridiques dont fait l'objet la sphère
médicale au Cameroun témoigne des progrès qui
mériteraient d'être effectués dans cette
branche.
De ce fait, bien que les contours de la
responsabilité du médecin soient cernés et même des
agissements qualifiés (du point de vue pénal), la mise en oeuvre
de la responsabilité du médecin traitant est-elle chose
aisée au Cameroun ?
DEUXIEME PARTIE :
LA MISE EN CEUVRE DE LA RESPONSABILITE PENALE DU
MEDECIN TRAITANT.
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Le Cameroun, à l'image de tous les pays, fait
face à des réalités qui lui sont propres et qui
influencent tous les secteurs de la vie. La justice140, institution
qui, pour son fonctionnement a besoin que certaines conditions soient
réunies afin d'assurer des services efficaces n'échappe pas
à ces réalités. En effet, tous les principes
énoncés, consacrés et garantis par la Constitution pour le
bon fonctionnement de l'appareil judiciaire (il s'agit des principes
d'égalité, de gratuité et de continuité du service
public de la justice141), sont fortement entravés par des
réalités de natures diverses. En outre, lorsque la
procédure est engagée devant les juridictions, les étapes
qui conduisent à la manifestation de la vérité, font appel
à des aspects hautement techniques si bien que la connaissance de ces
différents rouages est cruciale pour la manifestation de la
vérité.
La justice a un prix. Ce prix n'est pas toujours
à la portée de tous les Camerounais. Cette raison,
conjuguée à bien d'autres facteurs (notamment d'ordre culturel,
socio-économique, juridique et procédural) font que la mise en
oeuvre de la responsabilité pénale du médecin traitant
soit confrontée à des difficultés (chapitre 1). Le juge
est tenu de rendre la justice selon la loi et selon son intime conviction. La
tâche qui lui incombe n'est pas toujours aisée dans la mesure
où des aspects techniques qui interviennent au courant du procès
nécessitent l'intervention des experts142 dont les rapports
influenceront sans doute le prononcé du jugement. La pluralité
des aspects techniques dans un procès mettant en cause le médecin
contribue à rendre la procédure complexe (chapitre
2).
140 SOCKENG (R),
LES INSTITUTIONS JUDICIAIRES AU CAMEROUN,
2e éd., 1998, p.2 et suiv.
141 Idem, p.16 et
suiv.
142 YOHO Fils (Raphaël),
« L'expertise judiciaire en matière répressive au Cameroun
», université de Yaoundé, 1986.
CHAPITRE I :
LES DIFFICULTES RELATIVES A LA MISE EN
OEUVRE
DE LA RESPONSABILITE PENALE DU
MEDECIN TRAITANT.
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Depuis son accession à l'indépendance en
1960, le Cameroun a mis sur pied des mécanismes pour accroître
l'offre sanitaire par la formation des médecins et la construction des
hôpitaux et des centres de santé. Le but recherché
était d'assurer à tous les citoyens le droit d'avoir accès
aux soins de santé. Les années post indépendances ont
été relativement prospères du point de vue
économique. Lorsque survient à la fin des années 1980 la
crise économique, le pays est économiquement
ébranlé et mis sous ajustement structurel. Tous les grands
projets entrepris par l'Etat (mise sur pied des infrastructures de base
à savoir des routes, des écoles, des hôpitaux) sont
suspendus, car l'une des exigences des Plans d'Ajustement Structurel (P.A.S.)
était, pour l'Etat camerounais de réduire ses dépenses.
L'une des résultantes directes de cette solution (la réduction du
niveau de vie de l'Etat) a été l'accroissement de la
pauvreté. Cette situation handicape sensiblement le niveau de vie des
populations. Il en résulte dès lors que les obstacles relatifs
à la mise en oeuvre de la responsabilité pénale du
médecin sont de plusieurs ordres. Ils peuvent être propres
à l'environnement camerounais (section I) ou relever des
difficultés dans l'établissement de la preuve en matière
médicale (section II).
SECTION I : UNE PLURALITE D'OBSTACLES PROPRES A
L'ENVIRONNEMENT CAMEROUNAIS.
Pays d'Afrique subsaharienne, le Cameroun de par son
histoire et sa situation économique est confronté à des
réalités qui empêchent ses habitants en
général, et les patients qui y vivent en particulier d'assurer le
respect de leurs droits les plus fondamentaux. S'il est vrai que ces obstacles
peuvent être d'ordre juridique (paragraphe II), l'influence
réalités culturelles et socio-économiques n'est pas
à négliger (paragraphe I).
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Paragraphe I : Les réalités culturelles
et socio-économiques.
Parce que le Cameroun sur son sol abrite une
mosaïque de peuples et de cultures, il est appelé <<
Afrique en miniature ». De par sa position
géographique, le Cameroun se situe au croisement des courants
migratoires séculaires des peuples soudanais, peulhs et bantous. En
outre, après une vingtaine d'années sous ajustements structurels
et malgré l'atteinte du point d'achèvement de l'initiative
PPTE143 , le Cameroun reste en proie à la pauvreté.
S'il est vrai que les réalités culturelles représentent un
obstacle sérieux à la mise en oeuvre de la responsabilité
du médecin (A), les réalités socio-économiques le
sont tout autant (B).
A- Les réalités culturelles.
Le brassage des peuples et des cultures au Cameroun
fait que des phénomènes tels que l'intégrisme religieux ou
le tribalisme sont marginaux. Néanmoins, il influence le mode de vie des
camerounais en les prédisposant à apprécier de
manière quasi-unanime certains événements qui surviennent
dans leur vie. La notion de fatalité (1) et la survivance des
mentalités mystico-religieuses (2) sont des phénomènes qui
sévissent au Cameroun et qui concourent à décourager les
camerounais à saisir la justice afin de rentrer dans leurs
droits.
1- La prédominance de la notion de
fatalité
La fatalité peut être définie
comme une force surnaturelle par laquelle, selon certains, tout ce qui arrive
est déterminé d'avance. Cette croyance est ancrée dans les
moeurs au Cameroun. Il est courant de relever certaines réactions face
à certaines situations de la vie. En effet, lorsqu'en Afrique en
général et au Cameroun en particulier, on est frappé par
un drame (deuil, accident de toute nature...), on y voit rapidement la sanction
de la divinité. Des formules telles << c'était
écrit » , << c'était son
destin », ou << c'est Dieu qui a
voulu » sont monnaie courante, et suffisent à elles
seules à justifier la survenance d'un décès ou d'un
sinistre.
143 Initiative Pays Pauvres Très
Endettés. Ce programme a été mis sur pied pour pallier les
insuffisances qu'ont présentées les plans d'ajustement
structurels. Il vise à transformer la dette des pays pauvres en une aide
au développement.
Un médecin qui opère ou qui prescrit un
traitement est guidé par le destin, la faute du praticien ne peut
être retenue car prédestinée à arriver. D'oil
l'indifférence, voire la réticence qu'ont certains individus
à saisir les juridictions face aux errements
médicaux.
Si la notion de fatalité permet de comprendre les
réalités culturelles, on ne peut pas la dissocier des
mentalités mystico-religieuses qui contribuent à avoir une vue
plus éclairée.
2- La survivance des mentalités
mystico-religieuses.
L'évolution prodigieuse des technologies de
l'information et de la communication (TIC) avec notamment l'essor d'Internet
permet aujourd'hui d'avoir un avis plus éclairé sur les diverses
évolutions des sciences et de la technique.
A l'exemple des autres sciences, la médecine
commence à être démystifiée par le profane qui peut
avoir les éclairages par le biais d'Internet sur tous les
éléments qui par le passé lui semblaient obscurs. Sur
Internet, on retrouve les évolutions les plus récentes de la
médecine, le fondement des relations médecin - patient, les
droits du patient, les obligations dont est tenu le médecin
vis-à-vis de son patient et les sanctions au manquement à ces
obligations.
Au Cameroun, l'influence de l'islam et du
christianisme sur les cultures locales, jadis utilisés pour
contrôler les autochtones a contribué à les rendre
passifs144. C'est à juste titre que Karl MARX a pu dire que
<< la religion c'est l'opium du peuple
>>. En outre, la pratique des religions importées n'a pas
complètement déconnecté les camerounais des croyances et
pratiques traditionnelles. Les rites traditionnels côtoient sans trop
d'incompatibilité les rites religieux. C'est ainsi que la providence et
la divination trouvent des défenseurs solides dans la
société, justifiant en quelque sorte les errements
médicaux. Accuser un grand parent est plus plausible que rechercher les
causes scientifiques d'une maladie. Toutes les maladies, qu'elles soient
bénignes ou malignes se << lancent au
village >>. On attrape le Sida non pas parce qu'on n'a pas
pris les précautions y afférentes, mais parce que le sorcier, qui
arrime sa pratique aux évolutions de la science et de la technique a
tôt fait de << lancer >> cette
maladie. C'est ainsi que ceux des patients qui souhaitent se faire rendre
justice et rentrer dans leurs droits en cherchant à établir la
responsabilité du médecin sont généralement
considérés comme des individus dotés d'une volonté
manifeste de nuire au médecin. Les dommages causés par ce dernier
étant souvent irréversibles, on ne trouve plus
l'intérêt d'entreprendre des poursuites.
144 Cf. Discours du Roi belge Léopold II aux
émissaires du Congo en 1883.
Après ce bref examen des réalités
culturelles, qu'en est -il des réalités socioéconomiques
?
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