B- Les réalités socio -
économiques.
La récession économique survenue au
Cameroun dans les années 1980 a considérablement réduit le
niveau de vie des populations (réduction des salaires, licenciements,
fermeture des sociétés étatiques, gel des concours
administratifs). Cela a entraîné la persistance du
phénomène de pauvreté. La pauvreté est un obstacle
face aux charges exorbitantes de la justice, ce qui conduit très souvent
à des réticences et à des désistements.
Un rapport de ECAM145 en 2007 fait
état d'un pourcentage de 40.2% de ménages vivant dans la
pauvreté146. L'indicateur de pauvreté humaine (IPH)
renseigne que 38.5% des citoyens sont touchés par la pauvreté
humaine alors que du point de vue du revenu (seuil de pauvreté
monétaire), ce sont 40.2% des camerounais qui sont pauvres, 40.6%
d'entre eux appartiennent à la tranche intermédiaire et 19.2%
sont considérés comme riches.
Fort de ce constat, il apparaît que les
problèmes auxquels font face la majeure partie des camerounais sont
d'ordre primaire (se nourrir, se vêtir, se soigner). Dans ces
circonstances, la justice apparaît plus être un luxe qu'une
nécessité, ce qui justifie les réticences, voire le
désistement face aux charges de la justice. Pour cause, <<
Les procédures judiciaires sont extrêmement
onéreuses en dehors des causes en matière sociale oil la
gratuité de la justice est clairement affirmée. L'accès
à la justice et la conduite d'un procès entraînent de
nombreux frais »147.
Pourtant, l'érection de la justice en service
public avait pour but de faciliter l'accès de tous à la justice
et d'assurer l'égalité de tous les citoyens devant les lois de la
République. Le principe de gratuité du service public de la
justice ne signifie toutefois pas l'absence de frais car, à cause de
toutes les dépenses qu'elle génère, la justice est
onéreuse.
Pour permettre de couvrir les frais du procès,
le demandeur à l'action ou le plaignant en matière pénale
doit au préalable payer une consignation. En outre, <<
à cause de l'inégale répartition des
juridictions sur l'ensemble du territoire national, les justiciables se
trouvent souvent obligés de parcourir des centaines, voire des milliers
de kilomètres pour assurer la
145 Enquête Camerounaise auprès des
Ménages.
146 Institut National de la Statistique, ECAM 3, <<
tendances, profil et déterminants de la pauvreté au Cameroun en
2007 ».
147 SOCKENG (Roger), op.cit., p.171.
défense de leurs droits. Les zones rurales
souffrent d'une absence perceptible de juridictions ; et en termes
d'hébergement, de nutrition et de frais de transport, cela coûte
extrêmement cher >>148. Le fait que les
causes avant d'être connues soient renvoyées plusieurs fois avant
de connaître leur dénouement explique les désistements
réguliers pour absence de moyens pouvant permettre de soutenir une
action déjà introduite.
Face à cette situation, on serait tenté
de croire comme SOCKENG Roger que << la justice glisse
sensiblement vers une situation de hiérarchie sociale, les plus nantis
pouvant défendre leurs droits pendant que les indigents faute de moyens,
verront malgré eux, leurs droits piétinés et
vilipendés >>149. Cela pousse à
<< se demander à quoi bon parler de service public de
la justice, si à la longue, la grande majorité de la population
se trouve dans l'impossibilité de faire valoir ses droits pour des
raisons d'ordre financier >>150? Et à
s'interroger sur le point de vue de LA FONTAINE quant il écrivait :
<< Selon que vous serez puissant ou misérable, les
jugements de cour vous rendront Blanc ou Noir
>>151.
Certes la compréhension de la pluralité
des obstacles propres à l'environnement camerounais passe par la
maîtrise des réalités culturelles et
socio-économiques, mais, elle est aussi liée aux
réalités d'ordre juridique.
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