SECTION II : LES DIFFICULTES LIEES A L'ETABLISSEMENT DE
LA
PREUVE
Le corps médical est tenu au secret
professionnel et se doit de ce fait de protéger ses patients. Il le fait
non seulement par le truchement du secret médical, mais aussi par le
biais du dossier médical qui est une des manifestations du secret
médical. Le dossier médical permet à
l'établissement hospitalier de protéger et de conserver les
informations qui concernent leurs patients. De ce fait, s'il est
indéniable que l'accès au dossier médical relève
d'un véritable parcours du combattant (paragraphe I), force est de
rappeler qu'un revirement jurisprudentiel a en 1997 renversé la charge
de la preuve en matière médicale (paragraphe II).
Paragraphe I : Les difficultés d'accès au
dossier médical.
De par l'extrême complexité que
révèle la profession de médecin, ces professionnels sont
tenus d'encadrer, mieux de protéger les informations mises à leur
disposition à l'aide des dossiers médicaux. C'est la raison pour
laquelle leur accès est interdit au public, et que même lors des
perquisitions, on veille à leur inviolabilité.
L'inviolabilité dont bénéficie le dossier médical a
pour principal but la protection des informations intimes concernant le
patient.

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Toutefois, dans un souci de clarté quant aux
causes d'une incommodité dont la raison pourrait être
médicale, le caractère secret du dossier médical le rend
difficile d'accès (A). Cet obstacle est généralement
considéré comme la manifestation de l'esprit de corps qui existe
entre les médecins surtout quand on sait qu'en matière
pénale, le principe « actori incumbit probatio
» prévaut (B).
A- Le caractère secret du dossier médical.
Contenant l'ensemble des informations ayant trait au
patient, notamment les pathologies dont il souffre, et au suivi auquel il est
soumis, le dossier médical apparaît comme un élément
qui garantit non seulement de la confidentialité des informations
relatives au patient, mais aussi des traitements qui lui sont
administrés. Si la cause principale de l'établissement du dossier
médical est la protection de l'intimité du patient, il en
résulte que le public n'y a pas accès.
Le dossier médical contient toutes les phases
de la thérapie du patient et toutes les informations y
afférentes. Il en résulte que sa connaissance relève du
domaine exclusif du médecin traitant et de son malade. Il peut toutefois
arriver que dans le souci de soumettre un cas complexe de maladie à ses
collègues, le médecin traitant puisse communiquer des
informations concernant son patient. Ces informations qui sont soumises aux
collègues imposent à ceux-ci de les taire sous le couvert du
secret médical, à ne divulguer sous aucun prétexte. Bien
que n'étant pas les médecins traitant du malade, cette exigence
professionnelle s'impose à eux.
S'il ressort que le dossier médical est un gage de
la protection de l'intimité du patient, quel effet produit-il
?
La conséquence immédiate de la protection
de l'intimité du patient par la mise sur pied du dossier médical
est son accès limité au public.
En effet, le dossier médical échappe
à la connaissance du public. Les tiers n'y ont accès que dans des
conditions bien précises. En matière d'accessibilité au
dossier médical, on entend par tiers, « toutes les
autres personnes en dehors du patient et du client ... à l'égard
de qui le médecin n'est pas lié
»157. Ces personnes peuvent avoir un intérêt
à entrer en possession des informations contenues dans le dossier
médical. Il s'agit en l'occurrence des membres de la famille, des
héritiers, des ayants droits qui en vertu de l'intérêt que
revêt pour eux l'accession au dossier médical de leur parent,
peuvent être autorisés à y avoir accès.

157 TJOUEN, op.cit., p. 71.
Toutefois, cette accession ne doit pas avoir pour but de
divulguer des informations qui pourraient entacher l'image du patient,
même après sa mort au sein de la
société.
Il en résulte dès lors que, outre les
raisons de justice (la manifestation de la vérité) dans un
procès, ou bien en cas de nécessité pour les ayants droits
de se voir accorder un privilège, le dossier médical est
protégé. Cette protection se manifeste également au moment
de la perquisition dans les établissements hospitaliers et autres
cabinets médicaux qui ne doivent se faire qu'en présence des
membres de l'Ordre158.
Le problème de l'accessibilité au
dossier médical ne serait qu'imparfaitement appréhendé si
en plus des raisons visant à protéger le patient, on ne faisait
pas état de l'esprit de corps qui prévaut entre les
médecins et surtout des dispositions légales en matière de
la charge de la preuve.
B- L'esprit de corps et la règle de principe
« actori incumbit probatio » : des
freins supplémentaires dans l'établissement des preuves.
Il sera question d'examiner ici l'esprit de corps (1),
avant de s'appesantir sur la charge de la preuve en matière
pénale (2).
1- L'esprit de corps.
Dans leurs relations réciproques, les
médecins sont tenus mutuellement à << un
devoir de confraternité >>159 dont l'une
des caractéristiques principales est la solidarité. Cette
solidarité si elle est très poussée peut être un
danger pour la manifestation de la vérité.
Dans le souci de maintenir l'harmonie entre
confrères, le devoir de confraternité a été
institué entre les médecins. Le devoir de confraternité
pose les bases d'une collaboration entre professionnels du même corps en
ce sens qu'ils << doivent entretenir entre eux des rapports
de bonne confraternité >>,
et qu' << ils se doivent assistance morale
>>160.
C'est dans cette optique que les confrères
peuvent se consulter mutuellement dans le but de se soumettre des cas cliniques
afin de trouver des solutions idoines pour la guérison du patient. Le
devoir de confraternité instaure la solidarité entre les
médecins. Cette solidarité est
158 Il s'agit de l'Ordre National des Médecins du
Cameroun (ONMC).
159 Titre IV du Code de déontologie des
médecins du Cameroun.
160 Art. 42 Code de déontologie médicale du
Cameroun.
bénéfique pour le patient. Toutefois, un
usage autre que celui recherchant l'intérêt du patient peut se
révéler comme un danger, notamment en ce qui concerne la
manifestation de la vérité.
Le devoir de confraternité qui renforce la
solidarité entre les médecins pourrait représenter un
danger pour le patient. En effet, parce que le dossier médical
appartient à l'établissement hospitalier et non au malade, les
professionnels qui y ont accès pourraient le falsifier dans le but de
protéger leur confrère. Bien qu'illégale, la raison
d'être de cette pratique pourrait se trouver dans la préservation
de l'image de marque de l'établissement hospitalier et même celui
des médecins. Mais surtout, le souci d'éviter d'admettre la
commission par le professionnel de son propre chef d'une
infraction.
Les problèmes issus de la solidarité entre
les praticiens influent sur la charge de la preuve.
2- les difficultés résultant de la
règle de principe « actori incumbit probatio
»
Dans le souci de protéger la partie poursuivie,
le législateur a mis sur pied des mécanismes afin d'assurer la
garantie des droits de la partie défenderesse. C'est la raison pour
laquelle, à l'exception de l'instruction qui est de type inquisitoriale,
la poursuite se caractérise par son aspect accusatoire. C'est en vertu
de cette caractéristique que la charge de la preuve incombe à la
partie qui accuse. Ce principe bien que difficilement efficace en
matière médicale (b) mérite d'être
présenté (a).
a- L'économie du principe.
L'article 307 du Code de procédure
pénale dispose que « la charge de la preuve incombe
à la partie qui a mis en mouvement l'action publique
». Il ressort de cette disposition que c'est la partie qui accuse, la
partie demanderesse en l'occurrence à qui il revient d'apporter les
preuves qui accablent la partie défenderesse.
Ce principe vient renforcer la présomption
d'innocence énoncée dans l'article 8 du Code de procédure
pénale qui dispose en son alinéa 1er que «
Toute personne suspectée d'avoir commis une infraction est
présumée innocente jusqu'à ce que sa culpabilité
ait été légalement établie au cours d'un
procès oil toutes les garanties nécessaires à sa
défense lui seront assurées ». L'alinéa
2 poursuit que « la présomption d'innocence s'applique
au suspect, à l'inculpé, au prévenu et à
l'accusé ». Il est donc évident qu'au regard de
la protection faite
par le législateur au présumé auteur
de l'infraction, l'établissement de la preuve s'avère difficile
en matière médicale.
b- Les difficultés de son efficacité en
matière médicale.
Au vu de la complexité qui la
caractérise, la médecine pour le patient n'a qu'un but : lui
procurer la guérison. Aussi, l'efficacité d'un traitement pour le
profane s'apprécie par son résultat et non par les moyens
utilisés pour y parvenir. Il en résulte que lorsque un patient
vient à se plaindre, il lui est très difficile, voire impossible
d'apporter la preuve de ses déclarations, sauf s'il a des connaissances
en matière médicale. Prouver l'usage d'une substance nocive, d'un
traitement inapproprié sans y être habilité a toujours
été << le ventre mou » de la
mise en oeuvre de la responsabilité du médecin.
En outre, le médecin a une obligation de moyens
et non de résultat. Son traitement ne peut pas toujours garantir la
guérison même s'il s'est entouré de toutes les
précautions requises, à savoir l'attention, la conscience, la
conformité aux données acquises de la science. La faute ne
pourrait être relevée que s'il a méconnu l'une de ces
exigences professionnelles.
Au vu des difficultés résultant de la
règle de principe << actori incumbit
probatio » en matière médicale, laquelle avait
quasiment << immunisé » le
médecin de toute poursuite pénale, il s'avérait
impérieux de trouver une solution. Le juge, créateur subsidiaire
de la loi a par une révolution jurisprudentielle redéfini
l'établissement de la preuve en matière
médicale.
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