Paragraphe II : L'Arrêt dit HEDREUL : une
révolution procédurale
dans la manifestation de la vérité.
Dans son arrêt du 25 Février 1997, la
Cour de Cassation en sa Chambre Civile 1ère a rendu une
décision qui a révolutionné la procédure en
matière de détermination de la preuve. D'origine
française, cette jurisprudence pourrait inspirer le juge camerounais
à faire une avancée notable dans le contentieux médical au
Cameroun. Il s'agit de l'Arrêt dit HEDREUL161 dont la
substance (A) a consacré le renversement de la charge de la preuve en
matière médicale (B).
A- Le contenu de l'arrêt HEDREUL.
Après avoir été
débouté en appel, le sieur HEDREUL s'est pourvu en cassation dans
une espèce qui l'opposait au Docteur Roland COMTE et à la
société polyclinique Sévigné.
72
161 Cass. Civ. 1ère, Arrêt
no 426, 25 Février 1997.
Dans cette affaire, le sieur HEDREUL a intenté
une << action en responsabilité à l'encontre
des médecins et chirurgiens, en raison des troubles dont il est
resté atteint à la suite d'une intervention chirurgicale, et pour
le manquement à leur devoir de conseil... >>. Pour
prouver ses prétentions, un expert a été commis. Dans ses
conclusions, l'expert a commis des erreurs de datation lorsqu'il <<
mentionne que le malade a pu sortir le 17 Février, alors
que c'est le 16 qu'il a quitté la clinique, enfin, il parle des radios
pratiquées le 17 Février alors qu'il s'agit du 16 et de celles du
18 Février alors qu'elles ont été réalisées
le 17 >>.
La Chambre Civile de la Cour de Cassation a
estimé que << l'expert a effectivement commis une
erreur de datation des différentes opérations chirurgicales
subies à cette période par monsieur
HEDREUL >> et que, <<
toutefois, cette simple erreur de date
est sans incidence sur la valeur de l'analyse de
l'expert... >>. L'autre raison et non des moindres du
recours intenté par monsieur HEDREUL est que << les
parties ont soumis à l'expert l'ensemble des
documents jugés utiles aux débats
>>, et, << l'expert a procédé à
l'examen approfondi de ceuxci, il n'a pas estimé nécessaire pour
formuler l'avis technique qui lui était demandé d'en examiner
d'autres». La prétention du sieur HEDREUL était
fondée sur le fait qu' << il y a lieu de relever un
certain degré de maladresse au cours de cette intervention tardive
aboutissant à une colostomie
>>.
Pour justifier ses propos, le demandeur procède
par << affirmation et sans
démonstration >> alors qu' <<
il lui appartient de rapporter la preuve de ce que le
médecin ne l'aurait pas averti des risques inhérents à une
polypectomie et notamment celui qualifié de
non négligeable par l'expert d'une perforation
digestive >>.
Monsieur HEDREUL ne produit aux débats aucun
élément accréditant cette thèse, c'est la raison
pour laquelle << une nouvelle expertise ne saurait
être ordonnée pour suppléer la carence des parties dans
l'administration de la preuve >>.
La Chambre Civile 1ère de la Cour de
Cassation a motivé sa décision sur trois points en se fondant
d'abord sur l'article 146 du Nouveau Code de Procédure Civile
Français (NCPC) d'après lequel << une mesure
d'instruction peut être ordonnée si la partie qui la sollicite ne
dispose pas d'éléments suffisants pour prouver un fait...
>>. Ensuite, sur le principe selon lequel <<
le médecin est tenu à un devoir d'information et de
conseil à l'égard de son patient, lequel doit être ainsi
dûment informé des risques encourus ». Enfin, la
Cour s'est fondée sur l'article 1315 du Code Civil, qui dispose que :
<< celui qui est légalement ou contractuellement tenu
d'une obligation particulière d'information doit rapporter la preuve de
l'exécution de cette obligation >>.
74
C'est sur la base que ces différentes exigences
ont été violées en appel, que le sieur HEDREUL s'est
pourvu en cassation. L'auguste chambre a rendu un arrêt infirmatif
qu'elle a motivé en ces termes : << par ces motifs,
et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les deux premières branches du
moyen :
Casse et annule, dans toutes ses dispositions,
l'arrêt rendu le 5 Juillet 1994, entre les parties, par la Cour d'Appel
de Rennes, remet, en conséquence, la cause et les parties dans
l'état oil elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour
être fait droit, les renvoie devant la Cour d'Appel d'Angers...
».
Une fois le contenu de cet arrêt parcouru, quel a
été son apport ?
B- l'apport déterminant de l'arrêt
HEDREUL : le renversement de la charge de la preuve.
L'arrêt de la Chambre Civile 1ère
de la Cour de Cassation du 25 Février 1997 a révolutionné
la charge de la preuve en matière médicale à plus d'un
titre.
Face à la complexité que revêt la
médecine pour le patient, le juge a reprécisé à
travers des textes juridiques des règles qui régissent l'exercice
de la profession de médecin.
En matière procédurale, il rappelle
qu'en vertu de l'article 146 du NCPC, <<une mesure
d'instruction peut être ordonnée si la partie qui la sollicite ne
dispose pas d'éléments suffisants pour prouver un
fait ».
En matière contractuelle, le juge de la Cour de
Cassation a réaffirmé d'une part que << le
médecin est tenu d'un devoir d'information et de conseil à
l'égard de son patient, lequel doit être ainsi dûment
informé des risques encourus ...» ; et d'autre part
que, au vu de l'article 1315 du Code Civil, << celui qui est
légalement ou contractuellement tenu d'une obligation
particulière d'information doit rapporter la preuve de
l'exécution de cette obligation... ».
De cet arrêt, il ressort que, parce que <<
le médecin est tenu d'une obligation particulière
d'information vis-à-vis de son patient...il lui incombe de prouver qu'il
a exécuté cette obligation ». La
décision de la Cour de Cassation devrait conforter le justiciable ou le
patient dans le sens que la mise en oeuvre de la responsabilité du
médecin traitant ne saurait être limitée par l'exigence de
preuve.
La réflexion menée sur les
difficultés de la mise en oeuvre de la responsabilité
pénale du médecin traitant a abouti à un constat
édifiant : la mise en oeuvre de la responsabilité du
médecin traitant est entravée par une pluralité
d'obstacles propres à l'environnement
camerounais. Il s'agit notamment des
réalités d'ordre culturel, socio-économique, et juridique.
Un autre aspect tout aussi important est l'existence des obstacles liés
à l'établissement de la preuve en matière médicale.
En effet, à cause des difficultés d'accès au dossier
médical, ceci en vertu de son caractère secret ; de l'esprit de
corps qui prévaut entre les praticiens, et surtout au principe qui
régit la charge de la preuve, les obstacles rencontrés dans
l'établissement de la preuve accentuent les difficultés relatives
à la mise en oeuvre de la responsabilité pénale du
médecin traitant. C'est au vu de ces difficultés que la
jurisprudence française, à la suite de la décision rendue
dans l'arrêt HEDREUL a consacré le renversement de la charge de la
preuve. De ce fait, si la mise en oeuvre de la responsabilité se
caractérise par tant de difficultés, cela préfigure sans
doute une procédure complexe qui se caractérise par une
pluralité d'aspects techniques.
CHAPITRE II : LA PLURALITE DES ASPECTS TECHNIQUES :
LA COMPLEXITE DE LA PROCEDURE.
76
La mise en cause du médecin
soupçonné d'avoir commis une infraction obéit à une
pluralité d'exigences dont la maîtrise des contours est
indispensable pour pouvoir mettre en oeuvre la responsabilité
pénale de ce dernier.
De la plainte au prononcé du jugement,
plusieurs aspects techniques surviennent tout au long de la procédure de
mise en oeuvre de la responsabilité pénale du médecin. Le
corps médical est protégé par le principe sacro-saint du
secret professionnel, en l'occurrence, le secret médical. Le
procès où est mis en en cause le médecin a besoin
d'être éclairé dans certains de ses aspects, d'où
l'intervention de l'expert qui est commis pour apporter au courant du
procès des réponses aux questions techniques auxquelles les
parties et le juge seront confrontés. S'il paraît évident
que les étapes qui interviennent dans la mise en oeuvre la
responsabilité pénale du médecin traitant sont
spécifiques (section I), il serait toutefois nécessaire de mettre
en oeuvre des dispositions appropriées dans le but de garantir
l'efficacité de la justice pénale en matière
médicale au Cameroun (section II).
SECTION I : LA SPECIFICITE DES ETAPES
INTERVENANT DANS LA MISE EN OEUVRE DE LA RESPONSABILITE PENALE DU MEDECIN
TRAITANT.
Le médecin comme tout citoyen est soumis dans
l'exercice de sa profession au respect de la loi. Certes l'article 286 du Code
pénal l'exempte d'un certain nombre d'actes (coups et blessures)
lorsqu'ils sont commis dans le but de donner des soins. Toutefois, le praticien
qui, dans l'exercice de son art commet une faute est tenu de la réparer.
Il en est de même lorsque l'acte posé par le médecin est
constitutif d'infraction. Il peut dès lors être sous le coup de la
loi et faire l'objet de poursuites judiciaires.
La procédure de mise en oeuvre de la
responsabilité pénale du médecin est complexe
;
d'où l'importance de cerner les étapes
allant de la constatation de l'infraction à la mise en
oeuvre des poursuites pénales (paragraphe I),
qui sont des préalables à l'instruction préparatoire
(exception faite des cas de flagrance et de citation directe), phase fatidique
en cas de crime, pour l'entame du procès ou de l'abandon des poursuites
contre le médecin (paragraphe II).
|