INTRODUCTION GENERALE
<< Le respect de la vie constitue
en toute circonstance le devoir primordial du médecin
». C'est en ces termes que le Code de déontologie des
médecins du Cameroun1 en son article 1er pose les
jalons de la fonction des médecins. Le préambule de la loi
fondamentale du Cameroun2 énonce d'une part que : <<
le peuple camerounais proclame que l'être humain, sans
distinction de race, de religion, de sexe, de croyances, possède des
droits
inaliénables et sacrés. » ;
et d'autre part que : << Toute personne a droit à la
vie et à l'intégritéphysique et morale. Elle
doit être traitée en toute circonstance avec humanité. En
aucun cas,
elle ne peut être soumise à la torture, à
des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants...
».
La protection de la vie, de l'intégrité
physique et morale, principe consacré par le législateur
camerounais, est une obligation dont s'imprègne l'étudiant en
médecine à l'entame de ses études. D'après ELONG
NGONO, << l'enseignement du droit humain est florissant dans
les écoles de médecine occidentales, ce qui participe de la
recherche constante du bienêtre du malade
»3. Il s'y engage lorsqu'il est habilité
à exercer en vertu du Serment d'HIPPOCRATE4 dans le respect
des textes légaux et réglementaires (Constitution, Code
pénal, Code de procédure pénale, Code de
déontologie). Dans l'exercice de son art, le médecin est tenu,
vis-à-vis de son patient d'une obligation de moyens, c'est-à-dire
qu'il <<... s'engage seulement à tout mettre en
oeuvre pour obtenir la guérison du malade sans en garantir cette
dernière »5 en donnant des soins attentifs
et consciencieux conformes aux données acquises de la science ; et, non
de résultat, sauf dans certains cas (à l'exemple de la chirurgie
esthétique). C'est la raison pour laquelle la médecine ne saurait
être confiée à des profanes ou à des
charlatans.
1 Décret No
83-166 du 12 Avril 1983 portant Code de Déontologie des médecins
du Cameroun.
2 Loi No 96-06 du
18 Janvier 1996 portant Révision de la Constitution du 2 Juin
1972.
3 ELONG NGONO (S), <<
Devoirs des médecins », in Cameroon Tribune du 27 Novembre
2007.
4 Hippocrate, célèbre médecin
grec de l'Ecole de Cos, qui vécut au 5e siècle avant
Jésus-Christ est la plus grande figure de la médecine moderne
dont il en est considéré comme le père. Il définira
les rapports entre le médecin, son patient et la collectivité,
ainsi que les principes qui doivent régir l'exercice de la profession
à travers le serment d'Hippocrate. Il instaure la confraternité
entre médecins, l'égalité des hommes devant la maladie, la
défense de la vie avant tout et le respect du secret
médical.
C'est aujourd'hui le Serment que prêtent les
étudiants en médecine lors de la soutenance de leur
thèse.
5 Lexique des termes
juridiques, 13e éd., Dalloz 2001,
p.383.
3
5
Au Cameroun, la profession de médecin est
strictement règlementée. Les textes qui l'organisent sont la loi
no 90-36 du 10 août 1990 relative à l'exercice et
à l'organisation de la profession de médecin, et son
décret d'application no 92-265-PM du 22 juillet
1992.
Le petit Larousse6 définit le
médecin comme un professionnel qui donne des soins au cours d'une
maladie, un titulaire d'un doctorat en médecine, ou encore une personne
qui exerce la médecine. La loi du 10 août 1990 en son article 2,
alinéa 1er énonce que : « Nul ne peut exercer la
profession de médecin au Cameroun s'il n'est inscrit au tableau de
l'Ordre ». L'alinéa 2 du même article énonce que :
« Toutefois, peut exercer la profession de médecin, le
praticien de nationalité étrangère remplissant les
conditions supplémentaires suivantes :
-Etre ressortissant d'un pays ayant signé un accord de
réciprocité avec le Cameroun.
-N'avoir pas été radié de l'Ordre de son
pays d'origine ou dans tout autre pays où il aurait exercé
auparavant.
-Etre recruté sur contrat ou en vertu d'un accord
de coopération pour le compte exclusif de l'administration, d'un Ordre
confessionnel ou d'une ONG (Organisation Non Gouvernementale) à but non
lucratif.
- Servir pour le compte d'une entreprise privée
agréée ».
La médecine comporte un certain nombre de
spécialités. Elles sont aussi plurielles que les
différentes branches de la science qui, chaque jour grâce aux
progrès se diversifie. A titre d'exemple, nous pouvons citer les
médecins généralistes, les chirurgiens, les
anesthésistes, les chirurgiens dentistes, et des professionnels qui font
de la chirurgie esthétique. Ces praticiens peuvent exercer chacun, soit
pour le compte d'une personne morale de droit public (Etat), soit pour le
compte d'une personne morale de droit privé (clinique privée),
mais également pour le compte d'une ONG. Au vu des tâches qu'ils
exercent et de l'employeur pour lequel ils travaillent, on distingue l'expert
qui peut être mandaté soit par le juge, soit par une compagnie
d'assurance (on parle de médecin-conseil d'assurance), le médecin
du travail (qui a pour tâches principales les visites médicales
d'embauche,les examens médicaux périodiques, les visites
après une absence due à une maladie) et enfin le médecin
traitant ( c'est celui qui prodigue des soins au cours d'une maladie). C'est
sur cette dernière catégorie de médecin que portera notre
travail.
6 Le petit Larousse
illustré 2005.
Le médecin, dans l'exercice de son art est tenu
au respect de la loi, de l'éthique et de la déontologie. Leur
inobservation peut engager ses responsabilités civile, pénale,
morale, administrative, et même déontologique. Etre responsable,
c'est assumer les conséquences de ses actes mais, c'est d'abord agir en
connaissance de cause. Bien que le médecin dans l'exercice de son art
soit en proie à divers types de responsabilités, la
responsabilité civile et la responsabilité pénale sont
celles qui attirent plus d'attention.
La responsabilité civile est <<
l'obligation de réparer le préjudice
résultant soit de l'inexécution d'un contrat
(responsabilité contractuelle) soit de la violation du devoir
général de ne causer aucun dommage à autrui par son fait
personnel, du fait des choses dont on a la garde, ou du fait des personnes dont
on répond (responsabilité du fait d'autrui) ; lorsque la
responsabilité n'est pas contractuelle, elle est dite délictuelle
ou quasi délictuelle >>7.
La responsabilité pénale quant à
elle est << l'obligation de répondre de ses actes
délictueux en subissant une sanction pénale dans les conditions
et selon les formes prescrites par la loi >>8 .
Est de ce fait pénalement responsable, << celui qui
volontairement commet les faits constitutifs d'infraction avec l'intention que
ces faits aient pour conséquence la réalisation de
l'infraction >>9 .
Dans le cadre de ce travail, il sera question de
s'appesantir sur la responsabilité pénale du médecin
traitant dans le système pénal camerounais. Le système
pouvant être une combinaison d'éléments réunis de
manière à former un ensemble, il s'agit de voir de quelle
manière le système pénal national (les textes juridiques,
la doctrine et la jurisprudence) se situe par rapport à la
responsabilité pénale du médecin. Les aménagements
légaux et jurisprudentiels qui traitent de cette responsabilité
s'arriment-ils de nos jours aux progrès vertigineux qui sont
réalisés dans les différentes branches de la
médecine, ceci dans le souci de protéger les droits des patients
? Car comme le dit AKIDA : << La médecine a fait plus
de progrès au cours de ces trente dernières années qu'au
cours des trois siècles précédents >>
10.
7 Lexique des termes
juridiques, op.cit., p.487.
8 Ibid., p.488.
9 Art. 74, al. 2,
C.P.
10 AKIDA (M), << La
responsabilité pénale des médecins du chef d'homicide et
de blessure par imprudence >>, thèse de Doctorat de Droit,
Bibliothèque de sciences criminelles, tome 29, LGDJ, Paris 1994, p.
1.
Le choix de ce thème se justifie par
l'existence des zones d'ombre, des incertitudes par rapport à la
détermination de la responsabilité du médecin au Cameroun.
D'où la nécessité de réfléchir sur les
différents aspects qui la constitue. Les études qui mettent en
lumière le corps médical, notamment du point de vue de la
responsabilité sont limitées ; il en est de même des textes
qui règlementent cette profession. En effet, les études
recensées portent sur la déontologie médicale,
l'éthique médicale, la responsabilité médicale du
point de vue global. Avec le progrès de la science, doit-on maintenir le
même degré de la responsabilité médicale
(c'est-à-dire l'obligation de moyens) ou tendre vers une obligation de
résultat ? Le champ pourtant sensible de la responsabilité
pénale du médecin traitant dans le système pénal
Camerounais est assez peu fourni. C'est la raison pour laquelle notre souci est
d'apporter notre modeste contribution à l'édification de ce volet
du droit national tourné vers la modernisation et confronté aux
défis de la mondialisation. Les justiciables, pourront ainsi prendre
connaissance des rouages qui, parce qu'ils sont ignorés, les
empêchent de se faire rendre justice au vu de la rareté des
jugements rendus en la matière, et des affaires pendantes devant les
tribunaux; les médecins quant à eux pourront prendre conscience
de la lourdeur des tâches qui sont les leurs. Les lecteurs verront le
corps médical sous un angle un peu plus humain, débarrassé
de mystères dont il est souvent l'objet.
Dans le cadre de son travail, le médecin peut
être une autorité administrative, un expert et même un
médecin traitant, et, il peut voir sa responsabilité
engagée à ces différents titres. Seule sera retenue ici la
responsabilité du médecin dans ses relations avec son patient,
c'est-àdire, dans l'exercice de son art, notamment lorsque ses actes
sont constitutifs d'infractions. Dans leurs rapports réciproques, «
le médecin n'a vis-à-vis de son patient que des
obligations et que ce dernier n'a que des droits
»11.
Au Cameroun, l'accession aux soins n'est pas
donnée à tous au vu de la croissance exponentielle de la
population face à un personnel médical limité ; l'offre de
soins présente de très grandes insuffisances dans toutes les
composantes, à savoir : les ressources humaines, les infrastructures et
les équipements. Le nombre de médecins par habitant reste
marginal. On compte un médecin pour 10 000 habitants et un infirmier
pour environ 2 200 habitants12.
11 ELONG NGONO (S), «
Droits des malades, Devoirs des Médecins », in Cameroon Tribune du
29 mai 2008 p. 11.
12 STRATEGIE SECTORIELLE DE SANTE
2001-2010 du Ministère de la Santé Publique de la
République du Cameroun, éd. 2002, p.3.
Le patrimoine d'infrastructures et
d'équipements a connu d'importantes dégradations pendant que les
nouveaux investissements ont été limités du fait de la
récession économique ; la gestion et le développement de
toutes ces ressources s'effectuent sans aucune référence
normative. Ceux des patients qui ont accès à un médecin
sont considérés comme des privilégiés au vu des
procédures longues et tortueuses rencontrées dans les
établissements publics (tickets de consultation, mauvais accueil,
longues files d'attente, rançonnement, monnayages divers pour pouvoir
rencontrer le médecin). D'autres doivent dépenser davantage s'ils
veulent accéder aux soins des cliniques privées. La santé
n'est pas à la portée de tous. L'ignorance des règles qui
régissent le fonctionnement du corps médical par les profanes
entraîne l'ignorance de leurs propres droits. Ce n'est que lorsque les
errements médicaux dépassent l'entendement du patient et/ou de sa
famille en provocant soit des handicaps légers ou graves ou même
la mort que le patient et/ou sa famille envisage d'engager la
responsabilité du médecin. C'est ainsi que s'agissant
d'activités dangereuses, le Professeur NDOKO affirme que : «
... si le malade a subi un dommage consécutif à ces
traitements, il y aura délit d'homicide ou de blessure par imprudence.
S'il n'y a pas eu de conséquences fâcheuses, il sera rare que le
praticien soit poursuivi. En l'absence d'une victime qui pourra mettre en
mouvement l'action publique par sa plainte avec constitution de partie civile,
le ministère public, juge de l'opportunité des poursuites,
n'ouvrira pas d'information et ne saisira pas la juridiction de jugement sauf
dans des circonstances vraiment exceptionnelles
>>13.
Dans la société Camerounaise, il est
très courant de voir dans la rubrique des faits divers des journaux et
autres quotidiens des scandales ou des plaintes à l'encontre du corps
médical en général, et des médecins en
particulier14. Cette multiplicité de faits contraste avec la
réalité au niveau des juridictions. En effet, il n'est pas
fréquent en parcourant les nombreuses décisions rendues par les
tribunaux de rencontrer des affaires oh les médecins, de par les
infractions qu'ils auraient pu commettre dans l'exercice de leur art ont
été mis en cause.
Cette situation pose le problème de la consistance
du droit Camerounais en matière de
responsabilité médicale. En effet, bien que
le Code pénal camerounais réprime toute forme
13 NDOKO (N.C.), « La
culpabilité en droit pénal camerounais >>, L.G.D.J.,
thèse de doctorat, Paris, 1985, p.167.
Le Professeur NDOKO s'exprime dans un contexte oh le
ministère public a le monopole de l'instruction et de la poursuite,
suite à la suppression du juge d'instruction en 1972 de la
procédure pénale au Cameroun.
14 NGO NGOUEM (P), voir
journal Mutations No 2247 du Vendredi 26 Septembre 2008,
p.6.
d'atteinte à la personne humaine, le
régime auquel sont soumis les médecins est beaucoup plus
encadré. Cette répression est renforcée à
l'égard du corps médical parce que les médecins ont un
« devoir d'humanité». Pourtant, les
médecins sont rarement attraits devant les tribunaux pour
répondre des actes qu'ils auraient eu à poser dans l'exercice de
leur art. Cela voudrait-il dire que c'est un corps exemplaire exempt de tout
reproche ? Nous répondrons par la négative car nombreux sont les
faits recensés ; les services rendus dans les hôpitaux camerounais
ne sont pas de toute première qualité, ce qui conduit souvent
à des errements du personnel médical et à des plaintes
formulées par les patients. Ces faits figurent fréquemment dans
la rubrique des faits divers des journaux et autres quotidiens. Il se pose
ainsi la question de savoir quelle est la raison de cet état des choses
? Quelles sont les bornes de la responsabilité pénale
médicale au Cameroun ? Quelle est l'efficacité des dispositions
juridiques camerounaises relatives à la responsabilité
pénale médicale ? Autrement dit, dans quelles limites peut-on
situer la responsabilité pénale du médecin au Cameroun
?
Telles sont les différentes questions qui
constituent la base de notre travail articulé autour de deux axes
principaux, à savoir : Le domaine de la responsabilité
pénale du médecin traitant (Première Partie), et la mise
en oeuvre de cette responsabilité (Deuxième Partie).
PREMIERE PARTIE :
LE DOMAINE DE LA RESPONSABILITE PENALE DU
MEDECIN TRAITANT.
|
7
Le médecin est un professionnel qui donne des
soins au cours d'une maladie, un titulaire d'un doctorat en médecine, ou
encore une personne qui exerce la médecine. Dans l'exercice de son art,
il met en oeuvre tout son savoir-faire et fait usage de tous les moyens dont il
dispose pour donner la guérison à son patient. Il est ainsi tenu
d'une obligation de moyens. Toutefois, la méconnaissance des
règles qui régissent sa profession peut causer un
préjudice au patient et même être constitutive d'infraction.
Cette inobservation, lorsqu'elle est réprimée par le Code
pénal et d'autres textes (à l'exemple du Code de
déontologie médicale) peut entraîner la
responsabilité pénale du médecin. Ceci à cause des
incommodités infligées aux patients, aux torts causés
à la société et surtout à l'instauration d'un
climat de méfiance qui peut s'installer dans les rapports entre les
médecins et leurs patients. La responsabilité pénale du
médecin est un sujet vaste et pas toujours aisé à
appréhender.
S'il est vrai que les infractions relevant de la
responsabilité du médecin traitant sont diverses (Chapitre II),
force est de constater que les conditions de mise en oeuvre de cette
responsabilité comportent des contours incertains (Chapitre
I).
CHAPITRE I :
LES CONTOURS FLUCTUANTS DES CONDITIONS DE LA
RESPONSABILITE PENALE DU MEDECIN
TRAITANT
|
Le principe de la légalité des
délits et des peines, principe consacré par le législateur
camerounais dans la Constitution, et le Code pénal en son article 17
voudrait que toute infraction pour être réprimée soit
contenue dans un texte ( le Code pénal ou toute autre loi
pénale). Une fois la norme codifiée, elle a une portée
générale. C'est la raison pour laquelle l'article 1er
du Code pénal énonce que : « la loi
pénale s'impose à tous ».
Cette disposition, qui s'applique à tout
citoyen n'exclut pas les médecins. Toutefois, comme il s'agit de la
médecine et que le risque fait corps avec ce métier, les contours
de leur responsabilité comportent des subtilités qui
mériteraient d'être cernées afin d'établir avec
précision le régime de la responsabilité pénale du
médecin traitant. Aussi examinerons-nous le caractère ambivalent
de la responsabilité pénale du médecin traitant (Section
I). Une fois cerné, il sera question de voir l'étendue de cette
responsabilité, ceci au vu du statut juridique du praticien qui est un
facteur de renforcement de la responsabilité de ce dernier (Section
II).
SECTION I : LE CARACTERE AMBIVALENT DE LA
RESPONSABILITE PENALE DU MEDECIN TRAITANT.
Le principe de la légalité criminelle,
exprimé par l'adage latin « nullum crimen, nulla
poena, sine lege» est un principe selon lequel tout acte
constituant un crime ou un délit doit être défini avec
précision par la loi ainsi que les peines qui lui sont
applicables.
Le médecin est lié à son patient
en vertu d'un contrat. Il en résulte que, toute faute commise par ce
dernier dans l'exercice de son art ne donne lieu qu'à des
réparations. Il peut toutefois arriver que le praticien commette une
faute qui soit pénalement répréhensible. Pour que la
responsabilité pénale du médecin traitant soit retenue, il
faut que certaines conditions soient réunies (paragraphe I) et qu'il n'y
ait aucun fait justificatif ou cause d'exonération (paragraphe
II).
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