Paragraphe I : Les conditions de la mise en oeuvre de la
responsabilité pénale
du médecin traitant.
Pour que la responsabilité pénale du
médecin soit engagée à l'égard de son patient, il
faudrait que ce professionnel ait commis une faute (A), et que cette faute ait
causé un préjudice (B) à son patient.
A - L'existence d'une faute, élément
indispensable pour engager la responsabilité
pénale du médecin traitant.
La faute du médecin traitant est établie
par l'existence d'un manquement, de l'inobservation d'une norme ou même
d'une simple imprudence, d'une négligence. Un lien de causalité
doit être établi entre la faute et le dommage causé, car
<< il ne suffit pas que la relation de causalité soit
directe, mais il faut qu'elle soit certaine
»15.
L'information du patient constitue un
élément fondamental servant à éclairer son
consentement. C'est aussi la condition première du respect de la
dignité du malade. Considérer l'autre comme une personne qui a le
droit de savoir ce qui le concerne au plus profond de lui-même est une
exigence faite au médecin, et qui gouverne les rapports qui le lient
à son patient. Les manquements au droit à l'information sont sans
doute ceux qui sont le plus mal vécus par les malades et par leurs
proches.
Contrairement au droit civil, le droit pénal en
raison du principe de la légalité des délits et des peines
ne connaît pas d'incrimination générale de la faute. La
faute pénale est définie avec une grande précision par le
lexique des termes juridiques comme l' <<
élément moral des délits non intentionnels,
consistant :
-soit en une imprudence, négligence ou manquement
à une obligation de prudence ou de sécurité prévue
par la loi ou le règlement, s'il est établi que l'auteur des
faits n'a pas accompli les diligences normales compte tenu, le cas
échéant, de la nature de ses missions ou de ses fonctions, de ses
compétences ainsi que du pouvoir et des moyens dont il disposait
;
-soit en violation manifestement
délibérée d'une obligation particulière de prudence
ou de sécurité prévue par la loi ou le règlement
;
-soit en une faute caractérisée ayant
exposé autrui à un risque d'une particulière
gravité qui ne pouvait être ignoré
»16 .
15PENNEAU (J),
LA RESPONSABILITE DU MEDECIN, Connaissance du droit,
éd. Dalloz 1992, p.103 ; Crim., 15 Janvier 1958, 9 Janvier 1992, 20
Novembre 1996, 29 Octobre 2002, 13 Novembre 2002, 5 Octobre 2004.
16 Lexique des termes
juridiques, op.cit., p.258.

10
Avant d'en arriver là, la jurisprudence
française a à travers l'arrêt Mercier, défini les
rapports entre le praticien et son patient. Arrêt de principe,
l'arrêt Mercier, a établi le principe selon lequel le
médecin est lié à son patient en vertu d'un
contrat17. Tout manquement issu de cette relation devrait constituer
une faute contractuelle susceptible d'entraîner la réparation par
le paiement de dommages et intérêts. En matière
médicale, c'est un peu plus compliqué. En France par exemple un
débat doctrinal a longtemps opposé les partisans de
l'unité des fautes civile et pénale (1) aux partisans de la
dualité des fautes civile et pénale (2)18.
1- La thèse de l'unité des fautes civile
et pénale.
Pour les partisans de cette thèse (les
civilistes en l'occurrence19), il n'y a aucune différence de
nature, de degré, ou de gravité entre les deux fautes. Leur
argument s'appuie sur les textes concernant la faute civile (art.1382 et 1383
du Code civil) et la faute pénale (art.319 et 320 du Code pénal
français)20. A cet effet, ils considèrent que les
termes très larges et très descriptifs à ces textes
englobent n'importe quelle faute d'imprudence, si légère
soit-elle. Et, ils ajoutent que, l'interprétation jurisprudentielle des
mots « maladresse, imprudence, inattention et
négligence >> oblige à admettre que la faute
pénale des articles 319 et 320 contient tous les éléments
de la faute civile. Toute faute qui entraîne un dommage corporel se
traduit par une infraction. Il est donc possible en la matière, de
séparer de la faute pénale, une faute civile qui resterait en
dehors du droit pénal21.
Pour ces auteurs, tant que la faute civile et la faute
pénale sont identiques et ont la même nature, l'une et l'autre
s'apprécieront in abstracto. Selon cette
méthode d'appréciation, l'existence de la faute et sa
gravité s'apprécient par référence à un type
abstrait : l'homme normalement prudent et diligent. L'attitude de l'auteur du
dommage est comparée à la conduite qu'aurait eue un individu
avisé, placé dans les mêmes circonstances, abstraction
faite de toute analyse de la personnalité de son auteur.
Le modèle abstrait de référence est
« le bon père de famille >>. Dans
le domaine professionnel, le modèle de comparaison devient
« le bon professionnel >>.
17 Cf. arrêt MERCIER du
20 Mai 1936, civ. 20 Mai 1936, D.H., 1936.1.88
18AKIDA (M), op.cit. p.18
et suiv. ; DORSNER-DOLIVET(A), CONTRIBUTION A LA RESTAURATION DE
LA FAUTE, CONDITION DES RESPONSABILITES CIVILE ET PENALE DANS L'HOMOCIDE ET LES
BLESSURES PAR IMPRUDENCE: A propos de la chirurgie, éd.
L.G.D.J 1986, p. 37 et suiv.
19 Il s'agit de J. DEPREZ, H.
et L. MAZEAUD et A. TUNC, AKIDA (M), op.cit. P.19.
20 L'art. 289 du Code
pénal Camerounais est l'équivalent de ces articles.
21 AKIDA (M), op.cit.,
p.20.


12


14


16


18


20
La thèse de l'unité a été
très sévèrement critiquée par la doctrine en ce
sens qu'elle manque de fondement, et surtout qu'elle entraîne des
conséquences insupportables dans le domaine pénal.
En ce qui concerne l'absence de fondement de la
thèse de l'unité, la faiblesse du fondement textuel et la
défaillance du fondement rationnel ont été
avancées. Pour ce qui est de la faiblesse du fondement textuel, R. MERLE
estime que << chacun des aspects de la faute
énumérée dans l'article 319 (du Code
pénal Français) est susceptible de degrés :
la
maladresse, une inattention peuvent être plus ou
moins lourdes selon les circonstances ; or, sile législateur
pénal n'a pas dit que seules seraient prises en considération les
maladresses,
les inattentions d'une certaine gravité, il n'a pas
dit non plus que n'importe quelle maladresse, ou n'importe quelle inattention
suffirait à provoquer l'application de la peine
>>22.
S'agissant de la défaillance du fondement
rationnel, il serait loisible de rappeler que la grande règle qui domine
le droit pénal est Nullum crimen nulla poena sine
lege et son corollaire, l'interprétation restrictive des
textes pénaux. Contrairement au droit civil qui est dominé par la
formule << indemniser la victime à tout
prix >>, les principes tels que la présomption
d'innocence, le moindre doute profite à la victime, la
nécessité d'apprécier la faute pénale
in concreto, en tenant compte de la
personnalité du prévenu et de ses possibilités
réelles sont ceux qui soutendent le droit pénal que le principe
de l'identité des fautes civile et pénale viendrait battre en
brèche.
L'application de la thèse de l'unité
aurait des conséquences inadmissibles dans le domaine pénal.
D'une part, elle viendrait instaurer une autorité de fait du civil sur
le criminel car, << dans le but louable d'indemniser la
victime, le juge pénal sait que, s'il relaxe le prévenu, il
privera la victime de toute indemnisation. Face à une alternative
difficile, il se prononcera en faveur de la victime, en condamnant le
prévenu à une courte peine d'emprisonnement assortie souvent d'un
sursis ou d'une légère amende pour sauver les
intérêts privés de la partie civile
>>23. D'autre part, elle dénaturerait
l'élément psychologique de l'infraction car en cherchant à
indemniser la victime à tout prix, le juge appréciera la faute
in abstracto, et non in
concreto, méconnaissant ainsi l'un des principes cardinaux
de droit pénal qui est celui de la personnalité de la
peine.
22 R. MERLE cité par
AKIDA, op.cit., p.21.
23 AKIDA, op.cit.,
p.24.
De ce qui précède, on peut conclure avec
le Professeur CHAVANNE que « la théorie de
l'unité des deux fautes est un facteur de trouble et de désordre
dans l'administration de la justice
>>24.
Pour mettre fin à ces troubles et à ce
désordre, et permettre d'une part au juge pénal de garder son
autonomie, et d'éviter d'autre part de sacrifier le prévenu au
profit de la victime, et enfin de permettre au droit pénal de garder son
aspect humanitaire et équitable, il s'avère nécessaire de
séparer la faute civile et la faute pénale.
2- La thèse de la dualité des fautes
civile et pénale.
Pour les partisans de la thèse dualiste (les
pénalistes français25), les fautes civile et
pénale ne sauraient être identiquement appréciées.
Ils se prononcent en faveur de l'appréciation in
concreto. Ils justifient cet état des choses par l'origine
des deux fautes. La première est issue d'une relation contractuelle,
tandis que la deuxième serait la résultante d'une
infraction.
Ainsi, le but même de l'action répressive
commande au juge pénal de ne pas se servir des mêmes instruments
que ceux utilisés par le juge civil, c'est-à-dire
apprécier la faute pénale in concreto.
Selon ce critère, le juge doit tenir compte de tous les traits de la
personnalité du prévenu. Un examen psychologique de sa
personnalité est souhaitable si l'on veut qualifier convenablement la
faute pénale. Pour que la peine atteigne son but, «
l'infraction doit être examinée non pas en
elle-même mais à travers son auteur, un être de chair et de
sang, responsable >>26. La thèse de la
dualité exige le jugement de l'auteur de l'infraction selon sa faute,
source du mal, et non sur le résultat dommageable, simple
conséquence de la faute.
En effet, il faut constater avec J. GRAVEN que «
si on juge l'homme selon le résultat produit, nous ne
sortons pas de l'optique erronée du droit ancien, du droit primitif oil
le fait juge l'homme..., or, aujourd'hui, on cherche non pas à frapper
ou venger quasi automatiquement parce qu'un résultat a été
la conséquence d'un acte accompli ou omis, mais on vise à punir
un homme en raison de la faute qu'il a commise dans les circonstances oil il se
trouvait, étant donné ce qu'il pouvait et devait prévoir
et éviter >>27. Le professeur CHAVANNE
ajoute que « frapper l'auteur d'un résultat sans
examiner son comportement...,
24 CHAVANNE cité par
AKIDA, op.cit., p 27.
25 LABORDE-LACOSTE, G. VIDAL,
J. MAGNOL, DONNEDIEU DE VABRES, CHAVANNE, PIROVANO, LEVASSEUR sont quelques uns
des juristes qui ont activement participé à ce
débat.
26 PIROVANO cité par
AKIDA, op.cit., p. 31.
27 J. GRAVEN cité par
AKIDA, op.cit., p. 33.
serait négliger l'un des fondements essentiels du
droit pénal >>28. C'est dans la même
optique qu'un attendu de la Cour d'Appel de Nîmes en France
énonçait que : << au regard de la loi
pénale, l'imprudence d'un acte ne doit pas s'apprécier
d'après son résultat, mais uniquement au regard de l'obligation
de diligence qui s'impose à tous. Action ou omission, l'imprudence
suppose la prévisibilité raisonnable, compte tenu du comportement
usuel des hommes >>29.
Ce débat a été tranché par
une décision de la Cour de Cassation qui, dans son célèbre
arrêt BROCHET et DESCHAMPS, a consacré le principe de
l'identité des fautes civile et pénale30. La Cour
déclare que : << les faits constituant la maladresse,
l'imprudence, l'inattention, la négligence ou l'inobservation des
règlements susceptibles de caractériser les délits
d'homicide et de blessures involontaires, sont punissables, sans que la
légèreté de la faute commise puisse avoir d'autre effet
que celui d'atténuer la peine encourue
>>.
Le Code de procédure pénale
camerounais31 dispose quant à lui en son article 59 que
<< Toute infraction peut donner lieu à une action
publique et, éventuellement, à une action
civile>>. L'article 61 plus précis énonce que
<< l'action civile peut être exercée en
même temps que l'action publique devant la même juridiction lorsque
les deux résultent des mêmes faits.
Elle peut aussi être exercée
séparément de l'action publique. Dans ce cas, la
juridiction
saisie de l'action civile surseoit à statuer
jusqu'à la décision définitive de l'action publique
>>.
Serait-ce un choix de la part du législateur
camerounais pour la thèse de la dualité des fautes civile et
pénale ? Nous répondrons par l'affirmative, car le
législateur en matière répressive, édicte, garantit
et respecte les principes directeurs du procès pénal.
La commission de la faute doit entraîner la
survenance d'un préjudice. Toutefois, la faute et le préjudice
elles seules ne suffisent pas à établir la responsabilité
du médecin, encore fautil établir le lien de
causalité.
|