B- Les causes d'exonération relatives aux actes
échappant à la volonté du médecin.
Malgré l'évolution vertigineuse dont la
médecine fait l'objet, le corps humain continue d'entretenir des
mystères pour l'homme de l'art. L'aléa reste présent dans
l'acte médical. Pour cette raison, le praticien ne peut pas toujours
garantir de l'efficacité du traitement du patient (1). Bien que
professionnel, le médecin est un être humain qui peut, sous
l'effet de forces indépendantes de sa volonté être
amené à poser des actes non voulus. Il en est ainsi lorsqu'il est
sous l'effet de la contrainte ou de la démence (2). Tout cela ne doit
pas nous faire perdre de vue qu'un auxiliaire médical ou le patient peut
être à l'origine du préjudice (3).
1- La réaction défavorable du patient au
traitement à lui administré.
L'action thérapeutique commence par le diagnostic.
Diagnostiquer, c'est le fait pour un médecin de reconnaître et
d'identifier les maladies d'après leurs symptômes.
Le diagnostic médical est entouré de
certaines particularités. Il ne fait pas seulement appel à la
science, mais aussi à l'expérience et à
l'intelligence49. Néanmoins, tous les médecins ne
possèdent pas à la fois ces qualités et sont donc
exposés à commettre des erreurs. C'est dans cette optique que
MONNEROT-DUMAINE a soutenu que << le diagnostic ne fait pas
appel seulement aux connaissances et à la correction des examens
cliniques et biologiques, il dépend aussi de l'esprit critique, d'une
certaine forme d'intelligence. On peut être instruit et se tromper de
diagnostic parce qu'on manque d'intelligence...
»50.
Ensuite, le médecin choisit le traitement
convenant à l'état du malade et le met en application. Dans le
choix de la mise en oeuvre du traitement, la prescription d'une
thérapeutique n'est pas toujours une conséquence automatique du
diagnostic ; c'est un choix entre les risques car, le médecin
pèse entre le risque et l'efficacité de l'action
thérapeutique. Il choisit le traitement convenant à chaque
malade. En effet, << le médecin doit personnaliser le
traitement pour l'adapter à l'état de chaque malade en tenant
compte de l'âge, du sexe, de l'état d'altération plus ou
moins importante des organes ou des tissus
»51.
Il serait toutefois loisible de souligner que la
connaissance de l'état du malade est naturellement imparfaite, car il
faut tenir compte des aléas, des imprévus et des réactions
inattendues du patient. Bien qu'avec l'évolution de la médecine,
la marge d'imprévisibilité dans la réaction du patient se
trouve progressivement réduite, les secrets du corps humain
ne
49 AKIDA (M), op.cit.,
p.110.
50 Ibid.
51 Crim. 16 Avril 1921 DP
1921.1.184.
sont pas encore tous découverts. En outre,
l'organisme du patient surprend de temps à autre le médecin par
des réactions imprévisibles et inconnues. On parle de <<
prédispositions >> du malade. Le terme
<< prédispositions >>
désigne tout état pathologique, toute particularité
physique ou mentale anormale, propre à aggraver le préjudice
résultant d'un accident.
La jurisprudence française tient compte de ces
prédispositions imprévisibles pour affirmer soit l'absence de la
faute, soit surtout l'absence du lien de causalité entre la conduite du
médecin et le dommage subi par le malade. C'est dans cette logique que
la Cour de Cassation affirme qu' << aucune faute ne saurait
être relevée contre un médecin spécialiste qui a
procédé à l'examen d'un patient en se servant d'un
appareil classique en parfait état, employé sans maladresse ni
brutalité et alors que le fait dont les suites ont été
mortelles a consisté dans une érosion causée par une
contraction musculaire qui ne pouvait être prévue par
lui >>52. En effet, le praticien avait
été appelé pour pratiquer l'oesophagoscopie sur un malade,
et qu'au cours de cet examen il se produisit une érosion de la paroi du
pharynx à la suite de laquelle se déclarèrent une
pleurésie purulente et une médiasténite ayant
entraîné la mort.
L'imprévisibilité des réactions du
malade rompt dans ce cas tout lien de cause à effet entre l'action
médicale et le décès du patient.
Si le patient, en l'absence de toute faute du
médecin réagit négativement à un traitement auquel
il a été soumis, la responsabilité du médecin ne
peut être engagée car, après tout, ce dernier n'est soumis
qu'à une obligation de moyens et non de résultat. La
réaction défavorable du patient au traitement ainsi
examiné, qu'en est-il du médecin sous le coup de la
démence ou de la contrainte ?
2 - Le médecin sous le coup de la
démence ou de la contrainte.
<< L'intelligence est une
qualité fondamentale de l'être humain. Elle lui confère le
monopole de la responsabilité puisqu'elle lui donne la
possibilité de discerner le bien et le mal
>>53. Une personne dont les qualités
intellectuelles sont insuffisantes ou inexistantes ne comprend pas clairement
la portée de son acte qui ne peut lui être imputée. Aussi,
avant de déclarer un individu coupable d'une infraction, il faut
auparavant s'assurer qu'il dispose de toutes ses facultés mentales. Le
dément n'est pas imputable puisque son affection mentale exclut chez lui
la faculté de comprendre ce qu'il fait.
52 Cass. Req. 31 Octobre
1933.D.H.1933, p.537; G.P. 1933.2., p. 988.
53 NDOKO (N.C.), op.cit.,
p.32.
22
24
Le Professeur NDOKO retient deux acceptions de la
notion de démence : d'un point de vue psychiatrique et d'un point de vue
juridique. << En psychiatrie, le terme démence
désigne uniquement, la déchéance progressive et
irréversible de la vie psychiatrique due à la
sénilité ou à la paralysie générale
syphilitique... pour le juriste, c'est toute maladie de l'esprit, toute
aliénation mentale « exclusive du discernement » et de la
liberté de décision
>>54.
En effet, il est très rare qu'un médecin
puisse exercer dans des conditions où toutes ses facultés
mentales ne pourraient être mises à contribution. L'Ordre des
médecins est l'institution qui veille sur la qualité des
professionnels qui le constituent. Toutefois cela ne constitue pas une garantie
car, le médecin est un être humain et comme tel, peut être
atteint par une maladie de l'esprit. La démence est prévue par
l'article 78 du Code pénal camerounais. Sa détermination est
soumise à des conditions strictes, elle doit être
médicalement constatée (il s'agit du recours à l'expertise
psychiatrique), et doit être contemporaine à l'action. La <<
sanction >> résultant
généralement à l'issue d'une démence établie
est l'internement dans un centre psychiatrique de l'accusé.
Quant à ce qui concerne la contrainte,
contrairement au Code pénal français qui vise tout
type de contrainte, au Cameroun, <<
seule la contrainte matérielle irrésistible
conformément à
l'article 77 du Code pénal est une cause de non
imputabilité, la contrainte morale ne l'est
pas >>55. Néanmoins,
parmi les conditions de menace exonératoire, nous pouvons dire que
:
- les menaces constitutives de contrainte morale
doivent être des menaces de mort ou de blessures graves au sens de
l'article 277 du Code pénal, c'est à dire, faire craindre
<< la privation permanente de l'usage de tout ou partie d'un
membre, un organe, ou d'un sens >>. en somme, le
péril qui menace l'agent doit être
considérable.
- La menace doit être imminente, c'est à
dire être présente ou devant se produire
immédiatement.
- La menace doit être << non
autrement évitable56
>>.
- Il faut l'absence d'une faute antérieure, c'est
à dire que la menace doit surprendre
le prévenu. Tel ne serait pas le cas si ce
dernier s'est volontairement exposé au risque de telles menaces tel que
l'énonce l'alinéa 2 de l'article 81 du Code pénal. Dans ce
cas, il y aura seulement réduction de la peine par l'effet d'une excuse
légale atténuante.
54 Idem, p. 33.
55 Idem, p. 47 et
suiv.
56 Idem, p.54.
Qu'en est-il lorsqu'un auxiliaire médical ou le
patient est à l'origine de la faute ?
3- La faute de l'auxiliaire médical ou du
patient.
Dans certains cas, le médecin peut confier
l'exécution de certains actes médicaux à un auxiliaire
médical. Si à la suite d'une imprudence ou d'une
négligence commise par ce dernier, le patient subit un préjudice
ou décède, la question de la responsabilité sera
soulevée : qui doit répondre du résultat délictueux
: le médecin seul, l'auxiliaire seul, ou les deux respectivement ? Bien
que la jurisprudence française ait parfois condamné le
médecin malgré la faute de l'auxiliaire57, dans
d'autres cas, les tribunaux considèrent que l'auxiliaire est le seul
responsable du dommage subi par le malade.
<< Nul n'est punissable qu'à
raison de son fait personnel » affirme la Cour de
cassation58. La responsabilité pénale est une
responsabilité personnelle. Par conséquent, si les faits
révèlent que le médecin n'a pas commis une faute dans le
traitement et que le décès du malade est le résultat d'une
faute commise par une infirmière, le médecin impliqué dans
la poursuite doit être relaxé et la responsabilité
pénale de l'auxiliaire doit en revanche être retenue.
C'est ainsi qu'en a décidé le tribunal
correctionnel d'Abbeville59. Il s'agissait d'un malade atteint
d'une syphilis héréditaire. Le médecin lui avait prescrit
une série d'injections de sulfarsénol. En raison de
l'éloignement du lieu d'habitation du malade, le médecin
avait confié l'exécution du traitement à une
infirmière diplômée et lui avait remis un
prospectus relatif au mode d'emploi du sulfarsénol. Il lui avait
demandé de se conformer, pour l'ordre et l'intervalle des injections,
aux indications qu'il avait soulignées d'un trait de
plume. L'infirmière ne s'est conformée ni aux indications du
médecin ni à celles du prospectus et le jeune malade est
décédé après la 9ème
piqûre. Le décès a été attribué
à une méningite suraigüe. Le médecin et
l'infirmière furent poursuivis pour homicide par imprudence.
On reprocha au médecin de confier à une infirmière le
soin de pratiquer des injections
57 Cette question a
été à l'origine d'une controverse entre la doctrine et la
jurisprudence en France. Certains actes ordinaires tels que la
stérilisation des instruments pendant l'opération, ou le
réchauffement du malade après l'opération par bouillotes,
peuvent être confiés à une infirmière. La doctrine
estime que les soins post-opératoires courants tels que le
réchauffement de l'opéré, fait partie des soins
hospitaliers et relèvent à ce titre, de la responsabilité
de l'établissement de santé et non pas de celle du
chirurgien.
La jurisprudence avait cependant refusé ce
point de vue et avait admis << la responsabilité
pénale du fait d'autrui » à l'encontre du
chirurgien, chef de l'équipe médicale (crim. 21 février
1946, B. crim. No 68, p. 98). Lire AKIDA (M), op.cit., p. 366 et
suiv.
58 Voir crim. 3 Mars 1933,
Bull. crim. No 49, p. 145; crim. 16 Décembre 1948, Bull.
crim. No 291, p. 1011.
59 Le 24 Octobre 1935, G.P.
1936.1. p. 76
extrêmement dangereuses. On reprocha à
l'infirmière une double faute : modifier de son propre chef les
prescriptions cependant précises qui lui avaient été
données et négliger d'informer le médecin de la
réaction douloureuse causée par la première piqûre
sur l'organisme du malade.
Le tribunal relaxa le médecin pour condamner
l'infirmière pour homicide par imprudence. Il estima que le
médecin n'avait commis aucune faute en relation de cause à effet
avec le décès : il avait ordonné un traitement correct,
adéquat et prudent. Ensuite, il pouvait s'en remettre à
l'infirmière compétente, avertie, expérimentée, qui
s'était chargée de l'exécution du traitement. Enfin, le
fait dont les suites avaient été mortelles consistait en une
mauvaise exécution de son ordonnance qui ne pouvait être
prévue par lui. Le tribunal a donc estimé que la faute de
l'infirmière constituait pour le médecin un cas de force majeure
l'exonérant de toute responsabilité.
En outre, la victime, par son imprudence ou sa
négligence, peut contribuer à la réalisation du dommage
qu'elle a subi. Mais dans ce cas généralement, il se trouve que
les responsabilités sont le plus souvent partagées entre le
médecin et le patient et/ou les personnes responsables du malade. En
effet, en cas de dommage, il est très souvent reproché au
médecin d'avoir failli à son devoir d'information (ne
s'être pas assuré de la vacuité de l'estomac avant de
procéder à une opération chirurgicale, prescrire au malade
un produit auquel il est allergique), car << le
médecin ne doit ... pas attendre que le malade lui fournisse
spontanément tous les renseignements utiles, mais il doit l'interroger
sur tout ce qui est utile pour éclairer son état
>>60. Tout comme << le
médecin ne doit pas attendre que les parents ou plus
généralement les responsables du patient lui fournissent
spontanément les renseignements utiles ou remplissent à sa place
le devoir de surveillance du malade >>61. De ce
fait, pour que la faute du médecin soit exonérée, la Cour
de cassation a estimé que << la faute de la victime
n'exonère le prévenu de la responsabilité de l'accident
que si elle a été la cause unique et exclusive, ou qu'elle a
été la cause unique, imprévisible et inévitable de
l'accident >>62.
Cerner les contours de la responsabilité
pénale du médecin n'est pas évident car, c'est un corps de
métier fait d'ambivalence, de confusions et de contradictions. Le
médecin traitant est permanemment pris entre les risques qu'il doit
prendre pour apporter soulagement à son patient et le respect de la loi.
Le législateur, soucieux de la sauvegarde des intérêts de
la société, tout comme l'Ordre National des Médecins du
Cameroun, garante de la préservation
60 AKIDA (M), op.cit., p.
376
61 Idem, p.377
62 Crim. 18 Juillet
1929.S.1932.1.159 ; Paris, 1er Mars 1974, J.C.P.1975.II.17922, note
A.C.
des valeurs dans l'exercice de l'art médical
ont mis en oeuvre un corps de règles (Code pénal et Code de
déontologie) qui ont pour but la préservation des droits du
malade. L'exemple a été donné par le préambule de
la Constitution, les dispositions du Code pénal et les dispositions du
Code de déontologie.
La Cour de cassation en France joue également
un rôle majeur dans le souci d'éclairer le mieux possible le champ
de la responsabilité du médecin traitant. Tout cela conduit
à l'accroissement des obligations du médecin, qui du fait qu'il
doit sauver des vies a un devoir d'humanité ; d'où le
renforcement de sa responsabilité pénale du point de vue de ses
obligations professionnelles, mais également, au vu des informations que
le patient met à sa disposition.
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