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L'acte anormal de gestion et l'abus de bien social

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par DEGDEG Sana
 -  2008
  

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Section 1 : La défense analogue de l'intérêt social

Le délit d'abus de bien social est une notion qui a vu le jour au début d'un XXème siècle secoué par des scandales politico-financiers. Il s'agissait alors de lutter contre les agissements de dirigeants sociaux peu scrupuleux qui pillaient les biens de la société à des fins personnelles et au détriment d'épargnants. Au fil du temps, la notion d'intérêt des actionnaires ou associés a laissé place à la notion d'intérêt social (I.). Cette défense de l'intérêt social inspirera par la suite les juges fiscaux qui élaborèrent la théorie de l'acte anormal de gestion mais qui n'en firent pas le même usage (II.).

I. Les fondements de l'acte anormal de gestion et de l'abus de bien
social

« Le concept d'acte anormal de gestion est le fruit de l'acclimatation ou de la transplantation en droit fiscal du concept commercial d'acte non conforme à l'intérêt social »2. L'inspiration de la théorie de l'acte anormal de gestion est donc claire : elle emprunte largement à l'abus de bien social en ce qui concerne ses fondements historiques (A.), mais elle fera preuve d'une grande autonomie s'agissant de ses fondements théoriques (B.).

1 GOUYET (R.), La théorie de l'acte anormal de gestion, PA.2000, n° 225, p. 4

2 RACINE (P.-F.) concl. Sous CE, 27 juillet 1984, SA Renfort service : Dr. Fisc. 1985, n° 11, comm. 596

A. Un fondement historique commun : la lutte contre l'évasion financière 1) L'origine légale de l'abus de bien social

a) L'abandon de la théorie du mandat social et de l'abus de confiance

Il convient de préciser à titre liminaire, que le début du XXème siècle est marqué par une effervescence financière inconnue jusqu'alors, prompte à toutes les dérives. Pourtant, face aux agissements délictueux de dirigeants sociaux, les juges se contentaient d'appliquer l'incrimination d'abus de confiance bien connue depuis 17911.

L'abus de confiance, se définissait alors comme le détournement de la chose remise à titre précaire et en violation d'un des contrats limitativement énumérés par l'ancien article 408 C. pén.2. Le contrat de société ne faisant pas partie de cette liste et les juges utilisaient donc la notion de mandat social pour sanctionner les dirigeants sociaux coupables d'abus. Partant du postulat que les dirigeants sociaux étaient investis d'un mandat général par les associés ou actionnaires, le détournement des biens de la société équivalait à une violation, constitutive d'un abus de confiance.

Si ce mode de répression ignorait encore la notion d'intérêt social, elle avait toutefois le mérite de mettre l'accent sur la protection des actionnaires et associés. Pourtant, elle s'est vite révélée insuffisante pour deux raisons essentielles : d'une part les peines infligées étaient minimes comparativement à d'autres délits3 et d'autre part, des scandales politico-financiers vont profondément ébranler la société française et précipiter l'apparition d'un délit autonome.

b) La tentative de moralisation du droit des sociétés

La France de l'entre-deux guerre connait tour à tour une phase d'euphorie économique inégalée et le spectacle d'un effondrement boursier aussi violent qu'inattendu. L'éclatement de la bulle spéculative en 1929 fut le théâtre de révélations médiatiques sur des dérives spéculatives mettant en cause des personnalités politiques d'importance.

1 MASCALA (C.), Abus de confiance, Rép. Pén., DALLOZ, oct. 2003, p. 2 : « Le code pénal de 1791 distingue pour la première fois trois infractions autonomes : le vol, l'escroquerie et l'abus de confiance [...]».

2 Cet article dressait une liste des différents contrats pouvant donner lieu à un abus de confiance : dépôt, louage, mandat, prêt, nantissement, travail salarié et non salarié. En dehors de ces sept cas, l'abus de confiance ne pouvait pas être constitué. Le nouveau code pénal de 1994 a supprimé cette liste (art. 314-1 C.pén.), mettant ainsi un terme à l'important contentieux découlant de la qualification des contrats ayant donné lieu à l'abus.

3 BOULOC (B.), Abus de biens sociaux, Rép. Pén., DALLOZ, janv. 2009, p. 2 : deux mois à deux ans d'emprisonnement pour l'abus de confiance alors que l'escroquerie était punissable de six mois à cinq ans.

Trois grandes affaires marquèrent particulièrement les esprits et déclenchèrent une crise politique, financière et sociale sans précédent : l'affaire Hanau en 19281, l'affaire Oustric en 19292, et enfin un scandale qui vient achever de détruire les derniers espoirs d'un système à l'agonie : l'affaire Stavisky3. Ces trois scandales ont prit une tournure politique lorsque le Canard Enchainé découvrit l'implication active de ministres, de magistrats, de journalistes et surtout de parlementaires qui s'employaient à étouffer les poursuites judiciaires des escrocs voire même à se porter garants de leur sérieux auprès des victimes.

Ces scandales furent le détonateur de la chute de plusieurs gouvernements4, de l'émeute antiparlementaire du 6 février 1934 et surtout d'une prise de conscience générale sur la dimension morale du monde des affaires. Au coeur de l'indignation générale, le sénateur Lesaché déposa une proposition de loi en 19325 comportant des dispositions qui donneront naissance au décret-loi du 8 août 1935. Ce décret-loi introduit le délit d'abus de bien social au sein des sociétés anonymes qu'il déclare punissable des mêmes peines que l'escroquerie6. Lors de l'élaboration du projet de loi sur les sociétés commerciales au début des années 60, de nombreux auteurs commercialistes militèrent pour un assouplissement du délit, notamment par le recours aux sanctions civiles, mais la loi qui s'ensuivie du 24 juillet 19667 ne précise pas la définition de l'abus de bien social qui continue de susciter de nombreuses questions notamment sur ce qu'il faut entendre par « intérêt de la société ». C'est pourtant cette notion qui inspirera le juge fiscal dans l'élaboration de la théorie de l'acte anormal de gestion.

2) L'origine largement prétorienne de l'acte anormal de gestion

a) Les raisons de l'élaboration de la notion : les données du problème Fidèle à la tradition largement prétorienne du droit fiscal, l'acte anormal de gestion a pour partie été élaborée par le Conseil d'État au milieu du XXème siècle. Un arrêt du 7 juillet 19588 est habituellement considéré comme le point de départ de cette théorie qui est venue pallier

1 Une femme d'affaires dénommée Marthe Hanau est arrêtée et soupçonnée d'escroquerie et d'abus de confiance sur de petits épargnants.

2 Les médias révèlent une seconde affaire pointant du doigt les opérations frauduleuses d'un banquier bien connu de la place parisienne, Albert Oustric. Ce dernier est accusé de banqueroute et d'opérations irrégulières ayant ruiné des milliers de particuliers.

3 Alexandre Stavisky est accusé d'émettre de faux bons pour garantir les prêts sur gage du Crédit municipal de Bayonne. Ces produits financiers étaient ensuite achetés par des compagnies d'assurance ainsi que des institutions qui se sont retrouvés lésées lorsque l'escroquerie fut mise à jour.

4 Le Cabinet Tardieu suite à l'affaire Oustric et le cabinet Daladier consécutivement au scandale Stavisky

5 BOULOC (B.), Abus de biens sociaux, Rép. Pén., DALLOZ, 2009, p. 2

6 Le 30 octobre de la même année un second décret-loi étend le délit aux sociétés à responsabilité limitée.

7 Loi n° 66-537 sur les sociétés commerciales

8 CE, 8ème sous-sect. 7 juillet 1958, n° 35.977, Dr. Fisc. 1958, n° 44, comm. DUPONT, p. 938

l'absence de moyens de l'administration fiscale face à ces « évaporations financières »1 fort dommageables pour elle et donc pour les contribuables.

Au regard des articles 38 et 39 CGI, l'exploitant est en effet autorisé à déduire de son bénéfice les frais qu'il engage pour le fonctionnement de son entreprise. Cette règle apparait logique puisque ces dépenses visent à préserver le bénéfice et sont réalisées dans l'intérêt de l'entreprise. Pourtant, certains chef d'entreprise abusent de ce droit soit en élaborant des montages juridiques faussement réguliers en vue de minorer la base d'imposition, soit en tentant de faire déduire des actes réguliers, mais qui n'ont pas eu pour finalité de préserver le bénéfice de l'entreprise2. Certes, le législateur interdit la déduction fiscale de certaines dépenses qui sont généralement appelés « les actes anormaux de gestion par détermination de la loi » : les dépenses somptuaires (art. 39-4 CGI), les rémunérations excessives (art. 39-1-1° CGI) et les transferts indirects de bénéfices (art. 57 et 238 bis A CGI). Mais ces trois cas se sont vite révélés lacunaires au regard de certaines opérations telles que les abandons de créance au profit d'un tiers, les prêts sans intérêts ou les charges exposées au profit des membres de l'entreprise.

De plus, la nécessité de mettre fin à une déduction systématique de toute dépense régulière conduirait l'administration fiscale à porter un jugement subjectif sur une décision de gestion. Or, le principe de non-immixtion dans la gestion de l'entreprise s'oppose à un tel contrôle d'opportunité.

b) La construction prétorienne de la notion : les solutions apportées

Le principe de non-immixtion découle directement de la liberté donnée au chef d'entreprise dans la gestion de son exploitation. Cette liberté est étendue puisqu'elle autorise le dirigeant à prendre des décisions qui ne sont pas nécessairement lucratives, telles que des opérations fiscalement optimales3, la commission d'erreurs de gestion4 ou même le fait de ne pas tirer un maximum de profit de ses choix5. Ces politiques conduisent à une perte de revenu pour l'entreprise (et donc pour l'administration fiscale), pour autant, ils relèvent de la liberté de gestion et ne peuvent être

1 COZIAN (M.), Les grands principes de la fiscalité des entreprises, LITEC, 1999, 4ème éd., p. 92

2 Si la première hypothèse est sanctionnée par la théorie de l'abus de droit, la seconde éventualité posait quelques difficultés et ne trouvait pas de réponse.

3 Rép. Min. n° 15.603, JO Déb. AN 20 mars 1971 : « En présence de deux techniques juridiques, dont la finalité est identique, il est licite d'opérer un choix en fonction de la fiscalité »

4 CE, 7ème et 9ème sous-sect., 24 avril 1981, req. n° 24638 : Dr. Fisc. 1981, n° 42, comm. 1866, concl. SCHRICKE ; RJF 1981, n° 6, p. 306 : concernant une exploitation déficitaire et le choix des dirigeants de ne pas augmenter le tarif des commissions.

5 Illustration, CE, 8ème sous-sect. 7 juillet 1958, n° 35977 : Dr. Fisc. 1958, n° 44, comm. DUPONT, p. 938 : « [...] le contribuable, qui n'est jamais tenu de tirer des affaires qu'il traite, le maximum de profit que les circonstances lui auraient permis de réaliser [...] »

prohibés. L'élaboration d'une théorie visant à refuser la déductibilité de certains actes ne pouvait donc se fonder sur le critère de la perte de profit.

Mais las de voir des bases d'imposition s'évaporer injustement, la jurisprudence est venue s'immiscer dans cette liberté de gestion tant nuisible pour la prospérité de l'entreprise et pour l'administration fiscale. Dans l'arrêt du 7 juillet 1958, elle approuve explicitement l'initiative de l'administration fiscale qui avait refusé de déduire une dépense qu'elle jugea contraire aux articles 38 et 39 CGI. Pour la première fois, les juges permettent à l'administration de remettre en cause les actes ne relevant pas d'une gestion normale car réalisés « dans un intérêt commercial étranger à l'entreprise »1.

Par une lecture a contrario des articles 38 et 39 CGI, le Conseil d'État a donc doté l'administration d'un outil de mesure -l'intérêt social-, venant contrebalancer le pouvoir exorbitant accordé au Fisc. Malgré ces lacunes, la préservation de l'intérêt social apparait central tout comme elle l'est pour l'abus de bien social.

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"Le doute est le commencement de la sagesse"   Aristote