WOW !! MUCH LOVE ! SO WORLD PEACE !
Fond bitcoin pour l'amélioration du site: 1memzGeKS7CB3ECNkzSn2qHwxU6NZoJ8o
  Dogecoin (tips/pourboires): DCLoo9Dd4qECqpMLurdgGnaoqbftj16Nvp


Home | Publier un mémoire | Une page au hasard

 > 

L'acte anormal de gestion et l'abus de bien social

( Télécharger le fichier original )
par DEGDEG Sana
 -  2008
  

précédent sommaire suivant

Bitcoin is a swarm of cyber hornets serving the goddess of wisdom, feeding on the fire of truth, exponentially growing ever smarter, faster, and stronger behind a wall of encrypted energy

II. Les mécanismes de l'acte anormal de gestion à la lumière de

l'abus de bien social

Les mécanismes de la théorie de l'acte anormal de gestion répondent donc à des exigences moins importantes que pour l'abus de bien social qui implique la réunion de plusieurs critères. Pour autant, ces nuances n'aboutissent pas à une contrariété entre ces deux notions. Toutes deux sanctionnent les atteintes à l'intérêt social (A.) aboutissant à une perte financière (B.).

A. Une atteinte à l'intérêt social

1) Les objectifs de l'atteinte à l'intérêt social

a) Acte anormal de gestion : des objectifs variés

Un chef d'entreprise qui a recours à un acte anormal de gestion peut avoir trois types de desseins. Le premier est assez rare, il s'agit de l'objectif fiscal. Dans cette hypothèse le chef d'entreprise porte atteinte à l'intérêt social pour des raisons d'opportunité fiscale. Le problème n'est pas la réalité de l'acte mais sa déduction du bénéfice brut. Il peut s'agir de la recherche d'un transfert de

1 LEPAGE (A.), MAISTRE du CHAMBON (P.) et SALOMON (R.), Droit pénal des affaires, LITEC, 2008, p. 289 : « Comme souvent en droit pénal des affaires, la qualité de dirigeant social postule la mauvaise foi »

2 Le chef d'entreprise doit avoir eu conscience d'agir contre l'intérêt social. Ceci permet de différencier acte anormal de gestion et erreur de gestion.

bénéfice1, de la recherche d'un bénéfice fiscal plus favorable2 ou d'une volonté d'obtenir une exonération de plus-values3.

La deuxième finalité du chef d'entreprise est beaucoup plus fréquente et protéiforme. Ce sont les objectifs visant à privilégier un intérêt autre que l'intérêt social. Notons à titre liminaire que le seul fait d'agir pour le compte d'un tiers n'est pas en soit suffisant puisque un acte peut concilier l'intérêt de l'entreprise avec un autre intérêt. Il peut s'agir de l'intérêt personnel d'un dirigeant social qui déduit du bénéfice le coût des travaux de son appartement4, de l'intérêt d'un associé, de l'intérêt d'un tiers par rapport à l'entreprise qui bénéficie d'un prêt sans intérêt dont le montant est là encore déduit du bénéfice imposable5. Enfin, l'intérêt poursuivi peut être « moral » comme le fait de prendre en charge spontanément l'hébergement d'associés ayant subi une fraude des dirigeants6.

Une dernière hypothèse doit être évoquée : celle de l'incompétence ou l'insouciance de l'auteur de l'acte qui néglige délibérément l'intérêt de la société. Citons l'exemple de l'expert-comptable qui déposait tous les ans les déclarations fiscales de ses clients en retard et qui s'engageait à prendre en charge les pénalités de retard qui en découlaient. Il déduisait ensuite ces pénalités de son bénéfice. Mais lasse de ces méthodes, l'administration fiscale refusa de les déduire du bénéfice car ne « résultant pas de l'exercice normale de la profession »7. La frontière avec l'erreur de droit est mince mais « l'entêtement coupable »8 de l'auteur constitue une piste de différenciation.

b) Abus de bien social : une atteinte nécessairement commise à des fins personnelles

Contrairement la théorie de l'acte anormal de gestion, la définition de l'abus de bien social exige la preuve d'un usage abusif des biens à des fins personnelles9. Cette précision enferme donc le délit dans l'hypothèse d'une atteinte à l'intérêt social au profit exclusif, direct ou indirect des dirigeants. Ce dol spécial qui rend plus difficile la constitution du délit, illustre également

1 CE 17 juin 1992, req. n° 74882

2 CE 24 février 1978, req. n° 2372

3 CE 19 novembre 1984, req. n° 35491

4 CE 4 décembre 1981, req. n° 19133

5 CE 7 janvier 1976, req. n° 94314 : une avance sans intérêt avait été consentie au père des associés

6 CE 14 avril 1976, req. n° 92197

7 CE 27 février 1991, req. n° 66971 ; concl. FOUQUET, RJF 1991, n° 4, p. 264

8 COZIAN (M.), Les grands principes de la fiscalité des entreprises, LITEC, 1999, 4ème éd., p. 105

9 Le code de commerce précise : « (...) à des fins personnelles ou pour favoriser une autre société ou entreprise dans laquelle il était intéressé directement ou indirectement »

l'extrême précision de la définition de l'abus de bien social qui contraste avec le flou entourant la théorie de l'acte anormal de gestion. Afin d'adoucir la rudesse de cette exigence, la jurisprudence n'hésite pas à présumer l'utilisation à des fins personnelles notamment dans le cas de prélèvements occultes d'un dirigeant1, la charge de la preuve étant ainsi renversée.

De manière générale, l'intérêt personnel renvoie à la recherche d'un enrichissement matériel, mais pas seulement. Il peut également s'agir d'un intérêt moral absent de la théorie de l'acte anormal de gestion : la recherche d'une notoriété2 ou d'un confort personnel3, la préservation de la réputation familiale 4 ou de relations personnelles d'amitié5.

Cette compréhension de l'intérêt personnel qui s'avère être finalement très large se distingue de l'acte anormal de gestion qui ne s'intéresse qu'à l'intention de l'auteur de l'acte et non à ses projets. Cette différence s'explique en partie par la conception strictement économique du droit fiscal des affaires.

2) Les techniques employées

a) Acte anormal de gestion : omission ou commission

L'acte anormal de gestion se scinde en deux catégories : d'une part la renonciation à un profit (abstention), d'autre part l'intégration de charges étrangères à l'intérêt de l'entreprise (acte positif). Dans les deux cas, l'acte peut avoir été réalisé pour le compte d'un tiers ou pour le compte d'un membre de la société. Nous ne nous intéresserons qu'aux actes réalisées au profit des membres de la société pour deux raisons principales : d'une part, la notion de « tiers » revêt une acceptation particulière en droit fiscal, point qui sera développé en deuxième partie. D'autre part, cette démarche favorisera la comparaison avec la notion d'abus de bien social qui se concentre exclusivement sur les agissements commis au profit des dirigeants.

La renonciation à un profit constitue une abstention anormale qui nuit à l'entreprise, malgré l'évolution de la notion d'intérêt social qui ne renvoie plus uniquement à la recherche de profit. La renonciation prend la forme d'une vente par la société d'un bien pour un prix inférieur à sa valeur vénale6, d'un loyer insuffisant7 ou d'une avance sans intérêt. Les charges étrangères à l'intérêt de

1 Crim. 11 janvier 1996

2 Crim. 20 mars 1997, Rev. Sociétés 1997, p. 581, note Bouloc

3 Crim. 26 juin 1978, JCP.1978.273 : le fait de faire rémunérer par la société le personnel de maison

4 Crim. 3 mai 1967, Bull. Crim., n° 148

5 Crim. 19 juin 1978, Bull. Crim., n° 202

6 Exemple : CE 24 juin 1994, n° 128420

7 CE 25 novembre 1981, n° 11383

l'entreprise quant à elles renvoient au paiement par la société d'un loyer excessif pour la location consentie par l'un de ses membres mais également à l'entretien du train de vie du dirigeant.

Ces hypothèses, lorsqu'elles sont commises par des dirigeants sociaux sont toujours des abus de bien social et peuvent faire l'objet de poursuites pénales.

b) Abus de bien social : l'atteinte est davantage morale Traditionnellement, les abus commis par les dirigeants sont regroupés en trois catégories : d'une part, les dirigeants possédant un compte d'associés débiteur. D'autre part les dirigeants touchant une rémunération excessive. Enfin, les dirigeants opérant une confusion entre leur patrimoine et celui de la société. Si la première hypothèse renvoie à des agissements particuliers, la rémunération excessive est également un acte anormal de gestion par détermination de la loi (art. 39-1-1° CGI).

De façon moins catégorique, les usages abusifs renvoient à des situations diverses et entendue de façon extensive. En effet, contrairement à l'acte anormal de gestion, la simple utilisation lorsqu'elle est abusive peut constituer le délit1. Or, la théorie fiscale ne s'intéresse pas aux simples agissements et ne se préoccupe que des actes ayant une répercussion fiscale. Cette différence, a priori mineure, illustre parfaitement l'une des grandes divergences de conception entre droit fiscal et droit pénal. A travers l'abus de bien social, les juges pénaux ne se préoccupent pas seulement de l'appauvrissement de la société mais contrôlent et sanctionnent les agissements délictueux des auteurs, peu importe les retombées financières.

B. Une perte financière consécutive à cette atteinte

1) L'admission commune de la notion de « risques » pour la sociétéa) L'admission par le droit fiscal

Depuis l'arrêt « Loiseau »2, l'administration fiscale considère que l'acte faisant courir un « risque manifestement excessif » pour la société relève d'une gestion anormale. Cette position peut apparaitre étrange puisque toute gestion n'est pas sans risque, pourtant l'administration fiscale entend par là contrôler les gestions cavalières de certains dirigeants, qui font ainsi peser une incertitude sur les finances publiques.

1 Exemple : l'utilisation excessive d'un hélicoptère appartenant à la société

2 CE 17 octobre 1990, cf. supra

Dans cette espèce, M. Loiseau s'était engagé à indemniser les pertes subies par les clients dont il gérait le portefeuille. Le contexte était particulier : d'une part, l'auteur de l'acte pensait agir conformément à l'intérêt social et d'autre part, cet acte pouvait être vu comme un moyen de fidéliser la clientèle. Pour autant, la disproportion de cet engagement constituait à long terme un risque vital pour la société. Les juges décidèrent donc d'élargir la notion d'acte anormal de gestion et estimèrent que l'intéressé avait « excédé manifestement les risques qu'un chef d'entreprise peut être conduit à prendre pour améliorer le résultat de son exploitation ».

Cet arrêt étend considérablement la notion d'acte anormal de gestion pour trois raisons principales : tout d'abord, l'acte anormal de gestion peut être constitué même sans intention d'agir contrairement à l'intérêt social. L'élément intentionnel n'est plus un critère déterminant. Ensuite, l'appauvrissement de la société ne peut être qu'hypothétique. Enfin, cet arrêt étend considérablement le domaine de l'acte anormal de gestion, empiétant ainsi sur la notion d'erreur de gestion.

b) L'admission par le droit pénal

L'admission de la notion de risque par le droit pénal est ancienne. En effet, si le code de commerce ne précise nullement que la perte financière constitue une des conditions constitutives du délit, c'est que seule l'atteinte à l'intérêt social préoccupe le juge pénal, peu importe qu'elle ait donné lieu à des pertes financières ou non. L'aspect économique est secondaire et le délit (qui dérive de l'abus de confiance) est avant tout moral : la loi sanctionne des dirigeants malhonnêtes.

Cette position a été officialisée par un arrêt en date de 19551 qui considère comme répréhensible « tout acte qui fait courir un risque anormal au patrimoine social ». Afin de déterminer de manière pertinente la notion de risques, il est fait usage de deux outils : d'un côté le préjudice pouvant résulter de l'usage du bien et de l'autre, l'avantage susceptible d'être dégagé par la société2.

La notion de « risques » conduit à une conclusion similaire pour l'acte anormal de gestion et pour l'abus de bien social. Pourtant, les raisonnements qui fondent cette acceptation sont rigoureusement différents et illustrent les divergences fondamentales sur la question financière entre droit fiscal et droit pénal.

1 Crim. 10 mai 1955, Bull. Crim. n° 234

2 JEANDIDIER (W.), Droit pénal des affaires, DALLOZ, 6ème éd., p. 372

2) La perception différente de la perte financière

a) Acte anormal de gestion : le rôle déterminant du critère de la perte financière

La principale conséquence qui découle d'un acte anormal de gestion est la perte financière subie par l'entreprise. Au-delà d'un simple constat incident, cette perte financière injustifiée constitue le critère déclencheur de l'application de la théorie. Afin de mieux appréhender son rôle, il convient de se référer aux objectifs mêmes de la théorie de l'acte anormal de gestion. Son but est en effet de corriger un manque à gagner subi par l'entreprise et donc, indirectement par l'administration fiscale. Et c'est en raison de cette atteinte (économique) au patrimoine social, que la théorie de l'acte anormal de gestion est appliquée1. Même dans le cas de « risque », l'atteinte économique est déjà certaine.

Dès lors, la théorie revêt une dimension presque exclusivement économique contrairement à l'abus de bien social qui met l'accent sur l'aspect moral du délit. La perte financière dont souffre l'entreprise en raison de l'acte anormal ne fait l'objet d'une répression fiscale que parce qu'il porte indirectement atteinte aux finances publiques. Le rôle central de la perte financière n'est pas perçu de la même manière pour l'abus de bien social, dans laquelle elle apparait presque secondaire.

b) Abus de bien social : le rôle incident de la perte financière Concernant le délit d'abus de bien social, l'impact financier des agissements n'est pas le déclencheur de la répression mais davantage la preuve de l'atteinte à l'intérêt social. La récupération de la perte financière n'est pas une fin mais un moyen de prouver l'abus de bien social. En effet, afin de constater l'atteinte à l'intérêt social, le juge pénal ne se contente pas de rechercher une atteinte seulement économique, il tient également compte de l'enrichissement personnel du dirigeant au détriment de la société. Le dol spécial interdit donc de ne se fier qu'aux pertes financières de la société pour condamner le dirigeant2.

Dès lors, le préjudice matériel de la société est davantage un indice de l'atteinte qu'un critère
constitutif. De plus et comme nous l'avons précédemment précisé, l'atteinte à l'intérêt social peut
également être morale3. Cet aspect moral imprègne la matière pénale et conduit à élargir la

1 GOUYET (R.), La théorie de l'acte anormal de gestion, PA.2000, n° 225, p. 4 : « Ainsi, ce sont essentiellement des intérêts financiers et surtout économiques de l'entreprise qui sont les vraies composantes de la normalité fiscale ».

2 JEANDIDIER (W.), Droit pénal des affaires, DALLOZ, 6ème éd., p. 376 : l'auteur y voit un rapprochement avec l'abus de confiance ce qui n'est guère étonnant puisque l'abus de bien social découle directement de l'abus de confiance.

3 LEPAGE (A.), MAISTRE du CHAMBON (P.) et SALOMON (R.), Droit pénal des affaires, LITEC, 2008, p. 290

compréhension de la notion d'intérêt social par rapport au droit fiscal qui n'y voit qu'une perte financière.

L'intérêt social apparait malgré tout au coeur de toutes les préoccupations. Pour autant, la notion souffre d'une image controversée qui la fragilise et conduit à s'interroger sur son utilisation.

précédent sommaire suivant






Bitcoin is a swarm of cyber hornets serving the goddess of wisdom, feeding on the fire of truth, exponentially growing ever smarter, faster, and stronger behind a wall of encrypted energy








"En amour, en art, en politique, il faut nous arranger pour que notre légèreté pèse lourd dans la balance."   Sacha Guitry