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L'incidence des quatre libertés communautaires sur la fiscalité : étude de la jurisprudence récente de la CJCE

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par Mouna EL HIH
Université Toulouse 1 Capitole - Juriste international 2009
  

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Section II : L'évolution du contrôle de proportionnalité

Invoquer une des raisons impérieuses d'intérêt général recevables par le juge communautaire en vue de justifier une mesure fiscale nationale, non discriminatoire, mais toutefois susceptible d'entraver l'une des libertés de circulation proclamées par le traité, se révèle infructueux si l'étape du contrôle de proportionnalité n'est pas franchie. En effet, l'application de ces raisons impérieuses d'intérêt général doit permettre de garantir la réalisation de l'objectif poursuivi par la mesure en cause, et ne doit pas aller au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre celui-ci126(*). La proportionnalité est, rappelons-le, l'un des principes classiques su droit communautaire, qui permet au juge d'examiner une mesure édictée en vue de jauger le rapport qui existe entre ses apports et ses résultantes. Il trouve donc tout naturellement application en matière fiscale.

Or, le critère de proportionnalité n'est examiné que si la recevabilité de la justification en cause a été admise. Compte tenu de la jurisprudence restrictive de la Cour en matière de fiscalité directe concernant la recevabilité des justifications aux restrictions étatiques, cette question n'a été que peu développée par le juge de la Communauté. Toutefois, le récent assouplissement de la recevabilité des justifications vient apporter un éclairage nouveau sur l'examen de proportionnalité. Au fil des de ces dernières années, un constat peut être dores et déjà dégagé. Un durcissement du juge en la matière est notable, et il se manifeste en l'occurrence à travers un resserrement du contrôle de proportionnalité.

Nonobstant, cela suscite de nombreuses interrogations quant à la valeur même du critère de proportionnalité. En effet, l'appréciation de la proportionnalité de la mesure aux objectifs qu'elle poursuit peut sans conteste comporter le risque de basculer vers un contrôle opéré par opportunité, notamment en matière de fiscalité, d'où la nécessité pour le juge de garder à l'esprit le but de la mesure en cause, à ce stade de son raisonnement.

§1 : Le critère de proportionnalité.

A) Le contrôle d'adéquation entre la mesure nationale et l'objectif qu'elle poursuit 

L'affaire X et Y127(*), relative à la libre circulation des capitaux, permet d'illustrer la jurisprudence de la Cour selon laquelle la restriction doit être propre à garantir la réalisation de l'objectif qu'elle poursuit.

La Cour avait en l'espèce jugée que le Traité s'oppose à une législation suédoise qui, en cas de cession à pertes d'actions de sociétés, exclut le cédant du bénéfice d'un report de l'impôt sur les plus-values réalisées sur ces actions, lorsque ladite cession est faite en faveur d'une personne morale étrangère, dans laquelle le cédant possède, de manière directe ou indirecte, une participation qui n'est pas de nature à lui conférer une influence certaine sur les décisions de cette personne morale étrangère et à lui permettre d'en déterminer les activités. En effet, « en tout état de cause, la mesure mise en oeuvre par le royaume de Suède n'est pas à même d'atteindre l'objectif qu'elle est censée poursuivre, à savoir l'imposition effective en Suède du cédant sur les plus-values réalisées sur les actions cédées ».

Cette décision est apparemment demeurée la seule où un contrôle de proportionnalité a été opéré, et certains regrettent que le juge ne recoure pas plus souvent à cette argumentation, la dédaignant au profit de celle tirée de la possibilité d'atteindre l'objectif poursuivi par des mesures moins contraignantes. En effet, celle-ci devrait être systématisée, puisque « quelle que soit la justification avancée, les Etats membres qui portent atteinte à l'exercice effectif d'une liberté de circulation doivent donc toujours montrer que la mesure contestée respecte le principe de proportionnalité »128(*).

L'une des explications possibles est la difficulté de mener un tel contrôle d'efficacité, reposant sur la vérification que l'objectif poursuivi est impossible à atteindre, plutôt que d'opérer un contrôle d'efficience reposant sur la possibilité d'atteindre le dit objectif grâce à des mesures moins contraignantes.

Ce contrôle d'efficacité est aussi qualifié par contrôle d'adéquation, à savoir du caractère « approprié à l'objectif poursuivi » de la mesure en cause. Ce dernier est d'ailleurs parfois utilisé de manière assez souple par la Cour : ainsi, le juge a pu apprécier dans l'arrêt Elisa129(*), l'adéquation de certaines dispositions du code général des impôts français à l'objectif de lutte contre la fraude fiscale. Celles-ci soumettaient les personnes détentrices d'actifs mobiliers en France à une taxe de 3% assise sur la valeur vénale des biens immeubles considérés. Cependant, certaines personnes étaient exonérées, notamment les personnes morales, qui avaient leurs sièges dans un pays ayant conclu une convention d'assistance administrative avec la France en vue de lutter contre la fraude et l'évasion fiscales.

La Cour a considéré que le critère d'exonération est constitué par «  l'assurance que l'administration fiscale française puisse demander directement des autorités fiscales étrangères toutes les informations nécessaires afin de recouper les déclarations faites » par les sociétés concernées ou leurs associés.

Ainsi, la mesure en cause, en faisant application de critère, aboutirait-elle à taxer « les immeubles détenus par des sociétés utilisées comme « écran » par des personnes physiques qui, en l'absence de telles sociétés, seraient soumises à l'impôt sur la fortune ». La Cour a donc considéré qu'il y'avait adéquation en l'espèce entre la mesure et l'objectif qu'elle poursuit, et ce malgré son champ très large, susceptible d'englober aussi bien les montages artificiels que les opérations ayant une réalité économique.

Ainsi, et même s'il se dégage de la doctrine une impression selon laquelle il ne s'agirait pas d'une composante du contrôle de proportionnalité, d'autres commentateurs affirment que vérifier qu'une mesure déterminée, permet d'atteindre un certain objectif, relève bien du registre du contrôle de proportionnalité130(*). Un ordre d'examen devrait en effet être établi dans les questions analysées par la Cour, aussi bien sur le plan théorique que pratique. Celle-ci devrait d'abord examiner sur l'objectif poursuivi peut être atteint par le mesure en cause, et ne devrait vérifier que cet objectif aurait pu être atteint par une mesure moins restrictive que le cas échéant. Le juge aurait alors la possibilité de sanctionner la mesure à l'un des deux stades de son analyse. Mais il apparaîtrait que le juge fasse parfois abstraction de la première de ces deux étapes.

Tel est le cas dans les arrêts Talotta131(*) et Commission c/ Danemark132(*), où le juge n'a pas du tout procédé à l'examen de l'adéquation entre la mesure fiscale considérée et l'objectif recherché. Cela s'explique certainement par le fait que les justifications invoquées, à savoir la lutte contre l'évasion fiscale pour le deuxième arrêt, et la lutte contre la fraude fiscale pour le premier, ont dés le départ été écartées par le juge, à cause notamment de la Directive 77/799 précitée, relative à l'assistance mutuelle des autorités compétentes dans le domaine des impôts directs.

Les Etats membres dont la mesure fiscale est soumise à l'examen de la Cour invoquent souvent l'absence d'application de celle-ci ou son application limitée en l'espèce, puisque cette dernière n'impose pas d'obligation générale et objective de transmission d'information d'une Etat requis à un Etat demandeur. Tel en a ainsi été le cas dans l'arrêt Commission c/ Danemark, où cet argument a pu servir d'appui à la justification tirée de la lutte contre l'évasion fiscale et l'efficacité des contrôles fiscaux. La Cour n'a dés lors fait que procéder comme à son habitude, puisque elle évacue de manière systématique l'argument tiré de l'absence d'obligation de coopération sous le régime de la directive en relevant que les informations pertinentes peuvent être recueillies directement auprès de l'intéressé.

Dans d'autres cas encore, le juge passe outre le contrôle d'adéquation, pour directement s'intéresser à la possibilité d'atteindre l'objectif poursuivi par des mesures moins contraignantes.

B) La possibilité d'atteindre l'objectif poursuivi par des mesures moins contraignantes

C'est dans l'affaire Futura participation133(*) que cet argument a été pour la première fois décisif, la Cour estimant qu'il n'était pas « indispensable que les moyens par lesquels le contribuable non-résident est autorisé à démontrer le montant des pertes dont il demande le report soient limités à ceux prévus par la législation luxembourgeoise ».

Dans l'arrêt De Coster134(*), le juge estimait que d'autres moyens que la taxe en cause sont envisageables pour atteindre l'objectif la protection de l'environnement urbanistique. Aussi, dans l'affaire Leur-Bloem135(*), le juge a considéré que « l'institution d'une règle revêtant une portée générale excluant automatiquement certaines catégories d'opérations de l'avantage fiscal, qu'il y ait ou non effectivement fraude ou évasion fiscale, irait au-delà de ce qui est nécessaire pour éviter une telle fraude ou une telle évasion fiscale ».

En effet, elle estime que « l'objectif envisagé (...) peut être atteint par des mesures moins contraignantes ou moins restrictives de la liberté d'établissement », et ce notamment au point 67 de son arrêt M. de Lasteyrie du Saillant136(*). La Cour y aura notamment constaté que les autorités françaises pouvaient prévoir la taxation d'un contribuable qui, après un bref séjour dans un autre Etat membre, reviendrait en France après avoir réalisé ses plus-values, ce qui éviterait d'affecter la situation des contribuables n'ayant pas d'autres objectifs que d'exercer leur liberté d'établissement de bonne foi.

En effet, le juge communautaire propose selon les arrêts, de manière plus ou moins précise, une description des mesures qui auraient pu être prises à la place de celles retenues par les Etats, et qu'elle aurait considérées comme recevable. Il en est notamment ainsi dans l'arrêt Centros137(*), où la Cour a estimé au point 37 que « des mesures moins contraignantes ou moins attentatoires pour les libertés fondamentales, donnant par exemple la possibilité légale aux créanciers publics de prendre les garanties nécessaires, pourraient être prises ».

Le recours par le juge communautaire au test de proportionnalité a d'autre part considérablement augmenté en matière de groupe de sociétés, et ce notamment depuis l'arrêt Mark & Spencer138(*), où avait été jugé comme exagérée l'interdiction de toute remontée des pertes des filiales étrangères. La Cour a en effet estimé qu'une mesure moins restrictive aurait été possible, à savoir n'interdire la remontée des pertes que dans le cas où la perte ne peut plus être utilisée, par report sur bénéfices antérieurs ou futurs, dans l'Etat de résidence de la filiale.

Quant à l'arrêt Papillon139(*), le juge y a considéré que la justification avancée par la France, tirée de la difficulté de vérifier l'existence d'un double emploi des pertes ne pouvait être acceptée, puisque la cohérence du système fiscal de l'intégration peut être préservée par un moyen moins contraignant que le refus pur et simple d'intégrer une sous-filiale détenue par l'intermédiaire d'une filiale établie dans un autre Etat membre. En effet, des moyens d'information suffisants sont accessibles aux autorités françaises, notamment la directive du 19 décembre 1977 relative à l'assistance mutuelle interétatique précitée.

Il est à noter que le juge communautaire rejette de manière assez générale les arguments tirés de la difficulté de mettre en oeuvre une mesure moins restrictive, et qui tendraient à justifier a contrario le choix de la mesure contestée.

Toutefois, la Cour a admis dans l'arrêt Lidl Belgium140(*) que le régime fiscal en cause n'allait pas au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre les objectifs poursuivis et a accueilli les justifications avancées par l'Etat allemand. On a d'autre part pu lire dans les conclusions de l'avocat général sur l'affaire OY AA141(*)qu'«il ne serait pas possible de parvenir à la préservation de la répartition du pouvoir d'imposition entre les Etats membres à laquelle sont directement liées les deux autres éléments de justification par une réglementation nationale correspondante moins restrictive ».

Ceci tend à prouver que la proportionnalité n'est pas systématiquement refusée aux dispositifs fiscaux nationaux, du moins dans les hypothèses où il apparaît qu'une réglementation moins restrictive n'aurait pas permis d'atteindre l'objectif visé.

* 126 V., en ce sens, arrêt Cadbury, §47 ; arrêt Thin Cap Group, §64 ; Mark & Spencer §35.

* 127 CJCE, 21 nov. 2002, aff C-436/00, X et Y, Rec., I, p.10829, pt. 91.

* 128 A. Maitrot de la Motte, Souveraineté fiscale et construction communautaire. Recherche sur les impôts directs : LGDJ, 2005, p.135.

* 129 Arrêt ELISA, préc.

* 130 B. DELAUNAY, « L'évolution de la jurisprudence relative aux justifications des restrictions fiscales aux libertés communautaires », Revue de Droit Fiscal 2009, mars 2009, n°12-13, comm. 248, pp.10-16.

* 131 Arrêt Talotta, préc.

* 132 CJCE, 30 janv. 2007, C-150/04, Commission c/ Danemark, préc.

* 133 Arrêt Futura Participation SA et Singer, préc.

* 134 Arrêt De Coster, préc.

* 135 CJCE, plén., 17 juill. 1997, aff. C-28/95, A. Leur-Bloem ; Ph. Derouin et Ph. Martin, Droit communautaire et fiscalité: Litec, 2008, p. 66

* 136 CJCE, 11 mars 2004, aff. C-9/02, M. de Lasteyrie du Saillant. ; Ph. Derouin et Ph. Martin, Droit communautaire et fiscalité: Litec, 2008, p. 315.

* 137 CJCE, 9 mars 1999, aff. C-212/97, Centros Ltd, Rec., I, p. 1459.

* 138Arrêt Mark & Spencer PLC, préc.

* 139 CJCE, 27 nov. 2008, C-418/07, Sté Papillon ; Ph. Derouin et Ph. Martin, Droit communautaire et fiscalité: Litec, 2008, p 349. 

* 140 Arrêt Lidl Belgium GmbH, préc.

* 141 Arrêt Oy AA, préc.

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"Le doute est le commencement de la sagesse"   Aristote