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L'incidence des quatre libertés communautaires sur la fiscalité : étude de la jurisprudence récente de la CJCE

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par Mouna EL HIH
Université Toulouse 1 Capitole - Juriste international 2009
  

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§2 : L'apparition de justification nouvelles

A) La sauvegarde d'une répartition équilibrée du pouvoir d'imposition et le risque de double déduction des pertes des filiales étrangères dans l'Etat de la filiale

L'arrêt Mark & Spencer rendu en 2005 fait partie de ceux qui ont bouleversé le paysage habituel des justifications aux restrictions. Etait en cause la législation britannique dite « group relief », selon laquelle seules les filiales résidentes au Royaume-Uni, ou y possédant une succursale, ont le droit de transférer leurs pertes à leur société mère imposée au Royaume-Uni.

La Cour y a admis, au côté du risque d'évasion fiscale, deux nouvelles justifications. Tout d'abord, la préservation équilibrée du pouvoir d'imposition entre les Etats membres, que l'on peut qualifier d'une justification d'ordre général.

Il s'agissait en l'espèce d'une entreprise qui souhaitait déduire les pertes d'une filiale non-résidente, ce que la Grande Bretagne refusait au motif qu'il lui était nécessaire de sauvegarder la répartition équilibrée du pouvoir d'imposition entre les Etats membres de la Communauté. Le juge communautaire considéra toutefois que l'interdiction de déductibilité des pertes d'une filiale non-résidente ne pouvait être accueillie que s'il y'avait, entre autre, un risque de double usage des pertes. Il nous parait opportun de noter que cette justification paraît étroitement liée avec celle de la nécessité de lutter contre l'évasion fiscale, qui compte quant à elle déjà plusieurs années d'existence, en tant que raison impérieuse d'intérêt général susceptible de justifier une mesure fiscale restrictive d'une liberté fondamentale. Le juge communautaire reconnaît expressis verbis dans le point 49114(*) de l'arrêt que l'Etat peut valablement se fonder sur cette justification traditionnelle, en vue d'empêcher que des transferts de pertes soient organisés au sein d'un groupe de sociétés établies dans les Etats membres appliquant les taux d'imposition les plus élevés et dans lesquels la valeur fiscale des pertes est donc la plus importante.

L'arrêt rendu a ainsi permis d'éclairer la question de la déductibilité des pertes entre sociétés d'un même groupe lorsque les entreprises ne sont pas établies sur le même territoire national. La Cour a en effet implicitement affirmé qu'exclure de manière générale, la possibilité pour une société mère résidente de déduire de son bénéfice imposable des pertes subies dans un autre Etat membre, par une filiale établie sur le territoire de celui-ci est contraire aux dispositions du Traité dans le cas où la société résidente a d'une part épuisé les possibilités de prise en compte des pertes qui existe dans son Etat membre, et où d'autre part, il n'existe pas de possibilités pour que ces pertes puissent être prises en compte dans son Etat de résidence.

En outre, la Cour a admis en tant que principe qu'un Etat membre pouvait refuser cette déductibilité, puisque « donner aux sociétés la faculté d'opter pour la prise en compte de leurs pertes dans l'Etat membre de leur établissement ou dans un autre Etat membre compromettrait sensiblement une répartition équilibrée du pouvoir d'imposition entre les Etats membres, l'assiette d'imposition se trouverait augmentée dans le premier Etat et diminuée dans le second, à concurrence des pertes transférées. »115(*)

Ainsi la préservation d'une répartition équilibrée du pouvoir d'imposition a été érigée en nouvelle justification. Néanmoins, l'Etat en cause doit démontrer que sa législation permet de lutter contre l'évasion fiscale en cas de risque de double emploi des pertes ou d'évasion, mais aussi apporter la preuve de l'existence de ce risque.

Autres jurisprudence marquante, l'affaire Thin Cap Group116(*) a permis de dégager les grandes lignes de la notion, même si la Cour n'y'a pas directement abordé la question de la répartition équilibrée des pouvoirs d'imposition des Etats membres. En effet, le juge communautaire y fait une démonstration de sa volonté de lier les justifications telles que la cohérence fiscale, ou la répartition équilibrée des pouvoirs d'imposition, à la nécessité de lutter contre les abus de droit. Le gouvernement britannique invoquait en l'espèce la nécessité de lutter contre les pratiques abusives et spécifiquement les montages purement artificiels, argument rappelons-le déjà accepté dans les arrêts Mark & Spencer et Cadbury117(*).

La Cour a en outre accepté cette justification dans le récent arrêt Rewe118(*), à la condition qu'il y'avait en l'espèce trafic de pertes ou abus de droit, confirmant sa volonté de lier l'éventuelle acceptation des justifications à la preuve du risque d'évasion ou de fraude fiscale. Ainsi, il apparaît que le juge communautaire fait une application très restrictive des justifications tenant à la répartition équilibrée des pouvoirs d'imposition et de la cohérence, en conditionnant leur pertinence à la nécessité de lutter spécialement contre les montages purement artificiels, et utilisant d'ailleurs le contrôle de proportionnalité d'une manière très rigide dans les arrêts Rewe et Thin Cap Group.

L'autre nouvelle justification est celle du risque de double déduction des pertes des filiales étrangères dans l'Etat de la filiale, et concerne donc le cas particulier des groupes de sociétés.

Pour certains, le fait de l'ériger en justification de restriction fiscale est discutable, puisque tout double usage des pertes est également interdit pour les filiales résidentes119(*), ce qui induit l'absence d'entrave.

L'arrêt Oy AA120(*) rendu récemment par la Cour n'a pas manqué d'apporter son lot de confusions. En effet, le raisonnement adopté y est tout simplement déconcertant lorsque l'on sa base sur sa jurisprudence antérieure, puisqu'elle a accueilli la justification tirée de la sauvegarde de la répartition équilibrée du pouvoir d'imposition, et a accordé un traitement étonnant au critère de l'abus de droit, en procédant au test de proportionnalité avec beaucoup moins de rigueur qu'à l'accoutumée. Il s'agissait en l'espèce d'une filiale finlandaise, qui avait fait un transfert financier au profit de sa société mère britannique sujet à d'importantes difficultés financières. L'administration fiscale avait refusé de considérer ce transfert en tant que dépenses déductibles des revenus imposables de la filiale. Or, la Cour jugea que la législation finlandaise conditionnant la déductibilité des transferts financiers intragroupe à l'établissement sur le territoire finlandais des sociétés émettrices et bénéficiaires du transfert financier est compatible avec les dispositions du Traité.

Ainsi, l'admission de la justification consistant en la sauvegarde d'une répartition équilibrée du pouvoir d'imposition des Etats membres conduit à se poser des questions quant à l'implication de ce nouveau régime. En effet, peut-on valablement en déduire que le juge de la Communauté se refuse à reconnaître le droit pour un contribuable de tirer profiter des différences de pression fiscale entre les Etats membres ?

Nul n'est besoin d'arriver à une conclusion si radicale. Sans vouloir nier l'importance de cet arrêt, il tient à relever qu'il s'inscrit dans un sujet délicat qu'est le transfert intragroupe qui requiert assurément que lui soit consacré un régime propre, autorisant éventuellement un traitement plus favorable. L'incidence de cet arrêt ne doit donc pas être exagérée outre mesure, la solution devant être limitée au seul régime des groupes de société et ce du fait de la particularité des questions soulevées.

Se posait en outre la question de savoir si les éléments de justifications retenus dans l'arrêt Mark & Spencer doivent appliqués de manière cumulative, ou si l'existence d'un seul de ces éléments suffisait à ce que le régime fiscal examiné soit justifié. La Cour a apporté une réponse à cette interrogation dans l'arrêt Lidl Belgium121(*), où elle a considéré qu'en raison de la diversité des situations desquelles un Etat membre peut avancer des justifications, il ne peut être exigé que l'ensemble des justifications dégagées par l'arrêt Mark & Spencer soit réuni pour qu'une réglementation fiscale nationale restreignant la liberté d'établissement puisse être justifiée.

B) De nouvelles justifications potentiellement admises par la Cour

Ces nouvelles justifications avancées par les Etats membres ont vu leur recevabilité potentiellement admise par la Cour de justice, malgré qu'elles n'aient pas été jugées comme fondées dans les espèces concernées.

Cet état du droit en évolution mérite toutefois qu'il y soit prêté attention, et nous pouvons à cet effet en proposer trois illustrations.

L'arrêt De Coster122(*) s'inscrit dans cette veine. Il a en effet permis au juge communautaire de considérer l'éventuelle recevabilité de la protection de l'environnement en tant que justification, « en admettant même que la poursuite de l'objectif de protection invoqué par la commune de Watermael-Boisfort soit de nature à justifier une entrave à la libre prestation de service... ».

La Cour a en outre admis dans son arrêt Laboratoires Fournier123(*) la justification basée sur la promotion de la recherche et du développement. Il s'agissait en l'espèce d'une règlementation nationale réservant le bénéfice du crédit d'impôt aux seules opérations de recherche réalisées dans l'Etat membre concerné. Le fait qu'elle ait été constitutive d'une restriction à la libre prestation de services, et qu'elle ait aussi été contraire à la politique communautaire en matière de recherche, n'a apparemment influencé la Cour qui a su garder une ouverture d'esprit certaine en accueillant cette justification.

D'autre part la Cour a eu l'occasion de juger dans l'arrêt Jundt124(*), qu'une réglementation nationale qui réserve le bénéfice d'une exonération d'impôt sur le revenu aux seules indemnités pour frais professionnels versés par les établissements d'enseignements nationaux constituait une restriction à la libre prestation de service et que de plus, cette réglementation contrevenait à la politique communautaire dont l'objectif est de faciliter la mobilité des enseignants et des étudiants. Toutefois, elle n'en a pas pour autant exclu que l'objectif de promotion de l'enseignement puisse constituer une raison impérieuse d'intérêt général.

Malgré leur apparente fragilité, ces justifications sont d'autant de manifestations de la progressive ouverture du juge communautaire à des justifications nouvelles, inhérentes à l'évolution de la situation de la Communauté européenne et des Etats qui la composent.

De plus, l'arrêt Jâger125(*) intervenu dans le cadre de la libre prestation des capitaux offre un autre exemple de ces justifications « nouvelle génération ». Le juge communautaire a en effet jugé que les objectifs tenant à la poursuite de l'activité des exploitations agricoles et forestières ainsi qu'au maintien de l'emploi peuvent présenter en eux-mêmes, dans certaines circonstances et sous certaines conditions, un caractère d'intérêt général pouvant justifier des restrictions à la liberté de circulation des capitaux.

* 114 Arrêt Mark & Spencer.

* 115 Ibid.

* 116 Arrêt Thin Cap Group Litigation, préc. 

* 117 Arrêt Cadbury Schweppes et Cadbury Schweppes Overseas, préc.

* 118 Arrêt Rewe Zentralfinanz eG, préc.

* 119 M. WATHELET, « Souveraineté fiscale des Etats membres et Cour de Justice : nouvelles tendances ou confirmation », Revue de Jurisprudence fiscale 2008, février 2008, pp. 90-102.

* 120 Arrêt Oy AA, préc.

* 121 CJCE, 4ème ch., 15 mai 2008, aff. C-414/06, Lidl Belgium GmbH : Dr. Fisc. 2008, n°39, comm. 512, note M. Ch. Bergerès.

* 122 CJCE, 29 nov. 2001, aff. C-17/00, De Coster : JurisData n°2001-188906 ; Rec. CJCE 2000, I, p. 9445.

* 123 CJCE, 10 mars 2005, aff. C-39/04, Laboratoire Fournier / Rec. I, p.2057.

* 124 CJCE, 18 déc. 2007, aff. C-281/06, Jundt ; Ph. Derouin et Ph. Martin, Droit communautaire et fiscalité: Litec, 2008, p. 488.

* 125 CJCE, 17 janv. 2008, aff. C-256/06, Jâger ; Ph. Derouin et Ph. Martin, Droit communautaire et fiscalité: Litec, 2008, p. 613.

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"Il ne faut pas de tout pour faire un monde. Il faut du bonheur et rien d'autre"   Paul Eluard