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L'incidence des quatre libertés communautaires sur la fiscalité : étude de la jurisprudence récente de la CJCE

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par Mouna EL HIH
Université Toulouse 1 Capitole - Juriste international 2009
  

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§1 : L'évolution des justifications « traditionnelles » : entre confirmation et mutation

A) La confirmation de la lutte contre la fraude et l'évasion fiscale et de la nécessité d'assurer l'efficacité des contrôles fiscaux

Il s'agit ici de deux raisons impérieuses d'intérêt général qui n'ont reçu que des confirmations au courant de ces dernières années et auxquelles les Etats ont systématiquement recours.

1- La lutte contre la fraude et l'évasion fiscale

La lutte contre la fraude constitue assurément l'une des plus anciennes raisons impérieuses d'intérêt général invoquées par les Etats98(*). La fraude fiscale consiste en un évitement illicite de l'impôt, et s'élève dans les Etats membres de l'Union à presque 2,5% du PIB, avoisinant dés lors les 250 000 milliards d'euros99(*). Véritable « tumeur » pour les finances publiques nationales, la fraude affecte aussi le bon fonctionnement du marché intérieur dans la mesure où elle crée des distorsions de concurrence entre les contribuables. La communauté souffre en effet d'une carence d'instrument commun de lutte contre ce phénomène, ce dont témoigne la communication récente de la Commission « sur la nécessité de développer une stratégie coordonnée en vue d'améliorer la lutte contre la fraude fiscale »100(*).

Cette absence d'harmonisation est donc une raison plus que nécessaire à l'intervention du juge de la Communauté en la matière. Il reconnaît à cet effet aux Etat membres la possibilité d'invoquer, et ce de manière légitime, la lutte contre la fraude fiscale pour justifier l'adoption de mesures restrictives. En effet, le droit communautaire ne peut être un prétexte pour violer le droit national. Or la fraude fiscale constituant bien une violation de la loi, il apparaît logique que les mesures nationales poursuivant l'objectif de lutte contre un tel acte illicite soient admises. Cependant, cette solution est valable que dans la mesure où le droit national ignoré par la fraude, soit lui-même compatible avec le droit communautaire.

Tout comme la lutte contre la fraude fiscale, la prévention de l'évasion fiscale fait partie des « traditionnelles » raisons impérieuses d'intérêt général susceptibles de justifier une mesure nationale contraire à une liberté proclamée par le Traité. Elle se distingue de la fraude fiscale par le fait qu'elle soit en principe légale. Toutefois la pratique démontre qu'il est souvent difficile de distinguer entre les deux, ce qui peut être lourd de conséquences, compte tenu du fait que les deux comportements appellent à des mesures de prévention différentes.

Théoriquement, l'évasion fiscale consiste en l'adoption d'un comportement ayant pour unique finalité de diminuer la charge fiscale d'un contribuable, sans que ce comportement ne viole la loi. Il s'agit donc d'un évitement de l'impôt que l'on qualifie aussi d'optimisation fiscale.

Cette possibilité offerte aux contribuables de la Communauté de se livrer à un shopping fiscal en localisant leurs placements dans les Etats ayant les fiscalités les plus avantageuses est sans aucun doute source de concurrence fiscale entre les Etats membres, qui à défaut de tempérament peut leur être préjudiciable. C'est sans doute la raison pour laquelle la Cour, malgré son indifférence aux conséquences de la concurrence fiscale101(*), tolère que soit invoquée devant elle la lutte contre l'évasion fiscale en tant que justification à une réglementation restrictive.

2- La nécessité d'assurer l'efficacité des contrôles fiscaux

Il d'agit là aussi, de l'une des plus anciennes justifications, faisant partie des raisons impérieuses d'intérêt général susceptibles de réhabiliter des réglementations de nature à restreindre l'exercice d'une des libertés fondamentales garanties par le TCE102(*).

Ce statut particulier provient du célèbre arrêt Cassis de Dijon103(*) qui a élevé cet objectif au rang d'exigence impérative d'intérêt général, c'est-à-dire l'équivalent en matière de libre circulation des marchandises d'une raison impérieuse d'intérêt général.

Ainsi, un Etat est autorisé à appliquer des mesures qui permettent la vérification, de façon claire et précise, du montant tant des revenus imposables dans cet Etat que des pertes susceptibles d'y être rapportées104(*).

Ce motif renvoie de manière assez générale au pouvoir régalien des Etats membres de prendre des mesures visant à l'établissement précis des assiettes d'imposition de leurs contribuables. Il apparaît d'ailleurs que la jurisprudence de la CJCE ne fasse pas de distinction claire entre lutte contre l'évasion fiscale et efficacité des contrôles fiscaux. En effet, en continuant à les considérer comme des raisons impérieuses d'intérêt général, le juge de la Communauté donne l'impression d'une certaine équivalence entre ces deux notions. Cette impression est en outre consolidée par le fait que ces deux justifications sont habituellement invoquées ensemble par les Etats membres105(*). Cette réunion des deux critères peut notamment s'expliquer par le fait que la lutte contre l'évasion fiscale implique l'existence de contrôles fiscaux efficaces. On peut s'interroger sur le réel intérêt pour les Etats membres, d'avoir à leur disposition deux justifications aussi similaires.

Cet intérêt peut être démontré lorsque l'on se trouve dans l'hypothèse où, la liberté à laquelle la mesure nationale contrevient est la liberté de circulation des capitaux entre Etats membres et Etats tiers. En effet, la Cour considère dans l'arrêt A qu'en ce qui concerne les relations avec les pays tiers, la jurisprudence qui considère, dans le cadre des relations entre Etats membres, comme non proportionnée la restriction fondée sur l'efficacité des contrôles fiscaux et « qui porte sur des restrictions à l'exercice des libertés de circulation au sein de la Communauté ne saurait être intégralement transposée aux mouvements de capitaux entre les Etats membres et les pays tiers, de tels mouvements s'inscrivant dans un contexte juridique différent de celui des affaires ayant donné lieu aux arrêts 106(*)» relatifs aux relations entre Etats membres.

Cela s'explique par le fait que les pays tiers ne sont pas liés par les dispositions de la Directive 77/799107(*) en matière de coopération administrative, et encore moins par les obligations en matière de comptabilité posées par le droit communautaire et utilisées par les entreprises établies dans la Communauté en vue d'apporter des informations fiables, pouvant être vérifiées par l'administration fiscale de l'Etat membre concerné. En effet, lorsque de telles dispositions n'existent pas, un Etat membre peut être autorisé à subordonner l'octroi d'un avantage fiscal aux sociétés d'un Etat tiers à la conclusion, avec ledit Etat, d'une convention bilatérale lui permettant d'être convaincu que l'efficacité d'un contrôle fiscal dans ce cadre sera équivalente à celle prévue en droit communautaire. Dés lors la distinction entre l'intérêt de recourir à la justification tirée de la nécessité d'assurer les contrôles fiscaux plutôt qu'à celle relative à la lutte contre l'évasion fiscale est plus claire.

B) Le retour de la cohérence du système fiscal et la mutation du principe de territorialité

1- La réapparition de la notion de cohérence du régime fiscal

La justification tirée de la cohérence du régime fiscal a été dégagée dans l'arrêt Bachmann108(*) de 1992, et n'a depuis plus été utilisée jusqu'en 2008. La Cour avait jugé à l'époque que la législation d'un Etat membre qui soumettait le droit à déduction de certaines cotisations d'assurance, à la condition que ces cotisations aient été versées dans cet Etat, constituait une restriction susceptible d'être justifiée par la nécessité de préserver la cohérence du régime fiscal en cause. Cette entrave était en l'occurrence justifiée car la législation belge ne donnait le choix qu'en ce qui concerne le moment où l'impôt devait être acquitté. Or le gouvernement belge arguait que son système n'aurait plus été cohérent s'il n'était plus sûr de pouvoir imposer les sommes versées par les assureurs, ce qui aurait été le cas si les primes étaient effectivement versées à l'étranger.

Le juge ayant constaté l'existence d'un lien entre la déductibilité des cotisations et l'imposition des sommes dues par les assureurs, il décida d'accepter cette justification, l'idée étant que si la mesure n'avait pas été édictée, alors c'est toute la logique du système de fiscalité nationale qui aurait été ignoré.

Les Etats ont dés lors continué à régulièrement invoquer cette justification et ce des années durant, sans que la Cour ne se montre disposée à l'accepter. Cependant, une décision récente mis fin à ce phénomène. Il s'agit notamment de l'arrêt Krankenheim109(*) du 28 octobre 2008, qui n'est donc que le deuxième cas d'application de la jurisprudence Bachmann, enfin réactivée positivement après seize ans d'absence. Le juge communautaire a considéré en l'espèce que le régime fiscal allemand qui, après avoir admis la prise en compte de pertes subies par un établissement stable se trouvant dans un autre Etat membre que celui dans lequel est établie la société dont cet établissement dépend, prévoit une réintégration fiscale desdites pertes au moment où l'établissement stable dégage des bénéfices aux fins de calcul de l'impôt sur le revenu de cette société, es constitutif d'une restriction à la liberté d'établissement.

Cet arrêt a en outre permis de systématiser les trois critères tirés de la cohérence fiscale et donc de préciser les conditions d'application de la jurisprudence Bachmann : ainsi, un lien direct doit obligatoirement exister entre l'avantage fiscal concerné et la compensation de cet avantage par un prélèvement fiscal déterminé. De même, un lien personnel, qui suppose qu'un seul et même contribuable bénéficie de l'avantage et fasse l'objet de la compensation est aussi exigé. Enfin, un lien matériel qui suppose qu'une seule et même imposition soit concernée par l'avantage et sa compensation est également nécessaire.

2- le principe de territorialité fiscale

Le principe de territorialité en tant que justification a été pour la première fois dégagé dans l'arrêt Futura Participation110(*), et a d'ailleurs lui aussi été longuement éclipsé du prétoire. Ce principe exige que les contribuables soient imposés en raison de leur bénéfice mondial dans l'Etat sur le territoire duquel ils résident, et que les non-résidents ne soient imposables que sur le territoire de l'Etat dans lequel ils disposent d'un établissement stable, et qu'à concurrence des bénéfices réalisés sur ce territoire. Il s'agissait en dans l'arrêt précité d'une réglementation luxembourgeoise, en vertu de laquelle le report des pertes antérieures demandé par un contribuable non-résident ayant une succursale au Luxembourg était subordonné à la condition que les pertes soient en relation économique avec des revenus réalisées au Luxembourg. Selon le juge communautaire, le régime en cause ne comportait aucune discrimination et était qui plus est conforme au principe de territorialité. Cette justification ne retrouva depuis plus sa place au sein de la jurisprudence de la Cour, et connu le même destin que celle tirée de la cohérence du régime fiscal.

Ce n'est que dans l'arrêt Mark & Spencer111(*) qu'elle est réapparue. Le juge avait en effet considéré au point 40 de l'arrêt que « la circonstance que le Royaume-Uni n'impose pas les bénéfices des filiales non-résidentes d'une société mère établie sur son territoire ne justifie pas, en soi, une limitation du dégrèvement de groupe aux pertes subies par les sociétés résidentes » et ce après avoir constaté que le Royaume-Uni s'était conformé au principe de territorialité. Le juge a d'ailleurs régulièrement continué à se montrer récalcitrant à cette justification au travers de sa jurisprudence112(*).

Pour certains, l'abandon du principe de territorialité en tant que justification s'est trouvé compensé par l'apparition de la nouvelle justification tirée de la répartition équilibrée du pouvoir d'imposition notamment dans l'arrêt Mark & Spencer précité, qui ne serait finalement que la reformulation de l'ancienne notion sous un nom différent.

En effet, l'avocat général Kokott semblait indiquer dans ses conclusions relatives à l'arrêt N, que la répartition équilibrée du pouvoir d'imposition avait pris le relais de la territorialité : « dans sont arrêt Mark & Spencer, la Cour a constaté que la préservation de la répartition du pouvoir d'imposition entre les Etats membres est un objectif légitime, qui peut justifier de restreindre la liberté d'établissement. Le principe de territorialité peut à cet égard servir de principe directeur, sur lequel les Etats membres doivent se fonder dans le cadre de la répartition équilibrée des pouvoirs d'imposition 113(*)».

La désuétude apparente du principe de territorialité n'est donc en fait qu'un changement de fonction et de sémantique, puisque dorénavant il sert plus de fondement à la justification tirée de la répartition équilibrée du pouvoir d'imposition entre Etats membres que de justification propre.

* 98 Arrêt ELISA, préc.

* 99 Cf. Note 43.

* 100 Com. de la Commission, du 31 mai 2006, au Conseil, au Parlement et au Comité économique et social européen sur la nécessité de développer une stratégie coordonnée en vue d'améliorer la lutte contre la fraude fiscale.

* 101 CJCE, 23 juin 2003, aff. C-422/01, Skandia et Ramstedt, Rec., I.6817.

* 102 V., not. CJCE, 15 mai 1997, aff. 250/95, Futura Participations SA et Singer ; Ph. Derouin et Ph. Martin, Droit communautaire et fiscalité: Litec, 2008, p. 234 ; CJCE, 8 juill. 1999, aff. C-254/97, Sté Baxter SA ; Ph. Derouin et Ph. Martin, Droit communautaire et fiscalité: Litec, 2008, p. 250.

* 103 CJCE, 20 fév. 1979, aff. 120/78, Rewe Zentral, Rec., p.649.

* 104 Arrêt Futura Participations SA et Singer, préc.

* 105 V., not. Arrêt ICI préc. . CJCE, 30 janv. 2007, C-150/04, Commission c/ Danemark ; Ph. Derouin et Ph. Martin, Droit communautaire et fiscalité: Litec, 2008, p.455 ; CJCE, 4 mars 2004, C-334/02, Commission c/ France ; Ph. Derouin et Ph. Martin, Droit communautaire et fiscalité: Litec, 2008, p. 525.

* 106 CJCE, 18 déc. 2007, C-101/05, A ; Ph. Derouin et Ph. Martin, Droit communautaire et fiscalité: Litec, 2008, p. 505.

* 107 D. 77/799/CEE du Conseil du 19 déc. 1977 concernant l'assistance mutuelle des autorités compétentes des Etats membres, JOCE, n° L 36 du 27 déc. 1977, p.5.

* 108 CJCE, 28 janv. 1992, C-204/90, Bachmann; Ph. Derouin et Ph. Martin, Droit communautaire et fiscalité: Litec, 2008, p. 162.

* 109Arrêt Kankenheim Ruhesitz am Wannsee-Seniorenheimsttat GmbH, préc.

* 110Arrêt Futura Participations SA et Singer, préc.

* 111Arrêt Mark & Spencer PLC, préc.

* 112 Arrêt Rewe Zentralfinanz eG, préc.

* 113 Concl. sur CJCE 7 sept. 2006, aff. C-470/04, N, Rec., I. p.7409, pt.92.

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"Je ne pense pas qu'un écrivain puisse avoir de profondes assises s'il n'a pas ressenti avec amertume les injustices de la société ou il vit"   Thomas Lanier dit Tennessie Williams