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L'incidence des quatre libertés communautaires sur la fiscalité : étude de la jurisprudence récente de la CJCE

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par Mouna EL HIH
Université Toulouse 1 Capitole - Juriste international 2009
  

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Section 2 : Les procédures permettant l'exercice d'un contrôle juridictionnel communautaire en matière de fiscalité

La nature et l'ambition du Droit communautaire imposait que soit mis en place une juridiction communautaire afin que puisse être garantie l'unité d'interprétation et d'application de ce droit, ainsi que son respect par tous les justiciables.

Dans cette perspective, l'action du juge de Luxembourg se manifeste de deux manières : la première que l'on peut qualifier de « méthode douce », s'inscrit dans une relation de coopération mutuelle à travers le recours au renvoi préjudiciel, qui peut aussi bien concerner l'appréciation de validité que l'interprétation. Nous nous attacherons ici à étudier la seconde catégorie de renvoi, qui en matière fiscale, connaît un essor des plus notables. Il s'agira ici pour la Cour d'éclairer son confrère national sur le sens exact de l'une des dispositions du Traité, en vue de garantir une application uniforme du droit communautaire. C'est ainsi que la portée des quatre libertés peut être précisée en matière de fiscalité.

Néanmoins, lorsque la « méthode douce » n'a pas suffit à garantir le respect des dispositions du TCE, c'est vers une méthode « plus musclée » que se tourne le juge de Luxembourg. Les Etats membres ont en effet pour obligation d'appliquer le droit communautaire et de le transposer sans le respect des délais prescrits par l'acte communautaire, de même qu'ils doivent faire montre de la même diligence eu égard à la jurisprudence de la CJCE.

Toutefois, il peut arriver que certains Etats rechignent à remplir leurs obligations, pour des raisons pour le moins compréhensibles : impact budgétaire des arrêts rendus, modification des dispositifs fiscaux en vigueur, difficultés à apprécier la portée de certaines décisions. Nonobstant, et si la mauvaise volonté des Etats à s'exécuter peut se comprendre, elle n'en est pas pour autant excusable.

A cet égard, la CJCE dispose d'une procédure qui lui permet de se montrer très persuasive à l'égard des Etats. Il s'agit notamment du recours de manquement, dont le succès n'a pas décru durant ces dernières années, et qui implique une coopération cette fois-ci entre le Commission et le juge de la Communauté.

§1 : L'exercice d'un contrôle indirect à travers la procédure de demande de décision préjudicielle.

A) Le renvoi préjudiciel, technique de collaboration inter-juridictionnelle et outil d'uniformisation en matière de fiscalité.

La juridiction nationale et la juridiction communautaire se trouvent dans une situation de coopération mutuelle par le bisais du mécanisme de la question préjudicielle. Cette relation qui lie les deux juges est inscrite à l'article 234 du TCE194(*).

Le juge national joue le rôle de juge de droit commun du droit communautaire et participe de ce fait lui aussi au système juridictionnel de la Communauté. Véritable acteur et non pas simple observateur extérieur, il intègre la jurisprudence de la CJCE dans son oeuvre normative quotidienne.

L'article 177 du TCE195(*) dispose que la Cour de justice est compétente pour statuer, à titre préjudiciel, sur l'interprétation du Traité ainsi que sur la validité et l'interprétation des actes pris par les institutions de la Communauté.

Il prévoit en outre que « Lorsqu'une telle question est soulevée devant une juridiction d'un des États membres, cette juridiction peut, si elle estime qu'une décision sur ce point est nécessaire pour rendre son jugement, demander à la Cour de justice de statuer sur cette question.

Lorsqu'une telle question est soulevée dans une affaire pendante devant une juridiction nationale dont les décisions ne sont pas susceptibles d'un recours juridictionnel de droit interne, cette juridiction est tenue de saisir la Cour de justice.196(*)»

Lors cette procédure, la juge national se doit d'exposer les raisons qui motivent sa demande, et démontrer la nécessité d'une réponse de la CJCE à pour la résolution du litige au fond. C'est ainsi qu'en s'efforçant de donner au droit fiscal interne une intérprétation conforme aux dispositions du TCE, rempli sa fonction de juge de droit commun du droit communautaire, en tirant des enseignements de la jurisprudence foisonnante de la Cour, et lorsqu'il en proie en doute, en procédant à un renvoi préjudiciel en interprétation. Cette procédure est source de nombreuses interrogations, l'une d'entre elles étant liée à la capacité de la CJCE à interpréter les dispositions au-delà des limites du renvoi préjudiciel.197(*)

Si les juridictions françaises tâtonnaient sur cette question, la Cour constitutionnelle allemande a depuis longtemps reconnu à la CJCE un « monopole juridictionnel » en matière d'interprétation, de même que la Cour constitutionnelle italienne, qui voit en la Cour un « interprète qualifié » qui apprécie les traités et les actes dérivés « avec une autorité » et « en définitive ».198(*)

Le Conseil d'Etat a compte à lui fait montre de beaucoup moins d'enthousiasme, en considérant que la décision de La Cour de justice ne s'imposait pas dés lors qu'elle excédait les limites de la question posée par le juge du fond199(*).

La technique du renvoi préjudiciel en interprétation est donc source d'inquiétudes pour le juge français. Celui-ci y a certes recours dans le but de faire une application du droit conforme aux dispositions du TCE, sous l'éclairage du juge de Luxembourg. Toutefois, lorsque la mise en lumière dépasse les limites de la question posait, c'est la logique de la procédure qui semble évoluer, d'un simple aiguillage en matière d'interprétation, vers une uniformisation de la jurisprudence, sous l'autorité de la CJCE, et ce notamment en matière fiscale.

La juridiction communautaire a d'ores et déjà élargie ses compétences, en procédant à la reformulation de la question posée par le juge du fond200(*), ou encore en interprétant des normes communautaires auxquelles le juge n'avait pas fait référence dans son renvoi préjudiciel201(*). Elle interprète non seulement le TCE, mais va parfois jusqu'à qualifier les faits voir, à examiner la validité d'un acte interne202(*).

Ce n'est que depuis l'arrêt De Groot203(*) du 11 décembre2006 que le Conseil d'Etat, admet finalement que la CJCE peut interpréter les normes communautaires au-delà des limites du renvoi préjudiciel, mais il reconnaît néanmoins une compétence exclusive au juge national pour qualifier les faits.

B) L'incidence d'une telle procédure sur les dispositifs fiscaux nationaux et l'utilisation parfois discutable de celle-ci par le juge national.

La solution proposée par la Cour peut avoir une incidence sur les régimes fiscaux nationaux. C'est ainsi qu'elle peut remettre en question les dispositifs inventés par les Etats pour lutter contre la fraude, ou l'évasion fiscale.

Tel est par exemple le cas de la taxe de 3%, créée en 1983 pour lutter contre l'évasion fiscale en matière d'imposition sur la fortune, applicables aux immeubles détenus en France par des personnes morales. Elle était codifiée aux articles 990 D et 990 E du CGI et visait les entités françaises ou étrangères, qui achetaient des propriétés immobilières en France, directement ou par divers participations.

Il était à l'époque question de lutter contre les schémas qui prévoyaient l'acquisition d'immeubles en France, en passant par le truchement de personnes morales établies dans des paradis fiscaux. Toutefois, la pratique tendait à démontrer que les exonérations prévues à l'article 990 E ne profitaient aux sociétés françaises. Jugé discriminatoire par la Cour de cassation dans son arrêt du 21 décembre 1990, SA Royal204(*), le législateur a été contraint de l'étendre en 1993 aux sociétés françaises, cette extension demeurant pour le moins théorique.205(*) La Cour de cassation finit toutefois par poser une question préjudicielle à la CJCE, qui dans l'arrêt ELISA du 11 octobre 2007206(*), a estimé que les dispositions litigieuses portaient atteinte de façon disproportionnée à la liberté de circulation des capitaux, et a exclu les justifications de présomption de fraude ou d'évasion fiscale, condamnant de ce fait le dispositif en cause.

D'autre part, certains commentateurs se sont posé la question de l'utilisation abusive du renvoi préjudiciel, notamment s'agissant de celui fait par le Conseil d'Etat à propos de l'article 167 bis du CGI, dans l'affaire M. de Lasteyrie du Saillant207(*). Le dispositif prévu par cet article avait pour conséquence l'imposition des plus-values latentes dés lors qu'il y'avait eu un transfert de domicile. La Haute Assemblée avait posé une question préjudicielle relative à l'interprétation de l'article 52 du TCE (devenu article 43 TCE) relatif à la liberté d'établissement.

Mais déjà le commissaire du Gouvernement se déclarait « à peu prés convaincu que les dispositions de l'article 167 bis sont incompatibles avec la liberté d'établissement telle qu'elle est définie dans la jurisprudence actuelle de la Cour de justice »208(*). La Cour de Luxembourg n'a pas manqué de lui donner raison par l'arrêt du 11 mars 2004209(*), et le Conseil d'Etat a su en tirer les conséquences en annulant le dispositif incriminé.210(*)

Or le principe de la question préjudicielle est d'éclairer le juge national lorsque la jurisprudence de la Cour n'est pas suffisamment claire pour le faire. Quel serait donc l'intérêt de recourir à un renvoi préjudiciel en interprétation alors même que la contrariété du dispositif au droit communautaire semble établie ?

Certains pensent que le Conseil d'Etat rechigne à s'approprier la jurisprudence de la CJCE, et à en apprécier la portée.211(*) Or il se doit de remplir son rôle de juge de droit communautaire en matière de droit fiscal communautaire.

Les hésitations rencontrées par les juridictions des pays récemment membres sont à l'inverse tout à fait compréhensibles. Par exemple, deux juridictions hongroises ont demandé à la Cour de les éclairer sur la comptabilité d'un impôt local sur les entreprises (HIPA) avec la directive TVA, et avec l'interdiction faite aux Etats membres d'introduire ou de maintenir des systèmes fiscaux qui ont un caractère de taxe sur le chiffre d'affaires212(*).

Après examen de l'impôt hongrois au regard des caractéristiques traditionnelles en matière de TVA et conformément à sa jurisprudence Banca Popolare di Cremona213(*), la Cour de Luxembourg avait affirmé que l'impôt litigieux n'était pas proportionnel au prix des biens ou des services fournis, et qu'il n'était pas conçu pour être répercuté sur le consommateur de la même manière que pour la TVA. Toutefois, la CJCE a jugé le dispositif tout de même compatible avec les textes communautaires.214(*)

La question étant tout à fait nouvelle pour la Hongrie, l'opportunité d'un renvoi préjudiciel était toute trouvée. Cependant, la pertinence d'un tel renvoi par les membres du Conseil d'Etat dans une affaire où l'application de la jurisprudence antérieure de la Cour semble aisée est plus sujette à discussion.

* 194 Cf. Note 12

* 195 Ibid.

* 196 Cf. Note 12.

* 197 Cf. Note 183.

* 198 Ibid.

* 199 CE, 26 juill. 1985, Req., 42204, ONIC.

* 200 CJCE, 29 nov. 1978, Pigs Marketing Broad, Rec., p.2347.

* 201 CJCE, 16 janv. 2003, Cipra et Kvaniscka, Rec., p.1-00745.

* 202 Cf. Note 183.

* 203 CE, 11 déc. 2006, De Groot et Bejo, n° 234560

* 204 Cass. Civ., 21 déc. 1990, SA Royal, n°88-15744.

* 205 Cf. Note 183.

* 206 Arrêt ELISA, préc.

* 207 CE, ass. 14 déc. 2001, n° 211341, M. de Lasteyrie du Saillant, préc.

* 208 Ibidem.

* 209 CJCE, 11 mars 2004, aff. C-9/02, M. de Lasteyrie du Saillant, préc.

* 210 CE, 10 nov. 2004, n° 211341, M. de Lasteyrie du Saillant, préc.

* 211 Cf. Note183.

* 212 Ibid.

* 213 CJCE, 3 oct. 2006, aff. 475/03, Banca Popolare di Cremona ; Ph. Derouin et Ph. Martin, Droit communautaire et fiscalité: Litec, 2008, p. 817.

* 214 CJCE, 11 oct. 2007, aff. 283/06, Kogaz et aff. 312/06, Otp Garancia Biztosito, Droit fiscal, 18 octobre, 2007, 42, p.6.

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"Qui vit sans folie n'est pas si sage qu'il croit."   La Rochefoucault