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L'incidence des quatre libertés communautaires sur la fiscalité : étude de la jurisprudence récente de la CJCE

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par Mouna EL HIH
Université Toulouse 1 Capitole - Juriste international 2009
  

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Section 2 : Le recul de la souveraineté fiscale des Etats.

Ce recul de la souveraineté fiscale passe notamment par le raisonnement qu'adopte la Cour dans ses arrêts. Celle-ci a en effet une fâcheuse tendance à retourner les justifications avancées par les Etats contre eux-mêmes, ce que l'on peut observer notamment à travers sa jurisprudence récente.

En outre, certains commentateurs estiment que les intérêts étatiques ne sont pas pris en compte par le juge de Luxembourg, qui se borne à faire prévaloir la protection des libertés de circulation et à rejeter systématiquement le motif des pertes fiscales.

Dés lors la logique avec laquelle procède ce dernier semble l'éloigner du rôle d'un juge fiscal ordinaire, soucieux de préserver les intérêts pécuniaires de son Etat. Le caractère a-fiscal de cette juridiction semble toutefois s'expliquer par le raisonnement finaliste qu'elle adopte, qui la guide à n'être attentif qu'aux intérêts du Marché commun.

§1 : La cohérence fiscale inversée et l'absence de prise en considération des intérêts financiers des Etats.

A) La cohérence fiscale inversée et mise au service des libertés

Depuis l'arrêt Bachmann248(*), l'histoire de la cohérence du régime fiscal considérée comme motif de justification d'une discrimination fiscale semblait révolue. Néanmoins, elle a connu une récente évolution et est réapparue sur la scène prétorienne.

Toutefois, la CJCE a su faire preuve d'ingéniosité en manipulant cette justification au gré de ses intérêts puisque la cohérence invoquée par les Etats membres est examinée à la lumière des objectifs poursuivis par les mesures fiscales nationales. Or les Etats ne l'invoquent qu'à travers le prisme de leurs recettes et des impôts dont ils ont la responsabilité. Dés lors cette justification devient aux mains du juge communautaire, une arme redoutable pour condamner les régimes discriminatoires. En effet, en ne prenant en considération que la finalité de la loi interne, le juge arrive à tourner l'argument en la faveur de la liberté à protéger en considérant qu'étendre cet objectif (par exemple éviter la double imposition) à des non-résidents ,ou à un investissement à l'étranger n'affecte d'aucune manière la cohérence même du dispositif fiscal national.

Les arrêts Manninen249(*) et Mark & Spencer250(*) fournissent une bonne illustration en la matière, le premier relativement au problème des doubles impositions et de l'avoir fiscal, le second à celui des pertes.

Dans l'affaire Manninen, se posait la question de savoir ce que l'Etat finlandais devait faire lorsque, corrigeant la double imposition interne, il en existait toujours une, résultant de deux impositions établies par les deux États suédois et finlandais. Ce dernier estimait qu'aucune obligation ne lui incombait. La Cour quant à elle a considéré qu'il y'avait discrimination contraire à la libre circulation des capitaux. Se posait dés lors une seconde question : quel Etat avait pour responsabilité de faire disparaître la double imposition : l'État de la résidence ou l'État de la source ?

L'arrêt Manninen répond clairement au point 49 que c'est à l'État de la résidence, en l'espèce la Finlande, que revient cette responsabilité : « Certes, l'octroi d'un avoir fiscal au titre de l'impôt sur les sociétés dû dans un autre État membre entraînerait, pour la république de Finlande, une réduction de ses recettes fiscales relatives aux dividendes versés par des sociétés établies dans d'autres États membres. Toutefois, il ressort d'une jurisprudence constante que la réduction de recettes fiscales ne saurait être considérée comme une raison impérieuse d'intérêt général pouvant être invoquée pour justifier une mesure en principe contraire à une liberté fondamentale ».

Or, La cohérence fiscale ne dicte-t-elle pas à l'Etat concerné de n'annuler que la double imposition dont il est entièrement responsable, en tant que contrepartie de son droit d'imposer, qui se borne aux frontières fiscales et dont l'unique objectif est l'encaissement des recettes ?

La logique veut en effet que l'on rembourse un impôt perçu, car on a une contrepartie dans l'imposition du revenu qui avait déjà subi cet impôt. Mais pour un non-résident ou un investissement étranger, tel n'est pas le cas. Dés lors, même s'il supprime la double imposition pour ses propres résidents, un Etat ne peut être tenu de le faire pour des non-résidents, ou des investissements externes de ses résidents.

Qui plus est, certains se plaisent à penser qu'il serait plus opportun, d'un point de vue aussi bien économique que fiscal, que ce soit à l'État du lieu de l'investissement de compenser la double imposition plutôt qu'à l'État de résidence 251(*) : « En effet, pour le premier État l'apport de l'actionnaire étranger permet à l'entreprise de se développer (payer des salaires, acheter des biens, régler divers impôts...) ce qui comporte des contreparties. En revanche, l'État de la résidence de l'investisseur n'a que le dividende à imposer. Notons aussi que la compensation serait plus exactement calculée puisque égale à l'IS perçu sur l'entreprise distributrice. »

Or la Cour en invoquant la discrimination contraire à la libre circulation des capitaux, semble faire prévaloir les objectifs que poursuit cette liberté fondamentale ainsi que les intérêts du contribuable sur ceux des Etats membres. Ainsi, la cohérence fiscale n'a pas la même teneur selon que l'on se place du point de vu du juge ou de celui d'un Etat membre.

En effet, l'objectif premier de la Cour est la protection des libertés fondamentales, condition sine qua non à la réalisation d'un Marché intérieur ou libre cours est donné à la concurrence fiscale, alors que l'Etat ne se souci que de son Trésor. Des intérêts opposés ne peuvent que déboucher sur une vision divergente du concept de la cohérence. Or les conséquences ne sont défavorables qu'au dernier de ces deux acteurs, résolument soumis à l'hégémonie de la parole prétorienne de la Communauté.

L'affaire Mark & Spencer avait quant à elle trait aux pertes. Elle a été l'occasion pour la Cour de parvenir au nom de la cohérence fiscale à admettre une imputation, même limitée, de pertes fiscales survenues dans une filiale établie dans un Etat membre, sur les résultats de la société mère située dans un autre membre.

C'est ce qui ressort en effet des points 32 à 34 dudit arrêt : « 32. Un dégrèvement de groupe tel que celui en cause dans l'affaire au principal constitue un avantage fiscal pour les sociétés concernées. En accélérant l'apurement des pertes des sociétés déficitaires au moyen de leur imputation immédiate sur les bénéfices d'autres sociétés du groupe, il confère à celui-ci un avantage de trésorerie. »

« 33. L'exclusion d'un tel avantage en ce qui concerne des pertes subies par une filiale établie dans un autre État membre et qui ne se livre à aucune autre activité économique dans l'État membre de la société mère est de nature à entraver l'exercice par celle-ci de sa liberté d'établissement, en la dissuadant de créer des filiales dans d'autres États membres. »

« 34. Elle constitue ainsi une restriction à la liberté d'établissement au sens des articles 43 CE et 48 CE, en tant qu'elle opère une différence de traitement fiscal entre des pertes subies par une filiale résidente et des pertes subies par une filiale non résidente. »

Or il est clair qu'en vertu du principe de fiscalité territoriale, les bénéfices antérieurs de la filiale non résidente n'ont jamais été imposés dans le pays de résidence de la société mère, et que ses bénéfices futurs éventuels ne le seront jamais non plus.

Certes, les aléas de l'économie ont une année sur l'autre des conséquences plus ou moins favorables sur les résultats d'une entreprise. Telle est d'ailleurs l'une des raisons qui a conduit les Etats à admettre la déduction des pertes, dans l'objectif de ne pas noyer le contribuable en attendant de partager avec lui les bénéfices des années suivantes. Toutefois, mélanger les assiettes nationales et nier les frontières fiscales lorsqu'il s'agit de dépenses supplémentaires pour l'Etat répond-t-il vraiment à l'objectif de cohérence fiscale ?

Le contenu donné à la cohérence par la Cour dans ces décisions, alors qu'elle se trouve en présence de cas impliquant des impositions ou des régimes fiscaux de plusieurs pays distincts, tend en effet à faire confondre les assiettes des Etats, et par conséquent à vider de tout sens le principe assidûment rappelé par le juge dans l'ensemble des arrêts : « la fiscalité directe relève de la compétence des États membres ».

En ne mesurant la cohérence qu'au niveau du dispositif en cause, la Cour retourne cette justification contre les Etats ce qui pour certains, « relève du tour de passe-passe et -la Cour- s'égare dangereusement dans la zone de la mauvaise foi sauf à dénier à la fiscalité son but premier qui est financier. »252(*)

L'opinion exprimée à la fin du paragraphe 60 par l'avocat général dans l'affaire Marks & Spencer est elle aussi riche en enseignements : « Or, il n'est ni de l'intention ni de la vocation du droit communautaire de remettre en cause les limites inhérentes à tout pouvoir fiscal ou de troubler l'ordre de répartition des compétences fiscales entre États membres. Rappelons que, faute d'harmonisation communautaire, la cour n'a pas compétence pour s'ingérer dans la conception et l'organisation des systèmes fiscaux des États membres. » 

Toutefois, elle laisse quelque peu perplexe quand on lit deux paragraphes plus loin : « Dans ces conditions, le Royaume-Uni ne saurait soutenir que l'octroi d'un avantage fiscal est soumis à l'existence d'un pouvoir d'imposition correspondant et à la possibilité d'en retirer un bénéfice ». 253(*)

De plus, et lorsqu'on se penche sur le paragraphe 76 en fin des conclusions sous Marks & Spencer, et que l'on y lit qu'« Une justification tirée de la cohérence du régime de dégrèvement ne saurait être admise que si les pertes étrangères peuvent faire l'objet d'un traitement équivalent dans l'État de source de ces pertes », on ne peut que constater le mélange total qui est fait entre cohérence et transfrontaliérité, le traitement fiscal des pertes dans un pays donné pouvant dépendre de celui plus restrictif établi dans un autre et ce, pour respecter la cohérence du régime plus favorable établi dans le premier pays.

C'est à se demander si l'existence de la frontière fiscale n'est pas soumise à l'humeur de la Cour...

Il nous semble in fine logique de reconnaître la cohérence fiscale à un régime national qui ne souhaite pas prendre en charge, déduire, rembourser ou compenser une imposition perçue par un autre État. En effet, si une différence de traitement fiscal peut en résulter par rapport à celui des résidents ou des investissements réalisés dans le pays, celle-ci n'est aucunement le fruit d'un acte unilatéral et volontaire dans le but de discriminer. Il ne s'agit que de l'effet mécanique du principe fiscal de territorialité, à savoir d'un pouvoir fiscal national, limité à un territoire tout comme les dépenses publiques qu'il se doit de financer.

Il apparaît dés lors contestable que cette différence soit condamnée au nom d'une liberté fondamentale, sauf à modifier les limites des territoires et du pouvoir fiscaux et d'entraîner des transferts de charges fiscales entre États membres, ce qui n'est guère prévu pour l'instant par les normes communautaires.

B) Des Etats non considérés comme parties à part entière au litige : le motif des pertes fiscales systématiquement rejeté par la Cour.

Il est établit une jurisprudence constante de la CJCE selon laquelle le motif des pertes des recettes fiscales, avancé par un Etat membre en vue de justifier un régime fiscal jugé incompatible avec les exigences des libertés fondamentales n'est pas recevable.

En témoigne le point 49 de l'arrêt Manninen : « Certes, l'octroi d'un avoir fiscal au titre de l'impôt sur les sociétés dû dans un autre État membre entraînerait, pour la république de Finlande, une réduction de ses recettes fiscales relatives aux dividendes versés par des sociétés établies dans d'autres États membres. Toutefois, il ressort d'une jurisprudence constante que la réduction de recettes fiscales ne saurait être considérée comme une raison impérieuse d'intérêt général pouvant être invoquée pour justifier une mesure en principe contraire à une liberté fondamentale »254(*).

La lettre de l'arrêt ne saurait être plus explicite. L'argument de la réduction des recettes fiscales est écarté de manière péremptoire par la CJCE qui ne semble définitivement pas se préoccuper des intérêts financiers des Trésors publics dans les litiges auxquels les Etats sont parties. Il est indéniable que l'indépendance du Juge communautaire lui interdit toute adaptation de sa décision selon la situation pécuniaire dans laquelle se trouve l'Etat condamné.

Néanmoins, la nature même de la fiscalité supposerait une logique différente à adopter par le juge communautaire lorsqu'il doit connaître de litiges en ce domaine. En effet, le droit fiscal n'en en aucun cas un droit neutre. Son unique but étant d'assurer le financement des dépenses publiques, la relation qui en découle entre les parties concernées, à avoir le contribuable face à l'Etat ne saurait être placée sous le signe de l'égalité. Les prérogatives de la puissance publique font en effet pencher la balance juridique en faveur de l'acteur étatique.

Dés lors, ce déséquilibre inhérent à la nature de la fiscalité devrait peut être demeuré dans l'esprit du Juge communautaire, du moins pour certains255(*). Il faut préciser qu'il n'est aucunement suggéré au juge communautaire d'accepter a priori l'argument « réduction de recettes fiscales ». Toutefois, un examen de cette justification, visant à déterminer l'origine de la différence, à savoir la double-imposition ou la perte fiscale qui serait subie en cas de condamnation, ne saurait pas de refus pour la plupart des Etats, si ce n'est pour tous.

Cette différence résulterait-elle d'une mesure nationale jugée non-conforme ? Si c'est le cas, nul doute qu'une condamnation par la Cour serait légitime. Mais si cette différence provenait d'une charge fiscale née en dehors du pays en cause, ou de la taxation d'un élément sortant de son territoire, un examen plus poussé par le juge serait indispensable.

Or, la Cour de Luxembourg semble ne jamais y procéder256(*), alors que cela pourrait affecter le sens de la décision rendue. Toutefois, et même si la CJCE s'emploi à faire une analyse très approfondie de deux situations, par exemple celle du résident et du non-résident, ou de l'investissement fait sans le pays et celui fait hors du pays, elle ne prend pas en compte la situation de l'Etat membre en cause, qui apparaît dés lors inexistant du moins à ce stade du raisonnement.

Cette exclusion de la prise en compte de l'Etat apparaît qui plus est au point 45 de l'arrêt Manninen précité ou la Cour ne semble vouloir appliquer les principes de libertés du Traité de Rome que du point de vue du contribuable : « La seule différence consiste en ceci que la double imposition résulte, dans un cas, de l'imposition par le même État, alors que, en cas de versement transfrontalier de dividendes, elle résulte de l'imposition par deux États. Mais cette différence n'a d'importance ni du point de vue de l'investisseur ni du point de vue de l'entreprise qui souhaite collecter des capitaux ».

Quant au point 29 du même arrêt, il semble que le paragraphe 3 de l'article 58 TCE relatif à la libre circulation des capitaux vide, aux yeux de la Cour, de tout effet le paragraphe 1-: « Il y a donc lieu de distinguer les traitements inégaux permis au titre de l'article 58, paragraphe 1, sous a), CE des discriminations arbitraires interdites par le paragraphe 3 de ce même article. Or, il ressort de la jurisprudence que, pour qu'une réglementation fiscale nationale telle que celle en cause au principal, qui, dans le chef d'une personne assujettie à l'impôt à titre principal dans l'État membre concerné, opère une distinction entre les revenus de dividendes nationaux et ceux de dividendes étrangers, puisse être considérée comme compatible avec les dispositions du Traité relatives à la libre circulation des capitaux, il faut que la différence de traitement concerne des situations qui ne sont pas objectivement comparables ou soit justifiée par une raison impérieuse d'intérêt général, telle que la nécessité de sauvegarder la cohérence du régime fiscal. En outre, pour être justifiée, la différence de traitement entre différentes catégories de dividendes ne doit pas aller au-delà de ce qui est nécessaire pour que l'objectif poursuivi par la réglementation en cause soit atteint ».

L'appréciation de la situation fiscale se fait ici sans la prise en compte de l'Etat ou des Etats responsables. Considéré que la situation des contribuables est comparable est tout à fait envisageable. Toutefois, envisager que la correction de la double imposition revienne au même dans les deux cas est quelque peu exagéré. La situation n'est pas tout à fait la même quand la double imposition naît dans le même Etat et quand elle résulte d'impositions établies par deux Etats membres différents.

Il apparaît donc que la mise à l'écart de l'Etat dans les considérations faites par la Cour des situations fiscales soit avérée. Les effets qui en découlent sont importants pour les Etats puisque que cela les conduit à essuyer des pertes de recettes.

* 248Arrêt Bachmann, préc.

* 249Arrêt Manninen, préc.

* 250Arrêt Mark & Spencer PLC, préc.

* 251 Cf. Note 222.

* 252 Cf. Note 222.

* 253 Cf. Note 222.

* 254Arrêt Manninen, préc.

* 255 Cf. Note 222.

* 256 Ibid.

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