WOW !! MUCH LOVE ! SO WORLD PEACE !
Fond bitcoin pour l'amélioration du site: 1memzGeKS7CB3ECNkzSn2qHwxU6NZoJ8o
  Dogecoin (tips/pourboires): DCLoo9Dd4qECqpMLurdgGnaoqbftj16Nvp


Home | Publier un mémoire | Une page au hasard

 > 

L'incidence des quatre libertés communautaires sur la fiscalité : étude de la jurisprudence récente de la CJCE

( Télécharger le fichier original )
par Mouna EL HIH
Université Toulouse 1 Capitole - Juriste international 2009
  

précédent sommaire suivant

Bitcoin is a swarm of cyber hornets serving the goddess of wisdom, feeding on the fire of truth, exponentially growing ever smarter, faster, and stronger behind a wall of encrypted energy

§2 : Une situation antinomique entre la logique fiscale et celle du juge communautaire.

A) Une logique fiscale quasi-inexistante dans la jurisprudence du Juge du Luxembourg.

Le caractère de juge suprême de la CJCE a des conséquences d'une importance capitale sur la fiscalité des Etats membres, du fait du caractère intégré du droit communautaire dans le corps normatif national, mais aussi en vertu du principe de primauté si caractéristique du droit de la Communauté.

En effet, la fiscalité, qui est le réceptacle de la mutation des éléments affectant une société (l'économie, les moeurs, les autres droits...) et dont les principes fondateurs évoluent au contact des fiscalités des autres Etats, ne peut que difficilement obéir à des principes immuables et absolus tels que les libertés fondamentales proclamées par le Traité CE.

Le dynamisme de la fiscalité, et le statisme des principes communautaires sont par essence antinomiques. Nul doute alors que l'application de ce droit à une matière aussi spécifique que la fiscalité écarte le juge de Luxembourg d'un juge fiscal traditionnel.

Il est bien établi dans le droit français que lorsqu'une décision d'un tribunal fiscal tranche un cas individuel, « le législateur adapte le dispositif législatif soit pour s'aligner sur la décision du juge, soit pour établir une rédaction des textes contraire à celle-ci, soit enfin pour retenir une formule intermédiaire. »257(*)Seuls les textes dits lois interprétatives, qui consistent en la réécriture d'un texte, en affirmant qu'il a dès son origine voulu dire ce que l'on lui fait dire aujourd'hui sont condamnables. Mais aujourd'hui ils n'ont presque plus cours.

Or le juge de la Communauté limite la marge de manoeuvre des États membres et ne leur laisse en général le choix qu'entre deux solutions : supprimer le dispositif condamné, ou étendre aux situations ou contribuables discriminés le dispositif national favorable. Cela s'explique simplement par le fait qu'il « n'existe pas, en pratique, de législateur pouvant établir un dispositif autre, s'inspirant de la décision CJCE ou la modifiant. »258(*)

Certains estiment qu'en la situation actuelle du droit fiscal européen, mais aussi au regard de sa qualité de juge suprême, la Cour devrait « pondérer » ses décisions, qui peuvent présenter plus d'inconvénients que d'avantages aux Etats membres.

Le raisonnement adopté par la Cour dans ses arrêts est illustratif de ce constat : elle d'abord constate une situation. Puis elle l'analyse, et si elle la trouve discriminatoire, elle prononce la condamnation de l'État du fait de la contrariété de son régime avec les libertés fondamentales. Toutefois, elle ne dit pas à l'État ce qu'il doit faire.

Ces derniers n'ont alors guère le choix : soit ils font disparaître la mesure pour l'avenir, et indemnisent s'il y a lieu pour le passé, soit ils étendent ou modifient leur régime national pour qu'il soit profitable aussi aux non-résidents, aux investissements ou entités étrangers. Cet état des choses pousse certains à qualifier alors la Cour d'« a-fiscale » dans ses décisions, de même que la méfiance qu'elle témoigne vis-à-vis des conventions fiscales, instrument de progrès dans les relations internationales qui en substituant le droit au pouvoir discrétionnaire, éliminent nombre de doubles impositions et concourent à une certaine harmonisation mondiale.

Autre élément qui permet de déceler en la Cour, une volonté de protection prépondérante des les libertés communautaires au détriment de la fiscalité des Etats, est sa préoccupation de comparer des situations pour y déceler ou non de la discrimination, qui parfois, au regard de certains, lui fait faire des « sorties de route fiscale »259(*). L'arrêt Cadbury Schweppes du 12 septembre 2006260(*) en fournit une illustration. Ici la Cour a condamner les règles CFC britanniques unilatérales en jugeant qu'elles étaient clairement contraires à la liberté d'établissement et discriminatoires.

Toutefois, elle semble avoir attaché une importance capitale à un argument exposé aux points 44 et 45 de l'arrêt, qui nous laisse certains, pour ainsi dire « pantois » :

« En effet, lorsque la société résidente a constitué une SEC [société étrangère contrôlée] dans un État membre dans lequel celle-ci est soumise à un niveau inférieur d'imposition au sens de la législation sur les SEC, les bénéfices réalisés par une telle société contrôlée, sont, en vertu de cette législation, attribués à la société résidente, qui est imposée sur ces bénéfices. En revanche, lorsque la société contrôlée a été constituée et est imposée au Royaume-Uni ou dans un État dans lequel elle n'est pas soumise à un niveau inférieur d'imposition au sens de ladite législation, cette dernière n'est pas applicable et, conformément à la législation du Royaume-Uni relative à l'impôt sur les sociétés, la société résidente n'est pas, dans de telles circonstances, imposée sur les bénéfices de la société contrôlée ».

« Cette différence de traitement crée un désavantage fiscal pour la société résidente à laquelle la législation sur les SEC est applicable... il n'en demeure pas moins que, en application d'une telle législation, cette société résidente est imposée sur des bénéfices d'une autre personne morale. Or, tel n'est pas le cas d'une société résidente ayant une filiale imposée au Royaume-Uni ou dont la filiale établie en dehors de cet État membre n'est pas soumise à un niveau inférieur d'imposition ».261(*)

Cet argument a été source de perplexité pour différentes raisons : Tout d'abord, remonter un résultat étranger sous-imposé pour le taxer au taux britannique constitue certes un désavantage. Toutefois, la même remontée au sein d'un même pays, entre sociétés-mères et filiales, constitue non pas un désavantage mais bien un avantage, ne serait-ce que par la compensation des bénéficies et des déficits. Le fait que la quasi-totalité des entreprises sollicitent la mise en place d'un régime de fiscalité de groupe, que les États membres soit refusent, soit soumettent ces régimes uniquement nationaux d'ailleurs, à des conditions élevées de participation (95 % en France, 50 à 75 % dans d'autres États tels que l'Allemagne ou le Royaume-Uni) ne fait que conforter cette analyse.

Dés lors, on se demande si l'arrêt avait besoin d'un tel argument formel, alors que la privation de l'avantage fiscal dû au choix de la localisation portait clairement atteinte à la liberté d'établissement.

Pour certains, « la CJCE cherche si assidûment à démontrer l'existence de différences de traitement entre résidents et non-résidents établies par une loi nationale et qui ne peuvent donc, par définition, qu'être discriminatoires qu'elle finit par en voir même là où il n'y en a pas! » Elle ne peut dés lors « faire plus parfait contresens fiscal en prenant l'apparence pour la réalité. »263(*)

B) Un juge guidé par une logique téléologique tendant à assurer une application uniforme du droit communautaire.

Le juge communautaire est avant tout le gardien institutionnel des traités. Son action est de ce fait indifférente quant au rendement de l'impôt, aux conséquences budgétaires ou techniques de sa jurisprudence.

Ainsi, la logique qu'adopte la CJCE dans certaines de ses décisions, et qui la pousse à raisonner comme si la Communauté formait une seule zone fiscale au sein de laquelle les transferts seraient cohérents et neutres, la mène à faire en quelque sorte « du fédéralisme avec des impôts nationaux ». Toutefois, elle ne pourrait agir ainsi que pour un impôt communautaire. Or, le temps ne semble pas encore venu pour une telle avancée, comme en témoigne le rapport du Parlement européen de mars 2007 sur l'avenir des ressources propres de l'Union européenne264(*).

Les méthodes d'interprétation spécifiques adoptées par la Cour de Justice, demeurent de puis sa création essentiellement les mêmes.

En effet, elle analyse les textes à interpréter dans leur contexte, sans faire référence aux textes préparatoires ni s'intéresser à la situation particulière des Etats. Cela s'explique car seul l'ordre juridique communautaire est sa préoccupation. Dés lors la méthode de raisonnement qu'elle s'est choisie est celle de l'analyse finaliste265(*), à savoir la recherche des buts des dispositions du TCE, et notamment celles relatives aux libertés de circulation.

L'arrêt Van Gend en Loos de 1963266(*) a été l'occasion pour le juge de Luxembourg de dégager

La théorie de l'effet utile, et de poser le principe de l'effet direct des traités fondateurs. En effet, « l'objectif du traité CEE étant d'instaurer un marché commun dont le fonctionnement intéresse directement les justiciables de la Communauté, le droit communautaire est notamment destiné à engendrer des droits qui entrent dans le patrimoine juridique des particuliers de sorte que ses dispositions (ou certaines d'entre elles) produisent des effets immédiats et engendrent des droits individuels que les juridictions internes doivent sauvegarder. »267(*)

La CJCE déduit donc du traité des principes généraux de l'ordre juridique communautaire, ayant la même force juridique que ces derniers. On peut citer à titre d'exemple les principes de proportionnalité, de sécurité juridique, d'égalité et de non-discrimination, que l'on retrouve dans l'ensemble de la jurisprudence communautaire, notamment celle ayant trait à la fiscalité.

En élaborant des notions autonomes de droit communautaire, l'objectif de la Cour de Luxembourg est clairement de permettre une application uniforme de ce droit, mais aussi de « limiter le pouvoir d'appréciation des Etats membres pour la mise en oeuvre des conditions prévues par »268(*) la norme communautaire.

Tel est par exemple le cas en matière de TVA, qui est un impôt largement encadré par le droit communautaire, et pour lequel la CJCE a malgré tout développé une jurisprudence riche et régulière, estimant que « l'assujettissement à la TVA d'une opération déterminée ou son exonération ne sauraient dépendre de sa qualification en droit national »269(*).

En effet, la Cour a affirmé dans un arrêt de principe du 26 mai 2005 que les notions employées dans la 6ème directive du 17 mai 1977, remplacée depuis par la directive 2006/112 du 28 novembre 2006, sont des « notions autonomes de droit communautaire et non des notions de droit interne »270(*), ayant pour but d' « éviter les divergences dans l'application du régime de la TVA d'un Etat membre à l'autre 271(*)».

Qui plus est, lorsque la CJCE se trouve face à une carence de notion autonome, celle-ci se borne à faire application de sa méthode finaliste, et à interpréter la disposition communautaire ayant trait à la TVA « à la lumière du contexte dans lequel elle s'inscrit, des finalités et de l'économie de cette directive, en tenant particulièrement compte de la ratio legis de l'exonération qu'elle prévoit »272(*).

Cette action menée par la Cour en vue d'assurer une application uniforme de la règle communautaire peut dés lors heurter les conceptions retenues par les juridictions des Etats membres273(*). Tel est le cas pour le Conseil d'Etat en France, notamment en ce qui concerne les sociétés concessionnaires de construction et d'exploitation d'autoroutes. Ce dernier a affirmé dans un avis en date du 6 juillet 1994274(*) que les dites sociétés, étant chargées de l'exécution d'un service public, sont soumises au règles de droit public et n'exercent pas de profession de nature commerciale.

Or, la CJCE a donné à la notion de la location un contenu autonome, sans daigner tenir compte de la qualification retenue par les parties, faisant prévaloir une nouvelle fois encore la logique téléologique puisque « faute de définition, expresse dans la directive, la Cour se réfère à la finalité de l'exonération pour définir la location ».275(*)

Dés lors, et si l'action de la CJCE est aussi importante dans un domaine harmonisé tel que la TVA, nul doute que la fiscalité directe, dont l'encadrement est organisé à partir des quatre libertés communautaires, soit elle aussi impactée par des notions autonomes du juge de Luxembourg.

L'hégémonie de la CJCE tend donc aussi à influencer les relations internationales des Etats membres, et non seulement leurs ordres juridiques internes. Cela est notamment du à la logique purement finaliste adopté par le juge, mué par la volonté de faire respecter les quatre libertés, et non pas par celle de préserver les fiscalités des Etats membres, dont la souveraineté fiscale semble se réduire au fil des années comme une peau de chagrin.

* 257 Cf. Note 222.

* 258 Ibid.

* 259 Ibid.

* 260 Arrêt Cadbury Schweppes et Cadbury Schweppes Overseas, préc.

* 261 Cf. Note 222.

262 Arrêt Cadbury Schweppes et Cadbury Schweppes Overseas, préc.

* 263 Cf. Note 222.

* 264 Cf. Note 222.

* 265 T. LAMBERT, « L'influence de la jurisprudence communautaire sur le contentieux fiscal : le cas de France », Revue du Marché commun et de l'Union européenne 2008, juillet-août 2008, n°520, pp. 461-469.

* 266 CJCE, 5 février 1963, aff 26/62, Van Gend en Loos ; Ph. Derouin et Ph. Martin, Droit communautaire et fiscalité: Litec, 2008, p. 4.

* 267 Ibid.

* 268 D. BLAISE, «  De l'utilité de la ``notion autonome du droit communautaire'' en droit fiscal », Bulletin fiscal Francis Lefebvre, 2007, n°3, pp.214-216.

* 269 CJCE, 11 janvier 2001, aff. 79/99 Commission c/ France, RJF, 2001, 4, comm. 575.

* 270 CJCE, 26 mai 2005, Kingrest Associates Ltd c/ Commissioners of Customs & Excise, Revue de Jurisprudence fiscale, 2005, 8-9, comm. 984.

* 271 Arrêt Skandia, préc.

* 272 CJCE, 3 mars 2005, aff. 428/02, Fonden Marseliborg Lystadehavn, Revue de jurisprudence fiscale, 2005, 5 comm. 517.

* 273 Cf. Note 259.

* 274 CE, avis 6 juillet 1994, req. 156708, Sté des autoroutes du nord et de l'est de la France, Revue de jurisprudence fiscale, 1994, 10, comm. 1084.

* 275 Cf. Note 260.

précédent sommaire suivant






Bitcoin is a swarm of cyber hornets serving the goddess of wisdom, feeding on the fire of truth, exponentially growing ever smarter, faster, and stronger behind a wall of encrypted energy








"Je voudrais vivre pour étudier, non pas étudier pour vivre"   Francis Bacon