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L'incidence des quatre libertés communautaires sur la fiscalité : étude de la jurisprudence récente de la CJCE

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par Mouna EL HIH
Université Toulouse 1 Capitole - Juriste international 2009
  

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§2 : L'Examen de l'existence de la contrariété de la mesure nationale à l'une des libertés du Traité

A) La sélection des dispositions communautaires pertinentes ou la question de l'articulation des libertés

Il est possible que plusieurs dispositions du Traité soient invoquées a l'encontre d'une même mesure fiscale nationale. C'est alors que plusieurs questions préliminaires devront être résolues par le juge communautaire.

La première est certainement celle relative à l'application cumulative de ces normes. En effet, une illicéité communautaire suffit à condamnée une mesure, nulle besoin que sa contrariété soit démontrée à l'encontre de toutes les dispositions. En revanche, la compatibilité communautaire de la règle fiscale nationale à l'ensemble des articles pertinents du Traité est une condition sine qua non à sa licéité62(*). Dés lors, une application cumulative se révèle possible63(*).

Toutefois, lorsqu'une telle hypothèse ne peut se vérifier, c'est-à-dire lorsque les articles invoqués ne peuvent voir leurs champs d'intervention se recouper de façon à ce qu'une application cumulative soit possible, un choix devra être fait quant à la base juridique que l'on souhaite retenir, pour procéder à l'examen de la compatibilité de la mesure nationale avec le droit communautaire.

Il faudra alors se référer aux critères posés respectivement dans chaque article. Il serait logique de penser que ces critères se révèleront distincts, et qu'en vertu du principe exposé plus haut, qui veut qu'une mesure nationale se doive de respecter l'ensemble des dispositions du Traité pour ne pas être déclarée illicite, la règle nationale sous examen qui n'entrerait pas dans le champ d'application d'un article devrait toutefois respecter les obligations posées par d'autres articles dont elle satisferait les conditions d'application.

Nonobstant, la récente jurisprudence de la Cour semble-nous inviter à tempérer ce raisonnement. En effet, plusieurs arrêts récents, et malgré le fait qu'ils ne s'inscrivent pas dans une jurisprudence constante de la Cour, posaient la question de savoir si une législation nationale ayant une incidence sur l'exercice par une société résidente de ses droits de société emprunteuse filiale d'une société d'Etat tiers64(*), ou par un investisseur de ses droits d'actionnaire percevant des dividendes de filiales établies dans un Etat tiers65(*), tombait sous l'empire du seul article sur la liberté d'établissement ou pouvait être aussi examinée à l'aune de la libre circulation des capitaux. La question pour être pertinente présume évidemment que les critères définis par les articles en cause sont remplis.

Il convient de noter la particularité de la problématique posée dans ces arrêts, puisque seule la liberté de circulation des capitaux couvre les relations entre les Etats tiers ce qui n'est pas le cas de la liberté d'établissement.

S'agissant des investissements dans les sociétés, qui sont suceptibles de concerner aussi bien l'article 56 TCE que 43 TCE, la Cour relève dans l'arrêt Holbôck que l'acquisition de parts sociales dans le capital social d'une société répond à la définition de l'«investissement direct » telle que retenue par la nomenclature de la directive 88/361/CEE66(*), qui détermine le champ de l'article 56 TCE.

Néanmoins, le juge communautaire avait déjà considéré que l'acquisition d'actions d'une société permettant d'exercer une influence certaine sur les décisions de cette dernière est l'un des modes d'exercice de la liberté d'établissement67(*)

Ainsi, plusieurs idées peuvent être déduites de cette jurisprudence : dés lors que l'acquisition de parts sociales ne permettrait pas d'exercer une influence sur les décisions de l'entreprise en question, la liberté d'établissement serait évacuée au profit de la libre circulation des capitaux. A l'inverse, lorsque l'investissement en actions permettrait d'exercer une telle influence, les deux articles seraient a priori applicables.

La Cour se contenterait alors d'appliquer la liberté d'établissement du moment qu'elle suffirait à révéler la contrariété de la règle nationale, et se passerait aisément de la libre circulation des capitaux dés lors qu'une seule base légale est suffisante pour sa démonstration.

L'arrêt Lasertec68(*) permet d'illustrer cette dernière idée, notamment dans ses points 23 et 24 : « 23.  En outre il ressort de la décision de renvoi que Lasertec, société prêteuse, détient les deux tiers du capital social de la requérante, société emprunteuse. Une telle participation confère incontestablement à Lasertec une influence déterminante sur les décisions et les activités de la requérante (V., par analogie, arrêt Test Claimants in the Thin Cap Group Litigation, préc., pt 32.)

24. Il s'ensuit que la présente affaire relève du champ d'application matériel des seules dispositions du traité relatives à la liberté d'établissement ».

Pour certains, une telle affirmation par la Cour est plus que contestable.69(*) Elle serait tout d'abord contraire à l'article 56 §1 TCE, tel qu'interprété à la lumière de la Directive 88/361/CEE précitée, puisque celle-ci comporte dans son champ d'application tous les investissements directs qu'ils confèrent ou non une influence déterminante sur les décisions de l'entreprise.

De plus, l'argument qu'elle avancerait dans son arrêt ne serait pas pertinent. La Cour précise en effet qu'« à supposer que la mesure nationale en cause au principal ait, comme le soutient la requérante, des effets restrictifs à la libre circulation des capitaux, de tels effets seraient la conséquence inéluctable de l'entrave à la liberté d'établissement telle que constatée par la Cour dans l'arrêt du 12 décembre 2002, Lankhorst-Hohorst (aff. C-324/00, Rec. I-1179), et ils ne justifient pas un examen de ladite mesure au regard des articles 56 CE à 58 CE. »

Néanmoins, il apparaîtrait que cette assertion n'est nullement confirmée par l'arrêt Lankhorst-Hohorst, où la question de la libre circulation des capitaux ne serait d'ailleurs pas étudiée. Certes la jurisprudence citée par la Cour indique-t-elle que le fait qu'une législation nationale tombe sous le coup de la liberté d'établissement ne justifie pas l'examen indépendant de celle-ci au regard de la libre circulation des capitaux.

Cependant, affirmer que les effets sur la libre circulation ne peuvent être que « la conséquence inéluctable » de la contrariété à la liberté d'établissement revient simplement à dire, d'une façon que certains commentateurs qualifient de « maladroite»70(*), que lorsqu'une législation nationale cause effectivement une entrave à la liberté d'établissement, nul besoin de l'examiner une nouvelle fois au regard d e la libre circulation des capitaux.

Qui plus est, considérer que l'entrave à la libre circulation des capitaux n'est que la conséquence de la contrariété opposée à la liberté d'établissement serait erroné. Si en effet la mesure nationale est source d'un désavantage fiscal pour les investissements en provenance d'autre Etats membres, l'incidence principale portera sur le mouvement de capital lui-même. Quant à la conséquence sur l'objectif d'un tel investissement, qui serait par exemple d'obtenir un pouvoir de contrôle sur l'entreprise dans laquelle cet investissement est réalisé, elle ne saurait être que la résultante de la conséquence principale, qui est la dissuasion des investissements étrangers dans l'Etat membre d'imposition.

A l'inverse, si on considère qu'il n'y'a pas d'entrave à la liberté d'établissement, l'éventuelle incidence de la réglementation fiscale nationale ne pourrait être la « conséquence inéluctable » de quelque chose qui n'existe pas. Or le raisonnement adopté par la Cour dans l'affaire Lasertec n'a pas manqué d'en surprendre plus d'un : alors qu'elle avait admis que l'application de la liberté d'établissement évinçait celle de l'article 56 TCE, puis relevé que la loi nationale ne constituait pas en l'espèce une entrave, on pouvait espérer qu'elle réintroduise l'examen de la libre circulation des capitaux dans son raisonnement, au moins pour vérifier si la loi nationale entre dans son champ d'application. Le juge communautaire retiendra finalement la solution inverse71(*), pour ensuite la tempérer quelques jours plus tard dans l'arrêt Holbôck.

Il s'agissait ici d'une question similaire : un actionnaire d'une société établie dans un pays tiers se voyait refuser l'avantage fiscal accordé aux actionnaires de société résidentes qui se trouvaient dans la même situation. Après avoir jugé, comme dans les cas précédents, que la liberté d'établissement, malgré quelle soit applicable, ne condamne pas les restrictions concernant l'établissement dans un pays tiers, le juge communautaire n'en a pas pour autant exclu l'examen de la législation litigieuse au regard de la libre circulation des capitaux.

Certes, il n'a pas admis de manière claire que l'article 56 TCE était applicable, après avoir évacué l'article 43 TCE de son analyse. Toutefois il a décidé de raisonner comme s'il pouvait s'appliquer, et a justifié son choix par le fait que la loi en cause n'avait pas « vocation à s'appliquer aux seules participations permettant d'exercer une influence certaine sur les décisions d'une société et de déterminer les activités de celle-ci ».

Néanmoins, et même si la législation en cause ne visait pas spécialement un montant de participation pour accorder l'avantage fiscal, c'est la situation de la société Lasertec elle-même qui par le montant de sa participation, la faisait tomber sous le coup de l'article 43 TCE.

En tout état de cause, le champ d'application de l'article 56 § 1 TCE éclairé par les dispositions de la Directive 88/361/CEE précitée, inclut aussi bien la prise de participations (de quelque montant que ce soit) dans des entreprises nouvelles ou existantes, que le paiement des dividendes qui en découle. D'autre part, il est opportun de relever que la Cour admet que selon les notes explicatives de ladite Directive, les investissements visés par l'article 56 §1 TCE sont ceux qui permettent de créer ou de maintenir des relations durables entre la société et l'actionnaire. Cela présupposerait que les actions que détient l'associé lui donnent la possibilité de participer effectivement à la gestion de cette société ou à son contrôle72(*).

Or, si les prises de participations qui relèvent de l'article 56 TCE sont de nature à conférer à leur titulaire un pouvoir de gestion ou de contrôle sur la société, pourquoi seraient-elles différentes de celles qui relèvent de la liberté d'établissement ? En effet, il serait peut être plus simple d'admettre que l'article 56 TCE est applicable à tous les investissements qui n'entrent pas dans le champ de l'article 43 TCE.

Certes une telle solution aurait des conséquences importantes, comme la réintégration des relations Etat membre/Etat tiers dans le cadre de l'examen de la compatibilité communautaire de la règle nationale, mais cela n'aurait pas automatiquement pour incidence le constat de l'existence d'une entrave. Ainsi dans l'affaire Holbôck, la CJCE avait affirmé que l'article 57 §1 TCE permettait à la législation litigieuse d'échapper à toute condamnation. Ce dernier dispose « L'article ne porte pas atteinte à l'application, aux pays tiers, de restrictions existant le 31 décembre 1993 en vertu du droit national ou du droit communautaire en ce qui concerne les mouvements de capitaux à destination ou en provenance de pays tiers lorsqu'ils impliquent des investissements directs... ».

En l'espèce la Cour a pu juger que la législation autrichienne pouvait bénéficier de l'exonération prévue par l'article 57 TCE, dés lors que la mesure fiscale tirait son origine d'une loi de 1988, modifiée en 1993 puis en 1996.

Il convient tout de même d'apporter deux réserves. S'agissant d'abord de la clause de stand still73(*) de l'article 57 § 1 TCE, celle-ci n'exonère que les législations nationales antérieures au 31 décembre 1993 de la condamnation de l'article 56 TCE. En tant que mesure dérogatoire à une interdiction, elle ne peut faire l'objet que d'une interprétation stricte.

Or, dans l'affaire Holbôck la législation autrichienne de 1988, avait était modifiée en 1996. La Cour a considéré qu'il ne s'agissait en l'espèce que d' « adaptations structurelles » et que « toute mesure adoptée postérieurement à une date ainsi fixée, n'est pas, de ce seul fait, automatiquement exclue du régime dérogatoire instauré par l'acte communautaire en cause. En effet, une disposition qui est, dans sa substance, identique à la législation antérieure ou qui se borne à réduire ou supprimer un obstacle à l'exercice des droits et des libertés communautaires figurant dans la législation antérieure bénéficie de la dérogation. En revanche une législation qui repose sur une logique différente de celle du droit antérieur et met en place des procédures nouvelles ne peut être assimilée à la législation existante à la date retenue par l'acte communautaire en cause (V. arrêts préc. Konle, pts 52 et 53, ainsi que Test Claimants in the FII Group Litigation, pt 192) »74(*)

Enfin, toutes les réglementations des Etats membres ne remontant évidemment pas à 1993, les dispositifs fiscaux prévoyant un régime discriminatoire en défaveur des placements et de leurs revenus dans des Etats tiers, seront probablement les prochaines à entrer dans la ligne de mire de la Cour.

Le choix de la base juridiques effectué, la prochaine étape dans l'approche prétorienne est la qualification de la contrariété au droit communautaire.

B) Le choix de la qualification : discrimination ou entrave ?

Le choix de la qualification est l'étape suivante dans le cheminement intellectuel que suit la CJCE dans sa jurisprudence. En effet, après avoir comparé les situations en cause et sélectionné la norme pertinente, le juge communautaire procèdera à la qualification de l'infraction et déterminera en quoi le dispositif national contrevient aux exigences communautaires. Pour ce faire, il prendra appui sur les constations faites lors des deux précédentes étapes. La qualification se fait en effet au regard du contenu de la base juridique retenue ainsi que de la comparaison des situations en cause.

Malgré l'apparente simplicité d'une telle démarche, l'analyse du raisonnement de la Cour n'est pas sans susciter quelques interrogations.

Tout d'abord, il convient de noter que la Cour fait une appréciation différente selon liberté concernée, et selon que la personne soit de nature physique ou morale, ce qui nous conduit inéluctablement à identifier différentes situations.

Ainsi on relèvera une particularité en matière de libre prestation de services. Celle-ci se distingue de part ses modalités d'exercice puisqu'elle est souvent combinée avec les autres libertés du Traité75(*).Qui plus est, le choix du vocabulaire de la Cour varie lui-même dans le cadre de cette liberté, puisque les clients seront considérés comme victimes de discrimination, alors que les prestataires seront considérés comme subissant une entrave à l'exercice de leur activité.

La libre circulation des capitaux se distingue elle aussi non pas par la singularité de son mode d'exercice, mais plutôt pour des raisons juridiques. Elle a en effet une histoire prétorienne plus récente que celle des autres libertés, et le juge communautaire s'est pendant longtemps abstenu d'y recourir dans l'examen de la conformité d'une mesure nationale, la liberté d'établissement étant un outil suffisamment efficace pour atteindre la solution recherchée.

Ce n'est qu'après la consécration de la portée fiscale de cette liberté76(*) que le juge communautaire s'est tourné vers elle, pour en faire application lorsque la situation le permettait.

Outre la différenciation que l'on peut faire entre les libertés, la distinction entre personne physique et personne morale semble elle aussi jouer un rôle dans la qualification de l'infraction. En effet, on ne peut déterminer le moment à partir duquel la mesure a un impact sur la situation du contribuable personne physique ou morale, en adoptant le même raisonnement.

Ainsi, la discrimination fiscale à l'entrée est-elle interdite en vertu du principe du traitement national consacré par la jurisprudence de la Cour, que cette discrimination soit d'ailleurs fondée directement ou indirectement sur la nationalité. Toutefois, ce principe est inapplicable aux situations purement internes, et ce notamment lorsque la liberté d'établissement est concernée77(*). Celle-ci permet en effet aux particuliers de jouir aussi bien du droit d'accès aux activités non salariées que de leur exercice.

La Cour interdit à travers sa jurisprudence aussi bien l'application de règles différentes à des situations comparable que l'application de la même règle à des situations différentes. Elle estime en effet qu'il y'a une différence de traitement lorsque l'Etat d'établissement applique des bases minimales d'imposition, uniquement à l'égard des contribuables non-résidents du seul fait de leur résidence dans un autre Etat membre et juge une telle mesure discriminatoire à l'encontre du non-résident78(*). De même, une discrimination est avérée lorsqu'une mesure nationale refuse à un contribuable résident dans un autre Etat membre que son Etat d'origine, une imposition commune avec son conjoint qui réside dans un autre Etat membre et dont il n'est pas séparé79(*).

Il convient tout de même de remarquer que la Cour, saisie au regard de l'article 43 TCE, ne raisonnera pas tout à fait de la même manière que si elle était saisie sur le fondement de l'article 39 TCE. Le fait que les contribuables concernés par les dispositions en cause soient des travailleurs faisant appel à une liberté leur permettant d'exercer une activité dans un autre Etat que le leurs la conduira toutefois au même résultat. En effet, clef tient ici au type de discrimination constaté. La discrimination visée aussi bien par l'article 43 TCE que l'article 39 TCE ne peut être directement fondée sur la nationalité.

La Cour estime d'autre part que le fait pour une administration fiscale de refuser de prendre en considération des revenus locatifs négatifs relatifs à des biens immobiliers d'un contribuable situés à l'étranger, est constitutif d'une discrimination interdite par l'article 39 TCE. On constate donc que dans l'arrêt Lakebrink80(*) la Cour confirme, dans une approche restrictive, la jurisprudence Shumacker et sanctionne la norme fiscale en l'espèce discriminante à l'égard des non-résidents.

S'agissant maintenant de la libre circulation des capitaux, la Cour a jugé dans une affaire où, la législation instituait des règles d'imposition différentes selon que les assujettis résidaient ou non dans l'Etat membre en cause, que celle-ci constituait une restriction à la libre circulation des capitaux, alors que l'article 56 TCE n'évoque que la notion d'entrave. Certes, l'article 58 TCE autorise les Etats à distinguer selon la résidence, toutefois une telle loi nationale ne peut avoir pour effet de rendre moins attrayante l'opération en capital pour les non-résidents. En effet, la Cour a déjà jugé que cette apparente marge de manoeuvre laissée aux Etats membres doit être combinée avec le dernier alinéa de l'article 58 TCE qui interdit les discriminations arbitraires81(*). Dés lors, lorsqu'une législation nationale aboutit à dissuader des non-résidents d'effectuer des investissements dans l'Etat membre de la législation, cette dernière crée une différence de traitement que la Cour qualifiera d'arbitraire, la conduisant à refuser de ce fait toute justification.

Une fois l'infraction avérée, le juge communautaire prononce la condamnation. Du moment que les situations sont jugées comparables, une simple différence au préjudice du non-résident devrait inéluctablement conduire à une condamnation. Or le juge ne considère pas les mesures remplissant ces critères comme étant obligatoirement discriminatoires, et les qualifie selon le cas d'entrave ou de discrimination.

Certes les dispositions du Traité ne prohibent pas toutes de manière expresse les discriminations, comme par exemple la libre circulation des capitaux qui n'interdit que les entraves. Ainsi, une différence de traitement qui ne serait pas discriminante du fait que les situations auxquelles elle s'applique ne sont pas vraiment comparables serait donc une entrave.

Mais en quoi constituerait-elle une entrave ? Pour la Cour, le simple effet dissuasif de la loi fiscale nationale suffit à conclure au caractère restrictif de la disposition en cause.

Cet effet dissuasif est d'ailleurs semble t-il présumé par la Cour, qui ne prend pas la peine de le définir ou même de le prouver. Il serait plutôt attaché à restriction elle-même, puisque « Les mesures interdites par l'article 56§1, en tant que restrictions aux mouvements des capitaux, comprennent celles qui sont de nature à dissuader les non-résidents à faire des investissements dans un Etat membre (...)»82(*).

Pour certains, il est regrettable que le critère de « dissuasion » soit suffisant à la constatation de la violation d'une disposition du Traité par une réglementation nationale. Les termes « dissuasion » et « restriction » n'ont en effet pas été suffisamment explicités par la Cour, qui tend d'ailleurs à faire de l'existence de la dissuasion une présomption générale. Ainsi, une législation fiscale peut être sanctionnée en tant qu'entrave, sans que le juge communautaire ait à démontrer son effet dissuasif. A noter que la notion d'entrave est aussi utilisée lorsqu'il s'agit de condamner une restriction à la sortie, causée par la réglementation non plus de l'Etat de la source mais cette fois-ci de l'Etat de résidence.

A noter que le juge communautaire a une nette préférence pour la notion de restriction dans les cas de discrimination à la sortie. Cela s'explique d'ailleurs assez aisément puisqu'à la sortie, il n'y'a pas de discrimination sur le territoire même de l'Etat, qui serait faite en fonction de la nationalité ou de la résidence. Généralement, seul un ou eux résidents seront concernés, et si la législation nationale opère une distinction entre ces deux contribuables, celle-ci aura pour critère la relation qu'entretien l'un d'entre eux avec un autre Etat membre. D'où le caractère inadapté de la notion de discrimination.

Les libertés fondamentales proclamées par le Traité s'opposent, rappelons-le, aux lois nationales qui pourraient défavoriser un ressortissant communautaire qui souhaite exercer une activité économique ailleurs que dans son Etat de résidence. De ce fait, et malgré qu'elles ne constituent pas de discriminations en raison de la nationalité, les restrictions ou les entraves dissuadant un ressortissant de quitter son Etat d'origine sont sanctionnées par le juge communautaire.

C'est dans le fil de cette idée que s'inscrit l'arrêt Commission c/ Suède83(*). Il s'agissait d'une législation fiscale qui prévoyait le report d'impôt sur les plus-values réalisées lors de la cession d'une résidence habitée par son propriétaire lorsque celui-ci faisait acquisition d'une nouvelle résidence. Le juge fit encore un amalgame délibéré entre effet dissuasif et restriction : il considéra qu'en l'espèce, le contribuable qui souhaitait vendre un immeuble pour acquérir un nouveau domicile dans un autre Etat membre, était désavantagé par rapport au résidant qui maintenait son domicile en Suède, ce qui était constitutif d'une différence de traitement de nature à dissuader le contribuable de faire usage de ses droits à la libre circulation et au libre établissement.

L'analyse de la restriction par le juge varie d'ailleurs selon que les contribuables considérés soient personne physiques ou morales, puisque ces dernières ne se déplacent pas. Le contentieux relatif aux personnes morales s'est d'ailleurs concentré ces dernières années sur les législations ayant trait à la déduction des frais professionnels, aux régimes d'imposition des transferts intra-groupes ou encore à la taxe sur la valeur vénale des immeubles.

En matière de régime d'imposition des transferts financiers intra-groupe, la jurisprudence récente de la Cour a été riche en apports. Celle ci constata dans l'arrêt Thin Cap Group84(*) que la différence de traitement à laquelle étaient soumises les filiales de sociétés mères non-résidentes par rapport aux filiales de sociétés mères résidentes était susceptible de restreindre la liberté d'établissement. Elle qualifia la différence de traitement issue de la réglementation britannique relative à la sous capitalisation qui était en cause comme étant une entrave.

De même, la Cour jugea que la différence de traitement qui découlait de la réglementation allemande dans l'arrêt Rewe Zentralfinanz85(*) au préjudice des sociétés mères résidant en Allemagne et qui ont des filiales dans un autre Etat membre, est de nature à entraver la liberté d'établissement. Cette différence de traitement conduit en effet à dissuader ces sociétés de créer, d'acquérir ou de maintenir une filiale dans u autre Etat membre.

Dorénavant, la restriction apportée aux possibilités de déduction fiscale des pertes subies par une société mère résidente au titre d'amortissements réalisés sur la valeur de ses participations dans des filiales établies dans d'autres Etats membres est jugée incompatible avec la liberté d'établissement, ce qui supprime le doute semé par l'arrêt Mark & Spencer86(*). En effet, la législation discriminatoire dans l'arrêt Rewe Zentralfinanz a été condamnée en tant qu'entrave à la liberté d'établissement.

On s'aperçoit au final que toute discrimination constitue une restriction. Mais l'inverse n'est pas vrai, puisque la seule constatation d'une restriction en matière de liberté d'établissement ne mène pas forcément à l'identification d'une entrave.

L'arrêt Elisa87(*) intervient quant à lui en matière de libre circulation des capitaux. La Cour y jugea que l'article 990 D du Code général des impôts imposant une taxe sur la valeur vénale des immeubles possédés directement ou indirectement en France par des personnes morales, rendait l'investissement immobilier en France moins attrayant pur les sociétés non résidentes, puisque l'exonération de la taxe était plus difficile à obtenir pour ces dernières.

Le juge communautaire fera remarquer que l'article 73B du traité (devenu 56 TCE) doit être interprété en ce sens qu'il s'oppose à une législation nationale, qui exonère les sociétés établies en France de la taxe sur la valeur vénale des immeubles possédés en France par des personnes morales, alors qu'elle subordonne cette exonération, pour les sociétés établies dans un autre Etat membre, à l'existence d'une convention conclue entre la France et cet Etat, ou à la circonstance que, par application d'une convention comportant une clause de non-discrimination selon la nationalité, ces sociétés ne doivent pas être soumises à une imposition plus lourde que celle à laquelle sont assujetties les sociétés établies en France.

La Cour constata l'existence d'une entrave à la libre circulation des capitaux puisque une différence de traitement existait entre les deux types de sociétés. La question de la discrimination a été évacuée, puisque la France n'avait pas invoqué telle qu'elle la non comparabilité des situations. Or il aurait été difficile pour la Cour de comparer la situation de la société résidente avec celle de la société non résidente dans son Etat de résidence.

Même si une discrimination ou une entrave venaient à être constatées par la Cour, l'Etat de la législation litigieuse aurait la possibilité de la justifier par les exceptions prévues par le traité et/ou la jurisprudence lorsque tous les critères nécessaires sont remplis.

A cet égard, la jurisprudence récente de la Cour abonde en nouveautés qui coulent étonnamment dans le sens des Etats membres, toute en conservant un certain classicisme dans l'approche faite à une catégorie de justifications. De plus, une évolution notable semble affecter le test de proportionnalité auquel se livre la Cour, qui mérite qu'on lui accorde notre plus grande attention.

* 62 CJCE, 4 avr. 1968, aff. 31/67, August Stier c/ Hauptzollamt Hamburg, Rec. p.347.

* 63 CJCE, 7 mai 1985, aff 18/84, Commission c/ France, Rec. p.1344.

* 64 CJCE ord., 10 mai 2007, aff. C- 492/04, Lasertec ; Ph. Derouin et Ph. Martin, Droit communautaire et fiscalité : Litec, 2008, p. 200.

* 65 CJCE, ord., 24 mai 2007, C-157/05, Holbôck ; Ph. Derouin et Ph. Martin, Droit communautaire et fiscalité : Litec, 2008, p. 505 ; CJCE, ord., 10mai 2007, aff. C-A02/05, Skatterverket c/ A et B, Rec. p I-3871

* 66Cf. Note 24.

* 67 CJCE, 13 avr. 2000, aff. C-251/98, Baars, préc. ; CJCE, 12 sept. 2006, aff. C-196/04, Cadbury Schweppes et Cadbury Schweppes Overseas; Ph. Derouin et Ph. Martin, Droit communautaire et fiscalité: Litec, 2008, p. 386; CJCE, 13 mars 2007, aff. C-524/04, Test Claimants in the Thin Cap Group Litigation, préc.

* 68 CJCE ord., 10 mai 2007, aff. C- 492/04, Lasertec, préc.

* 69 Cf. Note 43.

* 70 Cf. Note 43.

* 71 Cf. §26 de l'arrêt Lasertec préc. et §28 de l'arrêt Skatterverket c/ A et B préc.

* 72 CJCE, ord., 24 mai 2007, C-157/05, Holbôck, préc.

* 73 Cf. Note 43.

* 74 Cf. § 41 de l'arrêt Holbôck, préc.

* 75 CJCE, 5 juill. 2007, C-522/04, Commission c/Belgique ; Ph. Derouin et Ph. Martin, Droit communautaire et fiscalité : Litec, 2008, p. 465. 

* 76 Arrêt Verkooijen, préc. 

* 77 CJCE, 23 avr.1991, C-41/90, Klaus Hôfner et Fritz Elser c/ Macrotron GmbH, Rec., I-1979, §37.

* 78 Arrêt Talotta préc.

* 79 Arrêt Meindl préc.

* 80 Arrêt Lakebrink préc.

* 81 Arrêt Skatterverket c/A et B, préc.

* 82 Ibid.

* 83 Arrêt Commission c/Suède, préc.

* 84 Arrêt Thin Cap Group Litigation, préc.

* 85 CJCE, 29 mars 2007, C-347/04, Rewe Zentralfinanz eG ; Ph. Derouin et Ph. Martin, Droit communautaire et fiscalité : Litec, 2008, p. 375. 

* 86 CJCE, 13 déc. 2005, aff. C-446/03, Mark & Spencer PLC; Ph. Derouin et Ph. Martin, Droit communautaire et fiscalité: Litec, 2008, p. 368.

* 87 CJCE, 11 octobre 2007, aff. C-45/05, Européenne et Luxembourgeoise d'Investissement SA (ELISA) ; Ph. Derouin et Ph. Martin, Droit communautaire et fiscalité: Litec, 2008, p. 600.

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"La première panacée d'une nation mal gouvernée est l'inflation monétaire, la seconde, c'est la guerre. Tous deux apportent une prospérité temporaire, tous deux apportent une ruine permanente. Mais tous deux sont le refuge des opportunistes politiques et économiques"   Hemingway