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L'interdiction de la fusion General Electric / Honeywell


par - Jan Wasilewski Aude Rousselot
Science Po
Traductions: en Original: fr Source:

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3.3.3. La nécessité stratégique enfin comprise

3.3.3.1. Accroître la présence et la connaissance de Bruxelles et de ses logiques

L'échec de la stratégie de GE a été l'occasion d'une prise de conscience méthodologique pour les Américains : la connaissance de la procédure européenne et de la puissance de la Commission sont des incontournables pour toute action à mener en Europe. Dans un memo d'octobre 2001, un analyste d'Allen&Owery évoque l'affaire comme une véritable leçon de lobbying : il rappelle que, de la même manière que GE avait fait valider sa fusion auprès des autorités canadiennes, les firmes américaines doivent prendre le pli de se soumettre aussi au régulateur européen et de se plier, comme pour l'institution canadienne, à ses particularités d'esprit et de procédure. L'European Association of Communication Agencies y voit l'avènement dans la douleuret l'ugrence d'une politique européenne des firmes américaines.

Il s'agit donc de renforcer la connaissance de et la présence à Bruxelles, en particulier par le biais d'un recrutement ciblé : la AEACA cite dans un document d'avril 2002 l'installation soudaine des grandes compagnies US à Bruxelles : McDo y entretient 5 permanents, ; Nike 4 et Toyota 3 ; en outre, les grands cabinets de Relations Publiques et de Conseil recrutent dorénavant des fonctionnaires communautaires. Le Legal Times signale dans le même sens le doublement des bureaux permanents de firmes américaines entre début 2001 et mi-2002.

3.3.3.2. Méthodologie :

3.3.3.2.1. Nécessité d'un lobbying à l'européenne

Ainsi que l'indique un article de 2002, ce sont définitvement les méthodes trop fortes et trop directes «à l'américaine» qui peuvent choquer à Bruxelles :

US lobbyists struggle in Brussels - S. Lowenberg

While most European officials may speak English, that doesn't mean they share American laissez faire values. The American context is so neo-liberal that it is very hard for any American, whether they are a consumer organization or a corporation, to understand what drives Europeans. As some of the biggest U.S. companies have found out, simply transporting Washington K-Street tactics and personnel to the European Union capital in Brussels does not work.

American lobbyists trying to ply their craft in the EU are finding themselves without many of their traditional tools. This is a world largely without the campaign contributions, revolving door of former public officials who trade on their influence, and artificially manufactured public support - all standard practice in Washington, whether the issue is tobacco, pharmaceutical drugs, or nuclear power.
The insider game in Washington does not apply nearly as much in Brussels, where legislation gets tossed between the commission, the council of ministers, and the parliament so many times that large-scale image and coalition-building campaigns often make more sense than rifle shot lobbying. With the power in the hands of so many, intelligence and strategy take precedence over access and influence. Brent Staples, who heads the Brussels office of Washington, D.C. based PR and lobbying firm APCO, compares it to "three-dimensional chess."

Dans le cas particulier de GE et H, on peut constater que la leçon ci-dessus évoquée a porté ses fruits : GE a transféré son bureau permanent de Londres à Bruxelles, y a renforcé son équipe de lawyers, et a mis à sa tête un ancien fonctionnaire italien de la Commission qui serait a priori plus apte à nouer des échanges avec Mario Monti.

3.3.3.2.2. Nécessité d'une existence européenne

Par ailleurs ce n'est peut-être pas un hasard si les cabinets qui ont assuré le soutien des `gagnants' sont européens de fait ou de caractère, à l'inverse de celui choisi par GE.

Le Cabinet Cleary, Gottlieb, Steen & Hamilton, leader américain dans le domaine des fusions-acquisitions, est présent depuis les débuts de l'unification européenne : en 1951, George Ball qui était alors partenaire du cabinet à Washington a aidé Jean Monnet a rédigé les propositions de lois antitrust de la CEAC. Cleary s'est donc assuré une place à Bruxelles avant même la plupart des Européens eux-mêmes (et en particulier avant les Britanniques, qui n'ont rejoint la CEE qu'en 1973), en ouvrant un bureau à Bruxelles dès 1960. On peut attribuer une partie du succès de Cleary en Europe au choix qui a été fait de recruter principalement en Europe les membres du bureau : en 2001 on y compte 5% d'Américains seulement et 17 nationalités du continent européen. Cleary fait part de l'establishment bruxellois au point de représenter Airbus et United Technologies... ce qui n'est évidemment pas neutre au regard des débats de l'affaire GE/H16(*).

Freshfields est le leader britannique dans le même domaine des fusions-acquisitions, il a fusionné en 2000 avec le cabinet allemand Deringer, et s'appuie sur un panel d'experts et une équipe de juristes très large qui lui permet des délais de réaction extrêmement brefs. Il a servi les intérêts de Rolls Royce dans l'affaire.

A l'inverse, Skadden, choisi par GE pour la négociation, était certes déjà le premier cabinet pour les fusions américano-américaines en terme de valeur dollar, mais son bureau bruxellois n'avait été ouvert qu'en 1990 et ne comptait à l'époque aucun Européen dans l'équipe juridique, alors composée de 10 membres seulement. Depuis, il compte 17 nationalités et 18 juristes permanents.

Le Cabinet choisi par GE pour soutenir le recours devant le Tribunal de Première Instance est Vogel&Vogel, un cabinet qui se dit implanté à Paris, Bruxelles et Francfort, travaillant en français, anglais et allemand, ayant la pratique des instances administratives et judiciaires, françaises et communautaires, habitué à l'évaluation du risque juridique : on note ainsi aussi dans ce phénomène le recentrement de la stratégie de GE.

> GE/H aura donc été l'occasion d'une prise de conscience pour les politiciens autant que pour les lobbyistes américains. Il devient un précédent qui a ouvert nombre de possibilités pour l'avenir proche : on peut citer la question des investigations sur Microsoft, à qui Joe Wilcox annonce «  de dures batailles », et le Legal Times quant à lui conseille tout simplement « If J. Welch were to send a memo to Bill Gates, he might well advise that Brussels is not D.C. ».

* 16 D'ailleurs, on peut noter rapidement la « bonne » stratégie des concurrents : se sont attaqués tôt à la cause, ont alloué une expertise technique, ont été toujours prêts à reprendre le débat, ne se sont pas trop «découverts» sur le plan médiatique. Seule déception : l'interdiction de la fusion les prive de racheter des filiales que la Commission aurait pu forcer GE à abandonner.

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