Section 2 La prohibition des cessions globales
d'oeuvres futures.
Antérieurement à la loi de 1957, en l'absence de
texte prohibant les cessions globales d'oeuvres futures. La jurisprudence a
parfois été saisie d'affaires dans lesquelles se posait la
question de la validité de telles conventions et la
doctrine36, pour sa part, s'y est intéressée,
même si ses développements ne sont pas toujours exempts d'une
certaine obscurité. L'avènement de la loi de 1957 a conduit
à la consécration de la prohibition des cessions
34 Selon l'arte L. 122-8 du CPI « les auteurs d'oeuvres
originales, graphiques et plastiques ( ) bénéficient d'un droit
de suite, qui est un
droit inaliénable de participation au produit de toute
vente d'une oeuvre après la première cession opérée
par l'auteur ou par ses ayant droit, lorsqu'intervient en tant que vendeur,
acheteur ou intermédiaire un professionnel du marché de l'art.
Par dérogation ce droit ne s'applique pas lorsque le vendeur a acquis
l'oeuvre directement de l'auteur moins de trois ans avant cette vente et que le
prix de vente ne dépasse pas 10 000 € »
35 Cornu MARIE. Mallet-Poujol Nathalie : Droit, oeuvres d'art et
musées protection et valorisation des collections. CNRS. 2006.
36 Trib. Civ. Seine. 25 mai 1897. Ann. Prop. Indu. 1900. P. 60
globales d'oeuvres futures. Toutefois, la signification de
l'article L.131-1 du CPI pose qu'en principe « la cession globale des
oeuvres futures est nulle ».
L'article L.131-1, dont l'objectif est de soulager de
l'inquiétude quant à la sauvegarde des intérêts tant
moraux que patrimoniaux des créateurs37, est d'une
interprétation délicate. En effet, le sens et la portée de
cette disposition ont été abondamment discutés en doctrine
sans qu'un accord ait pu être trouvé sur la signification exacte
qu'il convient de lui attribuer. Même son application aux contrats de
commande n'est pas à l'abri des controverses.
Sous-section 1 - la définition classique de
l'article L.131-1.
Les divergences de la doctrine sur l'interprétation de
cette disposition semblent, de même, trahir un certain
désarroi38. Afin d'en déceler la signification,
tentons de reprendre l'analyse de la définition classique de cette
article ainsi que son influence sur le contrat de commande.
A- La notion de la cession globale.
La thèse d'HUGUET : A propos du mot global, il faut
tout d'abord écarter l'interprétation suivant laquelle il serait
synonyme de total et embrasserait à la fois toutes les oeuvres à
venir d'un auteur et tous les droits portant sur celles-ci39.
Proposer une telle interprétation de l'article L.131-1
reviendrait à le priver de signification : en effet, une cession si
générale se présente rarement, et une prohibition si vague
est, de toute façon, facile à contourner. L'intention du
législateur n'a donc pu être celle-ci.
La thèse de DESBOIS : La prohibition de l'article
L.131-1 doit pouvoir s'entendre comme la cession d'un ensemble
indéterminé d'oeuvres futures est nulle. Cette
interprétation suppose que la cession globale est nulle. Toutefois, est
licite la stipulation, par laquelle l'auteur s'engage à accorder un
droit de préférence à un commanditaire pour ses oeuvres
futures de genres nettement déterminés ; la doctrine de la
relation logique de l'article L.131-1 avec l'article L.132-4 relatif au pacte
de préférence en matière d'édition40.
Les représentations de la doctrine négligent de
prendre en compte le fait que ces deux textes concernent des domaines
différents.
37 Rappelons que l'arte. 1130, al. 1er du C.civ
dispose que « les choses futures peuvent être l'objet d'une
obligation ».
38 Le Tarnec, Alain : Manuel de la propriété
Littéraire et artistique / 2e édition. / Dalloz /
1966. P. 111
39 HUGUET André : L'ordre public et les contrats
d'exploitation du droit d'auteur : étude sur la loi du 11 mars 1957,
Paris : LGDJ, 1962. P. 111.
40 Ce droit est limité pour chaque genre à cinq
ouvrages nouveaux à compter du jour de la signature du contrat
d'édition conclu pour la première oeuvre ou à la
production de l'auteur réalisée dans un délai de cinq
années à compter du même jour. KHALVADJIAN Boris : Le
contrat d'auteur outil d'anticipation, Université d'AIX MARSEILLE, 2008,
P 121. H.DESBOIS : P. 648. F&P-B GREFFE. P. 186.
L'article L.132-4 intéresse une hypothèse
particulière, celle du pacte de préférence en
matière d'édition41. La liberté intellectuelle
de l'auteur n'est pas restreinte par le pacte de préférence. Au
contraire, l'article L.131-1 vise une série indéfinie de cas dans
lesquels l'auteur aura pu s'engager à créer vis-à-vis de
son cocontractant42.
Rares sont les décisions de justice qui ont
été amenées à se prononcer sur l'existence d'une
cession globale43, mais il est devenu un courant qui laisse aux
juges de refuser ou admettre l'argumentation fondée sur la prohibition
de la cession globale d'oeuvres futures.
B- La notion d'oeuvres futures.
La majorité de la doctrine s'accorde à
considérer que la prohibition de l'article L.131-1 ne concerne que les
droits d'exploitation sur les oeuvres futures. Par une sorte d'ellipse, la
formule d'oeuvres futures se référerait exclusivement aux
cessions portant sur des droits patrimoniaux et non sur les oeuvres
elles-mêmes. Un créateur qui s'engagerait dés lors à
céder la propriété corporelle de ses prochaines oeuvres,
ne pourrait pas jouir de la protection instituée à l'art. L.131-1
du CPI. En ce cas, le droit commun des contrats retrouve normalement à
appliquer44.
En revanche, prétendre que les supports
matériels sont exclus du champ de l'article L.131-1 semble pour un
courant de la doctrine arbitraire et les arguments avancés au soutien de
cette thèse peu convaincants. La législation sur le droit
d'auteur serait surtout destinée à répondre strictement
aux problèmes posés par des cessions de droits et non par des
cessions d'oeuvres. Même si cette affirmation est exacte, il n'en reste
pas moins vrai que de nombreuses dispositions concernent le statut de
l'oeuvre45.
Après avoir tenté de dégager les traits
dominants qui caractérisent la prohibition instituée par ce texte
et surtout d'en dégager les fondements, nous examinerons quelle peut
être son incidence sur la validité des contrats de commande.
C- L'incidence de la définition sur la
validité des contrats de commande.
L'application de cette disposition à de telles
conventions a été contestée par Desbois
qui restreignait le champ de l'article 33 de la loi de 1957 aux cas dans
lesquels l'auteur a cédé ses
41 A travers ce pacte, l'auteur fait la promesse de
céder un certain nombre de ses oeuvres futures ou sa production à
venir pendant un nombre d'années donné. Mais, d'une part, cette
cession n'a lieu que s'il crée. D'autre part, il n'a pris aucun
engagement sur le contenu ou la nature des oeuvres à réaliser.
42 P-Y GOUTIER : P. 572 et s.
43 Paris, 26 juin 2002, PI avril 2003, n° 7, P. 175.
44 H. Desbois, Le droit d'auteur en France : Dalloz, 3e
éd. 1978, p. 646.
A. Huguet, Ordre public et contrat d'exploitation du droit
d'auteur : LGDJ, 1961, p. 133
45 GAUTIER Pierre-Yves. La propriété
littéraire artistique, Presse universitaire, Paris, 2007. P. 574.
oeuvres futures sans contracter d'obligation de créer.
Selon lui, en effet, l'auteur « ne peut prendre l'engagement de
réaliser les oeuvres dont il cède les droits qu'après
mûre réflexion, alors qu'il serait plus volontiers enclin à
conférer l'exclusivité relativement à des oeuvres qu'il ne
s'engage pas à réaliser »46
Selon S. DENOIX, il semble paradoxal de réserver
l'application de l'article L.131-1 aux hypothèses dans lesquelles
l'auteur reste libre de toute obligation de produire, et d'exclure du domaine
de cette disposition celles dans lesquelles l'auteur promet d'exécuter
des oeuvres dont il cède généralement les droits. En
effet, dans le premier cas, seuls sont en cause les intérêts
économiques de l'auteur. Dans le second, au contraire, s'ajoutent
à ceux-ci des intérêts intellectuels et moraux liés
à l'obligation de création.
En plus, la lettre même de l'article L.131-1 ne
suggère nullement une telle exclusion et, à vouloir ainsi
restreindre le champ d'application de ce texte, on risque fort de priver de
l'unité qu'il peut présenter à titre de directive
générale et de le vider de son sens.
En outre, l'opinion de DESBOIS ne pourrait se justifier que
par l'idée, d'ailleurs sous-jacente à son argumentation, que la
conclusion d'un contrat de commande est toujours exclusive
d'indétermination47. Or, l'observation des faits
dément cette analyse. Il ne semble donc pas que ces contrats doivent,
par principe, échapper à la règle posée par
l'article L.131-1 la difficulté qu'ils soulèvent est ailleurs.
Sous-section 2 - la définition moderne de
l'article L.131-1.
L'article L.131-1 du code de la propriété
intellectuelle pose le principe de la prohibition des cessions globales
d'oeuvres futures, dans un souci de protection des intérêts des
créateurs. Au premier abord, une telle disposition ne paraît pas
devoir intéresser le contrat de commande et l'on voit mal quelle
commande globale pourrait mettre en péril les intérêts du
créateur. Pourtant, à l'examen, on s'aperçoit que les
créateurs indépendants sont à la frontière du
contrat de travail et du contrat de commande et qui ont pour objet un nombre
élevé d'oeuvres. Il arrive même que de telles conventions
ne soient définies que par leur durée, sans que les oeuvres
commandées soient individualisées au moment de la formation de
l'accord de volontés48.
46 DESBOIS : cit. P. 649.
47 LUCAS André : Droit d'auteur et création
salariée, Revue Lamy Droit de l'Immatériel, 03-2008,
N°36.
48 VIVANT Michel, KHALVADJIAN Boris : Le contrat d'auteur outil
d'anticipation, Université d'AIX MARSEILLE, 2008. P. 117.
A- La thèse de l'indétermination des
oeuvres.
Suite aux thèses classiques, un courant de la
doctrine49 a avancé l'idée d'assimiler les cessions
globales à des cessions d'un ensemble indéterminé
d'oeuvres futures. Mettant alors en doute les enseignements tirés de
l'analyse des travaux préparatoires, elle rejette l'idée de
définir la prohibition de l'article L.131-1 du CPI << à
partir de seuils fixés à l'avance auxquels le juge serait tenu de
se soumettre »50. Selon elle, au contraire, le juge doit
apprécier le caractère global de la cession en tenant compte
principalement du << degré de précision dans la
définition de l'obligation de création des oeuvres à
réaliser »51. Par conséquent, un auteur <<
pourra s'engager à produire pendant une durée
déterminée, même longue, ou bien à exécuter
en nombre d'oeuvres, même élevé ; si les parties ont
convenu un minimum de précision de ces créations à venir
et de leur destination, leur accord ne saurait être censuré
»52.
Son raisonnement se base essentiellement sur l'analyse de la
jurisprudence contemporaine. Il semble que depuis 1957 les juges ont tendance
à écarter l'application de l'art L.131-1 du CPI dans des cas
où justement les oeuvres futures font l'objet d'un degré de
précision suffisant. Mais il n'est pas sur qu'il y ait là la
raison déterminante de la mise à l'écart de la disposition
par le juge.
B- L'application jurisprudentielle vis-à-vis du
contrat de commande.
Comment rechercher la manière dont il faut mettre en
oeuvre l'article L.131-1 dans le domaine des contrats de commande ? Deux
décisions rendues, l'une par la cour d'appel de Paris, l'autre par la
cour de cassation fournissent à cette question des
éléments de réponse.
Dans un arrêt, du 10 juin 198653, la cour
d'appel de Paris a sanctionné, en vertu de l'ancien article 33 de la loi
de 1957, une convention conclue avec l'auteur M. de MONTPEZET pour
rédiger différents ouvrages qui, s'ils avaient pour
caractéristique commune purement fortuite d'être à
prétention autobiographique, étaient pourtant totalement
indépendants les uns des autres, les personnes ayant inspiré ces
différents écrits étant elles-mêmes
étrangères les unes aux autres.
Dans l'affaire MONTPEZET, l'objet du contrat n'imposait pas
l'indétermination dont l'obligation de l'auteur était
empreinte : chaque ouvrage, successivement, aurait pu donner
49 DENOIX de SAINT MARC Stéphanie : le contrat de commande
en droit d'auteur français, Litec, 1999. P. 137. Cette opinion
dépende la thèse ancienne de S. Strömholm, Le droit moral de
l'auteur en droit allemand, français et scandinave : t. 1, p. 160,
Stockholm, 1967.
50 DESBOIS : cit. P. 653.
51 MOUSSERON Jean-Marc et SCHMIDT-SZALEWKI Joanna : Les
créations d'employés, Litec, 1990, p. 273
52 Cass. 1er civ. 6 nov. 1979, n° 77-16.001,
Publication, Bulletin des arrêts Cour de Cassation Chambre civile 1 N.
271
53 CA Paris, 10 juin 1986, RIDA n° 133, juillet. 1987, P.
193.
lieu à un accord séparé entre les parties
; l'exigence de détermination aurait été ainsi
respectée. Seules des motivations d'ordre pratique, et,
vraisemblablement, des préoccupations de nature financière, de la
part de l'éditeur, ont dicté la globalité des termes de la
convention.
Au contraire, dans la seconde affaire - Cabut c.
Société Dargaud- la cour de cassation54a
approuvé la cour d'appel « Dès lors qu'une Cour d'appel
relève que le contrat écrit, par lequel un auteur cédait
à une société d'édition, à la suite d'une
commande, le droit de reproduire une série d'histoires et de gags
illustrés qu'il s'engageait à écrire et à illustrer
aux fins de publication régulière dans un journal, à
raison d'une ou plusieurs planches, et destinés ensuite à
être publiés en album, individualisait chacun des droits
cédés, déterminait la date de cession, définissait
d'une façon précise le domaine d'exploitation des droits
cédés quant à l'étendue, la destination et la
durée, fixait la rémunération de l'auteur et comportait
une cession par l'auteur à la société d'édition du
droit de réunir en recueil les planches dessinées qui
paraîtraient, cette juridiction a pu sans admettre que la publication
dans le journal devrait être assimilée à un écrit,
considéré qu'il avait satisfait aux exigences de l'article 31 de
la loi du 11 mars 1957.
La juridiction qui retient qu'une cession de droits ne
portait que sur des histoires, commandées par une société
d'édition à un auteur et ayant le même personnage
principal, et que l'auteur pouvait cesser sa collaboration au journal
reproduisant ces histoires, sous réserve de livrer normalement
jusqu'à sa fin l'épisode en cours, a pu considérer qu'il
n'avait pas été contrevenu aux dispositions de l'article 33 de la
loi du 11 mars 1957, qui prohibe la cession des oeuvres futures ».
De l'analyse de ces décisions, deux conclusions de
portée générale peuvent être tirées.
Tout d'abord, l'hypothèse où la
détermination des oeuvres à réaliser ne sera jamais que
relative. Il relèvera alors de l'appréciation des magistrats de
considérer, dans chaque espèce, si les intérêts de
l'auteur sont assez protégés55.
Puis, l'indétermination qui est susceptible d'affecter
un contrat de commande trouve avant tout sa source dans la délimitation
de la mission créatrice de l'auteur. Ainsi, ce n'est ni la durée
de l'engagement, ni le nombre d'oeuvres qu'il aura promis de réaliser
qui, en euxmêmes, créeront les conditions de l'annulation du
contrat, mais l'insuffisance des stipulations contractuelles relatives à
la nature du travail de création qui, le cas échéant, en
sera la cause56.
54 Cass, 1er civ. 6 novembre. 1979, RIDA, N° 103,
juillet, 1980. P. 167.
55 Vivant Michel, KHALVADJIAN Boris : Le contrat d'auteur outil
d'anticipation, Université d'AIX MARSEILLE, 2008. P. 115.
56 Le commandité pourra s'engager à produire
pendant une durée déterminée, même longue, ou bien
à exécuter un nombre d'oeuvres, même élevé
; si les parties ont convenu avec un minimum de précision de ces
créations à venir et de leur destination, leur accord ne saurait
être
Enfin, on trouve que la définition moderne de l'article
L.131-1 est plus acceptable par la jurisprudence que les autres, aussi une
décision de la cour de cassation daté de 8 novembre 1989 a
assuré cette thèse57.
La question des oeuvres futures concernant le dessin et
modèle :
Il est admis que la prohibition légale de cession
d'oeuvre future ne s'appliquait pas au contrat de commande relatif aux dessins
et modèles, pour plusieurs raisons, les oeuvres, si elles ne sont pas
encore créées sont du moins individualisées au moment du
contrat, le contrat de commande est en générale passé pour
une pluralité d'oeuvres si ce n'est de la totalité de la
production future d'un artiste est interdite. Puis l'auteur
bénéficiaire d'un contrat de commande conserve son entière
liberté de création en dehors du contrat58.
Enfin, à propos du contrat de commande concernant le
commandité qui n'a pas la qualité d'auteur, tant qu'il est soumis
toujours au droit commun, on applique l'article 1130 du code civile « les
choses futures peuvent être l'objet d'une obligation » donc c'est au
contraire de l'article L.131-1du CPI.
Chapitre 2 : la lecture jurisprudentielle et doctrinale
de l'aspect créateur.
Parallèlement avec la loi, la jurisprudence va
interpréter toujours l'ambiguïté de la loi au profit de la
conception protectrice de la partie présumée faible. Dans le
contrat de commande même s'il n'y a pas précision
expressément claire, le juge recourt à une interprétation
large, et aussi aux règles de l'analogie, afin de donner au
commandité une position unique, soit au niveau de l'écriture du
contrat soit au niveau de la détermination de la
rémunération.
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