Section 2 L'importation des différents types
d'abus consuméristes
Nous venons de voir que même sans la liste des clauses
abusives du droit de la consommation, une approche clause par clause est
possible.
Il nous paraît donc évident, dans cette
hypothèse, de faire un rapprochement avec les clauses abusives. En
effet, le droit de la consommation a déjà une certaine
expérience en la matière113 et il nous paraît
justifié de puiser dans cette expérience afin de dégager
deux types d'abus.
On distinguera ici, parmi les abus qui se nichent dans les
clauses, ceux qui donnent un pouvoir unilatéral et ceux qui donnent un
avantage sans réciprocité.
§1 ) Le pouvoir unilatéral du partenaire
économique
La plupart du temps, le distributeur souhaite échapper
à une législation impérative contraignante,non pas en la
combattant de front mais en la contournant et en répercutant cette
contrainte sur le fournisseur. Il est d'ailleurs intéressant et
paradoxal de constater que c'est parfois plus la législation que la
liberté qui suscite l'abus.
En droit de la consommation sont considérées
comme abusives notamment certaines clauses de pouvoir unilatéral du
professionnel, ainsi que d'autres clauses offrant un avantage au professionnel
sans réciprocité ni simple contrepartie pour le consommateur.
On les retrouve avec quelques réserves dans le jugement du
tribunal de Lille.
Le tribunal condamne d'abord le pouvoir unilatéral du
grand distributeur en reprochant à
113 v. X. Lagarde, « Qu'est-ce qu'une clause abusive?
», JCP G 2006, I, n 110, qui distingue les clauses qui menacent
l'économie du contrat, et les clauses qui octroient un avantage au
professionnel
Castorama d'avoir «imposé de manière
unilatérale à ses fournisseurs des pénalités de
retard à un taux journalier de 1 % ; que même assorti d'un plafond
de 10 % ce taux est exorbitant et peut être qualifié d'usuraire
» 114. Le tribunal reproche également au grand
distributeur d'avoir imposé le paiement par virement : Castorama «
a donc imposé de manière unilatérale ce choix »
115.
En l'espèce, il semble s'agir moins d'une clause de
pouvoir unilatéral stricto sensu que d'un contrat
d'adhésion, déséquilibré. Est-il
déséquilibré parce qu'il est un contrat d'adhésion
où l'est-il en du fait d'être un contrat non négocié
? Répondre à cette question reviendrait sans doute à
savoir qui, de la poule ou de l'oeuf, est sorti le premier.
On le voit particulièrement à propos de la
clause imposant le virement quand le tribunal de commerce de Lille constate que
« ce choix n'a pas fait l'objet de négociations avec ses
fournisseurs » 116.
La décision 117 reproduit la clause du
contrat qui stipule que : « le fournisseur adressera un avoir, pour chaque
acompte ainsi que pour le solde, et effectuera leur règlement par
virement, au plus tard le dernier jour concerné. Par dérogation
à toute autre disposition portant sur ce point, tout retard de paiement
des sommes dues à leur échéance par le fournisseur, au
titre du présent accord, entraînera de plein droit et sans
qu'aucune mise en demeure soit nécessaire, l'application d'une
pénalité de 1 % du montant réglé par jour
ouvré de retard, sans que cette pénalité puisse
excéder 10 % du montant réglé (...). Cette
pénalité pourra être déduite de plein droit des
règlements du fournisseur ».
Il n'est donc pas démontré que le fournisseur n'a
pas accepté le contrat, bien au contraire.
§2) L'avantage sans réciprocité ni
simple contrepartie
En droit de la consommation, les clauses donnant un avantage
au professionnel sans réciprocité ni simple contrepartie pour le
consommateur sont des clauses abusives dont la présomption est
irréfragable.
114 v. jugement, p. 18 in fine et 19, al. 1er
115 v. jugement, p. 20
116 v. jugement, p. 20
117 v. jugement p. 14
Le tribunal de commerce de Lille s'est inspiré de cette
analyse en relevant que le « principe de réciprocité
s'applique entre distributeur et fournisseur ».
Le Tribunal énonce que « les pratiques de
Castorama concernant le paiement d'acomptes mensuels (...) ne sont pas
réciproques ; qu'elles sont sans contrepartie et nettement
défavorables aux fournisseurs ; que leur ampleur est
caractérisée ; qu'elles s'appuient sur un rapport de
dépendance lié à la puissance d'achat du distributeur ;
qu'elles sont abusives ; que le déséquilibre ainsi
provoqué en défaveur des fournisseurs est significatif
»118.
S"agissant des délais de paiement, le tribunal
relève que « les délais de paiement pratiqués par
Castorama pour payer ses fournisseurs et ceux exigés par les
fournisseurs pour les règlements des acomptes révèlent un
différentiel de deux à trois mois défavorable au
fournisseur ; que ces délais ne sont pas réciproques »
119.
En définitive, une telle appréciation manifeste
une certaine convergence entre le droit de la concurrence et le droit de la
consommation.
Les articles R. 132-1 et R. 132-2 portant liste des clauses
présumées abusives révèlent en effet à de
nombreuses reprises que c'est l'absence de réciprocité d'un droit
ou d'un devoir qui signe le caractère abusif d'une clause 120.
Pour guider son analyse, le juge pourrait être
tenté de s'inspirer de la typologie des clauses abusives existante en
droit de la consommation. Sur ce fondement, on peut avancer que les contrats
où aucune contrepartie n'est offerte à l'un des partenaires
pourraient caractériser un « déséquilibre
significatif ».
Il s'agit toutefois d'un cas extrême, voisin de
l'absence de cause. En effet, une clause qui obligerait l'une des parties
à exécuter ses obligations alors que son partenaire
n'exécuterait pas les siennes pourrait aussi être
considérée, soit comme manifestant un «
déséquilibre
118 v. jugement, p. 21
119 v. jugement, p. 18
120 (Exemples : art. R. 132-1, 8° : «Reconnaître
au professionnel le droit de résilier discrétionnairement le
contrat, sans reconnaître le même droit au non-professionnel ou au
consommateur» ; art. R. 132-1, 1° : «Prévoir un
engagement ferme du non-professionnel ou du consommateur, alors que
l'exécution des prestations du professionnel est assujettie à une
condition dont la réalisation dépend de sa seule
volonté».
significatif », soit comme un engagement dépourvu de
cause.
Citons comme exemple de clauses que l'on retrouve dans les
contrats de distributions et qui donnent un avantage sans contrepartie: les
clauses d'exonération de garantie, les clauses de délai au
détriment du consommateur, les clauses relatives à la preuve ou
encore les clauses de résiliation ou de déchéance du terme
au détriment du consommateur, clauses de charges ou de frais pesant sur
le consommateur, etc...121
Enfin, une clause peut être considérée
comme abusive alors que le déséquilibre significatif entre les
droits et obligations des parties ne traduit pas une rupture d'équilibre
de l'obligation principale ou de l'opération convenue.
On pense ainsi à une clause renversant la charge de la
preuve 122 ce qui est tout à fait envisageable dans un
contrat entre professionnels.
On songe également à une clause attribuant
exclusivement au consommateur les risques en cas fortuit ou de force majeure
123.
Dans ces hypothèses, les difficultés de
rattachement de la théorie des clauses abusives à l'objet du
contrat sont manifestes et il conviendra alors à la CEPC de faire preuve
de l'audace nécessaire pour faire en sorte que ces clauses soient
abusives pour les consommateurs et ne le soient pas pour les professionnels.
Chapitre 3 Des dispositions assistant les juridictions et
encourageant la promotion du texte
Pour lutter contre l'inertie du monde des affaires à se
saisir du texte (Section 1), le législateur a souhaité
réorganiser judiciairement les organes afin de permettre une
réelle
121 M. Béhar-Touchais, « Bilan de l'activité
récente de la Commission des clauses abusives », RLDA 2006/8,
n° 462
122 Cass. civ. 1re, 1er février 2005, Contrats, conc.
consom. 2005, comm. 99, obs. G. Raymond ; D. 2005, p. 640, obs. V.
Avena-Robardet ; RDC 2005, p. 719, obs. D. Fenouillet.
123 Cass. civ. 1re, 10 février 1998, JCP G 1988, I, 155,
obs. Ch. Jamin ; JCP G 1998. II. 10124, note G. Paisant ; D. 1998, p. 539, note
D. Mazeaud.
effectivité de la protection (Section 2).
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