Section 1 Le constat du peu de succès actuel du
texte
En liminaire de ces quelques observations, il semble
nécessaire de relever que le déséquilibre significatif
entre commerçants est pour l'instant discret dans les prétoires.
Il y a trois raisons à ce phénomène.
D'abord, celui qui pourrait s'en plaindre ne le fait pas
devant les tribunaux pour la raison évidente qui ne désire pas
paraître, aux yeux du partenaire, comme revendicatif et
procédurier au regard des conditions acceptées au
préalable.
Ensuite, on constate l'absence d'association de consommateurs
ou d'équivalent pour réclamer l'éviction de certaines
clauses dans les contrats litigieux. Ces associations ont un rôle
important dans le démantèlement de certains contrats comportant
pléthore de clauses abusives. La reconnaissance du droit français
de leur droit d'agir a ainsi permis d'avoir un véritable contre-pouvoir
face aux industriels et puissants commerçants.
Actuellement, on ne retrouve pas ce genre d'organe en droit de
la distribution, pour l'instant...
Enfin, le succès de l'article L. 442-6, I,
5o, du Code de commerce concernant la rupture des relations
commerciales établies tient surtout au fait qu'il est utile une fois la
relation consommée.
En effet, dés lors que toute chance de repartir ensemble
est anéantie, il reste la voie contentieuse et l'issue est alors
nécessairement conflictuelle.
Notre déséquilibre porte sur l'exécution
du contrat et, dans cette optique, le conseil qui est souvent sagement
donné est de préférer d'autres alternatives à la
voie contentieuse, et, a fortiori, dans le cas où
l'asymétrie est importante entre les deux partenaires. En effet seuls
les partenaires qui sont certes inférieurs par certains aspects, mais
disposent en contrepartie d'une monnaie d'échange ou de moyens de
pression sur d'autres aspects commerciaux, peuvent utiliser ce texte avec
sérénité. Ce sont au final ceux qui en ont le moins
besoin, qui auront à user (et abuser) demain de cette disposition.
Section 2 Le souci de promouvoir le texte par une
réorganisation judiciaire
Afin d'assister les juridictions et d'harmoniser le
déséquilibre sur l'ensemble du territoire, une commission
d'examen des pratiques commerciales a été créée
(§1). Dans le même sens, on a souhaité une
spécialisation des juridictions pour dynamiser ces dispositions,
rassembler les plaideurs autour de spécialistes et assurer par
conséquent l'effectivité de la protection offerte (§2).
§1 La Commission d'examen des pratiques
commerciales, nouvel outil régulateur d'abus
A. La Commission d'examen des pratiques commerciales, guide
des juridictions
La Commission d'examen des pratiques commerciales peut être
saisie pour avis par une juridiction 124et peut également
émettre des recommandations125.
Il serait donc de bon aloi pour le juge de s'inspirer des avis
de la CEPC rendus en la matière afin non seulement de voir sa
décision revêtue d'une certaine légitimité, mais
également d'unifier les décisions rendues afin, de rendre moins
vivaces les différences d'appréciation de jurisprudences
locales.
La CEPC a fourni un certain nombre d'exemples de pratiques qui
pourraient tomber sous le coup de la nouvelle disposition. La commission a
estime que le fait d' obtenir la signature d'un contrat
pré-rédigé traduirait un déséquilibre
significatif126.
Est également abusif le fait d' utiliser sa puissance
d'achat pour demander systématiquement à
124 Article R. 132-6 du Code de la consommation : « La
Commission peut être saisie pour avis lorsque, à l'occasion d'uns
instance, le caractère abusif d'une clause contractuelle est
soulevé (...) ».
125 Article L. 132-4 du Code de la consommation.
126 Avis de la CEPC n° 09-05 complétant les
questions-réponses du 22 décembre 2008 sur la mise en oeuvre de
la loi de modernisation de l'économie.
son fournisseur une baisse de prix au seul motif qu'il a vendu
son produit à un distributeur concurrent127.
Est également prohibé le
dé-référencement brutal des produits dont un concurrent
annonce avoir bloqué le prix de revente si le fournisseur n'accorde pas
une compensation financière permettant de s'aligner128
Il en est de même du fait d' exiger de
bénéficier des mêmes avantages financiers que ceux obtenus
en 2008 ,sans y attacher de contrepartie équivalente à celles
pour lesquelles ils avaient été accordés au cours de
l'exercice précédent129 ou d'imposer à son
fournisseur une déduction sur facture de ristournes conditionnelles si
l'obligation qui les conditionne n'a pas été
exécutée et vérifiée.130
Cette liste censurant un certain nombre de pratiques
singulières que l'on ne retrouve qu'en droit de la distribution n'est
évidemment pas exhaustive.
Cette commission est, selon un éminent auteur,«
une source de textes généraux et impersonnels
»131.
La Cour de Cassation132 a rappelé que les
recommandations de la Commission des clauses abusives ne lient pas les
juridictions, de sorte que la méconnaissance n'engendre pas un motif de
Cassation de la décision. En résumé, la commission n'est
pas une source de droit.
Cette réserve de droit ne doit pas faire oublier qu'en
réalité, le juge n'hésitera pas, en cas de doute, à
saisir cette commission et à suivre ces recommandations.
Cette coopération entre les juges judiciaires et les
autorités administratives s'inscrit dans un mouvement plus large, citons
notamment l'exemple du rôle croissant dévolu aux commissions de
surendettement des particuliers qui, progressivement, empiètent sur les
fonctions et les compétences du juge de
l'exécution133. Un auteur a même souligné que
les
127 Avis de la CEPC n° 09-05, préc.
128 Avis de la CEPC n° 09-05, préc.
129 Avis de la CEPC n° 08-06, préc.
130 Avis de la CEPC n° 08-06, préc.
131 L. Leveneur, La commission des clauses abusives et le
renouvellement des sources du droit des obligations, in Le renouvellement
des sources du droit des obligations, préc., p. 155 et s.
132 Cass. civ. 1re, 13 nov. 1996, D. 1997. Somm. 174, obs. Ph.
Delebecque ; JCP 1997. I. 4015, n° 1, obs. Ch. Jamin ; RTD civ. 1997. 424,
obs. J. Mestre.
133 sur cette question, V. les opinions différentes
exprimées après l'entrée en vigueur de la loi du 8
févr. 1995, sp. G. Paisant, JCP 1995. I. 3844 et D. Mazeaud, RTD imm.
1995. 228.
créations de commissions engendraient un rapport «
triangulaire » entre les deux parties et les différentes
commissions créées pour la défense de la partie faible.
134
Il paraît évidemment indispensable, pour les
acteurs du commerce, de suivre attentivement les précieux avis de la
Commission qui jouera, à n'en pas douter ,un rôle
prépondérant dans l'avenir de la jurisprudence ...
B. La procédure: un simple avis qui ne lie pas le
juge
L'article L. 442-6, III, alinéa 6 du Code de commerce
prévoit que les juridictions «peuvent consulter la Commission
d'examen des pratiques commerciales (CEPC) prévue à l'article L.
440-1 sur les pratiques définies au présent article et
relevées dans les affaires dont celles-ci sont saisies».
Cette décision de saisir la Commission n'est pas
susceptible de recours de la part des parties au litige. La Commission
bénéficie,pour faire connaître sa décision, d'un
délai maximum de quatre mois à compter de la date de sa saisie
.
L'instance est alors suspendue, jusqu'à l'avis de la
Commission ,soit à l'expiration du délai de quatre mois, à
l'exception des mesures urgentes ou conservatoires nécessaires pouvant
être prises.
Rappelons qu'il s'agit d' un simple avis donné par la
Commission, qui,théoriquement ne lie en aucun cas le juge qui pourra
, cas par cas, estimer la mesure abusive ou non.
C. Une garantie pour la sécurité
juridique
On le voit, La CEPC va avoir fort à faire pour
préciser les contours de cette notion floue de «
déséquilibre significatif ».
134 Bureau, Remarques sur la codification du droit de la
consommation, préc., n° 23 et 24 ; V. aussi Carbonnier, Droit
civil, t. IV, Les obligations, PUF, coll. Thémis, 20e éd., 1996,
n° 8
Cette commission aura un rôle juridique considérable
sur ce que seront, demain, les clauses abusives entre professionnels.
On sentira sans doute l'inspiration de l'expérience des
clauses abusives dans ce domaine sans pour autant être certain que la
liste noire et grise ait une influence décisive.
La mission la plus importante sera de faire en sorte que la
lésion qui sera probablement retenue ne soit pas une création
génératrice d'une trop grande insécurité
juridique.
L' atteinte ne pourra être démesurée et le
juge devra évidemment tenir compte de la force obligatoire des contrats,
et par conséquent de la sécurité juridique.
Il nous semble intéressant de rappeler ce qu'est
,réellement, la sécurité juridique.
Ainsi selon F. Luchaire, elle est « un
élément de la sûreté » qui, à ce titre
« a son fondement dans l'article 2 de la Déclaration de 1789
»135. La sécurité juridique constitue, en effet,
une notion générale, liée à celles de
non-rétroactivité de la règle, de confiance
légitime, d'interdiction des validations
législatives136. Il a été jugé que le
souci d'intelligibilité et d'accessibilité de la loi, qui
découle des articles 4, 5, 6 et 16 de la Déclaration de 1789
constitue un objectif de valeur constitutionnelle.
Le législateur doit (ou devrait...) adopter des
dispositions suffisamment précises et des formules non équivoques
afin de prémunir les sujets de droit contre une interprétation
contraire à la Constitution ou contre le risque
d'arbitraire137.
Ainsi même si la disposition a déjà
été reconnue conforme à la constitution, il ne nous
paraît pas insensé d'imaginer un nouvel examen par les Sages de
cette disposition.
En effet, selon l'interprétation qui sera faite demain
du « déséquilibre significatif », le
Conseil Constitutionnel pourrait sans doute estimer que cette nouvelle
interprétation, qui n'avait pas
135Et ce, même si F. Luchaire estime qu'en invoquant
l'article 16 de la Déclaration de 1789, c'est bien la
sécurité juridique qui se trouve «implicitement»
protégée. V., La sécurité juridique en droit
constitutionnel français, Cahiers du Conseil Constitutionnel, n°
11, 2001, p. 67.
136C'est-à-dire des lois prises par le
législateur afin de modifier rétroactivement l'état du
droit, en vue de mettre des actes juridiques «à l'abri d'un risque
de nullité ou de péremption sans avoir à distinguer selon
que ces actes relèvent des relations de droit privé ou des
rapports de droit public». O. Schrameck, Les validations
législatives, L'actualité juridique, droit administratif, 1996,
p. 369.
137 Cons. const., 29 juillet 2004, n° 2004-500 DC, Loi
organique relative à l'autonomie financière des
collectivités territoriales, op. cit., cons 12 et 13.
anticipée, constituera un fait nouveau.
Et ce fait nouveau, cette interprétation nouvelle que
n'avait sans doute pas anticipée le Conseil Constitutionnel (cette
position est confortée lorsque l'on lit les motifs de la décision
se référant à la jurisprudence consumériste)
pourrait ainsi amener les sages a statuer sur cette évolution.
La liberté constitutionnelle et l'impératif de
sécurité juridique pourraient ainsi s'ériger, à
moyen ou long terme, comme des obstacles aux interprétations futures.
§ 2 L'utiité et les limites d'une
spécialisation des juridictions
Il est à noter la volonté du législateur
de spécialiser les juridictions commerciales chargées d'appliquer
l'article L. 442-6.Cette volonté est animée par le souci
d'encourager les juridictions à se saisir de ce texte. La loi LME a
souhaité cette spécialisation à l'instar du « grand
» droit de la concurrence qui connaissait déjà un
regroupement de juridictions (8 tribunaux de commerce , une seule Cour d'Appel)
138.
Ce souci de spécialiser les juridictions a pour
conséquence d'augmenter le nombre de dossiers traités et de
rendre les magistrats plus réactifs aux nouvelles réformes. Nous
notons une double limite cependant à cette préoccupation
très moderne de centralisation des juridictions ;d'abord, la
spécialisation retenue ne porte pas sur les autres articles pouvant
être appliqués dans ce genre de contentieux ,à savoir les
prix imposés, les conditions générales de ventes ou encore
la facturation sous la forme d'un contrat unique.
Ensuite, le texte étudié fourni un nombre
impressionnant de pratiques commerciales qualifiées de restrictives.
Notre article devrait en effet devenir dès demain « le siège
de la protection des professionnels contre les clauses abusives
»139, et la sanction du « déséquilibre
significatif » devrait concerner un nombre de contrats trop
conséquent pour envisager une spécialisation des juridictions.
Si le succès du déséquilibre significatif
se fait encore attendre, on notera que la sanction de la rupture brutale des
relations commerciales a rencontré un succès judiciaire
époustouflant.
138 Décret du 30 décembre 2005 et commentaires: V.
Michel-Amsellem, Concurrences, n° 1, 2006, p. 185.
139 F. Rome, éditorial, D. 2008, p. 2337.
Le problème de cette spécialisation tient au
fait que ce texte s'applique à un tel nombre de situations, que tenter
de spécialiser ce qui relève à l'évidence de
situations générales paraît être une
hérésie.
En outre, ce regroupement risque également
d'éloigner l'entreprise de son juge naturel;sans oublier le risque
d'engorgement susceptible d'être provoqué par cette loi.
Il nous semble que la volonté et l'enthousiasme du
législateur a voir le texte aboutir ne doivent pas être au
détriment d'une bonne administration de la justice.
Chapitre 4 Une palette de sanctions adaptées et un
mécanisme procédural particulier
On a aperçu les difficultés qui résultent de
la position délicate du partenaire économique.
On a ainsi prévu un arsenal de sanctions
destinées à dissuader le fort et à protéger le
faible. Les actions pourront être engagées par la victime
directement (Section 1), et de manière plus originale, par les organes
étatiques ce qui traduit un certain dirigisme du gouvernement envers les
relations économiques (Section 2). L'influence du droit de la
consommation sera enfin abordée sous le prisme de l'office du juge, on
verra que le juge devra sans doute relever d'office le
déséquilibre significatif (Section 3).
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