B/ Le contrôle de la constitutionnalité
des Lois
Pour pouvoir exercer une protection efficace des droits de la
personne humaine, le juge constitutionnel exerce un contrôle sur la
conformité des lois à la constitution qu'on appelle
généralement le contrôle de la constitutionnalité
des lois.
A la question de la saisine qui consiste à se demander
à qui sera confié le pouvoir de déclencher le
contrôle de la constitutionnalité de la Loi, qui pourra saisir
l'organe compétent, la solution la plus démocratique consiste
à ouvrir au maximum cette compétence en la remettant à
tout citoyen ; cette solution a fait l'objet de l'art.73 al.3 de la
Constitution centrafricaine de 2004. Ainsi, pour le moment de la saisine, le
choix existe entre deux (2) possibilités, à savoir : avant ou
après que la Loi ne soit entrée en vigueur. On parle de
contrôle a priori ou de contrôle a posteriori. Ceci donne
l'occasion, enfin, aux auteurs de la saisine de demander, soit l'annulation
pure et simple de la Loi (contrôle par voie d'action), soit sa non
application dans une
affaire déterminée (contrôle par voie
d'exception) dans le cadre de l'objet de la saisine28.
A cela, la Cour Constitutionnelle a une compétence de
plein droit pour examiner la conformité à la Constitution des
Lois organiques, des Lois ordinaires et des Ordonnances par voie d'action et
par voie d'exception.
Par le contrôle par voie d'action, l'auteur du recours
demande que si les Lois ou Ordonnances sont reconnues non conforme à la
Constitution, elles soient privées de tout effet. C'est-à-dire
dans le contrôle a priori, elles ne puissent être
promulguées et, dans le contrôle a posteriori, qu'elles soient
annulées et considérées comme n'ayant jamais
existé.
L'art.28 de la Loi no 05.014 du 29 déc.2005
portant organisation et fonctionnement de la Cour Constitutionnelle dispose que
: « les Lois organiques avant leur promulgation sont
déférées à la Cour Constitutionnelle par le
Président de la République pour vérification de leur
conformité à la Constitution. La saisine de la Cour
Constitutionnelle suspend le délai de promulgation». Une fois
saisie d'une Loi organique, la Cour se prononce sur l'ensemble de la Loi, tant
sur son contenu que sa procédure d'élaboration après avoir
statué dans un délai d'un mois à compter de
l'enregistrement de la requete au Greffe. Le délai peut être
ramené à huit (8) jours en cas d'urgence invoquée par le
Président de la République dans sa requete. Si la Cour constate
la conformité, sa décision met fin à la suspension du
délai de promulgation. Au cas contraire, lorsque la Cour constate la
non-conformité partielle, elle se prononce sur le caractère
séparable ou non séparable de la disposition ou des dispositions
censurées. Si le caractère séparable est constaté,
il est loisible au Président de la République, soit de promulguer
la Loi organique amputée de la disposition déclarée
inconstitutionnelle, soit de renvoyer le texte de la Loi à
l'Assemblée Nationale pour un nouvel examen conforme à la
décision de la Cour Constitutionnelle.
Les Lois ordinaires promulguées ou en instance de
promulgation, les Ordonnances, peuvent également être
déférées à la Cour par le Président de la
République, le Président de l'Assemblée Nationale, un
tiers des députés ainsi que tout intéressé. Pour
les Lois en instance de promulgation, la saisine suspend le délai de
promulgation (art.34 de la Loi no05.014). La Cour statue dans un
délai d'un mois à compter de sa saisine, ce délai est
ramené à huit (8) jours en cas d'urgence invoquée dans
l'acte de saisine. La requete motivée, accompagnée d'une copie du
texte attaqué, doit être déposée au Greffe de la
Cour Constitutionnelle. Après instruction de l'affaire par le
Rapporteur, désigné par le Président de la Cour, la phase
d'audience l'accompagne. A l'audience, le Président autorise les parties
qui ont formulé la demande dans leur requête à
présenter leurs observations orales
28Philippe ARDANT, Institution politique et droit
constitutionnel, 4ème éd., LGDJ, 1992, P.598
après lecture du rapport. Alors, après
clôture des débats, la Cour peut rendre sa décision sur le
siège ou mettre l'affaire en délibéré ; dans ce
cas, elle fixe la date du prononcé de la décision. Ainsi, il
convient de noter que la Cour statue uniquement sur l'ensemble des moyens
soulevés par les requérants. En conséquence, la Cour
Constitutionnelle ne peut, hormis les cas de violation de la Constitution ou de
principes de valeur constitutionnelle, soulever d'office d'autres moyens. Elle
statue en constitutionnalité et non en opportunité (Cf. art.39 de
la Loi précitée).
Quant aux Ordonnances, nous pouvons dire que lorsque la Cour
Constitutionnelle constate la non-conformité totale à la
Constitution d'une Ordonnance, ce texte ne peut être appliqué.
Même si cette non-conformité n'est que partielle et que la Cour se
prononce sur le caractère séparable de la ou des dispositions
déclarées inconstitutionnelles, celles-ci ne peuvent être
appliquées. La décision est notifiée au requérant,
au Président de la République et au Président de
l'Assemblée nationale. Celui-ci en informe immédiatement les
députés.
En revanche, dans le cas du contrôle par voie
d'exception, le requérant ne poursuit pas l'annulation de la Loi. Il
demande seulement que l'application de la Loi soit écartée dans
un cas précis parce qu'elle est inconstitutionnelle. La question de la
constitutionnalité de la Loi n'est pas posée à titre
principal, il ne s'agit pas d'un « procès fait à la Loi
», elle est soulevée indirectement à l'occasion d'un litige
portant sur l'application de la Loi au plaignant.
La conformité à la Constitution d'une Loi
après sa promulgation, ou d'une Ordonnance qui n'aurait pas
été soumise à la Cour Constitutionnelle et qui causerait
préjudice à autrui, peut etre vérifiée par la Cour
Constitutionnelle, saisie à l'occasion d'un procès devant une
juridiction centrafricaine quelle qu'elle soit. L'exception
d'inconstitutionnalité peut etre soulevée à tout moment de
la procédure (art.43 de la Loi no05.014). La juridiction
saisie de cette exception d'inconstitutionnalité sursoit à
statuer et en saisie la Cour Constitutionnelle qui rend sa décision dans
le mois qui suit sa saisine. La décision de la Cour est motivée.
Elle est notifiée à la juridiction requérante et à
la partie qui a soulevé l'exception, aux hautes juridictions, au
Président de la République et au Président de
l'Assemblée Nationale. Celui-ci en informe les députés.
Pour illustration, l'affaire Dame veuve AZIALI, née
MBOUNGOU PENDO Véronique contre la Mairie de Bangui peut être
citée :
»En effet, la dame veuve AZIALI, née MBOUNGOU
PENDO Véronique, employée de bureau à la Mairie de Bangui
se voit admise à la retraite à l'age de 51 ans par application de
l'art.12 de l'ordonnance no81/024 du 16 avril 1981.
Lésée dans ses droits, elle a intenté une action en
justice.
Qu'il ressort de l'arret avant dire droit no003 du
05 février 2009 de la Chambre Sociale de la Cour d'Appel de Bangui
:
Que Dame veuve AZIALI, née MBOUNGOU PENDO
Véronique, par la plume de son conseil Maitre Mathias MOUROUBA a, in
limine litis, soulevé l'exception d'inconstitutionnalité de
l'ordonnance no81/024 du 16 avril 1981 statuant un régime
de pension vieillesse, d'invalidité et de décès en
faveur des travailleurs salariés et de son Décret d'application
no083/340 du 10 aoilt 1983, motif pris de ce que l'article 12 de
cette Ordonnance qui a fixé l'ge de la retraite à 50 ans pour les
femme et à 55 ans pour les hommes a introduit une discrimination
fondée sur le sexe, alors l'article 5 alinéas 1 et 2 de la
Constitution du 27 décembre 2004 dispose : « tous les êtres
humains sont égaux devant la loi sans distinction de
race, d'origine ethnique, de région, de sexe, de religion,
d'appartenance politique et de position sociale ;
La loi garantit à l'homme et à la femme des
droits égaux dans tous les domaines. Il n'y a en République
Centrafricaine ni sujet, ni privilège de lieu de naissance, de personne
ou de famille» ;
Que l'article 9 alinéa 2 dispose : « tous les
citoyens sont égaux devant l'emploi. Nul ne peut être
lésé dans son travail en raison de ses origines, de son sexe, de
ses opinions ou de ses croyances» ;
Que sur ces divers motifs de droit, le fondement légal
de son admission à la retraite à l'époque des faits
était anticonstitutionnel ;
Que si le caractère anticonstitutionnel des textes
incriminés est reconnu par la Cour Constitutionnelle, elle est
fondée à réclamer que soit ordonnée sa reprise en
service ou, en cas de refus de la Mairie de Bangui, le paiement des dommages
intérêts ;
Par ces motifs, le juge constitutionnel déclare
l'article 12 de l'ordonnance no81/024 du 16 avril 1981 statuant un
régime de pension vieillesse, d'invalidité et de
décès en faveur des travailleurs salariés comme contraire
à la Constitution.»29
Toutefois, au cas où la Cour Constitutionnelle
déclare contraire à la Constitution le texte attaqué,
celui-ci cesse de produire ses effets à l'égard du
requérant à compter du prononcé de décision
d'inconstitutionnalité. Au cas où la Cour admet l'exception
d'inconstitutionnalité d'une Loi, l'Assemblée Nationale est
appelée à remédier à la situation
juridique résultant de cette décision. Cette procédure de
renvoie est inscrite au prochain ordre du jour de l'Assemblée Nationale.
Au cas où la Cour admet l'exception d'inconstitutionnalité d'une
Ordonnance, le Président de la République, le Gouvernement et
l'Assemblée Nationale sont appelés à remédier
à la situation juridique résultant de cette décision dans
un délai raisonnable.
Le contrôle par voie d'exception est normalement
exercé par un juge et non un organe spécial. L'exception se
présente comme un moyen de défense offert aux
citoyens, la saisine sera large : toute personne poursuivie
devant un juge ne peut soulever l'exception si elle estime qu'on veut lui
appliquer une Loi inconstitutionnelle.
La décision rendue ne vaut pas erga omnes,
c'est-à-dire à l'égard de tous, comme dans le
contrôle par voie d'action. La Loi n'est pas annulée, elle
subsiste,
29 Cf. Décision n0 007/09/CC du 19
octobre 2009
son application est simplement écartée dans le
litige considéré (effet relatif de la chose jugée). Les
pouvoirs publics pourront continuer à appliquer la Loi dans l'avenir, il
appartiendra aux personnes touchées de saisir un juge devant lequel
elles soulèveront une nouvelle exception d'inconstitutionnalité
pour faire écarter l'application de la Loi. Les requérants
pourront d'ailleurs invoquer `' le précédent»
constitué par le premier jugement, mais le nouveau juge n'est pas
lié par la décision de son collègue.
Cependant, la protection juridictionnelle des droits de la
personne humaine n'est pas seulement l'oeuvre du juge constitutionnel, le juge
judiciaire et le juge administratif y assurent également.
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