B/ Le juge judiciaire
Les juridictions judiciaires ont pour mission de
protéger les droits fondamentaux en poursuivant quatre objectifs
principaux : réprimer les faits commis par le coupable, faire cesser et
organiser la réparation du préjudice subi par la victime et,
enfin, prévenir la réalisation du dommage.
L'article 81 de la Constitution centrafricaine de 2004 dispose
expressément que le pouvoir judiciaire est gardien des libertés
et de la propriété, il est tenu d'assurer le respect des
principes consacrés comme bases fondamentales de la
société par la présente Constitution. A ce titre, les
juges de l'ordre judiciaire (juge civil et pénal) sont les responsables
naturels de la protection juridictionnelle des droits et libertés.
Ainsi, de son côté, le juge judiciaire est
associé, par le texte même de la Constitution, à la
protection des droits et libertés de la personne humaine.
35 Décision no234 du 25 octobre
2005
Le démembrement ou bien les aspects de la vie
privée qui doivent subir cette protection s'articulent comme suit : la
vie affective, sentimentale et conjugale ; la maternité et
paternité ; l'intimité corporelle qui induit l'état de
santé ; l'état civil ; le secret de correspondance (même
pour les majeurs protégés), de messagerie ; le patrimoine,
situation de fortune, biens personnels, compétences professionnelles,
image des biens ; la religion, opinions philosophiques, sectes ; le domicile,
adresse ; les fichiers et voix. La violation de la vie privée que le
juge civil doit réprimer touche également les enquêtes.
Considéré comme illicite par le juge civil le fait de faire
épier, surveiller et suivre une personne. La protection de la vie
privée va de pair au respect de la présomption d'innocence. Ceci
se traduit lorsqu'une personne est, avant toute condamnation,
présentée publiquement comme coupable de faits faisant l'objet
d'une enquete ou d'une instruction judiciaire. Le juge peut, même en
référé, sans préjudice de la réparation du
dommage subi, prescrire toutes mesures, telles que l'insertion d'une
rectification ou la diffusion d'un communiqué, aux fins de faire cesser
l'atteinte à la présomption d'innocence, et c'est aux frais de la
personne, physique ou morale, responsable de cette atteinte.
En plus de la protection de la vie privée du
particulier, le juge civil protège également la vie privée
du salarié.
En revanche, concernant les contentieux relatifs à la
protection des individus face à l'administration, la compétence
du juge judiciaire n'est pas exclusive, mais reste partagée avec le juge
administratif, contrairement aux dispositions du Nouveau Code de
procédure pénale qui prévoient pourtant
l'exclusivité de la compétence judiciaire.
Ainsi, comme son homologue français, la
compétence du juge civil centrafricain a en outre été
élargie par la Cour Constitutionnelle à la protection de
l'inviolabilité du domicile grace à une interprétation
audacieuse de l'art.14 al.2 de la Constitution de 200436.
Alors, la seule constatation de l'atteinte aux droits et
libertés de la personne humaine ouvre droit à réparation.
Lorsque l'administration commet une inégalité d'une
gravité telle qu'elle se place complètement en dehors du champ
des pouvoirs qui lui sont consentis légalement (la voie de fait et
l'emprise irrégulière), la garantie de l'intervention d'une
juridiction administrative lui soit refusée, alors, on relève la
compétence des juridictions judiciaires. Le juge judiciaire est
amené à réparer le préjudice subi ; il le fait
toute fois en étroite collaboration avec le juge administratif, lequel
est seul compétent pour apprécier la légalité
d'actes administratifs en cause. (TC, 16 juin 1964, Clément,
Rec.796).
36 Article 14 al.2 de la Constitution de 2004 :
« Le domicile est inviolable. Il ne peut y être porté
atteinte que par le juge et, s'il y a péril en la demeure, par les
autres autorités désignées par la Loi, tenues de
s'exécuter dans les formes prescrites par celle-ci ».
L'intervention du juge civil est alors de nature à
permettre une protection plus efficace du justiciable
En présence d'une voie de fait (dans l'hypothèse
où l'administration a, par un acte illégal, porté une
atteinte grave au droit de propriété ou à une
liberté fondamentale comme la liberté de la presse ou la
liberté de réunion), le juge civil bénéficie d'une
compétence élargie (il use l'exclusivité de sa
compétence), ce qui peut aller jusqu'à enjoindre à
l'administration de faire cesser la voie de fait et de réparer le
préjudice.
Pour l'emprise irrégulière,
considérée comme étant la prise de possession par
l'administration sans titre légal à titre provisoire ou
définitif d'une propriété privée, le juge
judiciaire se voit attribuer une compétence moins large. Celle-ci est
contraire à ce qu'affirme l'art. 14 de la Constitution du 27
décembre 2004. Pour cet état de fait, la victime de la
dépossession doit saisir le juge judiciaire pour demander
réparation du préjudice subi. Nous suggérons l'affaire
MALIK Jérôme comme illustration.
`' En l'espèce, le sieur MALIK, attaché
principal d'administration en service au Ministère de l'Education
National, acquière régulièrement le 28 juin1976 le titre
foncier no3382 de sa propriété situé sur la
route de
D amara (PK 12). En janvier 1988, les Services du
Cadastre et des Domaines morcèlent une partie du terrain qu'ils
affectent à la Mairie de Bégoua pour la construction d'un nouvel
hôtel de ville sans consentement du propriétaire et même
à son insu. Lésé, le sieur MALIK saisit le 05/08/1992 la
Chambre Administrative de la Cour Suprême, laquelle par la
décision du 08/08/1992 se déclare incompétente. C'est sur
la base de cette décision que le requérant se tourne vers le juge
judiciaire qui n'a pas hésité de faire droit à sa
demande»37
Il est à noter que le juge pénal est lui aussi
confronté à des atteintes aux droits fondamentaux. Il l'est d'une
part en punissant et d'autre part en protégeant.
La compétence du juge judiciaire est exclusive dans le
domaine de la répression. Ainsi, chaque fois que la violation d'une
liberté publique est sanctionnée pénalement, seul le juge
judiciaire (ici, le juge pénal) peut prononcer une condamnation, ou une
relaxe, même si le prévenu est un agent public.
La Loi n°10.001 du 06 janvier 2010 portant Code
Pénal Centrafricain punit, et parfois de manière
particulière lorsqu'il s'agit d'agent de l'Etat, les atteintes à
la liberté individuelle (art. 336-338 du C.P), les tortures, actes de
barbarie et autres traitements cruels, inhumains et dégradants (art.
118-120 du C.P), les crimes contre la personne humaine (art. 152-157), des
crimes et délits contre la Constitution (331- 335).
37TGI de Bangui, 17 juin 1997, MALIK
Jérôme C/Min des TP
Le Code de Procédure Pénale centrafricain, comme
le Code de Procédure Pénale français, énonce que
seules les juridictions judiciaires sont compétentes pour se prononcer
sur tous les cas de détention arbitraire que la Constitution de 2004,
dont son article 3 prohibe par principe. Seul le juge pénal, au nom du
principe de plénitude de juridiction, peut apprécier la
légalité des actes pris par l'administration (Règlements,
décrets) servent de fondement aux poursuites et en décider
l'annulation s'il l'estime leur contenu illégal. Cependant, il ne
dispose pas du pouvoir étant réservé aux juridictions
administratives. D'ailleurs, c'est lui qui assure le respect de l'art.81 de la
Constitution de 200438 en s'opposant par exemple aux
détentions arbitraires (art.3 al.3 de la Constitution de 2004), à
l'hospitalisation abusive des malades mentaux ou aux séquestrations des
personnes (art.97-101 du C.P centrafricain de 2010).
Comme exemple de détention arbitraire, nous pouvons
illustrer le cas de l'affaire William et autres de la République
Démocratique du Congo immigrés en RCA.
`'En l'espèce, le sieur William, immigré en
1995 en RCA, cireur de chaussure de son état a eu la malchance un
jour (janvier 2000) de cirer la chaussure d'un Gendarme, lequel lui
reproche d'avoir endommagé ses chaussures et lui demande une chaussure
neuve en compensation. N'arrivant pas à satisfaire la demande du
Gendarme, le sieur William fût arrêter et détenu dans les
locaux de la Gendarmerie Nationale. Face à cela, à défaut
d'une chaussure neuve, son frère parti acheter une autre
chaussure à la friperie et donna au Gendarme
prétendument lésé après
des excuses préalablement faites. Celui ci a
considéré ce geste comme
étant une injure et inflige le meme sort de William
à son frère.» La question qu'on se pose est donc de
savoir si le fait de mal cirer une chaussure constitue en soi une infraction
possible d'emprisonnement ? Le juge en a répondu par une négation
en l'affaire. Et donc ceci est considéré comme étant
illégal et constitue ce qu'on appelle une détention
arbitraire.
En revanche, les voies juridictionnelles internationales
s'ouvrent également à la victime même s'il existe
réellement les juridictions internes compétentes de protection
des droits de la personne humaine. C'est ainsi qu'on constate actuellement
l'émergence remarquable d'une justice pénale internationale, d'un
système de coopération de justice entre les Etats qui constituent
une innovation sans doute. Mais tout ce recours doit se présenter sous
respect du principe ou de procédure imposés par elles.
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Article 81 de la Constitution de 2004 : « Le pouvoir
judiciaire, gardien des libertés et de la propriété, est
tenu d'assurer le respect des principes consacrés comme bases
fondamentales de la société par la présente Constitution
».
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