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L'effectivité des droits de l'enfant en Cote d'Ivoirepar Arsène NENI BI Université Jean Moulin Lyon 3 - Doctorat en droit public 2018 |
SECTION II. LE ROLE MITIGE DES ORGANES DE CONTROLEIl serait vain de les énumérer tous ici. Il importe, sans risque de s'égarer, d'insister, sur les organes qui nous paraissent le mieux à même d'assurer un contrôle idoine et effectif des droits de l'enfant aussi bien au niveau universel qu'africain.. Pour appréhender au mieux leur rôle, il convient de détacher les garanties quasi-juridictionnelles peu sollicitées (Paragraphe 1) des garanties judiciaires peu exploitées (Paragraphe 2). § 1. DES GARANTIES QUASI-JURIDICTIONNELLES PEU SOLLICITEES La protection quasi-juridictionnelle internationale de l'enfant en Côte d'Ivoire est dévolue aux organes dédiés à cet effet tant au niveau universel que régional. De façon générale, institués par des traités, les organes intervenant dans le domaine des droits de l'homme au niveau universel sont au nombre de neuf765, contre un nombre plus restreint au niveau régional africain. Les mécanismes de mise en oeuvre et de surveillance peuvent être classés en deux catégories fondamentales, l'une conventionnelle et l'autre extra conventionnelle. Les mécanismes extra conventionnels sont constitués des différents rapporteurs spéciaux, les experts indépendants et groupes de travail crées par des commissions des droits de l'homme et repris par le conseil des droits de l'homme. Dans cette partie, il s'agira d'étudier certains mécanismes conventionnels chargés de suivre l'application des traités par les Etats parties et veiller à leur respect. Concernant le contrôle des droits de l'enfant, ce sont les articles 44 et 32 respectivement de la CIDE et de la CADBE qui instituent ces organes de surveillance. Il y a plusieurs méthodes de contrôle qui sont adoptées, celles des rapports étatiques et de la procédure individuelle qui donnent aux organes de contrôle le pouvoir de mener des investigations. Si la plupart des Etats sont peu ou prou respectueux des procédures élaborées par ces organes non juridictionnels, tel n'est pas le cas pour le Côte d'Ivoire qui brille par l'irrégularité des recours à ces organes (A) accentuée par leur inefficacité (B). A. L'IRREGULARITE DES RECOURSLa Côte d'Ivoire étant partie aux instruments tels la CIDE, la CADBE, elle doit soumettre à cet effet un rapport selon les procédures élaborées par chaque organe de contrôle. Aussi, ces organes sont compétents pour se prononcer sur d'éventuelles plaintes individuelles ou étatiques. Cependant, l'absence de la Côte d'Ivoire, au jeu de contrôle international entraine la quasi inexistence du recours universel (1) et l'inertie du recours africain (2). 765 http://www.ohchr.org/FR/HRBodies/Pages/HumanRightsBodies.aspx Le Comité des droits de l'homme (CCPR), Le Comité des droits économiques, sociaux et culturels (CESCR), Le Comité pour l'élimination de la discrimination raciale (CERD) ,Le Comité pour l'élimination de la discrimination à l'égard des femmes (CEDAW) Le Comité contre la torture (CAT), le Sous-Comité pour la prévention de la torture (SPT), Le Comité des droits de l'enfant (CRC) , Le Comité des travailleurs migrants (CMW), le Comité des droits des personnes handicapées (CRPD, le Comité des disparitions forcées (CED). 293 1. La quasi inexistence du recours universel Cette quasi inexistence du recours se traduit par le retard excessif de la Côte d'Ivoire dans la soumission de rapports périodiques et de la non ratification du troisième protocole relatif à la présentation des communications. - Le retard excessif des rapports périodiques La ratification de la CIDE et de ces deux premiers protocoles engage l'État partie à soumettre un rapport au Comité des droits de l'enfant766, d'abord dans les deux premières années qui suivent la ratification des normes (rapports initiaux), et ensuite tous les cinq ans (rapports périodiques). Ainsi, tous les États, exception faite des USA et de le Somalie, doivent présenter au Comité des droits de l'enfant un rapport initial, deux ans après l'entrée en vigueur de la Convention et ensuite tous les cinq ans, un rapport périodique. Deux documents ont été élaborés par le Comité dans le cadre de la présentation des rapports : Les Directives générales concernant la forme et le contenu des rapports initiaux767 et les Directives générales pour les rapports périodiques768. À travers les Directives générales concernant la forme et le contenu des rapports initiaux, le Comité des droits de l'enfant explique l'importance et la finalité de la présentation de rapports par les États parties sans oublier les informations attendues par le Comité dans le rapport initial. Tous les droits de la CIDE doivent être pris en compte dans le rapport, mais le Comité les a regroupés en sept (07) en points : - Les mesures d'application générales ; - La définition de l'enfant ; - Les libertés et droits civils ; - Le milieu familial et la protection de remplacement ; - La santé et le bien-être ; - L'éducation, les loisirs et les activités culturelles ; 766 Art. 44 de la CIDE, art. 12 du Protocole facultatif relatif à la vente des enfants et art. 8 du Protocole facultatif relatif à l'implication des enfants dans les conflits armés. 767 Doc. Nations Unies, CRC/C/5 du 30 octobre 1991, 8 p. 768 Doc. Nations Unies, CRC/C/58 du 20 novembre 1996, 51 p. 294 - Les mesures spéciales de protection de l'enfance. Des informations concernant le cadre législatif, les données statistiques, les mesures prises ou à envisager pour le respect de la CIDE, etc.769sont aussi contenues dans les Directives. En ce qui concerne les Directives générales pour les rapports périodiques, le même regroupement des droits de l'enfant, en sept points, a été effectué. Ce qui nous amène à en déduire que c'est le modèle à suivre pour la présentation des rapports étatiques au niveau du Comité. Ceci étant, le document relatif à la présentation des rapports étatiques est beaucoup plus détaillé et plus volumineux (51 Pages) que celui des rapports initiaux (08 pages). Pour cause, il est plus explicite sur les points spécifiques qui doivent être abordés par les États dans les rapports. Ainsi par exemple, il est demandé aux États de fournir des renseignements sur les mesures prises pour donner suite aux Observations finales du Comité à l'étude d'un précédent rapport soumis par l'État770. Il ressort de ces deux documents, que le Comité des droits de l'enfant, a mis en place le canevas pouvant lui permettre de recueillir des informations à même de l'amener à pouvoir évaluer la situation des droits de l'enfant dans l'État partie. Mais ce cadre de déroulement du suivi de mise en oeuvre de la CIDE semble insuffisant pour assurer une protection effective des enfants dans les États, qui n'avaient pas un système protecteur des droits de l'enfant avant leur engagement à la Convention. Il pèse sur chaque Etat partie à la CIDE, une obligation de présenter des rapports conformément à ces modèles. Cette obligation contenue dans l'article 44 alinéa 1 de la CIDE oblige les Etats parties à soumettre au comité des « rapports sur des mesures prises qu'ils auraient adoptées pour donner effet aux droits reconnus dans la présente convention ». La Convention est entrée en vigueur le 2 septembre 1990, conformément au paragraphe 1er de son article 49.771 Ayant ratifié la CIDE en date du 4 février 1991, le dépôt du rapport initial de ce pays, était prévu pour le 05 mars 1993. Mais force est de constater que celle-ci a attendu six (6) ans pour soumettre son rapport initial, c'est-à-dire le 22 janvier 1999. Depuis le dépôt 769 Cf. doc. Nations Unies, CRC/C/5, op.cit. Pour plus de détails sur chaque rubrique. 770 Cf. point 6 du document portant directives. 771 Il ressort du paragraphe 1er de l'art.49 que la Convention entre en vigueur trente jours après le dépôt du vingtième instrument de ratification ou d'adhésion. 295 de son rapport initial, la Côte d'Ivoire n'a pas veillé au dépôt constant de ses rapports périodiques. La Côte d'Ivoire a de sérieux retard dans la production de rapports périodiques au Comité des Droits de l'Enfant. Le retard accumulé par la Côte d'Ivoire est le dépôt de 3 rapports périodiques mais elle a la possibilité de compiler ses rapports. Le rapport prévu pour 2005 a été déposé en 2014. Ce retard excessif de la Côte d'Ivoire limite les actions du Comité des droits de l'enfant dans le cadre de la protection des enfants vivant en Côte d'Ivoire. Ce retard des États dans la transmission des rapports entraine ipso facto le retard dans l'examen des rapports par le Comité. La Côte d'Ivoire n'est pas le seul Etat à être irrégulier dans ce domaine. En effet, si nous prenons par exemple le cas du Bénin, qui devrait soumettre son rapport initial en 1992, il y a lieu de constater que ce rapport n'a été transmis que le 22 janvier 1997772 . Pour ce qui est du rapport périodique devant être soumis en 1997, il ne l'a été que le 20 avril 2005.773 Outre les retards de transmission des rapports par les États, le Comité des droits de l'enfant peine à étudier les rapports à temps. Selon le rapport 2012 du Comité774, les difficultés liées à l'examen des rapports ont été mentionnées. Ainsi pouvons-nous lire aux paragraphes 40, 41 et 42 dudit rapport que, suite aux difficultés liées à l'examen des rapports, le Comité avait demandé, en 2008, à l'Assemblée générale de l'ONU, l'autorisation de se réunir en deux chambres pendant quatre sessions775. L'autorisation reçue avait permis, selon le rapport, d'accélérer l'examen des rapports pour réduire le nombre de rapports en souffrance. Mais depuis la fin des deux chambres lors des sessions, en 2010, le Comité craint que le nombre de rapports en souffrance ne s'accentue.776 Cette situation met en évidence les difficultés du Comité à jouer efficacement son rôle d'examen des rapports des États parties à la CIDE. Ce qui, si la situation perdure, pourrait avoir un impact négatif profond sur le respect des obligations conformément à l'article 44 de la CIDE. De ce qui précède, il résulte que l'Assemblée générale prenne des mesures qui s'imposent pour donner au Comité, les moyens pour jouer efficacement son rôle en matière d'examen 772 Voir doc. Nations Unies, CRC/C/3/Add.25 du 4 juillet 1997. 773 Voir doc. Nation Unies, CRC/C/BEN/2 du 24 novembre 2005. 774 Doc. Nations Unies, A/67/41, New York, 2012, 59 p. 775 Para.40 rapport 2012 CRC. 776 Para.41 rapport 2012 CRC. 296 des rapports. Ne pas le faire s'apparenterait à un encouragement aux États à ne pas prendre au sérieux le rôle du Comité sur cette question très importante. De même, la non ratification du troisième protocole relatif à la présentation de communications individuelle et étatique, constitue une cause d'inexistence du recours. - La non ratification du troisième protocole relatif aux communications La non ratification du troisième protocole relatif aux communications individuelles et étatiques explique aussi la quasi inexistence du recours universel à l'égard des enfants victimes de violations de leurs droits sur le territoire ivoirien. En effet, il n'y a pas de disposition dans la CIDE, qui prévoit les procédures de plaintes pour les individus. Les individus ne peuvent donc pas, en principe, en cas de violations de leurs droits, déposer leurs plaintes auprès du Comité onusien des droits de l'enfant. Cette carence a été récemment corrigée avec l'adoption du Protocole facultatif relatif aux droits de l'enfant établissant la procédure de présentation des communications devant le Comité des droits de l'enfant. Adopté en date du 19 décembre 2011 par la Résolution A/RES/66/138 de l'Assemblée générale des Nations Unies777, le Protocole facultatif relatif aux droits de l'enfant établissant la procédure de présentation des communications devant le Comité des droits de l'enfant requérait, pour son entrée en vigueur, dix (10) ratifications.778 Le 14 janvier 2014, avec la ratification de l'État du Costa Rica, le protocole est entré en vigueur le 1er avril 2014. Mais, il apparait intéressant d'examiner concrètement les apports et les faiblesses de ce nouvel instrument dans l'univers de la justiciabilité des droits de l'enfant au niveau de l'ONU. A travers ce troisième protocole, le Comité des droits de l'enfant peut recevoir des communications, c'est-à-dire des requêtes, individuelles779 et interétatiques780 sur des cas de violations présumées des droits reconnus dans la Convention des droits de l'enfant et ses deux premiers Protocoles. 777 Cf. le site http://www.un.org/fr/documents/view_doc.asp?symbol=A/RES/66/138 (consulté le 15 novembre 2015) 778 Conformément à l'art. 19 alinéa 1 du Protocole « Le présent Protocole entrera en vigueur trois mois après la date du dépôt du dixième instrument de ratification ou d'adhésion. ». 779 Articles et 5 et svts du Protocole facultatif à la Convention relative aux droits de l'enfant établissant une procédure de présentation de communication. 780 Article 12 et svts du Protocole op.cit. 297 En effet, le Protocole facultatif n°3 de la CIDE, depuis son entrée en vigueur, ouvre sans doute la voie de l'effectivité de la justiciabilité des droits de l'enfant au niveau de l'ONU. Il est le moyen par lequel les violations des droits de l'enfant par les parties à la CIDE et ses deux premiers Protocoles facultatifs pourront faire l'objet de recours auprès de l'organe de suivi et de mise en oeuvre qu'est le Comité des droits de l'enfant. Au-delà de cet apport important, l'élément primordial à la faveur des enfants, est la possibilité qui leur est offerte de saisir directement, par une requête, le Comité pour une violation supposée de leurs droits reconnus par la Convention et ses deux premiers Protocoles.781 C'est dire que, dans un avenir proche, il sera possible d'avoir des décisions du Comité des droits de l'enfant, statuant sur des questions de violations des droits de l'enfant par un État partie aux normes concernées. Cependant, plusieurs conditions draconiennes doivent être respectées pour que la plainte soit considérée comme recevable : - L'enfant ou ses représentants doivent déjà avoir porté plainte devant une juridiction nationale. Si elle n'a pas abouti, l'enfant pourra alors se tourner vers le Comité ; - la plainte doit alors être déposée devant le Comité dans l'année qui suit la fin de la procédure devant la juridiction nationale ; - la plainte ne doit pas être anonyme, ni infondée et ne doit pas constituer un abus de droit ; - la plainte doit être formulée par écrit. De plus, l'enquête du Comité sur le territoire de l'Etat présumé violateur dépend de l'accord de l'Etat partie782. Ces conditions limitent ainsi l'utilisation de ce recours, notamment celle relative aux délais pour introduire la plainte devant le Comité. 781 L'article 5 en son alinéa 1er ouvre voie à des communications individuelles en disposant que : « Des communications individuelles peuvent être présentées par des particuliers ou des groupes de particuliers ou au nom de particuliers ou de groupes de particuliers relevant de la juridiction d'un Etat partie, qui affirment être victimes d'une violation par cet Etat partie de l'un quelconque des droits énoncés dans l'un quelconque des instruments suivants auquel cet Etat est partie : La Convention ; Le Protocole facultatif à la Convention, concernant la vente d'enfants, la prostitution des enfants et la pornographie mettant en scène des enfants ; Le Protocole facultatif à la Convention, concernant l'implication d'enfants dans les conflits armés. ». 782 Article paragraphe 2 du Protocole facultatif à la Convention relative aux droits de l'enfant établissant une procédure de présentation de communications. 298 299 Mais, au regard des nouvelles prérogatives du Comité, un réaménagement du rôle et du fonctionnement de l'organe onusien de suivi des droits de l'enfant s'impose. Ainsi, comme on peut le constater à l'article 3 du Protocole, obligation est faite au Comité des droits de l'enfant d'adopter un règlement intérieur relatif à ces nouvelles fonctions. En dépit des avantages du Protocole facultatif portant sur les procédures de communication, nous constatons, avec regret, que le nouvel instrument a vu le jour avec un handicap non moins important. En effet, comme son nom l'indique, le Protocole facultatif à la Convention des droits de l'enfant établissant la procédure de présentation des communications, est un instrument qui n'est pas obligatoire aux États parties. En effet, dire que le Protocole est ``facultatif'» revient à le laisser au gré des États parties783 à la CIDE (et ses deux premiers Protocoles) qui sont libres de le ratifier ou non. Or, le troisième Protocole établissant la procédure de communication, n'est rien d'autre qu'un instrument qui vient compléter les insuffisances de la CIDE. Dès lors, il nous semble qu'il aurait été plus judicieux de préférer l'appellation de «Protocole additionnel» à «Protocole facultatif». Le Protocole additionnel ayant pour avantage de s'imposer aux États déjà parties à la Convention principale qui se trouve, dans notre cas, être la Convention des Nations unies relatives aux droits de l'enfant. Et comme nous le constaterons, les communications ne pourront être introduites au Comité des droits de l'enfant, uniquement que contre les États qui ratifieraient le troisième Protocole. Ainsi, il n'est pas possible pour les enfants ressortissants d'un État partie à la Convention relative aux droits de l'enfant, qui ne l'aurait pas ratifiée, et dont les droits sont violés, d'introduire une requête au Comité contre cet État.784 Mais dans tous les cas, rendre le Protocole relatif à la procédure de communication obligatoire aux États parties à la CIDE n'aurait pas été une première pour un mécanisme de protection des droits de l'enfant, dans la mesure où l'Union Africaine avait déjà introduit une telle procédure dans la Charte africaine des droits et du bien-être de l'enfant au niveau régional africain.785 783 Pour la notion de «facultatif», Cf. CORNU (G.), Vocabulaire juridique, 10e édition, 2014, p.444. 784 Art. 1er al.3 du 3ème Protocole «Le Comité ne reçoit aucune communication intéressant un Etat qui n'est pas partie au présent Protocole. ». 785 Art.44 de la Charte africaine des droits et du bien-être de l'enfant. Outre cette faiblesse, on note à l'article 10 du Protocole, que la particularité des droits économiques, sociaux et culturels refait surface. En effet, l'article 10 dispose en son alinéa 4 que : « Lorsqu'il examine des communications faisant état de violations des droits économiques, sociaux et culturels, le Comité évalue le caractère raisonnable des mesures prises par l'État partie conformément à l'article 4 de la Convention... » sans compter qu'à l'issue de l'examen des communications, le Comité ne peut, dans le meilleur des cas, faire des recommandations, en cas de violation des droits de l'enfant établie.786 De plus, comme le relève à juste titre, l'ONG « HUMANIUM787 », la possibilité d'introduire une plainte collective n'a pas été retenue dans le Projet Final du 3ème Protocole. Mais l'article 5 dispose que : « des communications peuvent être présentées par des particuliers, ou au nom de particuliers ou de groupes de particuliers, ou au nom de particuliers ou de groupes de particuliers. ». Une ONG peut donc parfaitement déposer une communication au nom d'un enfant ou d'un groupe d'enfants. Au total, l'adoption de ce protocole présente une avancée considérable. Encore, faut-il que les membres du Comité international des droits de l'enfant ne soient pas trop abruptes dans l'examen des conditions de recevabilité, notamment lorsque la violation apparaît évidente. Il faut souligner à cet égard que le Protocole reprend la jurisprudence établie par la Cour Européenne des droits de l'homme ou par la Cour interaméricaine s'agissant des exceptions au principe de l'épuisement des voies de recours internes par exemple788. C'est dire que malgré ses apports possibles dans l'effectivité des droits de l'enfant, le troisième Protocole relatif aux droits de l'enfant établissant la procédure de communication, présente des faiblesses, qui nous l'espérons, n'entameront pas pour longtemps la justiciabilité des droits de l'enfant au niveau du système de contrôle onusien. Après avoir signé ce protocole en 2013, la ratification par la Côte d'Ivoire de ce troisième protocole facultatif à la CIDE de 2011, serait un gain pour la protection de l'enfant et ses 786 Art.10 al.5 3ème Protocole « Après avoir examiné une communication, le Comité transmet sans délai aux parties concernés ses constations au sujet de cette communication, éventuellement accompagnées de ses recommandations. ». 787 Pour plus d'infos sur Humanium, consulter http://www.humanium.org/fr/presentation/ 788 Sultani c/ France, 20 septembre 2007, para. 50 ; Tomasi c/France, 27 août 1992, parag.79 ; Selmouni c/ France, 28 juillet 1999, para. 74 s. 300 droits. Il est en conséquence, impérieux que l'Etat ivoirien puisse ratifier ce protocole dans les meilleurs délais. De toute façon, si la Côte d'Ivoire conserve sa position en ne ratifiant pas ce protocole, il est laissé la possibilité à la victime de se tourner vers le recours régional via la Comité africain des experts et du bien-être de l'enfant qui fait face à une inertie. 2. L'inertie du recours régional Dans la procédure des rapports ou des plaintes, force est de constater l'inertie du recours régional au niveau ivoirien, contrairement à certains Etats africains. Il serait intéressant de montrer la tardive remise des rapports périodiques de la Côte d'Ivoire au Comité des experts africains des droits et du bien-être de l'enfant, avant d'envisager l'absence des communications individuelles et étatiques. - La tardive remise des rapports périodiques La tardive remise des rapports périodiques adressés au Comité des experts des droits et du bien-être de l'enfant montre le relâchement de la Côte d'Ivoire contrairement à certains pays africains. La procédure des rapports périodiques au niveau africain, est pratiquement la même que celle universelle. Pour évaluer l'état des droits de l'enfant dans les États parties à la Charte des enfants, il faut avoir une connaissance de la situation qui prévaut sur le territoire de l'État concerné. Pour le faire, l'UA à travers la CADBE, a mis en place le même modèle que les Nations Unies en ce qui concerne la CIDE : soumission de rapports initiaux puis périodiques789. Ainsi, l'article 43 de la CADBE dispose : « 1. Tout État partie à la présente Charte s'engage à soumettre au Comité par l'intermédiaire du Secrétaire général de l'Organisation de l'unité africaine, des rapports sur les mesures qu'ils auront adoptées pour donner effet aux dispositions de la présente Charte ainsi que sur les progrès réalisés dans l'exercice de ces droits : CAB/LEG/153/Rev.2 a) dans les deux ans qui suivront l'entrée en vigueur de la présente Charte pour l'État partie concerné ; 789 BELLO (S.), La traite des enfants en Afrique, L'application des conventions internationales relatives aux droits de l'enfant en République du Bénin, L'Harmattan 2015, pp.299-304. 301 b) ensuite, tous les trois ans. 2. Tout rapport établi en vertu du présent article doit :
3. Un État partie qui aura présenté un premier rapport complet au Comité n'aura pas besoin, dans les rapports qu'il présentera ultérieurement en application du paragraphe 1 a) du présent article, de répéter les renseignements de base qu'il aura précédemment fournis. » De la soumission du rapport, en passant par son examen et les recommandations ou observations finales, le processus de soumission des rapports au niveau du CADBE s'effectue essentiellement en six points, comme suit : 1- L'État partie fournit son rapport au Comité
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Les rapports soumis par les États doivent se faire conformément aux directives relatives à la soumission des rapports initiaux et des rapports périodiques790. Dans le même temps, les États parties à la CADBE semblent avoir du mal à se conformer aux exigences de l'article 43 de ladite Charte, qui leur fait obligation de soumettre un rapport initial deux ans après l'entrée en vigueur de la Charte (à l'égard de l'État partie) et ensuite un rapport périodique chaque trois ans. Ainsi, à sa dix-neuvième session en 2012, et sur les quarante-six (46) 790 Pour plus d'infos sur les directives, voir : http://acerwc.org/?wpdmdl=8694 ( consulté le 01/12/2015). 302 ratifications des États791, seuls quinze États792 parties s'étaient conformés entièrement ou partiellement aux exigences de l'article 43. Et parmi les 15 États ayant soumis un rapport, on note que si tous ont soumis le rapport initial, seul le Burkina Faso avait soumis un rapport périodique. Et au nombre des rapports initiaux soumis, seuls neuf (09) rapports avaient fait l'objet d'observations finales et de recommandations de la part du Comité.793. Plus récemment, lors de sa 26ème session ordinaire qui s'est déroulée à Addis-Abeba, en Ethiopie, du 16 au 19 Novembre 2015794, l'Algérie, le Congo, le Gabon et le Lesotho ont tous présenté leurs rapports initiaux sur la mise en oeuvre de la Charte africaine des droits et du bien-être de l'enfant au Comité d'experts, augmentant ainsi le nombre d'Etats ayant présenté leurs rapports initiaux. A l'heure actuelle, seuls 10 Etats ont soumis tous leurs rapports, 18 Etats sont en retard par un ou deux rapports, 20 Etats accusent un retard d'au moins trois rapports, tandis que 6 Etats ayant ratifié n'ont jamais soumis de rapports795. La Côte d'Ivoire, quant à elle, se distinguait toujours par son absence de rapport. Au titre de l'article 43 portant soumission des rapports périodiques, 15 pays796 ont soumis leurs rapports initiaux qui ont été examinés par le comité des experts797. Parmi ces pays, figure son voisin du Burkina Faso qui a déjà adressé ses 1re et 2e rapports périodiques contrairement à la Côte d'Ivoire qui se démarquait par son inertie. Bien qu'elle soit partie à la charte depuis le 1er mars 2002, elle n'avait cependant déposé aucun rapport au comité des experts des droits et du bien-être de l'enfant. Heureusement en date du 04 juillet 2012, elle a soumis son rapport initial et cumulé portant sur la période de 1994 à 2012 ; mieux, le 28 juin 2016, la Côte d'Ivoire a soumis son rapport portant sur la période 2012-2015. On ne peut qu'espérer que cette dynamique se poursuive afin que ce pays soit en phase avec ses engagements internationaux. 791 Etat de ratification à la date de 06 novembre 2012. www.acerwc.org (Consulté le 06 novembre 2012). 792 Burkina-Faso, Cameroun, Egypte, Kenya, Libye, Mali, Mauritanie, Niger, Nigeria, Rwanda, Sénégal, Soudan, Tanzanie, Togo, et Ouganda. 793 Ce point a été fait, le 06 novembre 2012, sur la base des données disponibles sur le site du Comité. 794
http://www.ihrda.org/fr/2015/11/26e-session-ordinaire-de-la-caedbe-examine-les-rapports-initiaux-de- 795 http://www.achpr.org/fr/states/reports-and-concluding-observations/ ( Consulté le 01/05/2018) 796 Ces pays sont : l'Algérie, le Nigeria, le Kenya, l'Ouganda, le Mali, le Burkina Faso, la Tanzanie, le Rwanda, le Togo, le Niger, le Sénégal et le Cameroun. 797 http://www.achpr.org/fr/sessions/51st/speeches/cyprien_adebayo_yanclo/ (consulté le 05/05/2015). 303 D'ailleurs, la CAEDBE vient de publier le 18 mai dernier ses recommandations et observations sur ce rapport initial de la République de Côte d'Ivoire. On y lit : « - Inexistence de l'enfant - Accélérer le processus d'adoption du code. Au cours de l'adoption dudit code, le comité recommande que le gouvernement harmonise les questions relatives aux droits de l'enfant conformément à ses obligations mondiales et régionales ; - Encourage le gouvernement à allouer suffisamment de ressources financières et humaines pour la mise en oeuvre intégrale de la PNPE ; - Le comité recommande au gouvernement au gouvernement de développer un mécanisme de coordination entre ses acteurs des droits de l'enfant ; - Le comité demande au gouvernement de la Côte d'ivoire de concevoir un système dans lequel l'allocation budgétaire est évaluée en fonction des différents facteurs qui reflètent les besoins des enfants, comme la croissance démographique des enfants et leurs besoins spéciaux ; - Le comité encourage également la diffusion de ces observations finales et recommandations, ainsi que le rapport de l'Etat partie parmi les nombreux acteurs. Le Comité recommande fortement à l'Etat partie d'examiner son âge minimum de mariage pour les filles et de le fixer à 18 ans sans aucune exception. Le Comité recommande par conséquent au gouvernement de mener des campagnes de sensibilisation contre les sévices et la violence envers les enfants, notamment la violence sexuelle ; de former ses forces de police, ses juges et procureurs sur la gestion des cas d'abus d'enfants ; de sensibiliser la communauté sur l'importance du fait de signaler les cas d'abus au système juridique formel ; de former les chefs traditionnels et religieux sur la gestion de cas et les renvois à la police ; et d'apporter un soutien psychosocial aux victimes d'abus sexuels et d'abus de toutes sortes, de former les enseignants sur les conséquences de tels actes. Le Comité exhorte l'Etat partie à mettre en oeuvre l'Arrêté qui interdit les châtiments corporels dans les écoles et interdit légalement les châtiments corporels à la maison. S'agissant des cas de viol, le Comité demande à l'Etat partie de définir clairement et de punir le viol dans le code pénal, en vue d'accélérer les procédures judiciaires des cas de viol, 304 et afin de réduire le coût des procédures judiciaires et la production de preuves en matière de viol et autres violences sexuelles. Le Comité recommande également à l'Etat partie de prendre des mesures contre le harcèlement et tout abus sexuel dans les établissements scolaires et d'engager des poursuites fermes contre les enseignants auteurs de ces faits, car cette situation encourage la déperdition scolaire et les grossesses précoces. »798. A travers ce constat, on peut noter la volonté de l'Etat de Côte d'Ivoire de rectifier le tir et rattraper son retard dans la soumission des rapports périodiques. On note aussi malheureusement l'absence des communications individuelles et étatiques. - De l'absence de communications individuelles et étatiques à l'absence d'enquêtes à l'égard de la Côte d'Ivoire L'absence de communications individuelles et étatiques couplée à celle d'enquêtes entraine une inertie du recours ivoirien vers le comité d'expert africain des droits de l'enfant. En fait, les plaintes ou communications sont soumises par les individus ou les Etats qui entendent dénoncer les violations commises par un Etat partie ; le comité africain d'experts sur les droits et le bien-être de l'enfant a une compétence exclusive pour recevoir des communications sur toutes les questions émanant de toute personne, groupe de personnes, organisations non gouvernementales (ONG) reconnues par l'Union Africaine (UA), par un Etat membre de l'UA ou par l'organisation des Nations Unies799. Dans cette initiative de communications, la CADBE a devancé la CIDE, en permettant très tôt aux individus la faculté de saisir le Comité800. Les directives pour l'examen des communications prévues à l'article 44 de la Charte africaine des droits et du bien-être de l'enfant, n'influence guère801, étant donné 798 OBSERVATIONS FINALES ET RECOMMANDATIONS DU COMITÉ AFRICAIN D'EXPERTS SUR LES DROITS ET LE BIEN-ÊTRE DE L'ENFANT (CAEDBE) SUR LE RAPPORT INITIAL DE LA RÉPUBLIQUE DE CÔTE D'IVOIRE SUR LE STATUT DE MISE EN OEUVRE DE LA CHARTE AFRICAINE SUR LES DROITS ET LE BIEN-ÊTRE DE L'ENFANT 799 Article 11 CADBE. 800 BELLO (S.), La traite des enfants en Afrique, L'application des conventions internationales relatives aux droits de l'enfant en République du Bénin, L'Harmattan 2015, pp.299-304. 801 Déclaration d'IHDRA ( Institute for Human Rights and development in Africa) sur la procédure de plainte ( communications) auprès du CAEDBE, 12eme session du Comité africain d'experts sur les droits et le bien 305 l'imprécision et le caractère des conditions de recevabilité et d'examen des communications individuelles. Cependant, la moisson est bien maigre pour l'ensemble du continent et ne concerne aucunement pas directement les enfants vivant en Côte d'Ivoire. Jusqu'à ce jour, le Comité a reçu 4 communications contre les États parties et a rendu 3 décisions. La première communication a été déposée en 2005 par Michelo Hunsungule en faveur des enfants dans le Nord de l'Ouganda contre le gouvernement de l'Ouganda et a été déclarée recevable par le Comité. Le Comité a rendu sa décision802. La deuxième communication est liée au droit à la nationalité de l'enfant. Il a été reçu en Avril 2009 à l'initiative de l'Institut pour les droits de l'homme et le développement en Afrique (IHRDA) et l'Open Society Justice Initiative (OSJI) au nom des enfants de Nubian Descente au Kenya contre le gouvernement du Kenya. Le Comité a aussi rendu une décision803 sur cette communication804. La troisième communication traite de la mendicité des enfants et a été déposée par le Centre pour les droits de l'homme et La Rencontre Africaine pour la Défense des Droits de l'Homme contre le gouvernement du Sénégal. Une décision805 a été rendue sur cette affaire. La quatrième communication est en suspens pour examen. Ici, à défaut d'examiner toutes les décisions rendues , nous nous pencherons sur la décision relative à l'affaire l'Institut pour les droits de l'homme et le développement en Afrique (IHRDA) et l'Open Society Justice Initiative (OSJI) au nom des enfants de Nubian Descente au Kenya contre le gouvernement du Kenya. Le choix de cette affaire se justifie par le fait qu'elle pourrait inspirer les défenseurs des droits de l'enfant en Côte d'Ivoire être de l'enfant (CAEDBE) 3-5 novembre 2008, Addis Abeba, Ethiopie , consulté sur http://ihrda.org/fr/2008/11/3091/ le 16/10 /2014. 802 Communication N°1/2005 examinée lors des sessions du 15-19 Avril 2013 publiée sur http://acerwc.org/?wpdmdl=8687 (Consulté le 02/12/2015). 803 Décision du 22 Mars 2011 relative à la Communication N°.com/002/2009 disponible sur http://acerwc.org/?wpdmdl=8690(Consulté le 02/12/2015). 804 BELLO (S.), La traite des enfants en Afrique, L'application des conventions internationales relatives aux droits de l'enfant en République du Bénin, L'Harmattan 2015, pp.313-314. 805 Décision No 003/Com/001/2012 disponible sur
http://acerwc.org/?wpdmdl=8689
(consulté le 306 d'autant plus qu'une récente étude publiée par l'Unicef fait état de plus 500.000 enfants apatrides dans le pays806. De quoi s'agissait-il en l'espèce ? En avril 2009 et conformément l'article 44 de la Charte africaine des droits et du bien-être de l'enfant, les deux organisations IHRDA et OSJI ont introduit une communication au Comité de l'enfant portant sur la violation du droit à la nationalité des enfants d'ascendance nubienne. Selon la décision du Comité, Les plaignants invoquent une violation principalement de l'article 6, en particulier les paragraphes (2), (3) et (4) (le droit d'avoir un enregistrement de naissance et d'acquérir une nationalité à la naissance), de l'article 3 (prohibition de discrimination illicite/inéquitable) et, résultant de ces deux violations alléguées, une liste de « violations indirectes », y compris celle de l'article 11 (3) (égalité d'accès à l'éducation) et de l'article 14 (égalité d'accès au soin). 807 Après étude de la recevabilité de la communication conformément aux dispositions de l'article 44 de la Charte des enfants, et aux directives relatives à l'examen des communications, le Comité déclare la communication recevable.808 Quant au fond après examen, le Comité des droits de l'enfant a rendu, le 22 mars 2001, la décision suivante : Pour les motifs exposés ci-dessus, le Comité africain constate de multiples violations des articles 6 (2), (3) et (4), de l'article 3, de l'article 14 (2)(b) et de l'article 11(3) de la Charte africaine des droits et bien-être de l'enfant par le gouvernement du Kenya, et :
806 Nous reviendrons sur ce cas d'apatridie en Côte d'Ivoire dans la deuxième partie de notre travail. 807 Paragraphe 7 de la décision. 808 Paragraphe 35 de la Décision. 307 reconnue puissent systématiquement bénéficier de ces nouvelles mesures à titre prioritaire.
Comme on peut le constater, cette toute première décision depuis sa création en juillet 2001, représente une étape importante en faveur des enfants nubiens et pour les enfants apatrides du continent comme ceux vivant en Côte d'Ivoire. En outre, elle représente pour les ONG et associations de défense des droits de l'enfant, un outil stratégique pour la promotion et la défense des droits des enfants. Toutefois, le Comité africain des experts des droits et du bien-être de l'enfant a rendu sa décision en termes de recommandations. Et on s'aperçoit que ces recommandations sont présentées en termes vagues, qui rappellent la formulation adoptée dans la rédaction de la Charte africaine des droits et bien-être de l'enfant. Or, comme on le sait, les recommandations n'ont pas de caractère obligatoire et donc ne s'imposent pas impérativement à l'État partie mis en cause.809 809 VIRALLY (M.), « La valeur juridique des recommandations des organisations internationales », in Annuaire français de droit international, volume 2, 1956, pp.66-96. 308 Il en découle donc deux difficultés majeures. D'abord, le caractère non obligatoire des recommandations formulées, fait reposer l'exécution de ces recommandations sur la bonne volonté de l'État kényan, qui s'il désire peut les ignorer. En effet, comme il est mentionné dans la décision du Comité africain, les Comités des Nations unies avaient auparavant attiré l'attention de l'État kényan sur cette situation. Et si le cas est demeuré jusqu'à l'introduction de la requête, c'est bien parce que l'État kényan n'a pas pris les mesures nécessaires pour mettre fin à la situation des enfants nubiens. Ensuite, le caractère vague des recommandations faites par le Comité, alors qu'elles s'adressent à un État spécifique et pour un cas spécifique, donnent trop de marge de manoeuvre à l'État kényan, qui pourrait avancer des arguments de mesures prises pour régler sans pour autant la régler. En définitive, malgré la satisfaction morale que peut offrir la reconnaissance de violations de droits de l'enfant par les organes de protection tel le Comité des experts africains, ce mécanisme est insuffisant pour dissuader les États comme la Côte d'Ivoire à ne plus les violer. En plus de ses prérogatives de recevoir des communications, le Comité peut, dans certains cas, effectuer des investigations sur le territoire d'un État partie. Sur ce point, c'est l'article 45 de la Charte africaine des droits et du bien-être de l'enfant qui en érige les règles. Ainsi dispose-t-il en son alinéa 1er que : Le Comité peut recourir à toute méthode appropriée pour enquêter sur toute question relevant de la présente Charte, demander aux États parties toute information pertinente sur l'application de la présente Charte et recourir à toute méthode appropriée pour enquêter sur les mesures adoptées par un État partie pour appliquer la présente Charte. L'avantage d'une telle disposition pour les membres du Comité des experts est la possibilité d'aller au-delà du contenu des rapports étatiques, pour constater la réalité sur le terrain. Les lignes directrices810 sur la conduite des enquêtes fournissent le cadre régissant la conduite des enquêtes 810 Pour les lignes directrices, voir http://acerwc.org/?wpdmdl=8668 (consulté le 02/12/2015) 309 Mais, la difficulté majeure pour une telle démarche reste les moyens à la mettre en oeuvre811. A ce jour, le Comité a effectué une seule mission d'enquête dans un État partie, notamment en Tanzanie. En effet, le CAEDBE a mené une mission d'enquête dans ce pays, suite à une demande d'enquêter sur les allégations de violations des droits des enfants atteints d'albinisme. La requête a été introduite en Novembre 2013, par une organisation non gouvernementale, sous le même soleil (UTSS), attirant l'attention du Comité sur les conditions alarmant d'enfants atteints d'albinisme soumis à des violations de leurs droits en Tanzanie. Le Comité a examiné le rapport de cette mission lors de sa 24 ème session ordinaire tenue le 01-06 Décembre 2014, à Addis-Abeba, en Ethiopie. Étant donné que la demande relève de son mandat et était également en ligne avec les objectifs de missions d'enquête comme indiqué dans l'article 2 des lignes directrices enquête CAEDBE812. Malheureusement, pour les enfants de Côte d'Ivoire, il n'y jamais eu de communications individuelles ou étatiques ni d'enquêtes allant dans le sens d'une plainte aux violations des droits de l'enfant dirigées contre l'Etat de Côte d'Ivoire. Devrait- on pour autant croire que ce pays affiche un traitement séduisant à l'égard des enfants ? Nous y répondrons dans la deuxième partie de notre travail. Toutefois, au regard de ce qui précède, l'on pourrait de ce fait croire à une inefficacité des recours universel et régional exercées devant les deux comités envisagés. B. L'INEFFICACITE DES RECOURS Ces recours non contentieux institués en vue d'aboutir à un contrôle efficient, même s'ils semblent aller dans le sens de la protection des droits de l'enfant, s'avèrent inefficaces par la nature de ces organes (1) et la portée de leurs décisions (2). 1. Une inefficacité tenant à la nature des organes de contrôle La nature des organes de contrôle peut constituer un frein dans la mise en oeuvre de leur mission. En fait ces organes sont dépourvus de véritables pouvoirs, étant investi d'une fonction simplement consultative : 811 Le Comité dépend, même, pour l'organisation de ses sessions, du financement des organisations internationales non gouvernementales et gouvernementales. 812 http://acerwc.org/investigation/ (consulté le 02/12/2015). 310 - Des organes dépourvus de véritables pouvoirs Les deux organes de contrôles examinés sont de simples organes dépourvus de véritables pouvoirs. Le rôle de ces deux Comités de contrôle des droits de l'enfant est de veiller à ce que les parties respectent leurs engagements. Pour exercer cette mission, le Comité doit disposer de renseignements complets et détaillés. Si le gouvernement en cause ne fournit pas les justifications requises, comme il en a l'obligation, il ne pourra faire l'objet d'aucune sanction. De plus, les plaintes et communications qui sont déférés vers les comités de droits de l'enfant, ne transforment guère lesdits comités en instances juridictionnelles ayant compétence pour rendre des décisions obligatoires. En effet, en ce qui concerne leur fonction dans la procédure des plaintes, l'avantage semble trouver uniquement sa raison dans le caractère quasi juridictionnel. Mais au-delà du rôle actif que va jouer le particulier dans sa confrontation avec l'Etat présumé violateur, lors d'un procès dans lequel le principe général audi alteram paterm est utilisé et du règlement à l'amiable qui peut ressortir de cette procédure, l'absence de sanction judiciaire vient nous ramener à la triste réalité de l'inefficacité de tels mécanismes non contentieux. Par ailleurs, la violation même flagrante des droits reconnus est sujette à une procédure de sanction peu élaborée dans la majorité des cas, contrairement au tableau angélique peint par Monsieur Ibrahima FALL, à cet effet en 1994813. En effet, le modèle reconnu et admis par les Etats est celui de la constitution des comités. Ces organes n'ont pas un véritable pouvoir de sanction. Ils ne font que promouvoir et inciter les Etats à respecter leurs obligations814. Il s'agit, remarque la doctrine pour ces organes de « parvenir à une amélioration de la situation, par l'exercice d'une pression politique et morale utilisant la force de l'opinion publique »815 813 FALL (I.), « Les mécanismes de protection et de promotion des droits de l'homme développés au sein du système des Nations Unies », R.A.D.H., vol.4 1994, pp.11-19. 814 DHOMMEAUX (J.), « La contribution du comité des droits économiques, sociaux et culturels des Nations Unies à la protection des droits économiques, sociaux et culturels », A.F.D.I. , 1994, pp.633 et ss., PASTOR RIDRUEJO (J.A), « Les procédures publiques spéciales de la Commission des droits de l'Homme des Nations Unies », R.C.AD.I., vol 228, 1991, pp 183 et ss ; RODLEY (N.S), The Evolution of United Nations Charter-Dased Machinery for the protection of Human Rights, EHRLR, 1997, pp.4 et ss. 815 WACSHMANN (P.), Les droits de l'homme, Dalloz, 2008, p.154. 311 Cependant, bien que dépourvu de véritable pouvoir de sanction, ces organes ont une importance et celle-ci ressort de leur fonction consultative ou de leur rôle d'accompagnateur aux côtés des Etats. - Des organes investis de simple fonction consultative et du rôle d'accompagnateur des Etats Les mécanismes conventionnels non contentieux sont investis de simple fonction consultative. Comment amener les États parties aux instruments internationaux pertinents protecteurs des enfants, à respecter leurs engagements ? Sûrement pas par la force. Ne se sont-ils pas engagés librement pour la mise en oeuvre de ces normes sur leurs territoires ? Dans tous les cas, la ratification des normes relatives aux droits de l'enfant le leur impose. Dès lors, comment ne pas comprendre le choix d'un mécanisme non contentieux pour le respect des droits de l'enfant par les Nations Unies et au niveau continental africain ? Les Comités des droits de l'enfant, en tant qu'organe de suivi et de mise en oeuvre des normes qui relèvent de leurs compétences816, n'ont pas pour mission de jouer les gendarmes derrière les États parties. Ils les accompagnent dans le processus de mise en oeuvre à travers une relation de dialogue et d'évaluation de l'état des normes sur leur territoire : la présentation de rapport. Dans le cadre du contrôle sur rapport, les organes de traité utilisent une procédure non contentieuse. En effet, les organes de contrôle peuvent utiliser le dialogue avec les Etats. Un dialogue qui consiste à encourager les Etats parties à déposer régulièrement leurs rapports afin que les comités prennent connaissance des progrès ou des difficultés de la mise en oeuvre des obligations de protection des droits de l'enfant. Même si cette procédure semble présenter une démarche compréhensive, elle souffre d'une absence de garantie d'efficacité en termes de protection des enfants. Aussi, pour promouvoir l'application des droits de l'enfant par les États parties, les Comités des droits de l'enfant, conformément à la mission à eux assignée, accompagnent les États dans la mise en oeuvre des normes qui relèvent de leurs compétences. L'exemple du comité onusien mérite d'être relevé. Dans le cadre de son rôle d'accompagnateur, il explique et clarifie le contenu de la CIDE de façon à amener les États à comprendre telle ou telle autre disposition de la Convention. Ainsi ont été élaborées des «Observations Générales» sur des 816 Référence est faite ici à la CIDE et ses trois protocoles. 312 mesures d'application de la CIDE. Nous prendrons ici l'exemple de l'Observation Générale (OG) n°5 portant sur les mesures d'application générales des articles 4, 42, et 44 de la CIDE, établie par le Comité lors de la trente-quatrième session en 2003.817 Le choix porté sur l'OG n°5 découle du fait qu'elle a levé le voile sur des points importants de la CIDE. D'abord, le Comité a clarifié les obligations des États parties sur les mesures à prendre pour l'application de la Convention818, ensuite il a tranché en ce qui concerne la problématique de la justiciabilité de tous les droits de l'enfant819 et par conséquent, il pose la règle de la justiciabilité des droits de l'enfant, y compris les droits sociaux, économiques et culturels.820 De façon générale, le Comité des droits de l'enfant a, à travers les OG n° 5 livre aux États le contenu des dispositions abordées, et la portée des notions clés tout en leur indiquant les mesures et démarches à adopter pour accomplir les obligations qui découlent de la ratification de la CIDE et de ses deux premiers protocoles facultatifs. Cette démarche du Comité, que nous qualifions ici de pédagogique, a pour avantage de clarifier le contenu de la CIDE, dont nous avons montré le caractère vague et trop général de certains points qui servent de prétexte pour la méconnaissance de sa justiciabilité. De même, la question de la coopération internationale dans le cadre de la CIDE n'a pas été occultée. Il est rappelé aux États d'en faire un outil pour l'effectivité des droits de l'enfant821. Dans un tel contexte, avoir un dialogue constructif avec les États revient à les convaincre de l'importance de la mise en oeuvre des droits de l'enfant, non pas pour la communauté internationale, mais pour leur propre avenir. Le Comité des droits de l'enfant, n'ayant pas de pouvoir coercitif, ne peut donc jouer ce rôle en espérant trouver une oreille attentive auprès des dirigeants des pays où les enfants subissent encore aujourd'hui de graves violations de leurs droits. Cette mission, dans la pratique, se traduira essentiellement par le suivi de la mise en oeuvre de la CIDE et ses deux premiers Protocoles facultatifs à travers une démarche de présentation des rapports par les États parties. 817 Cf. doc. Nations Unies, CRC/GC/2003/5 du 27 novembre 2003, 23 p. 818 V. point introductif du doc. CRC/GC/2003/5, p.2 et svtes. 819 Cf. point V du doc. CRC/GC/2003/5, p.8. 820 V. pour exemples, les arrêts (France): Cour cass. Chambre civ. N° 02-16336 du 18 mai 2005 et Cour cass.,Chambre soc. N°05-40876 du 16 décembre 2008. 821 V. point sur la coopération avec la société civile, p.15 et svtes, doc, CRC/GC/2003/5. 313 De ce qui précède, s'interroger sur la portée des décisions des organes de traité dans la protection de l'enfant, devient alors nécessaire. 2. Une inefficacité tenant à la portée de ses décisions La portée des décisions des organes de surveillance contribue fortement à rendre efficace ou non leur saisine. L'on constate avec désolation que le contrôle des comités des droits de l'enfant est inefficace. Cela est relatif aux décisions prises par les Comités qui ne sont que de simples recommandations devant la réaction réfractaire des Etats tels la Côte d'Ivoire : - De simples recommandations Les mesures prises par les organes de traités que l'on appelle aussi les comités sont de simples recommandations. Après l'examen des rapports par le Comité des droits de l'enfant, des recommandations sont faites aux États, à travers les «observations finales», pour remédier aux insuffisances relevées par le Comité dans les rapports examinés. Mais le problème qui se pose avec cette démarche est que les recommandations n'ont aucun caractère obligatoire pour l'État à qui elles sont faites. En effet, la recommandation est définie comme une invitation à agir dans un sens déterminé sans pour autant avoir de caractère contraignant822. C'est aussi une note invitant son destinataire à agir d'une manière spécifique et lorsqu'elle s'adresse à l'État, elle n'a pas de force obligatoire823. Ainsi, les recommandations faites par le Comité des droits de l'enfant, à l'issue de l'examen des rapports étatiques ne seront prises en compte que si l'État en question en a la volonté. Les organes ne peuvent donc contraindre un Etat violateur à se plier face à ces recommandations qui ne bénéficient que de l'autorité de « la chose interprétée ». Cependant, une large diffusion des recommandations pourrait favoriser leur application. Ceci étant, si ces mesures sont confidentielles dans le cas de la Commission africaine, elles bénéficient d'une large diffusion quand elles émanent du Comité d'expert africain des droits de l'enfant et du Comité des droits de l'enfant des nations unies. 822 CORNU (G.), Vocabulaire juridique, Paris, PUF, 10eme ed. 2014, p.860. 823 CORNU (G.), Vocabulaire juridique, Paris, PUF, 10eme ed. 2014, p.860. 314 Même s'il est vrai que le consentement de l'Etat pour la conclusion du traité fait foi, et pourrait entrainer par là même son application, il n'en demeure pas moins que celui-ci s'abstient de respecter les recommandations édictées. L'absence de force contraignante entraine la liberté des Etats face à l'application des traités d'où leur négligence face aux recommandations. - La négligence des recommandations par les Etats Devant la faiblesse des décisions des organes de protection de l'enfant, on se demande bien ce qu'il faut attendre de la réaction des Etats. Le droit international ayant pour base fondamentale la volonté des Etats, elle en souffre parfois dans sa mise en oeuvre. A en croire ce propos de Michel VIRALLY, « la recommandation constitue une proposition qui ne produira ces effets qu'après avoir été acceptée »824. Ce qui amène à conclure que c'est l'acceptation de la recommandation par l'Etat, qui sera une condition sine qua nun de son application, sinon, elle reste lettre morte. De lourdes conséquences découlent de l'absence de contraintes des organes de traités. Il résulte du caractère non obligatoire des décisions, une liberté pour les Etats d'agir ou de ne pas agir. Cette lacune concerne non seulement les deux comités sus-évoqués, mais aussi l'ensemble des organes quasi-juridictionnels de contrôle des droits humains qui font face à des gouvernements souvent réfractaires. Les comités de contrôle des droits de l'enfant ne peuvent obliger les Etats à suivre leurs recommandations ; aussi, tout repose sur la « bonne volonté » de chaque Etat. La mesure ultime à la portée de ces deux Comités en cas de non-respect, consiste à envoyer des lettres ou des rappels aux Etats en leur demandant de respecter leurs obligations en vertu des de la CIDE ou de la CADBE. Il est à noter qu'au-delà des recommandations, ces comités usent de moyens de pression. Ces moyens utilisés par l'intermédiaire des organisations internationales, peuvent être financiers, politiques et même diplomatiques. Ce sont ces moyens qui pour la plupart du temps font plier les Etats qui n'envisagent pas de respecter leurs recommandations. Dans tous les cas, à défaut d'avoir trouvé pleine satisfaction devant les mécanismes non contentieux, notamment, les mécanismes quasi-juridictionnels qui apparaissent inefficaces, 824 VIRALLY (M.), Le droit international en devenir: Essais écrits au fil des ans, Nouvelle Edition internationale, PUF, Paris, 1990, p.176. 315 l'opportunité est offerte aux victimes ou aux personnes compétentes de recourir à une protection judicaire plus favorable à l'enfant victime, en recourant aux mécanismes contentieux de protection de l'enfant au niveau universel et régional africain qui restent malheureusement peu exploités. § 2. DES GARANTIES JUDICIAIRES PEU EXPLOITEES A l'instar du cadre interne, en matière de protection des droits, les garanties judiciaires semblent être la voie, la seule, pouvant ou devant offrir une protection optimale des droits de l'enfant au niveau international. Mais, s'il est vrai que ces garanties sont des voies efficaces, il n'en demeure pas moins que celles concernant l'enfant ivoirien ou africain, se donne à succès par l'absence de juridictions spécialisées, et, lorsqu'il en existe à travers le recours aux juridictions à compétence générale (A), celles-ci se faisant remarquer par leur inaccessibilité (B). A. LA SEULE OPTION DES ORGANES JUDICIAIRES A COMPETENCE GENERALE : UNE VOIE PEU SOLLICITEE Les recours contentieux se manifestent par la seule option des organes judiciaires à compétence générale tant au niveau régional africain qu'universel. L'opportunité offerte à l'enfant ivoirien victime découle de leurs compétences (1) et de la nature de leurs décisions marquées au coin de l'obligatorieté (2). 1. Une opportunité au regard de leurs compétences Sera successivement analysée le caractère opportun des compétences des juridictions judiciaires au niveau africain et au niveau universel. - Au niveau africain : de l'utilité des compétences de la Cour africaine des droits de l'homme et de la Cour de justice de la CEDEAO pour les enfants victimes en Côte d'Ivoire 316 Pour assurer la protection des droits de l'homme, l'individu en Afrique n'a qu'un seul recours judiciaire au niveau continental, à savoir, la Cour africaine des droits de l'homme et des peuples825. Premier organe judiciaire établi à l'échelle du continent africain, la Cour constitue effectivement la consécration de « l'option juridictionnelle de la protection des droits de l'homme »826. Pourtant, cette consécration de l'option judiciaire n'allait pas de soi. Bien que formulé dès 1961 lors du congrès africain sur la primauté du droit organisé à Lagos et formellement transcrit dans l'illustre Acte de Lagos, le projet de création d'une Cour africaine ne trouvera un apathique début de concrétisation que vingt ans plus tard avec la Charte africaine des droits de l'homme et des peuples, qui institua une Commission africaine des droits de l'homme et des peuples827. Le constat ultérieur des limites de ce mécanisme quasi-juridictionnel828 conduira à franchir une nouvelle étape829 : l'adoption, dans le cadre de l'OUA, du Protocole dit de Ouagadougou, le 10 juin 1998, va consacrer formellement830 la volonté des Etats africains de créer un mécanisme concret de sanction des violations des droits humains en Afrique. 826 QUILLERE-MAJZOUB (F.), L'option juridictionnelle de la protection des droits de l'homme en Afrique-Etude comparée autour de la création de la Cour africaine des droits de l'homme et des peuples : une approche juridique des droits de l'homme entre tradition et modernité, Paris, PUF, 1993, 479p. 827 Sur cet organe, cons. Notamment OUGUERGOUZ (F.), « La Commission africaine des droits de l'homme et des peuples : présentation et bilan d'activités (1988-1989) » A.F.D.I., vol.35, 1989, pp.557-571. 828 L'organe a pu être qualifié de toothlless bulldog. Cons. A ce propos, UDOMBANA (N.J), « Towards the African Court on Human and Peoples' Rights :better late than never », Yale Human Rights and Development Law Journal, 2000 pp.45-111, sp. p.64. Pour un bilan global, cons. Not. DOUMBE-BILLE (S.), « Un quart de siècle de protection des droits de l'homme en Afrique », in Mélanges en l'honneur du Professeur Petro Pararas, Bruxelles, Bruylant, 2009, pp.133-141 ; MURRAY (R.), The African Commission on Human and peoples's rights and international law, Oxford, Hart Publishing, 2000, 316 p., spéc.p.22. 829 C'est la Conférence des chefs d'Etat et de gouvernement de l'OUA qui avait « invité le secrétaire général de l'OUA à convoquer une réunion d'experts gouvernementaux chargés de réfléchir, en étroite collaboration avec la Commission africaine des droits de l'homme et des peuples, sur les moyens de renforcer l'efficacité de celle-ci, en examinant en particulier la possibilité de création d'une Cour africaine des droits de l'homme et des peuples » (Doc.OUA/CCEG, « Résolution sur la Commission africaine des droits de l'homme et des peuples, AHG/Rés.230 (XXX) », 30e session de la Conférence des chefs d'Etats et de Gouvernement, 13-15 juin 1994, Tunis (Tunisie), p.2§4). 830 Le long chemin vers l'élaboration et l'adoption de cet instrument est décrit avec force détails par KAMTO (M.), « Préambule » in KAMTO (M.) (dir.), La Charte africaine des droits de l'homme et des peuples et le protocole y relatif portant création de la Cour africaine des droits de l'homme - Commentaire article par article, Bruxelles, Bruylant, 2011, pp.1210-1211. 317 L'entrée en vigueur du Protocole, six ans plus tard, soit le 25 janvier 2004, va libérer le processus d'opérationnalisation de la Cour, pour lequel il aura fallu attendre près de deux ans pour sa mise en place, notamment par l'élection des premiers juges831. Il fallut trois années supplémentaires avant que la Cour, confrontée à des problèmes de siège d'installation832 et d'élaboration de son règlement intérieur833, ne rende enfin son premier arrêt, le 15 décembre 2009834. De cette dernière date à celle rétrospective de l'Acte de Lagos, il aura donc fallu attendre près d'un demi-siècle835 pour que l'Afrique à son tour rejoigne les deux grands systèmes régionaux déjà en vigueur, à savoir ceux de la Convention européenne des droits de l'homme et de la Convention américaine relative aux droits de l'homme. Elle peut être saisie en cas de violations des dispositions de la Charte africaine des droits et du bien-être de l'enfant. Elle est une option pour la défense et la protection de l'enfant africain, victime, et les Etats qui veulent dénoncer d'éventuelles violations. En cela, c'est une opportunité offerte pour l'intérêt de l'enfant victime, étant donné que ces décisions ont une force contraignante, à l'instar de la Cour de justice de la CEDEAO836, qui se présente comme un nouveau recours offert aux enfants victimes au niveau de l'espace ouest-africain. 831 Doc. UA/Conference de l'Union, Décision sur l'élection des membres de la Cour africaine des droits de l'homme et des peuples, Assembly/AU/Dec.100 (VI) , 6e session ordinaire de la Conférence de l'Union, 23-24 janvier 2006, Khartoum (Soudan). 832 Doc. UA/Conf. De l'Union, « Activity report of the court for 2006, Assembly/AU/8 (VIII) », 8e session de la conférence de l'Union, 29-30 janvier 2007, Addis-Abeba, Ethiopie, 9 p. ; Doc.UA/CE, « Rapport provisoire de la Cour Africaine des droits de l'homme et des peuples. EX.CL/363 (XI) » 11e sesion ordinaire du Conseil exécutif, 25-29 juin 2007 Accra, Ghana, 6p., voy. Spéc.§§ 14-28, pp.2-5. 833 Doc.UA/CE, « Rapport d'activités de la cour africaine des droits de l'homme et des peules pour l'année 2008, Ex.CL/489 (XIV) », 14e session ordinaire du conseil exécutif, 26-30 janvier 2009, Addis-Abeba, Ethiopie, spéc. §§ 42-44. 834 NTWARI (G-F.), « Note sur le premier arrêt de la Cour africaine des droits de l'homme et des peuples », R.A.D.I.C., vol.18, n°2/2010, pp.233-237. 835 Des auteurs comme le Professeur MOUANGE KOBILA (J.) ont regretté cette longue gestation de la Cour Africaine des droits de l'homme et des peuples, de manière plus inspirée : « si dans les Ecritures, la parole divine suffit à tirer instantanément les créatures du néant, l'avènement d'institutions de promotions et de protection des droits de l'homme en Afrique est loin de correspondre à ce schéma de soudaineté créatrice » MOUANGE KOBILA (J.), « Article 1. Création de la Cour », in M. KAMTO (dir.), op. cit., p.1215). 836 BELLO (S.), La traite des enfants en Afrique, L'application des conventions internationales relatives aux droits de l'enfant en République du Bénin, L'Harmattan 2015, pp.315-318. 318 La cour de justice de la CEDEAO837 est habilitée par le protocole additionnel de 2005 à connaître de toutes les violations des droits de l'homme sur le territoire de la communauté838. Aux termes de l'article 3 de ce protocole, « la Cour est compétente pour connaitre des cas de violation des droits de l'homme dans tout Etat membre de la communauté ». Cette orientation nouvelle achève d'étonner au regard de la nature de la CEDEAO. Pour être une organisation de nature économique, la question des droits humains n'était point évoquée dans son fondement. On passe ainsi d'une CEDEAO axé uniquement sur les intérêts économiques à une CEDEAO donnée comme un creuset d'un droit en construction avec pour innovation majeure la protection des droits humains839. Déjà, en 2001, un important pas est franchi vers la consolidation de la Cour de justice comme organe de protection des droits humains. En effet, les membres de la CEDEAO adoptent un protocole sur la démocratie et la bonne gouvernance840. A l'article 39 du protocole, il est précisé que la cour de justice est habilitée à connaître de tout cas de violation des droits humains après épuisement des voies de recours au niveau national. Malgré cette déclaration péremptoire, ce sera par un refus de connaitre d'un litige relatif aux droits individuels que les attributions de la Cour dans ce domaine seront confirmées et définitivement établies. Le protocole de 1991 excluait en effet les citoyens des pays membres de l'accès à la cour841. Si un citoyen d'un pays de la communauté avait un quelconque grief lié à l'interprétation du traité ou à son application par les institutions de la CEDEAO, la seule voie possible était d'en référer aux autorités nationales. Seules celles-ci pouvaient se présenter devant la Cour, en tant que représentant de leur ressortissant. Un cas de droit allait 837 NDIAYE (M.), La protection des droits de l'homme par la cour de justice de la CEDEAO, Mémoire de Master Recherche, Université Montesquieu de Bordeaux IV, 2014, 112p. 838 ALTER (K.), HELFER (L.), MCALLISTER J. (Dir.), « A new international human rights court for the west Africa: The ecowas community court of justice» , In The international journal of international law, 2013, vol.107, n°4, pp.737-779. 839 Précisons que l'acuité de l'édification d'institutions visant à protéger les droits de l'homme est fondé sur le fait que les évènements malheureux ayant conduit à la violation de la dignité humaine ont fait foison dans la dernière décennie du millénaire passé. 840
http://www.comm.ecowas.int/sec/fr/protocoles/Protocole-additionnel-sur-la-Bonne-gouvernance-et-la- 841 Article 9 du Protocole A/P.1/7/91 de 1991 libellé ainsi « un Etat membre peut, au nom de ses ressortissants, diligenter une procédure contre un autre Etat membre ou une institution de la Communauté, relative à l'interprétation et à l'application des dispositions du Traité, en cas d'échec des tentatives de règlement à l'amiable ». 319 permettre l'application de ce principe et en même temps, étendre la compétence de la cour de justice : « Un ressortissant nigérian, Olajide Afolabi, avait conclu un contrat de vente au Bénin. Seulement, la livraison de ces marchandises s'avéra impossible du fait de la fermeture par le Nigéria de sa frontière avec le Bénin. Afolabi allégua alors une violation de la liberté d'aller et de venir, consignée dans le traité révisé de la CEDEAO. L'affaire arriva devant la cour en 2003. Le Nigéria prétendit que le protocole de 1991 ne donnait pas droit aux nationaux d'ester devant la Cour de justice, ce qui était justifié. Seulement, Afolabi argua qu'il était possible qu'un national se fasse représenter devant la cour par son Etat d'origine. Il entendait donc que le Nigéria fasse remonter l'affaire devant la cour de justice. Le second argument est que les termes du protocole n'excluaient pas le recours des individus. En effet, le texte précise juste que l'Etat « peut » effectuer un recours devant la Cour. Selon son interprétation, cette disposition n'était pas exclusive d'un recours individuel. Afolabi fut débouté par la Cour qui considère que l'article 9 du protocole était entièrement clair dans l'exclusivité du recours étatique. De plus, la Cour reconnaissait qu'elle ne pouvait disposer que des instruments mis à sa disposition par les textes et excluait le recours individuel. Le juge excluait aussi le jugement en équité qu'Afolabi invoquait. Il se déclarait donc incompétent pour juger le recours individuel ainsi présenté842. ». Ainsi, la Cour entendait promouvoir une interprétation stricte des textes fondateurs de sa compétence. Cet arrêt de la Cour allait soulever les protestations des associations de droits de l'homme de la sous-région ainsi que de l'étranger843. Qui plus est, certains juges de la Cour pointèrent du doigt les manquements du système légal de la communauté. On ne voyait pas bien comment on pouvait interdire le recours aux individus alors que les textes de la CEDEAO s'appliquent directement à eux. Ainsi, une rencontre entre les associations de défense des droits de l'homme, les juges de la Cour et les associations des barreaux d'Afrique de l'ouest 842 Cour CEDEAO, Arrêt Afolabi c/ République du Nigéria, 2004. 843 ALTER (K.), HELFER (L.), MC ALLISTER (J.): « A new human rights international court for West Africa:ECOWAS community Court of justice », In. American Journal of International Law737-779 (2013). 320 se tint à Dakar en Octobre 2004. Cette rencontra fut couronnée par la publication d'un document appelant à l'adoption d'un nouveau protocole ouvrant la compétence de la Cour aux questions de droits de l'homme. Cette action porta ses fruits et un protocole A/SP1/01/05 fut adopté en 2005, lequel protocole étendait le mandat de la cour844. Il est certain qu'en droit international, une cour de justice ne peut avoir qu'une compétence d'attribution et non la compétence de sa compétence. En effet, la délégation de souveraineté acceptée par les Etats est le fondement de l'existence de ces cours internationales qui ne peuvent se mouvoir que dans l'aire préalablement définie845. Contrairement au tribunal arbitral846, la Cour de justice847 se voulait être permanente. Cette révolution opérée par le texte de 2005 entrainera un tournant dans la vie de l'organisation en en faisant un espace de défense et des droits humains. Le contenu du mandat est mentionné à l'article 3 du protocole qui dispose in fine : « la Cour de justice a compétence pour déterminer tout cas de violation des droits de l'homme dans les Etats membres ». Ceci soulève une grande question. La CEDEAO n'avait pas vocation à être un espace de défense des droits de l'homme et à ce titre, aucune déclaration n'a été prise à cet effet. Il n'y a donc pas de texte fondateur de droits de l'homme dont la Cour peut se déclarer gardienne exclusive, à l'inverse des autres cours des droits de l'homme, en Europe, en Afrique ou en Amérique. Ainsi, la détermination du mandat n'est pas précise et laisse une grande place à l'incertitude. Il nous semble que cet énoncé évasif concernant le mandat de la Cour est fait à dessein. En effet, le protocole ainsi adopté ouvre une grande perspective au juge. D'abord, le mandat s'étend à tous les Etats membres sans exception. L'aire géographique ainsi déterminée suppose que la Cour a la primauté au niveau des questions de droits de 844 Aux termes du protocole additionnel de 1991, la cour de justice était chargée de l'interprétation et de l'application du traité et des instruments légaux de la CEDEAO. 845 Arrêt CIJ, réparation des dommages subis au service des Nations Unies, 11 avril 1949. 846 Bien que prévu par les textes, ce tribunal n'a jamais fonctionné ; Elle avait théoriquement pour mission d'arbitrer les différends entre les Etats membres ou entre les institutions de l'organisation. 847 L'existence de la Cour de justice va acquérir valeur conventionnelle avec son inscription comme institution de la Communauté dans le traité révisé de 1993. En réalité la cour n'entra en existence officielle qu'en 1996, quand enfin les sept Etats membres eurent tous ratifié le protocole de 1991. Les juges eux ne seront choisis et installés qu'en Janvier 2001. 321 l'homme. Si en effet, la Cour reçoit une compétence exclusive de connaître de ce sujet, elle chapeaute dès lors les juridictions nationales et devient leur institution de référence. Dans la pratique, cette idée est-elle appliquée ? Rien n'est moins sûr. Le deuxième élément à souligner est le caractère évasif de la compétence accordée à la Cour. Le protocole se borne à lui donner la compétence de « déterminer toute violation des droits de l'homme ». Ceci est la consécration d'une très large autonomie du juge. En effet, le protocole laisse au juge le soin de déterminer ce qu'est une violation des droits de l'homme. Le rôle du juge ne sera pas seulement donc d'appliquer les textes internationaux, mais il devra aussi user d'un pouvoir prétorien pour extraire de nouveaux droits à protéger. Cela implique aussi, selon nous, une nouvelle donne dans le rapport avec les juridictions nationales. La Cour se voit accorder un droit de création de normes juridiques par le biais de cet énoncé évasif. Cela implique que les nouveaux droits et libertés qu'elle découvrira auront effet dans l'ordre juridique interne. Ce nouvel ajout de règles aura forcément des répercussions dans l'agencement des normes nationales et pourrait rendre effectif la primauté de la Cour de justice sur les autres tribunaux en matière de droits de l'homme. Mais, la question du mandat ainsi traitée, laisse ouvrir une brèche sur les fondements de l'action judiciaire. La Cour n'est pas la garante exclusive d'un ordre juridique établi. Les sources de ses décisions ne sauraient donc qu'être hétéroclites. Bien entendu, cela est de nature à protéger davantage les particuliers et notamment les enfants comme ce fut le cas dans une décision848 historique rendue par la Cour de justice dans l'affaire dame Hadijatou Mani Koraou c. Niger849 . Le cas dame Hadijatou Mani Koraou contre l'État du Niger perçu comme une décision historique d'une juridiction africaine condamnant un État pour esclavage par inaction ne relève pas d'une juridiction de l'Union africaine mais d'une juridiction judiciaire sous régionale qui à l'origine, n'a pas pour rôle premier de juger la violation des droits humains850. 848 Arrêt n°ECW/CCJ/JUD/06/08. 849 La décision complète est disponible en ligne sur : http://caselaw.ihrda.org/fr/doc/ecw.ccj.jud.06.08 850 Conformément à l'article 3 (1) de son traité, la CEDEAO « vise à promouvoir la coopération et l'intégration dans la perspective d'une union économique de l'Afrique de l'Ouest en vue d'élever le niveau de vie de ses peuples, de maintenir et d'accroître la stabilité économique, de renforcer les relations entre les Etats Membres de contribuer au progrès et au développement du continent africain ». Mais, la Cour de la justice de 322 Un bref rappel des faits et la procédure s'impose pour voir comment cette juridiction pourrait désormais contribuer à protéger à travers cette décision les droits des enfants dans l'espace CEDEAO, et donc en Côte d'Ivoire. « En 1996, alors qu'elle n'avait que douze (12) ans, la requérante, dame Hadijatou Mani Koraou, de coutme Bouzou a été vendue par le chef de la Tribu Kenouar au Sieur El Hadj Souleyman Naroua âgé de 46 ans, pour la somme de deux cent quarante mille (240.000) francs CFA [...] Pendant environ neuf (9) ans, Hadijatou Mani Koraou a servi au domicile d'El Hadj Souleymane Naroua, en exécutan toutes sortes de tâches domestiques et en servant de concubine à celui-ci. De ces relations avec son maître, sont nés quatre (04) enfants dont deux ont survécu [...]. La requérante, de nationalité nigérienne, après avoir saisi sans succès les juridictions internes de son pays pour recouvrer sa liberté totale, décide de saisir le 14 septembre 2007, la Cour de Justice de la CEDEAO pour :
la CEDEAO tire sa compétence à connaitre des violations des droits de l'Homme de l'art. 4 (g) qui pose comme principe fondamental de l'organisation, « le respect, la promotion et protection des droits de l'homme et des peuples conformément aux dispositions de la Charte Africaine des Droits de l'Homme et des Peuples » d'une part, et des articles. 15 du traité et 9 du protocole relatif à la Cour de Justice. 851 Cf. Paragraphe 28 décision ECWCCJ/JUD/06/08 de la Cour de Justice de la CEDEAO. 323 À la requête de la demanderesse, l'État du Niger (partie défenderesse) souleva deux exceptions d'irrecevabilité:
Après examen des moyens des parties et leurs arguments, la Cour de justice de la CEDEAO853 rendit sa décision le 27 octobre 2008. Sur la forme, elle « Rejette les exceptions d'irrecevabilités de la requête soulevée par le République du Niger en tous ses points» et « Reçoit dame Hadijatou Mani Koraou en sa qualité à agir » : Sur le fond, la Cour
De cette décision de la Cour de justice de la CEDEAO, nous nous attarderons sur deux de ses points, à savoir la reconnaissance de l'esclavage subi par la requérante et la condamnation de l'État du Niger à réparer le préjudice causé par l'inaction à dame Hadijatou Mani Koraou à hauteur de dix millions de francs CFA. A travers ces deux points, la décision de la Cour de la CEDEAO a été perçue par plus d'un observateur comme étant historique. 852 Paragraphe 29 décision op.cit. 853 La Cour était constituée du juge Aminata Mallé SANOGO (Présidente), du juge Awa Daboya NANA (Membre), du juge El-Mansour TALL (membre) et de Me Athanase ATTANON (Greffier). 854 BELLO (S.), La traite des enfants en Afrique, L'application des conventions internationales relatives aux droits de l'enfant en République du Bénin, L'Harmattan 2015, pp.315-316. 324 Historique du fait que, pour la première fois, une organisation africaine condamne un État africain pour esclavage par inaction et lui impose la réparation financière du dommage ainsi causé. Le terme inaction employé ici par les juges de la Cour vient donner un sens, dans le contexte africain, aux responsabilités des États parties à l'égard des normes internationales, notamment en droits de l'Homme, à la prise de mesures nécessaires au plan interne par les parties aux traités. Ainsi, la responsabilité de l'État se voit engagée pour des abus causés par un particulier, car il n'a pas pris les mesures nécessaires pour empêcher cet abus et de surcroit admet cet abus sur son territoire. A travers ce cas intéressant, on ne peut qu'espérer que la CJCEDEAO poursuive son action dans cette dynamique afin qu'elle puisse demeurer un recours efficace pour les enfants qui verront leurs droits violés par les Etats parties. Comme on peut le constater, au niveau régional, il n'existe pas non plus de juridictions spécialisées dans la protection de l'enfant. Depuis, les Cours européenne, américaine, jusqu'à celles africaines, il n'existe pas de Cour spéciale qui traite de la question de l'enfant. Une importante faiblesse de ces cours régionales africaines, réside dans l'omission des cas de violations graves au droit international humanitaire dans le cadre de la protection des enfants. Heureusement, qu'en pareil cas, les enfants victimes peuvent à travers leurs Etats se tourner vers la Cour pénale internationale au regard des compétences de celle-ci. - Au niveau universel : La CPI, une juridiction internationale compétente en matière d'infractions graves commises à l'égard des enfants Le vingtième siècle a été de mémoire d'homme, l'une des périodes de l'histoire où ont été commis les crimes les plus atroces. C'est dans cette logique que Winston Churchill dans une déclaration faite devant la chambre des communes du Royaume-Uni le 25 Octobre 1941 affirmait : « ces exécutions d'innocents, faites de sang-froid ne pourront que retomber sur les sauvages qui les ordonnent et sur les exécutants (...) »855. Cet appel lancé par Churchill a commencé par se matérialiser à travers les tribunaux d'après-guerre. Ce faisant, la vision de tous était de mettre en place une juridiction impartiale capable de prévenir et de réprimer 855 SZUREK (S.) « La formation du droit international pénal », ASCENSIO (H.), DECAUX (E.) et PELLET (A.), (dir.), Droit International pénal, Paris, Cedin, Ed. A. Pedone, 2000, p.7. 325 tout crime d'atteinte aux droits de l'homme. Cela a conduit, plusieurs décennies plus tard, à la création de la CPI, malgré les différentes contradictions soulevées par les différents acteurs, en présence à Rome ; la communauté internationale a franchi une étape historique le 17 juillet 1998856 en adoptant le statut de Rome. L'article 1er du statut de Rome est libellé comme suit : « il est créée une Cour pénale internationale en tant qu'institution permanente, qui peut exercer sa compétence à l'égard des personnes pour les crimes les plus graves ayant une portée internationale, au sens du présent statut. Elle est complémentaire des juridictions pénales nationales ». Comme toute juridiction, la CPI a une compétence attributive ou matérielle qui se retrouve à deux niveaux. Elle permet, tout d'abord, à travers une politique de sensibilisation de prévenir tous les actes constitutifs de violations massives des droits de l'homme, et corrélativement des droits de l'enfant. Sa mission de prévention se traduit à travers un volet de sensibilisation, sur la fin de l'impunité des auteurs des crimes les plus graves touchant et obérant la sensibilité de la communauté internationale. Ensuite, elle est instituée pour réprimer tous les présumés auteurs de violations de ces droits. Son rôle est donc non seulement préventif mais aussi répressif. Basée à la Haye, la Cour pénale internationale est une juridiction permanente chargée de juger les personnes accusées de génocide, de crimes contre l'humanité et de crimes de guerre857, et ce à compter du 1er juillet 2002 ,donnée comme date d'entrée en vigueur du statut de Rome. A ce jour, 123 États sur les 193 membres de l'ONU ont ratifié le Statut de Rome et acceptent l'autorité de la CPI858. Au nombre de ces Etats, figure la Côte d'Ivoire qui a signé le statut de Rome le 30 novembre 1998 et ratifié le 15 février 2013859. 856 En effet, cent soixante (160) Etats ont participé à la « Conférence diplomatique des plénipotentiaires des Nations Unies sur la Création d'une Cour criminelle internationale ». Le statut de la CPI a été adoptée dans la nuit du 17 au 18 juillet 1998 par cent vingt (120) voix pour, sept (7) contre (Chine, USA, Inde, Israel, Barhein, Qatar, et Vietnam) et vingt et un (21) abstentions (notamment les pays arables). De plus, douze (12) pays n'ont pas pris part au vote. 857 Statut de la cour pénale internationale, article 1. 858 https://www.icccpi.int/fr_menus/asp/states%20parties/Pages/the%20states%20parties%20to%20the%20ro me%20statute.aspx( consulté le 10/11 /2015). 859
https://www.icc-cpi.int/fr_menus/asp/states%20parties/african%20states/Pages/Cote_d_Ivoire.aspx( 326 Relativement à la Côte d'Ivoire, notons qu'en date du 18 avril 2003, sous la Présidence de Monsieur Laurent GBAGBO, la Côte d'Ivoire, par le truchement de son ministre des affaires étrangères, a fait une déclaration de reconnaissance de la Compétence de la CPI conformément à l'article 12-3 du Statut de Rome, par laquelle l'Etat de Côte d'ivoire donnait pouvoir à la CPI d'identifier, de poursuivre et de juger les auteurs et complices des actes commis sur le territoire ivoirien depuis les évènements du septembre 2002860. Aussi ,par une lettre datée du 14 décembre 2010, l'actuel Président de la République , Monsieur Alassane OUATTARA , dit confirmer la déclaration datée du 18 avril 2003.Toutefois, contrairement, au contenu de cette lettre antérieure, la lettre de confirmation précise que « ...j'engage mon pays la Côte d'Ivoire, à coopérer pleinement et sans délai avec la cour pénale internationale, notamment en ce qui concerne tous les crimes et exactions commis depuis mars 2004... »861. A première vue, l'on peut se réjouir de l'engagement de la Côte d'Ivoire au statut de Rome car cela permettrait de faire la lumière sur les atrocités commis dans ce pays durant la crise ivoirienne. Toutefois, une analyse à froid des deux lettres offre matière à interrogation. En effet, l'on observe non sans inquiétudes que le point de départ donné comme période devant couvrir la compétence de la CPI diverge ; alors que le premier courrier vise la date de septembre 2002, la seconde lettre limite cette période à compter de mars 2004. Pourquoi une telle divergence ? En bonne logique juridique fondée sur l'intérêt des victimes, il serait indiqué que l'on remonte à la période de septembre 2002 pour la simple raison que la seconde lettre entend à travers son objet, confirmer, la lettre datée du septembre 2003. Mieux cela permettrait à toutes les victimes de la crise ivoirienne débutée depuis le 19 septembre 2002 et notamment les enfants d'avoir droit à une justice impartiale. Par ailleurs, la Chambre préliminaire III a, le 4 octobre 2011, fait droit à la requête du Procureur d'ouvrir une enquête de sa propre initiative concernant la situation en Côte d'Ivoire862. L'évolution de cette enquête a conduit au transfèrement de M. Laurent GBAGBO et Charles BLE GOUDE à la CPI, à l'exclusion des autres présumés auteurs de violations à l'encontre des enfants. En tout Etat de cause, nous pensons qu'il serait mieux 860 https://www.icc-cpi.int/NR/rdonlyres/CBE1F16B-5712-4452-87E7-4FDDE5DD70D9/279779/ICDE1.pdf (consulté le 09/11/2015). 861
https://www.icc-cpi.int/NR/rdonlyres/498E8FEB-7A72-4005-A209-C14BA374804F/0/ReconCPI.pdf 862 http://www.icc-cpi.int/Menus/ICC/Situations+and+Cases/ (consulté le 09/11/2015). 327 indiqué de mener un procès à l'égard de toute personne soupçonnée de crimes commis à l'égard des enfants durant la crise ivoirienne. Cela permettrait d'aboutir à une justice impartiale, complète et bénéfique à toute la Côte d'Ivoire. Ces différents procès pourraient s'inspirer de celui ayant impliqué M. Thomas LUBANGA dans le cas des crimes commis à l'égard des enfants en République démocratique du Congo. Cela dit, il apparait opportun d'analyser l'affaire Thomas Lubanga dans laquelle le juge de la CPI a entre autres, déclaré coupable le prévenu pour crimes commis à l'égard des enfants. En effet, le 14 mars 2012, M. Lubanga a été déclaré coupable, en qualité de co-auteur, des crimes de guerre consistant en l'enrôlement et la conscription d'enfants de moins de 15 ans dans la Force patriotique pour la libération du Congo (FPLC), et les faire participer activement à des hostilités, dans le cadre d'un conflit armé ne présentant pas un caractère international du 1er septembre 2002 au 13 août 2003 et ce, sur la base de l'article 8-2-e-vii du Statut de Rome. Le 10 juillet 2012, Thomas Lubanga Dyilo a été condamné à une peine totale de 14 ans d'emprisonnement de laquelle sera déduit le temps qu'il a passé en détention à la CPI863. Au cours du procès, le témoin n° 10, une fille, ancien enfant soldat, a témoigné qu'elle avait été conscrite à l'âge de 13 ans et avait été, à plusieurs reprises, agressée sexuellement par ses commandants. Un autre témoignage entendu au procès a montré que certaines jeunes filles étaient tombées enceintes et avaient été contraintes à avorter et à utiliser des herbes locales comme traitement864. En dehors de la situation des enfants soldats, la CPI a pour rôle de juger les différentes violations des droits de l'enfant survenues lors des conflits, donc en violation des Conventions de Genève. Ainsi, concernant le crime de génocide, l'article 6 du statut incrimine tout « transfert forcé d'enfants du groupe à un autre groupe »865commis « dans l'intention de détruire, en tout ou en partie, un groupe national, ethnique, racial ou religieux »866. Ce crime va donc à l'encontre des mesures des conventions de Genève prévoyant le maintien de la cellule familiale et le rapprochement des familles, mesure défendue par nombre d'organisations humanitaires dont le C.I.C.R. 863 http://www.icc-cpi.int/Menus/ICC/Situations+and+Cases/ sepSituations/Situation+ICC+0104/ (consulté le 09/11/2015). 864 http://www.soros.org/sites/default/files/lubanga-proces-20120302.pdf consulté le 09/11/2015). 865 Article 3 paragraphe e du Statut de Rome du 17 juillet 1998. 866 Article 6 du statut de Rome du 17 juillet 1998. 328 Autre violation du DIH pour laquelle la Cour pénale Internationale intervient, la réduction en esclavage de mineurs caractérisant un crime contre l'humanité au sens de l'article 7 paragraphe 2c du statut867. Réduire en esclavage un enfant reviendrait à violer l'article 49 de la Convention III de Genève de 1949 prévoyant l'interdiction de faire réaliser des travaux à des personnes n'ayant pas l'âge et la condition physique de les réaliser. A l'analyse, on observe que de par leurs compétences, ces juridictions judiciaires apparaissent comme une réelle opportunité offerte aux enfants de Côte d'ivoire à l'instar leurs décisions. 2. Une opportunité au regard de leurs décisions à caractère contraignant Respectant le principe « res judicata pro veritate habetur » qui signifie que la chose jugée doit être tenue pour la vérité, l'autorité de chose jugée exclut que ce qui a été jugé puisse être méconnu ou contesté. De ce fait, les décisions des Cours judiciaires régionales et de la CPI sont contraignantes. Leurs décisions ont valeur de loi et s'imposent à tous. Ces Cours étant des juridictions judiciaires, leurs décisions ont une force obligatoire incontestable. Ainsi, « les Etats parties... s'engagent à se conformer aux décisions rendues par la Cour dans tout litige où ils sont en cause et à en assurer l'exécution dans le délai fixé par la Cour »868. De même, les arrêts de la Cour de Justice ont force obligatoire à l'égard des Etats Membres, des Institutions de la Communauté, et des personnes physiques et morales869. Les décisions sont applicables uniquement pour les parties au litige. En cela, certains parlent de l'autorité relative de chose jugée et non erga omnes. La Côte d'Ivoire a ratifié le Protocole à la Charte Africaine des droits de l'Homme et des Peuples portant création de la Cour870, entrainant ipso facto, le respect par cet Etat, des décisions que la Cour prendrait à son endroit. 867 Par « réduction en esclavage », on entend le fait d'exercer sur une personne l'un quelconque ou l'ensemble des pouvoirs liés au droit de propriété, y compris dans le cadre de la traite des êtres humains, en particulier des femmes et des enfants ; » 868 Article 30 du protocole de la Charte africaine instituant une Cour. 869 Article 15 paragraphe 4 du traité révisé de la CEDEAO. 870 La Côte d'Ivoire a ratifié cet instrument en date du 07 janvier 2003. 329 Si de façon apparente, la Côte d'Ivoire est tenue de se conformer aux décisions de ces différentes Cours, il n'en reste pas moins que la saisine de ces cours obéisse à certaines règles draconiennes qui rendent les recours inaccessibles. B. DES RECOURS DIFFICILEMENT ACCESSIBLES Les recours sont difficilement accessibles du fait des obstacles aux communications individuelles (1) et de ceux liés à leur recevabilité, particulièrement l'épuisement des voies de recours internes (2). 1. Les obstacles aux communications individuelles devant la Cour africaine Les obstacles aux communications sont nombreuses, mais celles qui sont plus pertinentes et méritent une attention particulière concernent la déclaration spéciale et le pouvoir de la Cour. - La déclaration spéciale ou la clause d'option La déclaration spéciale ou la clause d'option est une condition initiale de saisine de la Cour africaine. A travers elle, cette Cour fait une discrimination entre les personnes publiques et les personnes privées. En effet, pour la dernière catégorie de personnes, l'accès à la Cour nécessite que les Etats parties mis en cause ou violateurs des droits de l'enfant, aient fait une déclaration spéciale pour reconnaitre la compétence juridictionnelle de la Cour. Au niveau africain, pour qu'une personne privée puisse saisir la Cour africaine, l'Etat mis en cause doit avoir préalablement « fait une déclaration acceptant la compétence de la Cour »871. En d'autres termes, le consentement du présumé responsable des violations des droits de l'enfant est exigé pour qu'il puisse être attrait devant cette Cour. Le protocole reste strict et ferme sur cette condition. Il précise que « la Cour ne reçoit aucune requête en application de l'article 5 (3) intéressant un Etat partie qui n'a pas fait une telle déclaration ». L'exemple de la clause d'option qui peut, du reste, être faite « à tout moment de la ratification... » suffit à elle seule à fermer l'accès du prétoire au justiciable. Les Etats en général et les Etats africains en particulier acceptent difficilement, voire mal d'être attraits 871 Article 34 par.6. 330 par des particuliers et, qui plus est, devant une juridiction internationale. Certes, l'admission du recours individuel devant cette Cour constitue, un progrès certain. En cela, le système africain devance son homologue américain872, qui ne prévoit pas un tel recours. Mais, donner d'une main et reprendre de l'autre ne vaut absolument rien. Aussi, reste-t-il en retrait par rapport au système européen qui, tout en instituant le recours individuel, ne reprend pas la clause d'option873 Ainsi, les personnes privées, les organisations non gouvernementales observatrices auprès de la Commission, sont limitées dans la saisine de la Cour africaine par cette déclaration spéciale. Sans cette déclaration, l'Etat qui aurait commis une violation, ne peut être attrait devant cette juridiction, même après avoir ratifié le Protocole instituant la Cour. Pourtant, sur vingt-six (26) Etats parties au Protocole, seulement sept ont déposé leur déclaration spéciale, pour permettre aux individus de saisir la Cour en cas de violations de leurs droits. L'absence de déclaration serait un frein à l'exercice de recours judiciaire. L'enfant des pays non parties à ce protocole et n'ayant pas fait de déclaration se trouve ainsi privé de recours judiciaire à même de protéger efficacement ses droits au niveau continental. Ainsi, l'enfant se trouve face à un recours judiciaire difficilement accessible. Il convient en outre d'espérer qu'un Etat puisse attraire un autre devant la Cour pour d'éventuelles violations des droits de l'enfant ou que la victime elle-même puisse la saisir par l'intermédiaire de la Commission. Passé l'obstacle de la déclaration spéciale, la victime doit faire face au pouvoir de la Cour. - Le pouvoir de la Cour Le pouvoir de la Cour, ici, s'entend du privilège accordé à celle-ci. Ce pouvoir semble très large, étant donné qu'il donne la possibilité ou non à l'individu de déposer des requêtes. De sorte que celui-ci, en plus de la déclaration spéciale, est confronté à un autre obstacle, contenu dans le protocole de la Charte instituant la Cour Africaine, notamment en son article 5, paragraphe 3 qui dispose : « La cour peut permettre aux individus ainsi qu'aux organisations non-gouvernementales (ONG) dotées du statut d'observateur auprès de la 872 Art.44, 45, 46 de la Convention américaine des droits de l'homme. 873 Art. 3 du protocole n°9 du 6 novembre 1990 et art.34 de la convention européenne telle qu'amendée par le protocole n° 11 du 11 mai 1994 et entré en vigueur le 1er novembre 1998. 331 Commission d'introduire des requêtes directement devant elle conformément à l'article 34 (6) de ce Protocole. ». Cet obstacle, pour le Professeur DEGNI-SEGUI, réside dans l'appréhension du verbe « peut » qui est renforcée par le verbe « permettre ». Pour lui, ces deux verbes, viennent durcir les conditions d'accès à la Cour, par « une autorisation préalable »874. La Cour investie de ce pouvoir semble tout mettre en oeuvre ou du moins cherche des astuces pour décourager le particulier qui entend revendiquer ses droits. Mais espérons avec le Professeur que ce raffermissement des conditions de saisine en cas de violation des droits de l'enfant ne mettra pas à mal l'intérêt supérieur de celui-ci. Aussi, convient-il de révéler que l'inaccessibilité de cette Cour réside également dans les obstacles liés à la recevabilité, notamment dans le cas d'épuisement des voies de recours internes. 2. Les obstacles liés à la recevabilité : l'épuisement des voies de recours internes Diverses conditions données comme cumulatives sont exigées pour la saisine de la Cour africaine des droits de l'Homme et des peuples. Mais, c'est la condition tenant à l'épuisement des voies de recours qui fera l'objet d'un intérêt particulier ; cette condition, bien qu'elle soit contraignante peut être contournable. - Une condition contraignante Suivant le droit international coutumier, l'épuisement préalable des recours internes subordonne l'action internationale875. La règle s'applique également en droit international des droits de l'homme et conforte l'idée selon laquelle il est souhaitable que toute controverse relative aux droits de l'homme soit portée à l'attention des autorités internes, en particulier judiciaires876. En d'autres termes, l'épuisement des voies de recours, c'est-à-dire 874 DEGNY-SEGUY(R.), Les droits de l'homme en Afrique Noire francophone, Théories et réalités, 2ème ed. CEDA, Avril 2001, p.193. 875 Voy. notamment CIJ, Interhandel, (Suisse c. Etats-Unis), arrêt sur les exceptions préliminaires du 21 mars 1959, Rec., 1959, p.27 : « La règle selon laquelle les recours internes doivent être épuisées avant qu'une procédure internationale puisse être engagée est une règle bien établie du droit international coutumier ; elle a été généralement observée dans les cas où un Etat prend fait et cause pour son ressortissant dont les droits auraient été lésés dans un autre Etat en violation du droit international. Avant de recourir à la juridiction internationale, il a été considéré en pareil cas nécessaire que l'Etat où la lésion a été commise puisse y remédier par ses propres moyens, dans le cadre de son ordre juridique interne. ». 876 Pour un rappel, vo. Cour interam. Dr. h., Velasquez Rodriguez c. Honduras, arrêt du 29 juillet 1988, fond, Série C n°4, §61. 332 la saisine des juridictions doit être exercée au plan interne, et n'avoir pas aboutie877. Elle vise avant tout à préserver la souveraineté des Etats en leur permettant de régler en interne les litiges qui les concernent. Elle se justifie davantage par des considérations politiques que par des impératifs juridiques liés au droit international des droits de l'homme878. Elle fait ainsi écho à la logique de subsidiarité du contentieux international des droits de l'homme et à l'idée selon laquelle le premier garant des droits de l'homme doit être le juge interne879. Les organes judiciaires internationaux de protection n'interviennent pour leur part qu'afin de pallier d'éventuelles déficiences de ce dernier. La Cour Européenne rappelle l'importance de ce principe en soutenant qu'il est « est primordial que le mécanisme de sauvegarde instauré par la Convention revête un caractère subsidiaire par rapport aux systèmes nationaux de garantie des droits de l'homme. La Cour a la charge de surveiller le respect par les Etats contractants de leurs obligations au titre de la Convention. Elle ne peut et ne doit se substituer aux Etats contractants auxquels il incombe de veiller à ce que les droits et libertés fondamentaux consacrés par la Convention soient respectés et protégés au niveau interne. La règle de l'épuisement des voies de recours internes est donc une partie indispensable du fonctionnement de ce mécanisme de protection »880. La règle relative à l'épuisement des voies de recours est le plus souvent l'une des conditions qui demande le plus d'attention aussi bien pour la saisine de la Cour africaine que pour les comités des droits de l'enfant, au niveau universel et régional. Cette condition semble être la plus contraignante, à en croire aux garanties juridictionnelles accordées à l'individu dans les juridictions nationales, notamment ivoiriennes, surtout quand il s'agit d'attraire l'Etat devant le juge administratif. En effet, le requérant est le plus souvent confronté à des nombreux obstacles qui rendent cette condition très contraignante. Comme obstacle, le coût élevé des frais judiciaires, la lenteur des procédures judiciaires, et même la dépendance des juges peuvent être un blocage, un frein à l'épuisement des voies de recours. 877 HENNEBEL (L.) et TIGROUDJA (H.), Traité de droit international des droits de l'homme, Editions A. Pedone, 2016, pp.499-514. 878 En ce sens, I. Brownlie, Principles of public international law, Oxford : OUP, 1998, 5e éd., p.497. 879 En ce sens : Comité dr. h., T.K. c. France, décision d'irrecevabilité du 8 novembre 1989, communication n°220/1987, §8.3. 880 Cour eur. dr.h. , (GC), Demopoulos et autres c. Turquie, décision d'irrecevabilité du 1er mars 2010, req. n°46113/99 et al., §69. 333 Ce blocage entraine le plus souvent, l'individu à recourir vers un autre moyen qui lui permettra de défendre ses droits. Ce genre de situations peuvent amener le justiciable à tourner le dos aux juridictions nationales car les lenteurs de la justice ne sont rien d'autre que les dénis de justice qui amène les justiciables à s'en défier. Le justiciable qui compte exercer un recours devant la Cour continentale ou régionale, pourrait se voir pris au piège, par les juridictions nationales. Cependant, il semblerait qu'une marge de manoeuvre est laissée au requérant, celui-ci pourrait contourner les juridictions nationales. - Une condition contournable L'épuisement des voies de recours, condition cumulative avec d'autres conditions tout aussi importante, peut être contournable. L'opportunité est accordée au requérant qui ne peut obtenir de recours au niveau interne. Dans le cadre de la Cour africaine, c'est l'article 56 paragraphe 5 de la charte africaine des droits de l'homme et des peuples qui tout en fixant une condition de recevabilité, en pose ses limites. En effet, la requête doit être postérieure « à l'épuisement des recours internes s'ils existent, à moins qu'il ne soit manifeste à la Commission que la procédure de ces recours se prolonge de façon anormale ». Cette impossibilité doit être due à un prolongement anormal de la procédure judiciaire ou autre susceptible de réparer le tort par lui subi. Il en va ainsi des cas, où il n'existe pas de recours internes, ou si ces recours sont inefficaces et illégaux. Comme exemple topique, l'affaire Internationale Pen c/le Nigeria datée du 31 Octobre 1998 : il a été déclaré recevable, une communication contre l'Etat du Nigeria, qui n'avait pas épuisé des voies de recours internes. En fait, dans celle-ci, il était question des décrets qui interdisaient aux tribunaux ordinaires d'examiner en appel les décisions des tribunaux spéciaux. Cette interdiction était assortie de sanctions pour quiconque tentait de le faire. L'impossibilité d'épuiser les voies de recours internes, n'a eu aucune incidence sur la recevabilité de la communication. 334 Aussi, la Commission africaine a clairement affirmé que « la règle de l'épuisement des recours internes ne s'applique que dans les situations où lesdits recours sont disponibles et accessibles »881. Par ailleurs, la Cour de Justice de la CEDEAO se démarque particulièrement au niveau de ses règles de procédure. En effet, celles-ci se distinguent des autres procédures classiquement connues au niveau régional. Comme l'affirme KANE Thierno, pour être audacieuse et précieuse, cette innovation se veut totalement différente du dispositif institué pour les Cours régionales en Europe et en Amérique : « ni commission de filtrage des requêtes individuelles, ni exigence de l'épuisement de voies de recours internes à l'image de ses ainés »882. Dans ces conditions, ce système apparait manifestement efficient, le requérant étant dispensé de démontrer la preuve préalable de l'épuisement des voies de recours internes. La célérité de la procédure est gage d'administration d'une bonne justice et non un handicap pour une garantie effective des droits de l'enfant. Ce verrou procédural se trouve ainsi levée par l'effet de cette technique, et entraine en conséquence un afflux massif de requêtes auxquels se trouve confrontée la Cour de la CEDEAO depuis 2005883. Mieux, la Cour de Justice de la CEDEAO dans l'affaire « Dame Hadijatou Mani Koraou c/ la République du Niger »884 tout en admettant le caractère subsidiaire de sa juridiction, ne manque pas non plus de désavouer la partie défenderesse qui arguait que « « la saisine de la juridiction communautaire est subordonnée à l'épuisement des voies de recours internes »885. Ainsi pour KANE Thierno, c'est donc à juste raison que la Cour de la CEDEAO affirma que la protection des droits de l'homme par des mécanismes internationaux tout en demeurant subsidiaire peut s'accommoder avec une interprétation très 881 CoADHP, Affaire 54/91, 61/91, 164/97, 2010/98- Malawi African Association, Amnesty International, Mme Sarr DIOP, Union Internationale des droits de l'Homme et RADDHO, Collectif des veuves et ayant droits, Association Mauritanienne des droits de l'Homme c. Mauritanie 882 KANE (T.), La Cour de justice de la CEDEAO à l'épreuve de la protection des droits de l'homme, Université Gaston Berger de Saint-Louis, Sénégal, mémoire de maitrise en sciences juridiques, 2012, disponible sur : https://www.memoireonline.com/02/14/8706/La-Cour-de-Justice-de-la-CEDEAO--l-epreuve-de-la-protection-des-Droits-de-l-Homme.html 883 Ibidem 884 CJ CEDEAO Dame Hadijatou Mani Koraou c/ République du Niger du 27 octobre 2008. 885 Ibid. 335 souple de la règle de l'épuisement des voies de recours internes.886 Cette position semble d'ailleurs avoir été déjà affirmé par la Cour Européenne des Droits de L'Homme dans l'affaire Wilde, Ooms et Versyp c/ la Belgique du 18 juin 1971 , en ces termes : « conformément à l'évolution de la pratique internationale, les Etats peuvent bien renoncer au bénéfice de la règle de l'épuisement des voies de recours internes »887. La lecture des décisions de la Cour de justice de la CEDEAO offre de constater que ce principe demeure une constante, quoique des Etats incriminés, ne cessent de brandir et d'opposer l'argument tenant au non épuisement des voies de recours internes par des requérants. Il ressort de de cette analyse que le mécanisme de protection institué par la CEDEAO pour préserver les droits de l'homme est à bien des égards révolutionnaire et peut constituer un mécanisme efficace de protection des droits de l'enfant. Celui-ci tient principalement à la simplicité, à la lisibilité de l'édifice institutionnel. 3. Les handicaps propres à la CPI inhibant son efficacité L'examen de la CPI révèle l'existence de nombre d'handicaps susceptibles d'inhiber son efficacité dans la protection des droits de l'enfant. Ces handicaps peuvent être recherchés au niveau des limitations statutaires de compétence tenant aux pouvoirs du procureur, celle tenant à la déclaration d'incompétence fixées à l'article 124 du statut de Rome ainsi qu'à une limite fonctionnelle tenant au manque d'instruments coercitifs. S'agissant des limitations statutaires de compétence tenant aux pouvoirs du Procureur, le statut de Rome confère au procureur la mise en oeuvre de l'action répressive internationale. Ceci va au-delà de son pouvoir d'agir « propio motu » et de diligenter des enquêtes d'initiative. Cette faculté rend son travail politiquement sensible. Son pouvoir discrétionnaire pose alors problème888. Cette liberté de choix du procureur découlant du pouvoir d'appréciation contenu aux articles 15 et 53 du statut de Rome suppose que le procureur peut engager des poursuites lorsqu'il a connaissance d'une infraction aux termes 886 KANE (T.), La Cour de justice de la CEDEAO à l'épreuve de la protection des droits de l'homme, Université Gaston Berger de Saint-Louis, Sénégal, mémoire de maitrise en sciences juridiques, 2012, disponible sur : https://www.memoireonline.com/02/14/8706/La-Cour-de-Justice-de-la-CEDEAO--l-epreuve-de-la-protection-des-Droits-de-l-Homme.html 887 Cit. Par le juge de la CEDEAO dans l'arrêt, Dame Hadjijatou Mani Koraou c/ la République du Niger. 888 Article 53 du statut de Rome. 336 du Statut de Rome ; mais cela n'a aucun caractère obligatoire ou impératif à son égard. Ce qui apparait somme toute dommage car en principe, le Procureur devrait engager des poursuites dès lors qu'il existe des faits incriminés par le Statut de Rome. Au regard des enjeux inhérents à l'action de la CPI, juger dans un contexte politique, le pouvoir discrétionnaire du Procureur ne peut que faire l'objet de controverses. Le procureur, autorité compétente pour enclencher l'action répressive bénéficie d'une large marge de manoeuvres dans la mise en oeuvre de son pouvoir décisionnel. Cette faculté est contestable dans la mesure où elle est présentée comme non respectueuse du principe de l'égalité devant la justice et l'indépendance des juridictions car elle permet à l'autorité poursuivante le pouvoir de classement d'une affaire et ne reconnait pas aux seules juridictions de jugement, le pouvoir de mettre fin à un procès. S'il refuse de diligenter une enquête d'initiative, il ne peut y être contraint même pas, par la chambre préliminaire. Il se doit juste d'aviser ceux qui lui ont fourni les renseignements de son refus d'enquêter sans qu'aucun recours ne lui soit accordé. Les critiques apportées aux pouvoirs du Procureur sont motivées par la politisation de cette fonction. Cela tient tout d'abord au fait que le plus souvent les vainqueurs d'un conflit se servent de lui afin d'obtenir une sanction pénale contre les perdants. En d'autres circonstances, ce pouvoir aurait constitué une garantie d'efficacité contre la politisation de la juridiction à supposer que le Procureur soit indépendant. Le statut de Rome ne prédétermine pas les situations justifiant l'ouverture d'une enquête ou des poursuites. Ce pouvoir de choix de la nécessité de l'ouverture d'une enquête entraine des reproches et des suspicions quant à ses préférences à agir contre un individu ou dans le cas d'un pays. L'efficacité de la CPI dans la défense des droits de l'enfant et la mise en oeuvre des exigences profondes de l'humanité dépend aussi en grande partie de son pouvoir d'exercer efficacement la compétence que lui confère son statut. Toutefois, le statut de Rome recèle en lui-même des clauses limitatives de compétence au nombre desquelles l'exemption de compétence fixée à l'article 124 qui nuit, à n'en point douter aux droits des enfants victimes de crimes de guerre. Le statut de Rome recèle en lui-même plusieurs clauses limitatives de la compétence de la CPI. Les Etats ont la faculté de refuser la compétence de la CPI en matière de crimes de 337 guerre selon les termes de l'article 124 du statut de Rome. Cela veut dire que l'article 124 du statut de Rome prévoit qu'un Etat partie au statut de Rome a la possibilité d'exclure, pour une période de sept (7) ans à partir de son entrée en vigueur la compétence de la CPI. Cela revient à instaurer pour les crimes de guerre un régime différent de celui qui est applicable aux autres crimes relevant de la compétence de la CPI. Cette disposition de l'article 124 renverse le principe d'acceptation automatique de la compétence de la CPI en introduisant une exemption spéciale pour les crimes de guerre. Cette situation soulève des interrogations : existe-t-il une hiérarchisation parmi les crimes ? Pourquoi a-t-on prévu un tel privilège au profit des Etats et au mépris des droits des victimes à la réparation ? Le principe de complémentarité des juridictions nationales déjà exploitées machiavéliquement par des Etats comme la Côte d'Ivoire n'est pas déjà un gros avantage au profit des Etats ? A vrai dire, cela remet en question l'engagement d'un Etat à ne pas commettre des crimes de guerre et donne l'impression que les crimes de guerre sont moins graves que les autres crimes mentionnés dans le statut de Rome. De plus cette disposition dite temporaire est susceptible de s'inscrire dans une plus grande durée puisque loin d'être considérée comme automatiquement caduque au bout des sept (07) années. En effet, il est simplement prévu que l'assemblée des Etats parties doit réexaminer cette disposition lors d'une conférence ultérieure de révision du statut de Rome. Bien que le statut de Rome ait interdit aux signataires de faire des réserves, on constate que les réserves susceptibles d'être faites y ont été déjà intégrées, et nuisent aux droits de certains enfants et aux droits de toute autre personne victime de crimes de guerre. La raison sur laquelle s'appuie un Etat partie au Statut de Rome pour exclure la compétence de la CPI en matière de crimes de guerre consiste souvent dans la volonté de protéger ses militaires au cours de leurs missions à l'étranger. Ce faisant, on légifère sur le droit de tuer sans être jugé durant sept ans et restreint largement la compétence de la CPI. Une limite fonctionnelle tenant au manque d'instruments coercitifs inhibe également l'efficacité de la Cour pénale internationale. Comme les tribunaux spéciaux, la CPI a besoin de la coopération des Etats pour mener à bien des enquêtes et poursuites. C'est pourquoi, le statut de Rome consacre un chapitre à 338 cette nécessaire coopération des Etats à son action889. Même si les Etats ne font pas obstruction aux activités de la CPI, cette dernière est dans l'impossibilité de mener directement des investigations. Par ailleurs, elle ne dispose pas d'une force de police pour exécuter ses décisions. Elle devient ainsi impuissante et incapable de protéger les enfants victimes quand les Etats refusent de collaborer avec elle. La CPI ne peut mener des investigations qu'avec le consentement des Etats qui l'autorisent donc à le faire sur le territoire. Du fait d'ailleurs qu'elle ne dispose pas d'un effectif assez conséquent pour mener à bien ses investigations, elle recourt toujours aux structures étatiques pour l'accompagner dans cette tâche. Ce faisant, elle est parfois limitée dans les informations qui lui sont transmises car les Etats sont amenés à faire une rétention d'informations pour diverses raisons. Si la CPI avait la possibilité de mener directement ses investigations, elle pourrait rentrer en possession de certaines informations sans forcément recourir aux Etats. Non seulement la CPI se retrouve dans l'impossibilité de mener directement des investigations, mais elle ne dispose pas également d'une force d'exécution de ses décisions. En principe, en s'inspirant des difficultés auxquelles étaient confrontés les tribunaux pénaux internationaux l'ayant précédé, on aurait dû penser à la dotation d'une force de police ou d'exécution de ses décisions. On ne devrait pas seulement miser sur la coopération avec les Etats. Si la CPI disposait de sa propre force de police, elle la lancerait à la recherche des présumés auteurs de violations graves des droits de l'enfant, faisant l'objet d'un mandat d'arrêt. La force de police ici souhaitée, est une force en vue d'exécuter les ordres de la juridiction. C'est pour lui permettre de faire preuve de célérité dans les dossiers qu'il est nécessaire qu'elle se dote d'une telle force. Avec cette force, les auteurs présumés savent qu'ils seront traqués et ne pourront plus bénéficier de la complicité passive des forces de police des Etats qui auraient initialement pour mission de les appréhender. A défaut d'une force de police propre, la CPI peut recourir à des forces multinationales relevant directement du Conseil de sécurité et qui sont déployées dans le cadre d'opérations internationales de restauration de la paix. La CPI se doit de modifier la donne. Une force de paix déployée dans un Etat en crise interne ou en conflit avec un voisin pourrait se voir confier par le CSNU, explicitement, la tâche de rechercher et d'arrêter des auteurs de crimes relevant de la 889 Article 86 intitulé « obligation générale de coopérer ». 339 compétence de la CPI, si ce n'est pas le CSNU qui l'aurait saisie. Cette proposition pourrait trouver son fondement dans l'alinéa 6 de l'article 87 du statut de Rome. Tout dépend de la volonté des Etats membres du CSNU. La résolution datée du 28 mars 2013, du CSNU sur la République Démocratique du Congo(RDC)890 en est une illustration. Cette résolution a décidé le déploiement « à titre exceptionnel et sans créer de précédent » d'une « brigade d'intervention » chargée de « neutraliser » et de désarmer les groupes menaçant l'autorité de l'Etat et la sécurité des civils dans l'est du pays. Si ce n'est pas le cas, elle risque de ne jamais mettre la main sur certains présumés auteurs de crimes relevant de la compétence de la CPI, au nombre desquels les infractions graves portant sur les enfants. |
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