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L'effectivité des droits de l'enfant en Cote d'Ivoire


par Arsène NENI BI
Université Jean Moulin Lyon 3 - Doctorat en droit public 2018
  

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Chapitre I :

LES ATTEINTES AUX DROITS DE L'ENFANT EN PERIODE DE PAIX

A l'image des Nations dites développées qui sont confrontées à de grandes questions touchant la dignité humaine, la vie, et qui préoccupent actuellement toute l'humanité à savoir le clonage humain, l'euthanasie, l'avortement..., la Côte d'Ivoire, à l'instar de nombre de pays africains a aussi ses préoccupations du fait de sa culture. Ici, il s'agira d'évoquer quelques tares de la culture ivoirienne, qui ont résisté malheureusement au temps et qui compromettent son intégration dans le processus d'universalisation et d'unification des cultures par la mondialisation, en entamant sa contribution à la tradition universelle des droits de l'enfant. Comme on l'a constaté plus haut, l'arsenal normatif et institutionnel en Côte d'Ivoire est relativement dense. Il existe une véritable prise de conscience ; mais quelle est la réalité de la situation des enfants sur le territoire ivoirien ? Suffit-il de proclamer des droits pour qu'ils soient effectifs ? En Côte d'Ivoire comme ailleurs dans le monde, les réalisations ont été inversement proportionnelles aux promesses comme l'affirmait le Secrétaire général Koffi Annan dans son rapport sur les enfants895. Les droits de l'enfant continuent toujours à faire l'objet de violations qui ne sont souvent pas sanctionnées. Ces violations existent dans toutes les sociétés, mais prennent une ampleur grave en Afrique, et singulièrement en Côte d'Ivoire. A défaut de mettre en lumière toutes les formes d'atteintes aux droits de l'enfant, nous mettrons l'accent sur celles qui nous paraissent les plus importantes au regard de leur gravité. Ainsi, analyserons-nous successivement les atteintes liées à la survie, au développement personnel et à la participation de l'enfant (Section 1) avant de nous appesantir sur les atteintes aux enfants contre toute forme d'abus (Section 2).

895 ONU, Rapport du Secrétaire général « Nous, les enfants : examen de fin de décennie de la suite donnée au Sommet mondial pour les enfants » (A/S-27/3) du 4 mai 2001, examiné par le Comité préparatoire de la session extraordinaire de l'Assemblée générale consacrée aux enfants, lors de sa troisième session, en juin 2001.

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SECTION I. DES ATTEINTES LIEES A LA VIE ET AU DEVELOPPEMENT PERSONNEL DE L'ENFANT

Les manifestations des violations affectant l'existence et la survie de l'enfant (Paragraphe 1), une diversité d'atteintes au droit à l'éducation et au développement personnel des enfants (Paragraphe 2) et les atteintes aux formes de participation des enfants (Paragraphe 3) seront successivement mises en exergue.

§ 1. DES MANIFESTATIONS DES VIOLATIONS AFFECTANT L'EXISTENCE ET LA SURVIE DE L'ENFANT

Elles sont manifestes à travers les atteintes au droit à l'identité et à la nationalité des enfants (A) mais aussi via celles afférentes à la santé de l'enfant (B).

A. LES ATTEINTES AU DROIT A L'IDENTITE ET A LA NATIONALITE DES ENFANTS, UNE NEGATION DU DROIT A L'EXISTENCE JURIDIQUE

La négation du droit à l'existence juridique des enfants s'explique par l'existence d'enfants non déclarés (1) et d'enfants apatrides (2).

1. Des enfants non déclarés

L'enregistrement des naissances consiste à faire enregistrer par les autorités administratives, la naissance des enfants. Le deuxième paragraphe de l'article 24 du PIDCP ajoute le droit de l'enfant d'être enregistré immédiatement après la naissance et d'avoir un nom, dans le but de réduire les risques d'enlèvement, de vente ou de traite d'enfants et les autres traitements contraires aux droits prévus dans le Pacte896.

Consacrée par la Convention relative aux droits de l'enfant en son article 7897, l'obligation de déclaration des naissances est affirmée depuis 1964 par la loi ivoirienne et stipule que la déclaration est gratuite, et doit se faire dans les trois mois qui suivent la naissance898.

896 HENNEBEL (L.), La jurisprudence du Comité des droits de l'homme des Nations Unies, Bruxelles : Bruylant, 2007, p.290.

897 Article 7 alinéa 1 CIDE : « L'enfant est enregistré aussitôt sa naissance et a dès celle-ci le droit à un nom, le droit d'acquérir une nationalité et, dans la mesure du possible, le droit de connaitre ses parents et d'être élevé par eux. ».

898 Article 41 loi 99-691 ; voir aussi BROU KOUAKOU (M.), Cours de droit civil, droit des personnes, droit de la famille, Les éditions ABC, 2013, p.123.

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Dès la naissance, les parents ont le devoir de déclarer le nom, le prénom et la date de naissance du nouveau-né auprès des autorités. La déclaration de naissance est un support préalable à la réalisation des droits de l'enfant car elle atteste de son existence officielle899. Déclarer un enfant, c'est implicitement actionner en sa faveur tous les mécanismes de protection : accès à des services de base, dont la vaccination, les soins de santé et l'inscription dans un établissement scolaire900.

En enregistrant la naissance, l'État reconnaît officiellement l'existence de l'enfant et officialise son statut au regard de la loi. Par ailleurs, grâce à cet enregistrement sur les registres de l'état civil, un enfant pourra établir sa filiation, c'est-à-dire les liens de parenté qui l'unissent à son père et à sa mère.

L'identité permet l'intégration de chaque enfant au sein de la société. L'enregistrement de la naissance de l'enfant et l'attribution de sa nationalité lui octroient sa capacité juridique ou sa capacité de jouissance901. Cela signifie que, comme toute personne, il sera officiellement reconnu en tant que membre de la société et qu'il sera titulaire de droits et obligations. Le nom, le prénom, la date de naissance, le sexe et la nationalité de la personne sont nécessaires à la compréhension du droit à l'identité. Grâce à ces informations, une personne devient un sujet de droit (détenteur et obligataire de droit).

Cette identité permettra aussi à l'enfant de bénéficier d'une protection juridique par le biais de ses parents et de l'État. Il pourra ainsi bénéficier du régime de protection des mineurs de son pays, qui le protégera notamment contre les diverses formes de maltraitance et d'exploitation.

Par ailleurs, les enfants délinquants bénéficieront du régime des peines pour mineurs qui est un régime de peines adapté à leur âge, leur discernement et leur maturité.

À l'inverse, un enfant sans identité sera invisible aux yeux de la société et ne bénéficiera pas d'une protection et des services sociaux essentiels à son développement.

899 KOMAN (Y.G.), La convention relative aux droits de l'enfant : vers une évolution des droits d'expression et de défense des intérêts de l'enfant en Côte d'Ivoire ? , Mémoire de fin de cycle, E.N.A Côte d'Ivoire, p.14.

900 Ibidem.

901 Dans ce sens, ABACACI (A.), VIORICA (D.) HAGEANU (C.), Droit civil. Les personnes. Maison d'Edition All Beck, Bucarest, 2004, p.41. ; COCA-COZMA (M.), GRACIUNESCU (C.M.), LEFTERACHE ( L.V.), La justice pour les mineurs, Etudes théoriques et de jurisprudence. L'analyse des modifications législatives dans le domaine, maison d'édition Universul Juridic, Bucarest, 2003, p.371.

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Malheureusement, de nombreux enfants sont toujours non déclarés en Côte d'Ivoire. Ainsi, en 2000, deux tiers des naissances des enfants de moins de 5 ans étaient encore non enregistrés902. En 2006, cette proportion avait reculé pour atteindre un peu plus de la moitié des enfants, soit 55%903. Suivant les conclusions de l'EDSCI-III 2011-2012, 35 % des enfants de moins de 5 ans et 24% des enfants de 0-17 ans n'existaient pas légalement, faute d'avoir été enregistrés à l'état civil904 ; on estime que 65% des enfants de moins de 5 ans ont été déclarés à l'état civil, mais seulement 45% avaient un acte de naissance. Le taux d'enregistrement est plus élevé chez les enfants de 15 à 17 ans (85%). Aujourd'hui, on estime à 2.800.747 le nombre d'enfants de 0 à 17 ans non enregistrés, dont près de 1, 3 millions de moins de 5 ans et 1.552.236 enfants en âge de scolarisation (5-17 ans)905. Malheureusement, ce report de la déclaration entraine les parents dans des procédures judiciaires complexes et couteuses, pour l'obtention d'un jugement supplétif.906

L'amélioration de la situation globale entre 2006 et 2012 cache de grandes disparités entre les enfants selon la région où ils habitent, le milieu dans lequel ils vivent (urbain 84%, rural 47%) et le niveau de vie (plus pauvre 36% plus riches 90%)907. En milieu rural, le problème de l'enregistrement des naissances se pose avec acuité : trois enfants sur cinq de moins de 18 ans sont enregistrés par rapport à neuf sur dix en milieu urbain. Dans ces régions de l'Ouest, du Nord-Ouest et du Nord, seulement un enfant sur cinq de moins de 18 ans possède l'extrait de naissance. Des disparités énormes sont observées entre les zones rurales ou urbaines. Les femmes en milieu rural accouchent au village alors qu'en milieu urbain elles peuvent plus facilement avoir accès à des maternités où la déclaration est facilitée.

902 UNICEF, Analyse de la situation de l'Enfant en Côte d'Ivoire 2014 « vers une société plus équitable dans pays émergent », Octobre 2014, p.55.

903 UNICEF, Analyse de la situation de l'Enfant en Côte d'Ivoire 2014 « vers une société plus équitable dans pays émergent », Octobre 2014, p.55.

904 Idem.

905 Idem.

906 Voir articles 82 à 84 de la loi ivoirienne relative à l'état civil ; aux termes de l'article 82 : « le défaut d'acte de l'état civil peut-être supplée par jugement rendu sur simple requête présentée au tribunal ou à la section du tribunal du lieu où l'acte aurait dû être dressé » ; Pour une déclaration de naissance à l'état civil non faite dans le délai : TPI Gagnoa, jugt n°139 du 10/08/2005, inédit).

907 UNICEF, Analyse de la situation de l'Enfant en Côte d'Ivoire 2014 « vers une société plus équitable dans pays émergent », Octobre 2014, p.55.

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Ces nombreux enfants non déclarés n'existent pas aux yeux de la loi. Puisqu'on ne connait pas leur âge, ils n'auront pas la protection minimale conférée aux mineurs, contre les mariages précoces, le travail des enfants, la détention et les poursuites judiciaires, l'enrôlement dans les forces armées. Ils ne bénéficient d'aucune protection, contre l'abus et l'exploitation. Un enfant non enregistré sera une marchandise plus attirante pour un trafiquant d'enfants. L'invisibilité des enfants non enregistrés fait que la discrimination, l'abandon et les abus dont ils sont victimes auront plus de risque de passer inaperçus. Plus tard, il leur sera impossible d'obtenir un passeport, de solliciter un emploi reconnu, d'ouvrir un compte en banque, de contracter un mariage légal, de se présenter à des élections, ou de voter. En un mot, cette frange de la population se trouve donc potentiellement exclue du bénéfice de certains services sociaux de base y compris la protection spéciale due aux mineurs. Les enfants non enregistrés d'aujourd'hui, qui deviendraient des adultes de demain, seraient en marge de la vie économique, au-delà de la compromission de leur participation citoyenne. Il en va ainsi de l'apatridie qui frappe nombre d'enfants vivant en Côte d'Ivoire. Pour être une éventuelle conséquence de la non déclaration des naissances, la situation des enfants apatrides constitue manifestement un déni de leur droit à la nationalité.

2. Des enfants apatrides

Au sens juridique, la nationalité des personnes physiques présente un double caractère interne et international908.

D'une part, de ce premier point de vue, il appartient à tout Etat souverain de régler par sa propre législation909, l'acquisition de sa nationalité et au demeurant, de déterminer qui sont ses nationaux, et quelles règles s'appliquent à eux910, indépendamment du fait qu'ils se trouvent sur son territoire911, et distinctes de celles applicables aux étrangers. Du fait que le droit international laisse à chaque Etat le soin de régler l'attribution de sa propre

908 DUPUY (P-M) et KERBRAT (Y.), Droit international public, 13e édition, Dalloz, 2016, p.94.

909 Affaire Nottebohm, (Lichtenstein C. Guatemala), Arrêt de la Cour Internationale de Justice, 6 avril, 1955, Recueil 1955, p.20.

910 GUTMAN (D.), Droit international privé, 4e édition Dalloz, 2004, p.308 et 310.

911 DUPUY (P-M) et KERBRAT (Y.), Droit international public, 13e édition, Dalloz, 2016, p.94.

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nationalité912, a fortiori, il en fait un attribut exclusif de l'Etat, à savoir le lien juridique de rattachement effectif de l'individu à un Etat913.

D'autre part, de ce second point de vue, s'il revient à chaque Etat de déterminer sa nationalité conformément à son droit interne, le droit international lui impose cependant des limites à l'octroi de sa nationalité914. C'est ainsi que selon la résolution A/RES/55/153 de l'Assemblée générale des Nations Unies relative à la nationalité des personnes physiques en relation avec la succession d'Etats, elle « relève essentiellement du droit interne, dans les limites tracées par le droit international »915. Aucun Etat, quel qu'il soit, ne peut donc imposer sa nationalité de manière arbitraire ou en violation des règles coutumières916. Ce qui signifie que si la nationalité est essentiellement régie par la législation nationale, en revanche, la compétence de l'Etat n'est en la matière, ni exclusive, ni totalement discrétionnaire, puisqu'il ne peut, ni ignorer, ni contrarier les conventions existantes dans ce domaine. Il n'existe pas, au profit de toute personne, un droit à la nationalité917. Plus précisément, le droit à la nationalité, s'il existe, n'appartiendrait qu'aux seuls nationaux, conformément aux législations en vigueur.

Cette tautologie compréhensible veut simplement dire que le droit né de l'appartenance nationale est un droit intrinsèquement lié à la nation et, pour y prétendre, il faut au préalable réunir les conditions d'appartenance à cette nation et, donc les conditions de jouissance de la nationalité procédant de cette appartenance. C'est que le principe de la souveraineté de l'Etat, complété par des velléités de nationalisme, domine tout le régime de la nationalité.

912 Affaire Nottebohm, Arrêt précité, p.23.

913 Ibidem, p.23.

914 SFDI, Droit international et nationalité, Colloque de Poitiers, Paris, Pedone, 2012, 528p. (Ouvrage collectif portant sur l'ensemble des aspects du droit à la nationalité en droit international).

915 Sur le rapport de la sixième commission (A/55/610, l'Assemblée Générale des Nations unies a adopté la résolution 55/153 relative à la nationalité des personnes physiques en relation avec la succession d'Etats, voir documents officiels de l'Assemblée générale, cinquante quatrième session, supplément n°10 et rectificatif (A/54/10 et corr.2).

916 Reuter (P.), Institutions Internationales, P.U.F, 1955, p.114.

917 Sauf à donner un caractère obligatoire à l'article 15 de la DUDH qui péremptoirement, affirme, sans en donner les moyens de réalisation, que « Tout individu a droit à une nationalité » et que « Nul ne peut être arbitrairement privé de sa nationalité, ni du droit de changer de nationalité », DE SCHUTTER (O.), TULKENS (F.) et VAN DROOGHENBROECK (S.), Code de droit international des droits de l'homme, Bruxelles-Avers, Bruylant-Maklu, 2000, 526p (rééd.2003, 767 p.).pp.15-16 ; voir aussi, FULCHIRON (H.), « Les enjeux contemporains du droit français de la nationalité à la lumière de son histoire », Pouvoirs, 1/2017 (n°160), p.717.

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Sans préjudice des « droits acquis », ce principe domine en effet tout le régime juridique ivoirien de la nationalité et conduit à constater qu'en droit ivoirien, il n'existe pas un droit « à », mais plutôt un droit « de » la nationalité. L'état actuel du droit de la société internationale encourage également ce genre de régime918. La nationalité est le lien juridique et politique qui rattache un individu à un Etat. Elle est le lien le plus fréquent entre un Etat et sa population. Selon la Cour internationale de justice (CIJ), la nationalité est l'expression juridique du fait que l'individu auquel elle est conférée est plus étroitement rattaché à la population de l'Etat qui la lui confère qu'à celle de tout autre Etat919. La CIJ la définit ainsi dans l'arrêt Nottebohm : « La nationalité est un lien juridique ayant à sa base un fait social de rattachement, une solidarité effective d'existence, d'intérêts, de sentiments jointe à une réciprocité de droits et de devoirs. »920. Chaque Etat détermine et désigne librement ses nationaux. Les conditions d'acquisition de la nationalité sont déterminées, de façon discrétionnaire et sous réserve des engagements internationaux921, par le droit national. Elles peuvent ainsi différer d'un Etat à l'autre. C'est là une question que le droit international laisse à la compétence discrétionnaire de chaque Etat ; et cette question de nationalité peut être réglée soit par la Constitution, soit par une loi.

Pour les personnes physiques, la nationalité est conférée soit initialement par la filiation (Jus sangunis) et/ou le lieu de naissance (Jus soli), soit ultérieurement par le mariage, l'adoption, la naturalisation ou le choix qui est exceptionnellement possible.

Manifestant à cet égard son entière souveraineté et son indépendance, le droit positif ivoirien organise son droit de la nationalité en définissant non seulement ce qu'il entend par

918 Il est faux à cet égard, d'affirmer qu'un certain droit international ferait obligation aux Etats d'accorder, nolens volens, la nationalité à certaines catégories spécifiques. Aux termes, en effet, de la Convention sur la réduction des cas d'apatridie du 30 août 1961, texte généralement évoqué au soutien d'une telle thèse, les Etats parties à cette convention internationale avaient convenu, certes, qu' « ...il (était) souhaitable de réduire les cas d'apatridie par voie d'accord international » et d'accorder, dans ce cadre, la nationalité à des personnes qui, nées, sur leur territoire, ne pourraient autrement obtenir une autre nationalité que celle à laquelle elles peuvent prétendre. Mais, cette attribution de la nationalité se fait nécessairement aux conditions souverainement posées par chaque Etat à l'acquisition de sa nationalité. Pour le texte de cette convention, consulter http://www.unhcr.fr/53be5ad09.html (consulter le 15/03/2016).

919 BESSON (S.), Droit international public, abrégé de cours et résumés de jurisprudence, Stampfli Editions, 2011, p.34.

920 Rec. CIJ 1955 p. 4/23.

921 Cf. Avis consultatif sur les décrets de nationalité promulgués en Tunisie et au Maroc, 1923, CPJI Série B n°4 p.7.

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ivoirien c'est-à-dire en édictant les critères d'attribution de la nationalité ivoirienne, et d'autre part, en posant les conditions d'acquisition de la nationalité ivoirienne.

En Côte d'Ivoire, la question de la nationalité est régie par la loi n° 61-415 du 14 décembre 1961 portant Code de la nationalité ivoirienne modifié par la loi du 07 octobre 1964 et la loi n°72-852 du 21 décembre 1972. L'article 1er, alinéa 1er de ce code énonce : « La loi détermine quels individus ont à leur naissance la nationalité ivoirienne à tire de nationalité d'origine ». Le problème fondamental qui se pose, ici, est celui de savoir comment s'acquiert cette nationalité : par le sol ? Ou par le sang ? Ou encore par le sang et par le sol, à la fois ?

Se prononçant sur la question, Monsieur Koménan Roland ZAKPA soutient que l'Etat de Côte d'Ivoire ne retient que la nationalité par le sang car « si le législateur dans la loi n° 61-415 du 14 décembre 1961 avait prévu dans l'acquisition de la nationalité ivoirienne le principe du droit du sol (jus soli) , il faut se rendre à l'évidence que le choix a été clair avec la modification législative du 21 décembre 1972 qui a exclu le principe du jus soli dans notre nationalité »922. Au soutien de sa thèse, il allègue : « en effet, les articles 17 et suivants de la loi prévoyaient des cas de nationalité ivoirienne au bénéfice des étrangers en raison de leur naissance et de leur résidence sur le sol ivoirien. Ainsi donc l'enfant mineur né en Côte d'Ivoire, de parents étrangers, pouvait réclamer la nationalité ivoirienne par déclaration si, à la date de sa naissance, il avait en Côte d'Ivoire sa résidence habituelle depuis au moins cinq années consécutives et si la preuve de sa naissance résultait d'une déclaration à l'état civil. Dans la même veine, les enfants nés en Côte d'Ivoire d'agents diplomatiques ou de consuls de carrière de nationalité étrangère pouvaient également réclamer la nationalité ivoirienne. Il en était de même de l'enfant né en Côte d'Ivoire de parents étrangers, de l'enfant confié depuis cinq années au moins à un service public ou privé d'assistance à l'enfance et enfin de l'enfant qui, ayant été recueilli en Côte d'Ivoire, y a été élevé par une personne de nationalité ivoirienne. Toutes ces règles qui consacraient dans la législation ivoirienne, la nationalité par le droit du sol ont été abrogées comme pour indiquer que notre pays ne reconnait que la nationalité par le jus sanguinis923. ».

922 ZAKPA (R.K.), Code de la nationalité et code électoral, in Réformes institutionnelles en Côte d'Ivoire. La question de l'éligibilité, Actes du Séminaire international de l'ADIR, PUCI, Janvier 1999, p.114.

923 Idem. p.115.

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On ne peut le nier : ce raisonnement comporte quelques vérités. Toutefois, on ne peut y adhérer sans réserve.

Au fond, la loi n° 72-852 du 21 décembre 1972 qui modifie celle du 15 décembre 1961 ne reconnait pas un seul système. Plutôt, elle retient les deux systèmes que sont : le jus soli (droit du sol), et le jus sanguinis (droit du sang). Tout d'abord, en vertu de son article 6, est ivoirien, l'enfant né en Côte d'Ivoire (jus soli), sauf si ses deux parents sont étrangers (jus sanguinis). Ensuite, aux termes de son article 7 « est ivoirien l'enfant né à l'étranger (jus soli) d'un parent ivoirien (jus sanguinis) ».

Il ressort ainsi clairement de la loi de 1972 une consécration expresse, à la fois, du jus soli et du jus sanguinis. Mais, un constat s'impose : il apparait dans cette loi précitée, une prééminence patente du jus sanguinis sur le jus soli : celui-là prime celui-ci, car tout enfant qui naît d'un parent ivoirien est ipso facto Ivoirien ; en d'autres termes, l'Ivoirien ne peut naitre que d'un Ivoirien. D'où le fait de naître d'un parent ivoirien est une condition nécessaire et suffisante pour que l'enfant acquière, de manière originaire, la nationalité ivoirienne.

Contrairement à l'opinion du Professeur Komenan Roland ZAKPA qui n'est guère satisfaisante, ni soutenable, celle du Doyen Francis Vangah WODIE mérite pleine adhésion car il affirme : « L'article 6 de la loi ivoirienne dispose que tout individu né en Côte d'Ivoire est ivoirien, sauf si ses deux parents sont étrangers. L'article 7 ajoute : est ivoirien l'individu né en Côte d'Ivoire d'un parent ivoirien). C'est la nationalité d'origine successivement et émulativement régie par le jus soli et le jus sanguinis924 ».

Pareillement, cette position a été retenue par les accords de Linas Marcoussis. En effet, c'est du 15 au 23 janvier 2003 que s'est tenue à Linas-Marcoussis (France) une Table Ronde des forces politiques ivoiriennes, à l'invitation du Président de la République française. Ont pris part à cette rencontre : le Front Populaire Ivoirien (FPI), le Mouvement des Forces d'Avenir (MFA), le Mouvement Patriotique de Côte d'Ivoire (MPCI), le Mouvement Populaire Ivoirien du Grand Ouest (MPIGO), le Parti Démocratique de Côte d'Ivoire - Rassemblement Démocratique Africain ( PDCI-RDA), le Parti Ivoirien des Travailleurs (PIT), le Rassemblement Des Républicains (RDR), l'Union Démocratique et Citoyenne

924 WODIE (F.), Institutions politiques et droit constitutionnel en Côte d'Ivoire, op. cit.p.65.

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(UDCY) et l'Union pour la Démocratie et la Paix en Côte d'Ivoire (UDPCI). Les travaux ont été présidés par Monsieur Pierre MAZEAUD. Ce dernier était assisté du juge Kéba MBAYE, de l'ancien Premier Ministre Seydou Diarra et de facilitateurs désignés par l'ONU, l'Union Africaine et la CEDEAO.

La Table Ronde de Linas-Marcoussis a estimé que la loi n°61-415 du 14 décembre 1961 portant code de nationalité925 ivoirienne modifiée par la loi n°72-852 du 21 décembre 1972 est « fondée sur une complémentarité entre le droit du sang et le droit du sol »926. Au fond, il s'agit de la nationalité d'origine acquise de plano dès la naissance, par le fait d'un parent ivoirien.

Cette nationalité se dissocie nettement de la nationalité octroyée par décret après enquête, à savoir : la naturalisation. Aux termes de l'article 26 de la loi du 21 décembre 1972, la naturalisation ne peut être accordée qu'à l'étranger justifiant de sa résidence habituelle en Côte d'Ivoire pendant les cinq années qui précèdent le dépôt de sa demande.

La loi ivoirienne n'interdit pas le cumul de la nationalité ivoirienne avec une autre nationalité. Cette circonstance peut entrainer des cas de plurinationalité. Un même ivoirien peut, par conséquent, avoir une double nationalité ou une triple nationalité, voire au-delà. Et, cela apparait un peu comme anormal ; c'est même contraire à la lettre de l'article 15 de la Déclaration universelle de 1948 qui dispose que « tout individu a droit à une nationalité ». C'est pourquoi, selon l'analyse du Doyen WODIE, « chaque individu ne devrait jamais avoir qu'une nationalité, l'acquisition d'une nationalité devant entrainer la perte d'une autre nationalité ; c'est par le respect de ces exigences que la Nation pourra fortifier son unité, par le jeu de la naturalisation ; car, elles seules permettent de découvrir et d'organiser le degré d'attachement à la Nation à laquelle on voudrait appartenir ; personne n'a réellement une double nationalité, une nationalité l'emporte toujours sur une autre et tend à la chasser. Accorder « généreusement » la nationalité, l'octroyer avec un certain laxisme, c'est conduire vers l'abaissement du statut national, en rendant de plus en plus lâche le

925 La Table Ronde a trouvé que ce code de nationalité comporte des dispositions ouvertes en matière de naturalisation par acte de pouvoirs publics, et constitue un texte libéral et bien rédigé. Cf. Annexe du Programme du gouvernement de réconciliation nationale des Accords de Linas-Marcoussis, Point 1.

926 Voir l'Annexe du Programme du gouvernement de réconciliation nationale des Accords de Linas-Marcoussis. Point 1.

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noeud de la solidarité nationale. La nationalité doit être la manifestation d'un attachement affectif et effectif à la collectivité ; ainsi, se trouvera favorisée la construction de la Nation »927.

Ces différences d'interprétation des lois relatives à la nationalité sont susceptibles de donner naissance à des cas d'apatridie928 de nombre de personnes, notamment les enfants. Être un « apatride », c'est être sans nationalités929, voir, donc sans pièces d'identité. Or, sans pièce d'identité, on ne peut pas par exemple s'inscrire à l'école, ouvrir un compte dans une banque ou encore se marier ou voter. Selon le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR), il y a 10 millions d'apatrides dans le monde. Le HCR a récemment lancé une campagne qui s'appelle « J'appartiens »930 pour tenter d'améliorer la situation d'ici dix ans.

Selon le HCR, il existerait 700 000 apatrides931 en Côte d'Ivoire. Justifiant le nombre élevé d'apatrides en Côte d'Ivoire, Mohamed Touré, le représentant du HCR en Côte d'Ivoire affirme : « La raison fondamentale de l'apatridie en Côte d'Ivoire est historique. La colonisation a rapporté dans le territoire ivoirien des centaines de milliers de gens pour travailler dans les plantations de cacao. A l'Indépendance, en 1960, ces personnes ne sont pas retournées en Haute-Volta (Burkina Faso). Elles sont restées en Côte d'Ivoire et n'ont pas bénéficié à l'époque de la nationalité, ou elles n'ont pas pris la nationalité, et n'avaient pas pris non plus la nationalité burkinabè puisqu'elle n'existait pas. Donc on estime le chiffre à peu près à 400 000 personnes »932. De plus, poursuit-il, « A côté de cela, il existe aussi un autre chiffre qui est un chiffre de 300 0000 personnes, qui sont à l'origine des enfants abandonnés, parce que simplement la loi en Côte d'Ivoire, malheureusement, ne donne pas de nationalité à un enfant qui a été trouvé sans parents. Donc, la Côte d'Ivoire s'est engagée depuis à rectifier cette erreur juridique, qui permet à tout un ensemble de

927 WODIE (F.), Institutions politiques et droit constitutionnel en Côte d'Ivoire, PUCI, 1996, pp. 65-66.

928 Ibid.

929 CORNU (G.), Vocabulaire juridique, PUF, 10eme édition, 2014, p.70.

930 Lancé le mardi 4 novembre 2014 par l'UNHCR, la campagne dénommée « I Belong » (J'appartiens) a un objectif ambitieux mais nécessaire : celui de mettre fin à l'apatridie au cours des 10 prochaines années.

931 http://www.rfi.fr/afrique/20141109-cote-ivoire-apatrides-hcr-700-000-lancement-campagne-enfants-
abandonnes-(consulté le 04/11 /2015).

932 http://www.rfi.fr/afrique/20141109-cote-ivoire-apatrides-hcr-700-000-lancement-campagne-enfants-
abandonnes- (consulté le 04/11/2015).

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personnes aujourd'hui de pouvoir se présenter devant un juge, de pouvoir démontrer qu'effectivement, elles remplissent toutes les conditions pour pouvoir bénéficier de la nationalité ivoirienne ». Ainsi, il ressort de l'argumentaire du représentant du HCR, que de nombreux enfants abandonnés dès leur naissance en Côte d'Ivoire n'ont pu voir leur naissance déclarée ; ce qui a eu pour effet de faire d'eux des apatrides.

Dépourvus d'une nationalité, ils sont aussi non bénéficiaires des droits qui s'y rapportent, car comme le mentionne la lettre ouverte du HCR, « L'apatridie peut signifier une vie sans éducation, ni soins de santé ou emploi formel, une vie sans liberté de mouvement, sans espoir ni perspective d'avenir »933.

A côté du droit à l'existence qui est ainsi malmené, le droit à la survie se trouve aussi compromise eu égard aux atteintes au droit à la santé et à un environnement sain dont sont victimes nombre d'enfants en Côte d'Ivoire.

B. LES ATTEINTES AU DROIT A LA SANTE ET A UN ENVIRONNEMENT SAIN DE L'ENFANT

La constitution de l'OMS définit, dans son préambule, la santé comme étant : « un état de complet bien-être physique, mental, et social, et ne consiste pas seulement en une absence de maladie ou d'infirmité934». Le droit à la santé est un droit individuel corollaire du droit à la vie car il a pour finalité de servir le droit à la vie. Le droit à la santé en tant que droit de la « conservation de l'espèce humaine935 » est un droit créance. Il est garanti par l'article 24 de la CIDE qui dispose que « l'enfant a le droit de jouir du meilleur état de santé possible et de bénéficier des services médicaux ». L'article 14 alinéa 1 de la Charte Africaine des Droits et du Bien-être de l'Enfant a été plus explicite en reconnaissant à l'enfant, le droit de jouir du meilleur état de santé physique, mental et spirituel possible.

933 http://www.un.org/apps/newsFr/storyF.asp?NewsID=33654#.VtXpxPnhDIU (consulté le 04/11/2015).

934 Préambule de la Constitution de l'Organisation mondiale de la Santé, adoptée lors de la Conférence internationale de la santé, tenue à New-York du 19 au 22 juillet 1946, (entrée en vigueur le 7 avril 1948) disponible sur www.who.int/governance/eb/constitution/fr/. (Consulté le 04/11/2015).

935 RAKOTOARISON (J.), Introduction au droit à la santé, in Rapport des deuxièmes journées des responsables des Chaires et Instituts d'Afrique de l'Ouest et Centrale travaillant dans le domaine des droits de l'homme et de la démocratie, Cotonou du 28 au 31 juillet 2003, p.174.

Cf. Observation Générale IV° 14 du Comité des droits économiques, sociaux et culturels des Nations Unies en son paragraphe 33 (1999).

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Le droit à la santé est un droit inclusif. Le droit au meilleur état de santé possible nécessite donc la mise en oeuvre de plusieurs autres droits économiques, sociaux et culturels936. P. HUNT, dans son tout premier rapport en tant que rapporteur spécial sur le droit qu'à toute personne de jouir du meilleur état de santé physique et mentale possible affirme que : « le droit à la santé est un droit global dans le champ duquel entrent non seulement les prestations de soins de santé appropriées en temps opportun, mais aussi les facteurs fondamentaux déterminants de la santé tels que l'accès à l'eau salubre et potable et à des moyens adéquats d'assainissement, l'hygiène du travail et du milieu et l'accès à l'éducation et à l'information relatives à la santé, notamment la santé sexuelle et génésique »937. Ainsi, conformément à cette approche, on comprend combien d'autres droits tels que le droit à l'eau, à l'alimentation, au logement ou à l'environnement sont consubstantiels au droit à la santé, car la santé est à la fois conditionné par la jouissance de certains droits tout autant qu'elle est bien souvent la condition de jouissance d'autres droits dont le droit à la vie938.

En tant qu'idéal visant à atteindre, pour chacun, « le meilleur état de santé physique, mentale et sociale possible », le droit à la santé suppose la réalisation d'un certain nombre d'exigences sanitaires qui apparaissent comme ses véritables dérivés. Ces droits dérivés constituent, en même temps, les contours exacts de ce droit. Il s'agit ainsi, d'abord, du droit à une alimentation saine et équilibrée. Il s'agit ensuite, du droit à un environnement sain et propice au développement. Il s'agit, enfin, du droit à un logement décent, trois droits de portée autonome certes, mais qui peuvent tout autant être rattachés au droit à un meilleur état de santé physique, mentale et sociale.

Il est souvent lié à l'accès aux soins de santé et à la construction d'hôpitaux. Toutefois, il a une portée bien plus large et il englobe un grand nombre de facteurs qui peuvent nous aider à mener une vie saine. Le Comité des droits économiques, sociaux et culturels, les appelle les « facteurs déterminants pour la santé »939.

936 LAVALLEE (C.), La protection internationale des droits de l'enfant : entre idéalisme et pragmatisme, Bruylant, 2015, p.210.

937 Rapport du Rapporteur spécial, le droit de toute personne de jouir du meilleur état de santé physique et mentale susceptible d'être atteint, 13 février 2003, E/CN.4/2003/58,§23.

938 HENNEBEL (L.) et TIGROUDJA (H.), Traité de droit international des droits de l'homme, Editions A. Pedone, 2016, pp.1257-1274.

939 HCDH-OMS, Le droit à la santé, Fiche d'information n°31, p.3.

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Ils comprennent l'approvisionnement en eau potable et l'assainissement ; une alimentation saine ; une alimentation suffisante, et un logement décent ; des conditions de travail et environnementales saines, une éducation à la santé et la diffusion d'information, l'égalité entre les sexes940. Le droit à la santé garantit des droits, notamment, le droit à un système de protection de la santé offrant à tous, la possibilité de bénéficier du meilleur état de santé possible, le droit à la prévention et au traitement ainsi qu'à la lutte contre les maladies, l'accès aux médicaments essentiels, la santé maternelle, infantile et procréative ; un accès égal et en temps voulu aux services de santé de base ; la fourniture d'une éducation à la santé et d'informations y relatives ; la participation de la population au processus de prise de décisions sur les questions de santé aux niveaux national et communautaire.

Les services de santé, les biens et infrastructures doivent être disponibles, accessibles, acceptables et de bonne qualité. Des infrastructures, des biens et des services opérationnels et en nombre suffisant doivent être disponibles au sein des Etats. Tel n'est pas le cas en pratique car nombre d'enfants vivant sur le territoire ivoirien n'arrivent pas à se soigner faute d'infrastructures ou de spécialistes ou en raison de l'inaccessibilité des services de santé.

Les autorités dirigeantes ont constamment violé le droit à la santé et à la sécurité sociale, On peut l'illustrer en se référant à une enquête diligentée par la LIDHO dans les CHU qui a révélé des atteintes graves au droit à la santé, Il ressort de cette enquête les résultats poignants suivants941 :

« 1° en dépit de leur architecture imposante, et somptueuse pour certains, ces établissements connaissent un état de délabrement avancé. Ainsi, bien des salles d'hospitalisation, lorsqu'elles peuvent encore recevoir des malades, sont dépourvues de climatisation, d'eau, de literie propre ,
·

2° des services complets et non des moindres, sont partiellement ou totalement fermés. Il s'agit des services de radiologie, exploration fonctionnelle, réanimation, de la banque de sang et de la néonatalogie du CHU de Yopougon. L'institut de cardiologie d'Abidjan, le service des maladies infectieuses tropicales du CHU de Treichville connaissent la même infortune ,
·

940 HCDH-OMS, Le droit à la santé, Fiche d'information n°31, p.3.

941 KOFFI KONAN (E.), Les droits de l'Homme dans l'Etat de Côte d'Ivoire, thèse de doctorat unique de droit public, Université de Cocody-Abidjan, UFR-SJAP, 2008, p.87.

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3° dans ces centres, ceux des services encore fonctionnels sont totalement engorgés, surpeuplés et dépassés. Il n'est donc pas rare que des malades s'entendent conseillés de délaisser un service donné, pour s'orienter vers un autre centre qui ne peut non plus les accueillir, faute de disponibilité ou d'infrastructures ,
·

4° le sous-effectif du personnel, notamment paramédical ne laisse pas de surprendre, au regard du nombre de médecins et d'infirmiers diplômés d'Etat, en attente de leur intégration à la fonction publique ,
·

5° du matériel de soins et d'équipements tout aussi précieux qu'en grand nombre, se trouve dans un triste état de vétusté et est parfois hors d'usage ,
·

6° dans les services d'urgence, il est exigé des patients, de jour comme de nuit, une redevance, avant toute intervention, De ce fait, des malades meurent, dans l'attente du paiement de cette redevance et, par conséquent, sans les soins attendus ,
· cela parfois en dépit des engagements formels des parents de ces malades
»942. Bien que portant sur un état des lieux opéré en 2000, cette description faite par la LIDHO demeure d'actualité au regard de la situation actuelle des établissements hospitaliers ivoiriens tant au niveau quantitatif que qualitatif.

Il est déplorable, voire choquant, de constater que les pouvoirs publics ne prennent guère de mesures significatives adéquates de nature financière, technique et humaine pour rendre fonctionnels les services et équipements des centres hospitaliers de la Côte d'Ivoire.

Agissant ainsi, ils portent gravement atteinte au droit à la santé qui est un droit fondamental reconnu à tout individu et garanti943 par les grands instruments internationaux relatifs aux droits de l'enfant auxquels la Côte d'Ivoire est partie944.

942 Voir la Déclaration de la LIDHO relative à la situation des centres hospitaliers universitaires (CHU), du 30 août 2000, à Abidjan.

943 Le droit à la santé est aussi garanti par l'article 7 de la constitution ivoirienne du 1er Août 2000.

944 L'article 16 de la Charte africaine dispose :

« 1. Toute personne a le droit de jouir du meilleur état de santé physique et mentale qu'elle soit capable d'atteindre.

2. Les Etats parties à la présente Charte s'engagent à prendre les mesures nécessaires en vue de protéger la santé de leurs populations et de leur assurer l'assistance médicale en cas de maladie. » ;

L'article 12 du pacte énonce « les Etats parties au présent pacte reconnaissent le droit qu'à toute personne de jouir du meilleur état de santé physique et mentale qu'elle soit capable d'atteindre... ».

L'article 25 de la déclaration prescrit : « toute personne a droit à un niveau de vie suffisant pour assurer sa santé, son bien-être et ceux de sa famille... ».

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A la vérité, il est souvent difficile, pour les pays pauvres de satisfaire à ces nombreuses obligations consistant à protéger la santé des populations, notamment des enfants, et de leur assurer une assistance médicale en cas de maladie. Mais, en Côte d'Ivoire, des efforts certains ont été consentis, en ce domaine, par les pouvoirs publics. Il n'empêche que de nombreux enfants font face à d'énormes problèmes de santé faute d'accès aux médicaments, d'insuffisances d'infrastructures ou d'éloignement des centres de santé. Qui plus est, certains ne mangent pas à leur faim. Avant le déclenchement de la crise politico-militaire ivoirienne945, le système de santé ivoirien avait atteint un niveau de performance parmi les meilleurs d'Afrique sub-saharienne. Mais, durant la récente crise qu'a connue ce pays, ce système s'est trouvé de façon notable fragilisé. L'Etat n'arrivait plus à répondre aux besoins sanitaires élémentaires des populations, notamment dans les zones rebelles. On notait alors et continuons de noter une résurgence de toutes sortes de foyers d'épidémies : choléra, rougeole, fièvre jaune, paludisme, méningite, etc. Ce qui n'a pas manqué de retentir négativement sur l'état de santé des enfants.

Heureusement, grâce à l'appui de l'OMS et d'autres partenaires, le Gouvernement ivoirien a pu réaliser dans divers domaines, des urgences sanitaires. A titre illustratif, dans la prévention contre le paludisme, l'OMS a appuyé le ministère de la Santé « dans la distribution de moustiquaires imprégnées aux femmes enceintes et enfants de moins de 5 ans »946. En outre, de février 2004 à décembre 2005, grâce à l'appui de l'OMS, de l'Unicef et d'autres partenaires, l'Etat de Côte d'Ivoire a pu organiser neuf (9) campagnes de vaccination de rattrapage contre la rougeole : d'où, « plus de 5 millions d'enfants, âgés de 0 à 5 mois, ont pu être vaccinés à chaque passage des journées nationales de vaccination contre la poliomyélite, et plus de 9 millions d'enfants de 9 mois à 14 ans l'ont été contre la rougeole »947. On le voit : malgré la crise politico-militaire, des efforts constants ont été

945 Cette crise présentée à tort comme une opposition des chrétiens du sud contre les musulmans du nord a été déclenchée le 19 septembre 2002 par une rébellion armée qui attaqua plusieurs casernes militaires du pays avec des armes lourdes. Pour nous, la crise ivoirienne ne saurait être réductible à une opposition entre un nord musulman « rebelle » et un sud chrétien « loyaliste ». Au recensement de 1998, sur les 15,4 millions d'habitants, 39% se déclarent musulmans, 30% chrétiens, 12% animistes. Seuls 29% des musulmans de Côte d'Ivoire résident dans le Nord, et Abidjan, capitale économique et capitale de la « zone gouvernementale », abritait 20% des musulmans du pays. Mieux le secrétaire général de la rébellion, M. Guillaume SORO est chrétien et même ancien séminariste, alors que l'ancien Président de l'Assemblée Nationale, Mamadou KOULIBALY, sous le régime de Laurent Gbagbo, est musulman.

946 Voir Reflets Nations Unies n°4, Juin 2006, p.11.

947 Idem, p. 12.

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déployés par le Gouvernement ivoirien et des partenaires onusiens et européens afin que le droit à la santé ne soit pas une utopie totale en Côte d'Ivoire.

De même, il existe des obligations étatiques découlant des droits dérivés du droit à la santé. Dans le domaine de l'environnement, l'Etat a d'abord l'obligation urgente, entre autres, d'assurer l'hygiène publique et de veiller à son respect par toute la population. L'Etat a, ensuite, l'obligation de bien entretenir tout ce qui concourt à la santé et au bien-être des enfants et, partant de toute la population. L'Etat a, ensuite, l'obligation de bien entretenir tout ce qui concourt à la santé et au bien-être de la population (l'eau, l'électricité, la voirie...) et de créer notamment des aires publiques de stationnement, de divertissement et/ou de repos, de manière à contribuer au confort vital de la population. Malheureusement, le droit à l'environnement sain des enfants, apparait comme un droit souvent malmené en Côte d'Ivoire.

Consacré non seulement par la Charte africaine des droits de l'homme et des peuples948, mais aussi par le Protocole additionnel relatif aux droits des femmes949 , l'environnement se loge au coeur des grandes préoccupations contemporaines de l'être humain. Et, parce que toutes les personnes humaines ont un droit fondamental à un environnement approprié pour leur santé et leur bien-être , il pèse sur tous les Etats, une obligation fondamentale, à savoir : « conserver l'environnement et les ressources naturelles au profit des générations présentes et futures, maintenir l'écosystème, dispenser les règles écologiques, établir les priorités

948 L'article 24 de cette Charte africaine des droits de l'homme et des peuples dispose : « Tous les peuples ont droit à un environnement satisfaisant et global, propice à leur développement ».

949 Article 18 Protocole additionnel relatif aux droits des femmes en Afrique : «

1. Les femmes ont le droit de vivre dans un environnement sain et viable.

2. Les États prennent les mesures nécessaires pour:

a) assurer une plus grande participation des femmes à la planification, à la gestion et à la préservation de l'environnement ainsi qu'à l'utilisation judicieuse des ressources naturelles à tous les niveaux;

b) promouvoir la recherche et l'investissement dans le domaine des sources d'énergies nouvelles et renouvelables et des technologies appropriées, y compris les technologies de l'information, et en faciliter l'accès et le contrôle aux femmes ;

c) favoriser et protéger le développement de la connaissance des femmes dans le domaine des technologies indigènes.

d) réglementer la gestion, la transformation, le stockage et l'élimination des déchets domestiques ;

e) veiller à ce que les normes appropriées soient respectées pour le stockage, le transport et l'élimination des déchets toxiques. ».

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relatives à l'environnement, en tout état de cause, coopérer de bonne foi en vue de la mise en oeuvre de leurs droits et obligations relatifs à l'environnement et au développement. »950.

On comprend dès lors, que se pose sur tous les points de la planète, un problème majeur, à savoir : « l'écodéveloppement »951 qui est l'indispensable conciliation du développement et de l'environnement. Et, cela se justifie par ceci que la question de l'environnement est née des effets des avancées technologiques et industrielles des sociétés modernes, et que l'on a senti, ou ressenti, la nécessité de gérer les ressources naturelles sans les dilapider, ou les gaspiller, et aussi de préserver l'environnement qui semble, partout, fort menacé. Ainsi, en 1972, le Programme des Nations Unies pour l'Environnement (PNUE) a établi le principe « pollueur-payeur »952.

Curieusement, chez les Etats africains, qui n'ont pas de moyens techniques et financiers suffisants pour la reconversion de leurs industries, et qui sont généralement pauvres et sous-développés, le développement n'a pas de prix : on y constate alors un désir ardent et effréné au développement ou à la croissance économique, et ce, quel que soit le sacrifice ou le prix écologique à payer.

Dans ces circonstances, l'Afrique est devenue, aujourd'hui, le théâtre de problèmes environnementaux : nuisance d'activités industrielles polluantes, absence d'assainissement des eaux usées et des eaux d'égouts, mauvaise gestion des ordures ménagères et des déchets industriels. Plus grave, l'Afrique est devenue le dépotoir, ou la « poubelle » des pays industrialisés ou développés qui viennent y déverser leurs produits toxiques. L'affaire du Probo Koala en Côte d'Ivoire l'illustre éloquemment. En voici les faits :

950 MBAYE (K.), Les droits de l'Homme en Afrique, op. cit, p.211.

951 SACHS (I.), « Ecodéveloppement : une approche de planification », In : Economie rurale. n°124, 1978, pp.16-22. ; BERR (E.), « L'écodéveloppement comme fondement d'une économie politique du développement soutenable », In. Revue Francophone du Développement Durable, n°2, octobre 2013, 20 p. ; BERR (E.), « Le développement soutenable dans une perspective post keynésienne : retour aux sources de l'écodéveloppement », Économie appliquée, tome LXII, n°3, 2009, p.221-244.

952 OCDE- Direction de l'environnement, Le principe pollueur-payeur, Analyses et Recommandations de l'OCDE, Paris 1992, p.1-56. ; TRUDEAU (H.), « La responsabilité civile du pollueur : de la théorie de l'abus de droit au principe du pollueur-payeur », In. Les cahiers du droit, vol.34, n°3, 1993, pp.783-802. ; BELANGER (M.), « La faute civile en matière de responsabilité pour dommages environnementaux », dans FORMATION PERMANENTE DU BARREAU DU QUEBEC, Développements récents en droits de l'environnement, Cowansville, Editions Yvon Blais, 1991, pp. 149-161. ; PREVOST (A.), Les dommages en droit de l'environnement, dans Formation permanente du Bareau du Québec, Op. cit. , pp.205-221.

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Le 17 Aout 2006, un affréteur dénommé Jorge Marrero, de la société néerlandaise Trafigura LTD, s'adresse au représentant de Puma Energy953 à Abidjan, pour lui trouver, dans la capitale ivoirienne, une société capable d'enlever et de traiter les « slops954 » d'un navire battant pavillon panaméen : le « Probo Koala ».

Le Capitaine NZI KABLAN, représentant local de Puma, transmet cette requête à l'agent consignataire WAIBS-CI (West African International Business Services-Côte d'Ivoire) qui, à son tour, choisit la compagnie TOMMY955 qui venait, fraichement, d'être agréée en qualité d'avitailleur spécialisé dans le vidange, l'entretien et le soutenage des navires par arrêté N°0016MT/DGAMP/DTMFL du 12 juillet 2006 du Ministre des Transports.

Le vendredi 18 aout 2006, à 17 heures, au Port Autonome d'Abidjan (quai Petroci), le Probo Koala accoste et procède, pendant 30 heures, au déchargement de son contenu : 528 m3 de produits chimiques (chimicals slops), c'est-à-dire « 400 tonnes de boues issues du raffinage pétrolier, riches en matière organique et en éléments soufrés très toxiques956 (hydrogène sulfuré, H2S et mercaptans) ».

Des camions citernes affrétés par la compagnie TOMMY ont, ensuite pris ces produits puants et polluants, hautement toxiques, pour aller les déverser dans la nature, de façon disséminée, dans la quasi-totalité des communes d'Abidjan. En effet, en plus de la décharge d'Akouedo, une multitude de sites ont été découverts au fil des jours : Plateau-Dokoui, Vridi Canal, Ndotre, forêt du banco, Abobo-Baoulé, ravin de Coquivoire à Abobo Anador,

953 PUMA ENERGY est une filiale ( à 100%) de Trafigura LTD.

954 Les slops sont des quantités importantes de résidus huileux qui s'apparentent à des boues de type « mayonnaises ». Ils sont des émulsions inverses très stables d'eau dans le pétrole brut contenant des éléments solides. Voir LUCENA (E.), VERDUN (P.) AURELLE (Y.) SECQ (A.), « Nouveau procédé de valorisation des « slops » de raffineries et déchets huileux par distillation hétéro azéotropique », in Oil& Gas Science and Technology-Rev. IFP, Vol.58 (2003), n°3, p.353.

955 Petite société à responsabilité limitée, dotée d'un capital de 2,5 millions de FCFA, et fondée fraichement, Tommy semble avoir été spécialement créée pour piloter l'opération.

956 Contrairement aux « slops » ordinaires qui sont de simples eaux souillées, ces slops du « Probo Koala » sont des produits chimiques très toxiques comprenant notamment : l'anhydride sulfureux (SO2), l'hydrogène sulfureux (H2S), la soude caustique (NAOH). Dans le fax adressé le 17 Aout 2006 à M. NZI Kablan de Puma Energy, M. Jorge MARRERO a donné les précisions suivantes : « veuillez noter que les eaux usées à bord sont une mixture du gasoil avec la soude caustique et une forte concentration de sulfure. En raison de cette forte concentration en sulfure, la mixture a une forte odeur et doit être retirée du navire et stockée convenablement pour éviter les problèmes environnementaux et des problèmes avec des autorités (...) En raison du taux qui dépasse 2000 mg/l, ces eaux ne doivent pas être considérées comme des eaux Marpol mais des eaux usées chimiques ». Voir Fraternité Matin n°12556, du mercredi 13 septembre 2006.

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derrière le corridor de Gesco (sur la route d'Alépé), route d'Anyama957. Le déversement de toute cette quantité de `slops' à Abidjan, intra-muros et extra-muros, autorise à dire que la Côte d'Ivoire est devenue une « poubelle ».

A la vérité, ces déchets de haute toxicité, « qui émettent des vapeurs irritantes, suffocantes et asphyxiantes »958 ont eu des incidences extrêmement négatives sur l'environnement, la santé et la vie des populations.

En particulier, il y a eu pollution de l'air et de l'eau, destruction de la faune et de la flore, contamination des sols et des produits agricoles proches des sites de déversement. En outre, les populations ont été atteintes de maladies et de douleurs de divers genres : toux sèches, diarrhées, troubles respiratoires, brulures, démangeaisons, rougeurs et éruptions cutanées, maux de gorge, douleurs thoraciques, irritations de poumons, conjonctivites , convulsions, ballonnements de ventre, saignements du nez, picotements des yeux, céphalées, troubles gastriques, larmoiements, etc. Il en est résulté des évanouissements, des comas et des morts959. L'extrême fétidité et nocivité des odeurs émanant des produits toxiques ont aussi provoqué la fermeture de nombreux domiciles et lieux de travail, des déplacements de population à l'intérieur de la ville d'Abidjan, des zones très touchées vers les quartiers les moins infectés, c'est-à-dire plus sains et plus viables.

On le voit, dans cette affaire, « Probo Koala »960, les Ivoiriens, et en particulier, les enfants se sont vus gravement, voire, massivement, atteints dans leurs droits fondamentaux, notamment : droit à un environnement sain, droit à la santé, droit à la vie, droit à l'intégrité physique, droit au travail, droit à la paix. Et nul ne sait à ce jour, les effets actuels, continus

957 Communes et sous quartiers ayant été victimes du déversement des déchets toxiques.

958 Voir Fraternité Matin n°12556 du mercredi 13 septembre 2006, p.3.

959 Selon le quotidien « Le Jour Plus », il y eu quinze morts et cent mille (100.000) personnes intoxiquées. Voir le Jour Plus n°1064, du Jeudi 29 mars 2007, p.3.

960 Cette affaire de « Probo Koala », ou de catastrophe écologique ivoirienne, a entrainé de multiples interpellations, arrestations ou détentions dont celles de : Kouassi YAO, Théophile YOBOUE et Anne-Marie TETIALOU (douaniers en poste, au Port Autonome d'Abidjan, le 19 Aout 2006) ; Kablan NZI (de Puma Energy) ; Nolia Amoakon ( de Waibs-ci) ; Ibrahima Konaté et Ugborugbo Salomon Amejuma ( de Tommy), Colonel Tibé Bi Balou (Directeur des Affaires maritimes et portuaires). Le 14 septembre 2006, le Premier Ministre Charles Konan BANNY a suspendu certaines autorités politiques et administratives de leurs fonctions, motif pris de ce qu'elles auraient pris part au trafic des déchets toxiques. Ce sont : Marcel GOSSIO (Directeur Général du Port Autonome d'Abidjan) ; M. GNAMIEN Konan (Directeur Général des Douanes ivoiriennes) ; M. Pierre Djédji AMONDJI (Gouverneur du District d'Abidjan). Voir jeune Afrique n°2384, du 17 au 23 septembre 2006.

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et futurs de ces déchets sur les enfants, et les habitants de la Côte d'Ivoire en général. Bien que non souhaitables, ces conséquences inconnues affecteront, inéluctablement la vie et la santé des enfants d'aujourd'hui et de demain, eu égard à la nature de ces déchets déversés en Côte d'Ivoire ; ce faisant les droits à la santé et à un environnement sain des enfants se trouvent compromis à l'instar de leurs droits à l'éducation et au développement personnel qui sont en proie à une diversité d'atteintes.

§ 2. LES ATTEINTES AU DROIT A L'EDUCATION ET AU DEVELOPPEMENT PERSONNEL DE L'ENFANT

Nous aborderons ici les atteintes au droit à l'éducation (A), un faible développement des activités d'éveil (B) avant d'envisager la question du mariage forcé ou précoce qui se présente comme une pratique traditionnelle néfaste (C).

A. LES ATTEINTES AU DROIT A L'EDUCATION

Le concept d'éducation revêt plusieurs acceptions mais pour les besoins de la présente étude, nous retiendrons que l'éducation est « (...) l'action de développer les facultés morales, physiques et intellectuelles des individus appartenant à une société961 ». L'éducation est la pierre angulaire du développement de tout être humain en général et de l'enfant en particulier962. Le droit à l'éducation peut être considéré comme « le pivot des droits de l'enfant963» étant entendu que « c'est l'éducation qui donne, en fait, à l'enfant toute son humanité et toute sa dignité964 ». La CDE, en proclamant en son article 28, le droit à l'éducation, est allée plus loin en mettant en exergue les objectifs à atteindre par l'éducation. Elle doit en effet viser à favoriser l'épanouissement de la personne de l'enfant et le développement de ses dons et de ses aptitudes mentales et physiques dans toute la mesure de leur potentialité. Ce droit à l'éducation a été repris par la Charte Africaine des Droits et

961 MENGUE (F.), « Introduction au droit à l'éducation », in Rapport des deuxièmes journées des responsables des Chaires et Instituts d'Afrique de l'Ouest et Centrale travaillant dans le domaine des droits de l'homme et de la démocratie, Cotonou du 28 au 31 juillet 2003, p.174.

962 Cf. Observation Générale n° 13 du Comité des droits économiques sociaux et culturels des Nations Unies de 1999 en son paragraphe 1 (vingt et unième session) : « l'éducation est à la fois un droit fondamental en soi et une des clefs de l'exercice des autres droits inhérents à la personne humaine. » .

963 UNICEF, La voix des jeunes, disponible sur : www.unicef.org/voy/frenc/explore/education/(consulté le 04/11/2015).

964 AGOSSOU (C.), op.cit, p.13.

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du Bien-être de l'enfant en son article 11. Le rôle de l'éducation dans le devenir de l'enfant n'est donc plus à démontrer.

Selon la Cour interaméricaine des droits de l'homme dans l'affaire Villagran Morales c/ Guatemala (paragraphe 84), « l'éducation favorise la possibilité de jouir d'une vie digne et contribue à prévenir des situations défavorables au mineur et à la société965». Si on emprunte à la psychologie de l'enfant, sa réflexion n'est pas encore développée, son corps aussi et ses agissements sont instructifs, voire naïfs, sinon maladroits. C'est une créature au départ sans culture, que la société à travers la famille et l'école, doit élever et éduquer966. Cette éducation est destinée à favoriser l'épanouissement moral et personnel de l'enfant. Dès lors, s'il est un impératif pour la société d'éduquer l'enfant, l'éducation est pour ce dernier, un droit fondamental967.

Sur le plan de l'épanouissement moral, l'éducation de l'enfant vise, au sens de l'Article 29 de la CDE, à le préparer moralement et intellectuellement à s'assumer une fois devenu majeur. Pour ce faire, l'éducation scolaire doit être à même d'inciter le développement de ses aptitudes intellectuelles. Il s'agit dans l'ensemble, d'inculquer à l'enfant pendant sa formation intellectuelle et multidimensionnelle, un ensemble de valeurs morales, sociales, culturelles et politiques nécessaires à la compréhension du monde. L'épanouissement intellectuel se trouve donc au bout de la transmission à l'enfant, d'un savoir positif graduellement développé, qui favorise son développement mental, la culture de son raisonnement et la perception spontanée mais profonde du sens des questions de la vie quotidienne voir existentielles968. L'épanouissement intellectuel de l'enfant conduit à la formation de sa personnalité. Cette personnalité est la base rationnelle de l'affirmation des caractères de l'adulte qui sommeillent en lui969. La personnalité acquise sera simplement renforcée et soignée au fil du temps pour lui permettre de se réaliser dans tous les maillons

965 MARTIN-CHENUT (K.), « La conciliation juridique de l'enfant dans la jurisprudence interaméricaine des droits de l'homme » in RSC, Paris, Dalloz, N° 2, avril-juin 2008, p.426.

966 MONTAIGNE, De l'institution des enfants, Essais. Livre premier, Paris, Nouveaux Classiques Larousse, 1965, pp.49-81.

967 Article 28 CDE ; Article 11 CADBE.

968 En ce sens, l'Art 11-2a de la CADBE est explicite : « l'Education de l'enfant vise à : a) promouvoir et développer la personnalité de l'enfant, ses talents ainsi que ses capacités mentales et physiques jusqu'à son plein épanouissement(...) ».

969 MONTAIGNE, De l'institution de l'enfant, opcit., pp.50-61.

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de la chaîne sociale et de devenir autonome. C'est pourquoi, Monsieur Alain SERIAUX affirme à propos de l'enfant que « l'éducation qu'il a reçu...a justement pour objet de l'aider à conquérir cette autonomie »970.

Suivant la Convention relative aux droits de l'enfant « Les Etats parties reconnaissent le droit de l'enfant à l'éducation..., rendent l'enseignement primaire obligatoire et gratuit pour tous, ...encouragent l'organisation de différentes formes d'enseignement secondaire...et prennent des mesures appropriées, telles que l'instauration de la gratuité de l'enseignement et l'offre d'une aide financière en cas de besoin »971.

L'éducation doit être gratuite, au moins en ce qui concerne l'enseignement élémentaire et fondamental. L'enseignement élémentaire est obligatoire. L'enseignement technique et professionnel doit être généralisé ; l'accès aux études supérieures doit être ouvert en pleine égalité à tous, en fonction de leur mérite. Les parents ont, par priorité, le droit de choisir le genre d'éducation à donner à leurs enfants.

En application de ces obligations, l'Etat de Côte d'Ivoire s'efforce de réduire le taux d'analphabétisme qui atteint un seuil inquiétant. Le taux brut de scolarisation est passé de 2,8% en 2000/2001 à 6,9% en 2013-2014972. Ces résultats restent largement en deçà des prévisions à cause de la mobilisation insuffisante des ressources publiques pour ce secteur et la faible capacité des communautés à soutenir financièrement les encadreurs pour ce qui est des initiatives communautaires. Par ailleurs, la préscolarisation demeure un phénomène urbain (83%)973. Les défis à relever sont le développement intensif du préscolaire en général et singulièrement en zone rurale qui n'enregistre à ce jour que 17% des effectifs scolarisés. La mise en oeuvre de la politique « une école, une classe primaire » sera d'un apport appréciable974.

970 SERIAUX (A.), « Tes père et mère honoreras : Réflexions sur l'autorité parentale en droit français contemporain » in R.T.D.C., 1986, p.268.

971 Article 28, alinéa.1a§b. (CDE).

972 Ministère de l'éducation nationale et de l'enseignement technique, Examen national 2015 de l'Education pour tous, Rapport-Bilan de mise en oeuvre de l'EPT en Côte d'Ivoire, novembre 2014, p.12.

973 Ibid.

974 Ministère de l'éducation nationale et de l'enseignement technique, Examen national 2015 de l'Education pour tous, Rapport-Bilan de mise en oeuvre de l'EPT en Côte d'Ivoire, novembre 2014, p.13.

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La pauvreté étant le premier obstacle au droit à l'éducation, différentes mesures ont été prises par les autorités ivoiriennes en vue d'en atténuer les effets sur l'exercice du droit à l'éducation des enfants. Ainsi, ont été prises, des mesures d'accompagnement tels que le recrutement massif d'enseignants, la distribution gratuite de kits et manuels scolaires, la construction et la réhabilitation des salles de classes et des cantines scolaires, la valorisation des initiatives communautaires (écoles communautaires, écoles islamiques), l'assouplissement des conditions d'accès à l'école975.

Par exemple, sous la première République976, le Gouvernement ivoirien a instauré, dans l'enseignement primaire, le prêt-location d'ouvrages scolaires. Et, eu égard à la modicité du loyer à payer, les populations de plus de soixante-deux (62) sous-préfectures, considérées comme faisant partie des régions les plus pauvres de la Côte d'Ivoire (pour la plupart dans le Nord) ont pu bénéficier d'ouvrages scolaires à moindre coût. En 1999, 823000 manuels scolaires, sur un total de 1 134 000 acquis par l'Etat leur ont été gratuitement offerts977. En 2016, des Kits scolaires ont aussi été distribués dans plusieurs régions du pays. Ainsi, dans la région du Haut Sassandra, le Ministre de l'Education Nationale a pour cette année scolaire offert 270950 kits scolaires aux différentes écoles primaires dans le village de Gouagnani dans la sous-préfecture de Bédiala, en présence des acteurs du système éducatif, du corps préfectoral et des leaders politiques978.

Et, la mise en oeuvre des différents programmes a permis, entre 1963 et 2001, la multiplication par 6,5 du nombre de classes dans l'enseignement primaire : de 7725, ce nombre est passé à 47554. Dans l'enseignement secondaire, le nombre de classes a été multiplié par 20, passant, par là même, de 587 à 11800. Quant à l'effectif d'élèves dans le primaire, il a été multiplié par 60, passant ainsi de 33551 à 2102852, tandis que dans le secondaire général, il a été multiplié par 31, soit de 22229 à 687000. Le taux brut de scolarisation en 1999/2000 est, en matière d'accessibilité, estimé à 73,4 %. Le taux de scolarisation des garçons est de 53% contre 44,3% chez les filles. En milieu rural, ces taux

975 Ibid.

976 La première République ivoirienne a existé de 1960 à 2000.

977 KOFFI KONAN (E.), Les droits de l'Homme dans l'Etat de Côte d'Ivoire, Tome 1, thèse de doctorat unique de droit public, Université de Cocody-Abidjan, UFR-SJAP, 2008, p.152.

978 KOUADIO (E.), « 270950 Kits aux écoliers », in Fraternité Matin n°15539, cité par le service de Communication de la documentation et des archives-Ministère de l'éducation nationale de la République de Côte d'Ivoire, Revue de presse du mardi 27 septembre 2016, p.2.

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sont respectivement de 43,5% chez les garçons et 34,31% chez les filles. Entre 1999 et 2000, l'effectif des filles scolarisées a augmenté de 3,6% contre 3,2% chez les garçons979.

De même, sous le régime actuel, le projet d'instauration de l'école obligatoire en Côte d'Ivoire pour les enfants de 6 à 16 ans a été adopté au cours d'un séminaire gouvernemental qui a eu lieu le 01er avril 2015 au Palais présidentiel980.

Il découle de tout ce qui précède que l'Etat de Côte d'Ivoire déploie quelques efforts afin que tout enfant vivant sur son territoire puisse pleinement jouir du droit à l'éducation. Toutefois, des incertitudes demeurent quant à l'effectivité optimale de ces droits.

Avant la crise politico-militaire ivoirienne, des efforts ont été déployés de façon notable, par l'Etat ivoirien pour favoriser la mise en oeuvre du droit à l'éducation : ce qui a permis de réduire, par là même, le taux d'analphabétisme. Ainsi, pour l'année scolaire 2001-2002, le

979 KOFFI KONAN (E.), Les droits de l'Homme dans l'Etat de Côte d'Ivoire, Tome 1, thèse de doctorat unique de droit public, Université de Cocody-Abidjan, UFR-SJAP, 2008, p.160.

980 « L'objectif, donc, de ce séminaire, est de réfléchir et de discuter sur toutes les conditions qui vont permettre à ce projet présidentiel d'être un succès. Nous avons beaucoup parlé de statistiques, des tranches d'âge concernées, le nombre de classe à construire, quel peut être l'apport du secteur privé, le nombre et le type d'enseignants qu'il faut. Ce sont toutes ces discussions qui vont faire l'objet d'une présentation formelle au chef de l'Etat lundi prochain... » Propos du Premier ministre Daniel Kablan DUNCAN. Le ministre de l'éducation nationale, Madame Kandia CAMARA, a renchéri pour indiquer que ce sont 5% des enfants du primaire qui ne sont pas scolarisés pour 95, 5% de taux de scolarisation. Pour elle, cela reste un défi à révéler : « Dans les années à venir, ce sont 14.000 salles de classes qui seront nécessaires pour accueillir tous les enfants en âge d'être scolarisés. Pour ce faire, il va falloir recruter des enseignants, continuer la politique sociale du Président de la République qui est la gratuité de l'école. Il faut prévoir des kits scolaires, des manuels, des cantines. C'est de cela que nous avons parlé à ce séminaire. Mais, il y en aura un second présidé, cette fois-ci par le président lui-même. Après, nous irons devant l'Assemblée Nationale pour présenter le projet. Et ce que nous attendons des Ivoiriens, c'est qu'ils s'approprient ce projet. Parce qu'aucun pays au monde, n'a pu atteindre l'émergence sans une politique éducative, concernant la scolarisation universelle, c'est-à-dire 100% d'enfants scolarisés », a-t-elle révélé avant de poursuivre : « c'est un défi pour le pays, mais c'est un défi qui peut être réalisé au vu des acquis. Il faut savoir que pour que le programme puisse démarrer à la rentrée prochaine, il faudra 3.855 salles de classes. A ce jour, nous avons lancé la construction de 3000 salles de classes. Et le Premier ministre nous a indiqué que des dispositions seront prises pour que le programme démarre dès la rentrée prochaine. ». La première responsable du ministère de l'éducation nationale est revenue sur les troubles que le système éducatif a connus. Elle s'est voulu rassurante : « Les salaires seront bel et bien débloqués, le Président Ouattara l'a confirmé. C'est le Président lui-même qui a pris la décision de débloquer, après 27 années, tous les salaires des fonctionnaires seront revalorisés. Il maintient sa décision et je confirme ici que les salaires seront bel et bien débloqués. Ce que nous souhaitons, c'est que l'ensemble des syndicats lève son mot d'ordre de grève, et que tous les enseignants et les élèves reprennent le chemin de l'école dès la fin des vacances de Pâques, pour que nous puissions poursuivre l'année scolaire, mais aussi bien préparer les examens, dont les dates ont été annoncées. Et cela, afin que nous puissions tous ensemble obtenir de bons résultats de fin d'année aux différents examens pour le bonheur de nos enfants et de nous-mêmes, leurs parents. Et, ce dans l'intérêt de la Côte d'Ivoire », a exhorté Kandia Camara.

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taux brut de scolarisation était-il de 89,3% pour les garçons et 67,1% pour les filles, soit 73,8% pour les deux sexes981. Mais eu égard au conflit armé qui a éclaté le 19 septembre 2002, le système éducatif ivoirien a connu un recul : il fut même particulièrement sinistré : des écoles détruites, des enseignants assassinés, des enfants enrôlés pour la guerre. Dans la zone anciennement sous contrôle gouvernementale, en raison des déplacements massifs des populations, la demande en matière éducative, excédait largement « les capacités d'accueil des établissements scolaires »982 déjà insuffisantes avant la crise. En zone ex-rebelle, « la détérioration des infrastructures scolaires et le manque d'enseignants titulaires-80% des enseignants sont des bénévoles, ont gravement affaibli le système éducatif et le nombre d'enfants scolarisés a considérablement baissé »983. Du fait de la crise politico-militaire, le nombre d'enfants privés de la scolarité primaire a été estimé, pour l'année 2002, à « plus de 700000 ». Mais après trois années, « ce chiffre est passé à plus d'un million, sans compter les enfants, qui même sans la crise, étaient hors du circuit scolaire ou n'y accédait pas en raison de l'inadéquation entre l'offre et la demande sociale d'éducation et/ou en raison des autres freins à la mise en oeuvre d'une politique d'éducation pour tous. Les filles restent l'un des groupes les plus vulnérables... »984 ; Ce triste constat du système éducatif ivoirien n'est point l'apanage de la Côte d'Ivoire en Afrique de l'Ouest. C'est d'ailleurs, ce qui ressort des résultats d'une étude réalisée par l'Enseignant-Chercheur Chrysal KENOUKON qui affirme sans ambigüité que le droit à l'éducation n'est pas véritablement réalisé au Benin et au Togo. Selon lui, «le système éducatif au Benin et au Togo ne tient pas compte de leurs réalités sociologiques, culturelles et de leurs besoins de développement. L'école primaire ne donne qu'une connaissance théorique et l'enseignement secondaire et celui universitaire accusent également des faiblesses de même nature, liées notamment au déséquilibre numérique985».

A l'instar du droit à l'éducation, le droit aux loisirs se veut quasi ineffectif en Côte d'Ivoire à travers un faible développement des activités d'éveil.

981 Voir Reflets Nations Unies n°4, juin 2006, p.16.

982 Ibidem.

983 KOFFI (K. E.), Les droits de l'homme dans l'Etat de Côte d'Ivoire, idem, 2008, p.252.

984 Ibidem.

985 KENOUKON (C. A.), Effectivité et efficacité des normes fondamentales et prioritaires de l'OIT : cas du Bénin et du Togo, Genève BIT, 2007, p.132.

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B. UN FAIBLE DEVELOPPEMENT DES ACTIVITES D'EVEIL

L'un des pôles d'épanouissement et de développement de l'enfant est sa participation à des activités récréatives ainsi que le reconnaît la convention relative aux droits de l'enfant. C'est pourquoi, elle fait obligation aux Etats parties, de mettre à la disposition des enfants « les moyens appropriés de loisirs et d'activités récréatives, artistiques et culturelles, dans des conditions d'égalité.986 »

Le jeu, les loisirs et activités récréatives ne se limitent pas à la simple activité de distraction et de divertissement. Bien au-delà et ce, d'un point de vue physiologique, il s'avère être une panacée au maintien d'une bonne santé physique et mentale de l'enfant. Les premiers pas des enfants en bas âge sont le plus souvent obtenus par la pratique de certains jeux. De même, certains enfants frappés de handicaps corporels ou psychiques recouvrent la santé à l'exercice de certains jeux à caractère rééducatif. Ainsi, des activités comme la lecture et le sport ont pu permettre à bon nombre d'enfants, d'afficher des aspects plus gais et de se soustraire des conditions délétères dans lesquelles ils vivent.

Aussi, doit-on reconnaître au jeu, aux loisirs un puissant vecteur de socialisation de l'enfant. A cet effet, par le jeu, le sport, les loisirs, les enfants apprennent à comprendre la société et sa dynamique, à développer l'esprit d'initiative et de créativité. Quant aux activités collectives, elles suscitent des rapports d'interaction, favorisant l'esprit de communion, d'entraide et de compréhension. Le jeu devient un support de formation et de détection des qualités intrinsèques de chaque enfant. L'importance des jeux et autres activités d'éveil pour le développement de la petite enfance n'est plus à démontrer. En effet, le jeu stimule l'épanouissement des capacités sensorielles, psychomotrices et mentales chez le petit enfant. Et tous les enfants de 0 à 8 ans devraient avoir droit au jeu à travers des espaces aménagés à cette fin, accéder à des jouets appropriés à leur âge et sous la vigilance de parents attentifs ou de personnel spécialisé, etc. De nombreux parents ne parviennent pas à offrir un cadre de vie oisif et stimulateur à leurs enfants. Et de nombreux enfants n'ont jamais eu la chance de posséder entre leurs mains des jouets leur appartenant. Ce qui les conduit souvent à rechercher chez les voisins et très souvent dans la rue, avec d'autres enfants de leur âge, des occasions de jeu qui comportent parfois des dangers pour eux-mêmes. Qui plus est, les rares

986 Article 31 CIDE.

373

espaces collectifs de jeux aménagés pour les enfants ont aujourd'hui disparu, les sites les abritant se sont mués en lieux d'habitations ou de commerce.

Justifiant le non réalisation de ce droit aux loisirs en Côte d'Ivoire, le Professeur Francis WODIE, en sa qualité de candidat à l'élection présidentielle affirme : « Une société où le droit au travail n'existe pas, le droit aux loisirs risque de n'être que pure illusion. Le loisir, en effet, n'est possible que si les besoins vitaux sont satisfaits ; or, le loisir reste une activité nécessaire, créatrice et enrichissante, qui demande à être organisée et rendue accessible, ce temps libéré est essentiel si l'on veut rendre à l'homme sa véritable dimension d'homme total. Culture, art et loisir constituent trois composantes essentielles de la vie de la Nation comme de chaque être, parce que la vie a besoin de cette dimension ludique pour atteindre le meilleur de la créativité et de l'épanouissement individuel et collectif »987. C'est pourquoi, l'Etat de Côte d'Ivoire se doit de créer des aires de jeux pour enfants, soutenir les activités qui s'y dérouleront afin de donner à chaque enfant, sans discrimination, la joie de vivre. Cette joie de vivre est malheureusement une pure vue de l'esprit pour nombre d'enfants engagés dans les liens d'un mariage forcé ou précoce qui apparait manifestement comme une pratique traditionnelle néfaste.

C. LE MARIAGE FORCE ET/OU PRECOCE : UNE PRATIQUE TRADITIONNELLE NEFASTE

La notion de mariage forcé doit s'entendre comme étant un mariage conclu sans le consentement valable des deux parties. En d'autres termes, l'un comme l'autre « futurs époux » n'a pas eu ou n'ont pas eu le choix de se soustraire à la contrainte exercée par la famille. L'article 3 de la loi ivoirienne sur le mariage énonce que « chacun des futurs époux doit consentir personnellement au mariage. Le consentement n'est pas valable s'il a été extorqué par la violence ou s'il n'a été donné que par suite d'une erreur sur l'identité physique ou civile de la personne ». Or, dans ce type de mariage, l'absence de consentement personnel est claire. Le plus souvent, la future épouse subit des violences indicibles de la part de sa famille dont la priorité est de conclure « une affaire ». La Convention internationale des droits de l'enfant interdit et condamne le mariage d'enfants988. En outre,

987 WODIE (F.), 100 questions-100 réponses pour la Côte d'Ivoire nouvelle, Programme de gouvernement du P.I.T, 2009, p.30.

988 Voir Article 12 CIDE :

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l'alinéa 2 de l'article 16 de la Convention sur l'élimination de toutes les formes de discrimination à l'égard des femmes dispose que les fiançailles et les mariages d'enfants n'ont pas d'effets juridiques989. La Charte africaine sur les droits de l'enfant se prononce également sur le mariage précoce en interdisant les mariages et les fiançailles d'enfants. De plus, selon la Déclaration Universelle des Droits de l'Homme, le libre consentement est une condition fondamentale de validité du mariage ; le « oui » donné doit être exempt de vice, libre et éclairé. Nier ce principe entrainerait une atteinte à un droit fondamental énoncé dans les textes nationaux comme internationaux.

Malgré son interdiction juridique formelle, cette pratique ancestrale demeure encore ancrée dans les usages dans certains milieux en Côte d'Ivoire, violant ainsi, les droits de l'enfant. Selon l'Unicef « Le mariage d'enfants a pour conséquences probables la grossesse et la maternité chez ces adolescentes, ce qui entraine des risques non négligeables pour la

« 1. Les Etats parties garantissent à l'enfant qui est capable de discernement le droit d'exprimer librement son opinion sur toute question l'intéressant, les opinions de l'enfant étant dûment prises en considération eu égard à son âge et à son degré de maturité.

2. A cette fin, on donnera notamment à l'enfant la possibilité d'être entendu dans toute procédure judiciaire ou administrative l'intéressant, soit directement, soit par l'intermédiaire d'un représentant ou d'une organisation approprié, de façon compatible avec les règles de procédure de la législation nationale. »

989Article 16 Convention sur l'élimination de toutes les formes de discrimination à l'égard des femmes :

1. Les Etats parties prennent toutes les mesures nécessaires pour éliminer la discrimination à l'égard des femmes dans toutes les questions découlant du mariage et dans les rapports familiaux et, en particulier, assurer, sur la base de l'égalité de l'homme et de la femme :

a) Le même droit de contracter mariage ;

b) Le même droit de choisir librement son conjoint et de ne contracter mariage que de son libre et plein consentement ;

c) Les mêmes droits et les mêmes responsabilités au cours du mariage et lors de sa dissolution ;

d) Les mêmes droits et les mêmes responsabilités en tant que parents, quel que soit leur état matrimonial, pour les questions se rapportant à leurs enfants ; dans tous les cas, l'intérêt des enfants sera la considération primordiale ;

e) Les mêmes droits de décider librement et en toute connaissance de cause du nombre et de l'espacement des naissances et d'avoir accès aux informations, à l'éducation et aux moyens nécessaires pour leur permettre d'exercer ces droits;

f) Les mêmes droits et responsabilités en matière de tutelle, de curatelle, de garde et d'adoption des enfants, ou d'institutions similaires, lorsque ces concepts existent dans la législation nationale; dans tous les cas, l'intérêt des enfants sera la considération primordiale;

g) Les mêmes droits personnels au mari et à la femme, y compris en ce qui concerne les choix du nom de familles d'une profession et d'une occupation;

h) Les mêmes droits à chacun des époux en matière de propriété, d'acquisition, de gestion, d'administration, de jouissance et de disposition des biens, tant à titre gratuit qu'à titre onéreux.

2. Les fiançailles et les mariages d'enfants n'auront pas d'effets juridiques et toutes les mesures nécessaires, y compris des dispositions législatives, seront prises afin de fixer un âge minimal pour le mariage et de rendre obligatoire l'inscription du mariage sur un registre officiel.

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santé de la mère et du bébé. Les jeunes filles, une fois mariées, sont censées effectuer la majeure partie des tâches ménagères. Leur jeunesse et leur manque d'expériences les expose à la violence familiale et aux sévices sexuels, y compris à des rapports sexuels non désirés avec leur mari. Il y a peu de chances que celui-ci les protège en utilisant un préservatif, ce qui les expose au risque de contracter des infections sexuellement transmissibles, notamment le VIH »990.

En effet, le mariage forcé entrave le développement de l'enfant, le prive de son éducation, de sa santé et de son avenir et représente un risque particulier pour la santé des jeunes filles. En effet, celles-ci sont trop jeunes, d'une part, pour avoir des relations sexuelles et, d'autre part, pour supporter les conséquences d'une grossesse. Ainsi, elles meurent donc très souvent en couches ou survivent avec de graves séquelles sur le plan de leur santé. De plus, les enfants victimes de mariages forcés sont privés de leur droit à l'éducation et, par conséquent, du droit d'accès à un avenir meilleur. En Côte d'Ivoire, le mariage précoce reste une pratique coutumière qui nuit gravement au développement et à l'avenir des enfants et demeure donc une problématique grave et d'actualité. En effet, il est par exemple estimé que 35% des femmes entre 20 et 24 ans ont été mariées avant 18 ans, et 8% avant 15 ans991.

Le mariage précoce992 est une pratique violant les droits humains universellement reconnus mais également les lois ivoiriennes. Nombreux sont les instruments internationaux qui interdisent et condamnent le mariage d'enfants. L'article 12 de la Convention relative aux droits de l'enfant se rapporte d'une certaine façon au mariage précoce en stipulant que l'enfant a le droit d'exprimer librement son opinion pour toute décision qui le concerne. La Convention interdit également toute sorte de brutalité, de violence sexuelle et d'exploitation préjudiciables au bien-être de l'enfant. En outre, l'alinéa 2 de l'article 16 de la Convention sur l'élimination de toutes les formes de discrimination à l'égard des femmes dispose que les fiançailles et les mariages d'enfants n'ont pas d'effets juridiques. La Charte africaine sur les droits de l'enfant se prononce également sur le mariage précoce en interdisant les

990 UNICEF, Progrès pour les enfants, Un bilan de la protection de l'enfant, New York, septembre 2009, p.11.

991 Girls not brides, where does it happen? : http://www.girlsnotbrides.org/where-does-it-happen/ (consulté le 25 novembre 2014).

992 Le mariage précoce est le mariage des enfants ou adolescents âgés de moins de 18 ans .Si un tel mariage est contesté par la suite, il est assimilé à un détournement de mineur, qui est une faute pénalement sanctionnée à travers les articles 355 à 359 du Code pénal ivoirien.

376

mariages et les fiançailles d'enfants. En effet, la loi n°64-375 du 7 octobre 1964 modifiée par la loi n°83-800 du 2 Août 1983 relative au mariage énonce en son article premier que : « l'homme avant vingt ans révolus, la femme avant dix-huit ans révolus, ne peut contracter mariage » sauf si le Procureur le leur accorde pour motifs graves. Les motifs graves, c'est notamment lorsque la jeune fille porte une grossesse ou s'est déjà volontairement établie sous le même toit que son futur époux. En dehors donc de ces motifs, nul n'a le droit de donner en mariage une mineure de moins de 18 ans. Cela est valable tant pour le mariage légal que pour le mariage coutumier. La loi dans ce cadre est donc particulièrement protectrice à l'égard des enfants, favorisant ainsi leur liberté d'exercer leur droit de choisir. De plus, si consentement il y a, sa valeur et sa validité peuvent être remise en cause compte tenu du jeune âge des deux parties, notamment en ce qui concerne leur capacité.

En Côte d'Ivoire, les principales données existantes sur la question sont fournies par des enquêtes de démographie et de santé (EDS CI III) réalisées en 2012. Ainsi, l'EDS 2012 montre que : 20,7% d'adolescentes de 15 à 19 ans sont mariées ou en union, 36% des femmes mariées ou en union ont moins de 18 ans ; 12% avait déjà atteint l'âge de 15 ans lors du mariage. En revanche, seuls 6% des hommes sont en union avant les 18 ans. Le phénomène de mariage précoce est pratiqué dans toutes les régions de la Côte d'Ivoire avec une plus grande propension au Nord et au Nord-Ouest. En effet, dans ces deux régions, 50% des femmes âgées de 25-49 ans se sont mariées avant l'âge légal qui est de 18 ans. L'âge médian au mariage varie considérablement entre les milieux urbain et rural et les chiffres disponibles confirment que c'est dans ce dernier milieu rural que le mariage précoce est plus important. Les résultats de l'EDS-CI III montrent qu'en Côte d'Ivoire, les adolescentes issues d'un milieu rural ou défavorisé (45%) sont quatre fois plus exposées à une union précoce que celles issues d'un milieu urbain ou aisé (11%).

Or, ces grossesses prématurées contribuent à des taux de mortalité maternelle et infantile élevés. En outre, un mariage précoce expose beaucoup plus les filles à de graves risques pour leur santé liés à la grossesse et à l'accouchement. En effet, elles sont exposées à des pathologies dont elles gardent parfois des séquelles à vie telles que la stérilité ou les fistules obstétricales993. A cette réalité macabre, s'additionne le fait que de nombreuses adolescentes,

993 La fistule obstétricale est la constitution d'une communication anormale (une fistule) entre la vessie et le vagin (fistule vésico-vaginale) ou entre la vessie et le rectum (fistule vesico-rectale) survenant à la suite d'une

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contraintes à des mariages précoces, sont victimes de violences domestiques prolongées et parfois d'abandons ; ce qui plonge ces jeunes filles dans une extrême pauvreté et accroît le risque de les voir basculer dans la prostitution ou le suicide.

Depuis quelques années, des actions de sensibilisation et des actions de prévention ont été menées pour lutter contre ce fléau994. Cependant, malgré les impacts positifs de ces actions, beaucoup reste encore à faire, car elles ont été parcellaires et ne s'inscrivent pas dans des actions programmatiques ciblant la lutte contre les mariages précoces. Ces actions sont limitées dans la mesure où elles ne prennent pas en compte tous les aspects liés à certaines problématiques (économique, culturel, communautaire...).

En tout état de cause, qu'il soit forcé ou précoce, le mariage des enfants en Côte d'Ivoire constitue une atteinte au droit au mariage librement consenti et à la famille. En effet, « A partir de l'âge nubile, l'homme et la femme, sans aucune restriction quant à la race, la nationalité ou la religion, ont le droit de se marier et de fonder une famille. Ils ont des droits égaux au regard du mariage et lors de sa dissolution. Le mariage ne peut être conclu qu'avec le libre et plein consentement des futurs époux. La famille est l'élément naturel et fondamental de la société et a le droit à la protection de la société et de l'Etat »995. Quoique libre, le mariage996 obéit, dans le droit positif ivoirien, à certaines conditions de fond et de

grossesse compliquée. Elle survient d'ordinaire pendant un accouchement prolongé, quand une femme n'obtient pas la césarienne qui serait nécessaire. La fistule est un problème mondial, mais elle est surtout commune en Afrique. http://www.who.int/features/factfiles/obstetric_fistula/fr/ (consulté le 20/06/2017) ; https://www.unfpa.org/sites/default/files/resource-pdf/FR-SRH%20fact%20sheet-Fistula.pdf ( consulté le 20/06/2017).

994 L'édition 2012 de la Commémoration de la Journée Internationale de la Fille organisée par la Côte d'Ivoire s'inscrit dans une dynamique d'appui aux initiatives du Gouvernement, de la Société Civile et des organisations religieuses dans les activités de sensibilisation de masse sur le phénomène du mariage précoce. Des campagnes de sensibilisations ont été menées par des ONG nationales et internationales comme ODAFEM, ONEF, IRC... et par les partenaires internationaux. Face à la situation spécifique des mariages précoces, les réponses apportées s'inscrivent dans le cadre des engagements régionaux et internationaux. Grâce à ces actions conjuguées plusieurs leaders religieux et communautaires sont engagés dans la lutte contre le phénomène du mariage précoce.

995 Article 16 alinéa 1 D.U.D.H.

996 Selon le Professeur Anne Marie ASSI-ESSO, « Dans le droit traditionnel africain, le mariage est une convention par laquelle deux groupes parentaux (clan, lignage) consentent à l'union d'un homme et d'une femme. Par-delà les époux, le mariage traditionnel est l'union de deux familles. Cette conception traditionnelle a été abandonnée par le législateur ivoirien pour une conception occidentale.

Le mariage moderne est l'union d'un homme et d'une femme qui consentent seuls à se prendre désormais pour époux selon un certain rituel ».

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forme. Les conditions de fond, qui sont au nombre de six, sont fixées par la loi n°64-375 du 07 octobre 1964 relative au mariage, modifiée par la loi n°83-800 du 2 août 1983.

Initialement, la différence de sexe997 signifiait que les futurs époux doivent être de sexes différents ou opposés. Par conséquent, le mariage homosexuel998 est formellement interdit en Côte d'Ivoire et est assimilé à un acte inexistant. En ce qui concerne l'âge matrimonial, la déclaration universelle de 1948 ne fixe pas un âge précis pour le mariage. Elle se borne à affirmer que l'homme et la femme ont le droit de se marier et de fonder une famille à partir de l'âge nubile. Quant à la Charte africaine des droits et du bien-être de l'enfant adoptée en juillet 1990 à Addis-Abeba (Ethiopie), elle dispose que les mariages d'enfants sont interdits et que « l'âge minimal requis pour le mariage est de 18 ans »999. Mais, la loi ivoirienne du 07 octobre 1964 modifiée par celle du 2 août 1983, énonce que le mariage est de vingt (20) ans révolus pour l'homme et dix-huit (18) ans révolus pour la femme. Ainsi, l'âge matrimonial est donc différent de celui de la majorité civile qui est de vingt et un (21) ans pour les deux sexes. Pourtant, le Comité a considéré que l'âge nubile « devrait être fixé en fonction de la capacité des futurs époux de donner leur libre et plein consentement personnel »1000 et « selon les mêmes critères pour les hommes et pour les femmes (...) de façon à permettre à la femme de prendre une décision en toute connaissance de cause et sans contrainte dans les formes et les conditions prescrites »1001.

Voir ASSI-ESSO (A.-M.), Précis de droit civil. Les personnes- La famille, L.I.D.J, Abidjan, 2e édition, 2002, p.239.

997 Articles 1 et 4 de la loi sur le mariage.

998 La question du mariage homosexuel rentre dans le cadre de la problématique des LGBT qui fait désormais l'objet de débat au niveau des Nations Unies ; Voir à ce sujet, la Déclaration des Nations Unies sur l'orientation sexuelle et l'identité de genre ; CCPR/C/50/D/488/1992 (31 Mars 1994) Toonen c. Australia, Communication n°. 488/1992, paragraphe 8. 2 (établissant que la pénalisation des comportements homosexuels en Tasmanie était une violation du droit à la vie privée garanti par l'art. 17 du PIDCP) ; De la même façon, la Cour européenne des droits de l'homme interprète les dispositions relatives à la vie privée et à la discrimination prévues par la Charte européenne des droits de l'homme comme s'appliquant aux LGBT. Voir : C.E.D.H., Salguero da Silva Mouta (1999) App n° 33290/96, paragraphe.34-36 (retenant que le déni de droits parentaux fondé sur l'orientation sexuelle constituait un cas inacceptable de discrimination) ; C.E.D.H., Dudgeon v. UK (1983) App n° 7525/76, ECHR, séries A, n° 45 (retenant que la loi interdisant les pratiques homosexuelles en Irlande du Nord viole le droit à la vie privée du plaignant) ; voir aussi les Principes de Jogjakarta sur l'application du droit international des droits humains en matière d'orientation sexuelle et d'identité de genre.

999 Voir Article 21 de la Charte africaine des droits et du Bien-être de l'enfant.

1000 CCPR, Observation générale n°19 : La protection de la famille, le droit au mariage et l'égalité entre époux (article 23), 27 juillet 1990, par.4.

1001 CCPR, Observation générale n°28 : Egalité des droits entre hommes et femmes (article 3), 29 mars 2000, par.23.

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En tout état de cause, l'âge matrimonial, l'âge nubile ou encore âge de puberté ne fait que présumer l'aptitude physiologique au mariage. C'est pourquoi, en dessous de cet âge, l'homme et la femme peuvent, exceptionnellement, contracter mariage s'ils obtiennent une dispense d'âge accordée par le procureur de la République, et ce pour des motifs graves, comme l'hypothèse de la grossesse qui constitue une preuve patente de leur aptitude physiologique.

La troisième condition est le consentement personnel des époux1002, soit l'expression de la volonté manifeste de l'homme et la femme d'être uni par le lien conjugal. Un tel consentement doit être sérieux et exempt de vice. En effet, « consensus non concubitus facit nuptias »1003 dit l'adage. Dès lors, c'est à bon droit que le consentement est exigé par l'article 16 précité de la Déclaration universelle des droits de l'homme de 1948 qui dispose : « Le mariage ne peut être conclu qu'avec le libre et plein consentement des futurs époux ». Quant à l'article 21 de la Charte africaine des droits et du bien-être de l'enfant, il interdit « la promesse de jeunes filles et garçons en mariage ».

Aux termes de l'article 3 de la loi ivoirienne sur le mariage, les futurs époux1004 doivent consentir personnellement à leur mariage, et ce, qu'ils soient majeurs ou mineurs. Cependant, lorsqu'ils sont encore mineurs, le consentement des futurs conjoints doit être complété soit par celui des père ou mère, qui exerce les droits de la puissance paternelle, soit celui du tuteur1005 ou soit par celui du juge. Ce même mariage prévoit deux vices du consentement au mariage, savoir la violence et l'erreur sur l'identité physique ou civile de la personne. Par application de cette nécessité du consentement libre et éclairé, un enfant ne peut être contraint par ses parents à épouser une personne contre son gré.

1002 Article 3de la loi ivoirienne du 07 octobre 1964 modifiée par celle du 2 août 1983.

1003 « C'est le consentement, non le coucher, qui fait le mariage ». ROLAND (H.), Lexique juridique des expressions latines, 6e édition, 2014, p.57.

1004 Pareillement, l'article 6 (a) du Protocole à la charte africaine et des peuples relatifs aux droits de la femme en Afrique énonce que : « Aucun mariage n'est conclu sans le plein et libre consentement des deux époux ». 1005 Aux termes de l'article 8, alinéa 2 de la loi sur le mariage, le droit de consentir au mariage du mineur revient au tuteur lorsque les père et mère sont morts, inconnus ou dans l'impossibilité de manifester leur volonté, s'ils n'ont pas de résidence connue ou s'ils sont l'un et l'autre déchus des droits de la puissance paternelle. A défaut de tuteur, l'autorisation échoit au juge : elle est demandée par requête au président du tribunal ou de la section de tribunal de la résidence du mineur.

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Toutes les conditions susmentionnées sont des conditions de fond1006 auxquelles s'ajoutent des conditions de forme comme la célébration du mariage par un officier de l'état civil. En effet, aux termes de l'article 19 de la loi relative au mariage, « seul le mariage célébré par un officier de l'état civil a des effets légaux »1007. Tel n'est pas le cas de ces mariages précoces et/ou forcés qui se pratiquent clandestinement au mépris des lois de la République ivoirienne.

Outre cela, l'on constate une atteinte plurielle au droit des enfants à la participation.

1006 Les autres conditions de fond sont les suivantes :

La prohibition de la bigamie : ayant opté pour le mariage monogamique, le législateur ivoirien a prohibé la bigamie en ces termes : « nul ne peut contracter un nouveau mariage avant la dissolution du précédent... » . Cette prohibition expresse de la bigamie entraine, en bonne logique, celle de la polygamie et de la polyandrie. Il s'ensuit qu'il est interdit à un même homme d'avoir simultanément plusieurs épouses, et à une même femme d'avoir simultanément plusieurs maris. C'est dire que le mariage présuppose que les futurs conjoints soient célibataires, divorcés ou veufs.

Dans la pratique, les femmes mariées soutiennent avec hargne l'interdiction de la polygamie prescrite par la loi car elles n'aimeraient pas partager leurs époux avec d'autres femmes. A contrario, les femmes célibataires ont toujours contesté et vilipendé la loi prohibant la polygamie qu'elles trouvent inique, en ce sens que cette loi réduit sérieusement leur chance d'avoir un mari.

Quant aux hommes, ils contournent, par des manières diverses cette prohibition de la polygamie. Certains contractent plusieurs unions coutumières, et vivent sous le même toit avec leurs « épouses coutumières » optant ainsi délibérément de vivre en marge du droit moderne. D'autres contractent un mariage légal, puis entretiennent une ou plusieurs « illégitimes », c'est-à-dire des maitresses, cela, en dehors du domicile conjugal, et au mépris du droit interne et international.

La prohibition de l'inceste : S'inspirant de l'anthropologie, la loi ivoirienne sur le mariage interdit, pour des raisons de moralité et de santé, l'union conjugale entre certains parents. Ainsi, aux termes de l'article 10, le mariage est prohibé, en ligne directe, entre tous les ascendants et descendants et les alliés de la même ligne. Autrement dit, le mariage est interdit entre père et fille, mère et fils, grand-père et petite fille, grand-mère et petit-fils, entre arrière-grands-parents et leurs petits-enfants.

Selon l'article 11, le mariage est prohibé, en ligne collatérale, entre frère et soeur. Il est, en outre, prohibé entre oncle et nièce, tante et neveu et entre alliés au degré de beau- frère et belle-soeur, lorsque le mariage qui produisait l'alliance a été dissous par le divorce. Exceptionnellement, certains parents peuvent être autorisés à se marier entre eux s'ils obtiennent une dispense du procureur de la République, et ce, pour des causes graves. Le respect du délai de viduité : le délai de viduité est de trois cent (300) jours ; ce qui correspond à la durée maximale d'une grossesse. Ce délai est fixé par l'article 9 de la loi sur le mariage selon lequel la femme ne peut contracter un nouveau mariage qu'après trois cents (300) jours révolus depuis la dissolution du mariage précédent. Ce délai peut être abrégé dans deux hypothèses : d'une part, il prend fin de plano en cas d'accouchement ; d'autre part, il prend fin par décision du juge à la demande de la femme, lorsqu'il est évident que depuis trois cents (300) jours révolus, le mari n'a pas cohabité avec elle. Au fond, le respect du délai de viduité permet d'éviter la confusion de paternité.

1007 Il procède de là que le législateur ivoirien n'accorde point de valeur juridique aux mariages coutumiers et aux mariages religieux.

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§ 3. DES ATTEINTES AUX FORMES DE PARTICIPATION DE L'ENFANT

La participation peut être définie comme l'action de prendre part à quelque chose, par le fait d'être impliqué dans le processus de décision qui nous concerne ou qui concerne la communauté au sein de laquelle nous vivons1008. Toutefois la participation ne se limite pas à donner son avis ou son opinion sur une question, une situation ou une institution, définies par quelqu'un d'autre ; elle implique de pouvoir contribuer à l'élaboration de la question, à la détermination des objectifs et à la structure de l'organisation ou de l'institution1009. Ce droit de participation des enfants est affirmé à l'article 12 de la Convention des Nations Unies en ces termes : « 1. Les Etats parties garantissent à l'enfant qui est capable de discernement le droit d'exprimer librement son opinion sur toute question l'intéressant, les opinions de l'enfant étant dûment prises en considération eu égard à son âge et à son degré de maturité... »1010. La reconnaissance du droit de l'enfant de participer aux décisions qui sont prises en son nom ou à son sujet nous force à sortir du discours concernant le pouvoir d'agir de l'adulte pour assurer le bien-être de l'enfant, via le principe de l'intérêt de l'enfant, pour envisager également le pouvoir d'agir de l'enfant lui-même en tant que gardien de ses propres droits1011. Il s'agit d'un changement important dans la manière de concevoir les droits de l'enfant. Le droit de participation s'apparente au droit à l'autonomie1012 ; Ce changement de perspective ne pouvait qu'entrainer son lot de critiques1013. Malgré ces

1008 LAVALLEE (C.), La protection internationale des droits de l'enfant : entre idéalisme et pragmatisme, Bruylant, 2015, p.66.

1009 LAVALLEE (C.), La protection internationale des droits de l'enfant : entre idéalisme et pragmatisme, Bruylant, 2015, p.66.

1010 ZANI (M.), 1996, La convention internationale des droits de l'enfant : Portée et Limites, Lyon Publisud, pp.225-239, voir annexe 3 pp.97-107.

1011 LAVALLEE (C.), « La parole de l'enfant devant les instances civiles ; une manifestation de son droit de participation selon la Convention internationale relative aux droits de l'enfant », in V. FORTIER et S. LEBREL-GRENIER (dir.), La Parole et le droit, Rencontres juridiques Montpellier-Sherbrooke, éd. R.D.U.S., 2009, pp. 121-137.

1012 LAVALLEE (C.), La protection internationale des droits de l'enfant : entre idéalisme et pragmatisme, Bruylant, 2015, p.65.

1013 THOMAS (N.), « Toward a theory of Children's participation », Int'l J. Child. Rts., vol.15, 2007, pp.199-218, spéc. p.202.

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critiques, désormais, dans une société démocratique, tous les citoyens ont le droit de participer, y compris les enfants. Leur donner l'information adéquate à leur âge, les écouter, les associer aux prises de décisions, à la maison, à l'école, au village, dans leur quartier, est de la responsabilité de tous les Etats ayant ratifié la Convention internationale des droits de l'enfant qui place la participation comme l'un de ses quatre principes fondamentaux1014.

Malgré cette reconnaissance juridique de la participation des enfants, en Côte d'Ivoire, on observe une quasi-inexistence du droit à la participation au niveau familial et scolaire (A) et une négation du droit à la participation à la vie publique et socio-économique (B).

A. LA QUASI INEXISTENCE DU DROIT A LA PARTICIPATION AU NIVEAU FAMILIAL ET SCOLAIRE

Elle se traduit par un faible niveau de participation à la vie familiale ainsi qu'à la vie scolaire.

1. Un faible niveau de participation à la vie familiale

La reconnaissance du droit de l'enfant à la prise de parole modifie théoriquement les relations traditionnelles entre les enfants et leurs parents. Ces derniers ne sont plus simplement considérés comme des prestataires de services ou des titulaires d'obligations parentales exercées dans un but de protection, ils doivent désormais agir de manière à donner aux enfants un espace pour exprimer leur opinion et ainsi prendre une part active aux décisions qui les concernent1015. En pratique, les enfants et les jeunes participent rarement aux débats sur les problèmes ainsi qu'à la prise de décisions qui se rapportent à eux. Les parents sont dans la plupart des cas, les premiers et les derniers à décider à leur place. Et les enfants sont presque toujours informés après coup, de ce qui a été décidé pour eux. Souvent, quand ils expriment leur volonté ou leurs décisions (choix en matière d'éducation, liberté de sortir, choix religieux, etc.), ils se heurtent à l'incompréhension et à la réprobation de leurs parents. Relativement au débat relatif à la notion « d'intérêt supérieur de l'enfant », et de la capacité de ce dernier à pouvoir l'apprécier par lui-même, « Peu d'auteurs se sont lancés

1014 UNICEF, Fiche Thématique, Unicef-France, 2010, p.1.

1015 MEUNIER (G.), L'application de la Convention des Nations Unies relative aux droits de l'enfant dans le droit interne des Etats parties, coll. « Logiques juridiques », Paris, L'Harmattan, 2002, p.66.

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dans cet exercice périlleux car le flou et la géométrie variable qui entourent le concept rendent la chose difficile1016 ». Au départ, les enfants ont été exclus du monde réel. L'argument invoqué de manière récurrente par ceux qui sont opposés à l'idée d'accorder des droits autonomes aux enfants est que « les enfants ne sont pas assez mûrs physiquement, intellectuellement et émotionnellement, et n'ont pas l'expérience nécessaire pour porter un jugement rationnel sur ce qui est ou n'est pas dans leur intérêt 1017».

Il s'ensuit que la liberté de participation tout comme la liberté de religion, est théoriquement exerçable directement par l'enfant ; l'interprétation qui en découle l'est surtout sur le fondement du droit des parents1018 . Cette attitude des parents peut se justifier sur la base de la Déclaration sur l'élimination de toutes formes d'intolérance et de discrimination fondées sur la religion ou la conviction1019 qui prévoit le droit des parents d'élever l'enfant selon leurs préceptes religieux ou leurs croyances. En définitive, les enfants sont privés de leur droit d'exprimer leur opinion sur toute question les intéressant, surtout lorsqu'il s'agit de leur propre personne, encore moins de leurs parents (accusation à tort, intention de séparation ou de divorce des parents, etc.) ; Ainsi, continuent-ils à subir les choix et décisions imposés et souvent inappropriés de leurs parents et de leurs frères et soeurs plus âgés.

Il en va aussi du faible niveau de participation à la vie de l'école.

2. Un faible niveau de participation à la vie scolaire

Les enfants peuvent demander à être entendus sur l'élaboration de certaines politiques publiques1020. Tel n'est pas le cas au niveau du secteur éducatif. Au niveau éducatif, la participation des enfants souffre d'un ensemble de conflits allant de la cellule familiale

1016 ZERMATTEN (J.), « L'intérêt supérieur de l'enfant, de l'analyse littérale à la portée philosophique », in Working report de l'Institut International des Droits de l'Enfant : Children Rights and Burma, IDE, 2003, p.15.

1017 VERHELLEN (E.), « Evolution et développement historique de l'éducation de l'enfant et de la participation des enfants à la vie familiale », in Conseil de l'Europe, évolution du rôle des enfants dans la vie familiale : participation et négociation, Strasbourg, actes de la Conférence de Madrid, 1994, p.5.

1018 VAN BUEREN (G.), The international Law on the Rights of the Child, op. cit. cit., note 64, p.151.

1019 Déclaration sur l'élimination de toutes formes d'intolérance et de discrimination fondées sur la religion ou la conviction, Doc. Off. A.G.N.U.,36e sess., Doc. N.U. A/RES/36/55( 25 novembre 1981).

1020 ANG (F.) et al., « Participation rights in the UN Convention on the rights of the child » , Participation Rights of Children, Antwerpen-Oxford, Intersentia, 2006, p.17.

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jusqu'à l'école. Il existe souvent un gouffre entre le désir des enfants et les préoccupations des parents. Les parents ont en général un modèle qu'ils veulent imprimer à leurs enfants sans tenir compte du caractère propre de ceux-ci et donc des opportunités qui seraient les meilleures pour eux en matière d'éducation1021. Cette situation conflictuelle est malheureusement exacerbée par le système éducatif ivoirien actuel qui ne favorise pas la flexibilité en ce qui concerne les démarcations que pourraient faire certains enfants avant même d'avoir complété leur formation scolaire. En effet, certains enfants ont des prédispositions soit littéraires, soit technologiques, soit artistiques, qui les poussent à ne s'intéresser qu'à ces seuls aspects de la vie éducative et à en négliger les autres. Toutefois, aucune structure socio-éducative ou pédagogique ne permet la prise en compte de l'opinion des élèves sur les différents curricula véhiculés à l'école ainsi que sur la qualité de l'enseignement.

L'un des moyens susceptibles d'impliquer les enfants aux programmes scolaires est l'institution des coopératives scolaires. Une coopérative scolaire est un regroupement d'adultes et d'élèves qui décident de créer un projet éducatif en s'inspirant de la pratique associative et coopérative1022. Malheureusement, les coopératives sont désormais inexistantes, notamment en milieu urbain. De même, les modules de formation introduisent des notions sur l'hygiène et l'environnement sans toutefois associer réellement les enfants à la perception de leur contenu. En conséquence, on relève un certain désintérêt pour certains enseignements chez de nombreux élèves, lorsque leurs prédispositions ne sont pas encouragées.

Pour favoriser la mise en oeuvre du droit des enfants à la liberté d'association, le Comité des Nations Unies encourage les Etats à favoriser l'établissement d'organisation d'enfants

1021 A la vérité, au moment de décider choix des orientations relatives aux filières proposées pour la première année du Lycée (classe de seconde), une bonne partie des parents imposent souvent à leurs enfants le choix des filières scientifiques présentées à tort ou à raison comme celles pouvant assurer un avenir professionnel certain à l'enfant, alors que celui-ci est parfois doué pour une série littéraire au regard de ses résultats scolaires et de son projet professionnel. Qui plus est, certains parents imposent à leurs enfants d'embrasser des filières conformes au projet professionnel non abouti des parents, de sorte qu'à terme ces enfants puissent accomplir le métier ou la fonction que le père ou lé mère n'ont pu exercer pour diverses raisons. Ce constat ressort des entretiens réalisés auprès de certains élèves du Lycée Sainte Marie d'Abidjan, le Lycée Mixte de Yamoussoukro, du Collège secondaire protestant de Dabou.

1022 CATTIER (F.), « Les Coopératives scolaires », In. Revue des Etudes Coopératives n°25 Octobre-Décembre 1927, pp.1, 2 et 3 ; BERTHELOOT, La mutualité scolaire CNDP, Orléans 1910, p.10 ; MABILLEAU (L.), Guide de la Coopération scolaire, INRP, Paris, 1961, p.15.

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dans les écoles et dans les municipalités. La nécessité d'être majeur pour siéger au Conseil d'administration de certains organismes ou pour exercer des activités politiques peut également devenir une limite aux droits des enfants à la participation. Le Comité se dit préoccupé par certaines de ses limites et encourage les Etats à les revoir dans le but de faciliter l'exercice du droit d'association pour les personnes mineures1023.

Au-delà du cadre familial et scolaire, les enfants sont aussi exclus de toute participation à la vie publique et socio-économique.

B. L'EXCLUSION DE TOUTE PARTIPATION A LA VIE PUBLIQUE ET SOCIO-ECONOMIQUE

Une approche cohérente de la Convention induit que la parole de l'enfant constitue l'un des éléments permettant de déterminer son intérêt1024. Malheureusement on note une négation du droit à la participation à la vie publique et socio-économique ; cette négation est ponctuée par une faible participation à la vie publique politique et associative(1), une participation à la vie économique comme obligation familiale (2) et une faible participation aux services sociaux de base (3).

1. Une faible participation à la vie publique politique et associative

L'organisation traditionnelle du pouvoir présente de fortes rigidités qui excluent les enfants notamment les filles de la prise de décision. En effet, l'exercice du pouvoir est réservé aux ainés de sexe masculin. Et même quand il arrive que certains enfants soient au centre des litiges familiaux à caractère communautaire, le règlement des conflits impose la représentation de leurs parents. Ou alors quand ceux-ci sont entendus, leurs opinions traduisent plus le bon vouloir de leurs parents que leur intime conviction.

Il existe un lien étroit entre le droit à la liberté d'expression et le droit à la liberté d'association et de réunion pacifique, bien qu'ils ne soient pas prévus au même article. En

1023 HODGKIN (R.) et NEWELL (P.), Implementation Handbook for the Convention on the Rights of the child, 3eéd., New-York, United Nation Publication, 2007, p.198.

1024 LUCKER-BABEL (M.-F.), « L'écoute de l'enfant devant les tribunaux civils : lecture de la Convention sur les droits de l'enfant et de quelques législations nationales », in P.D. JAFFE (dir.), Défier les mentalités. La mise en oeuvre de la Convention des Nations Unies relative aux droits de l'enfant, Université de Genève, 1998, p.253.

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effet, ces droits visent l'un comme l'autre à favoriser la participation de l'enfant au sein de différents groupes1025. L'article 15 de la CIDE se borne à reprendre succinctement ce que prévoient déjà les autres instruments internationaux1026 . Il en va ainsi de l'article 20 de la DUDH et des articles 21 et 22 du PIDCP qui, eux, sont orientés davantage vers la protection des droits syndicaux. Cependant, une interprétation large s'avère nécessaire dans le cas des enfants. En effet, si le droit d'association vise nécessairement les organisations d'enfants travailleurs, il comprend aussi les organisations d'étudiants dans le cadre scolaire et les groupes communautaires militant pour diverses causes. En outre, la vie politique et administrative moderne est également dominée par les adultes. Toutefois, sous l'influence des mutations socio-politiques, on assiste de plus en plus à un nombre croissant de jeunes dans les associations à caractère politique1027. En effet, les structures politiques des partis semblent permettre une réelle participation des jeunes (enfants) aux activités militantes. Cependant, la prise de décision est, en général, très centralisé au niveau de l'organe de décision ultime. Même à ce dernier niveau, le secrétariat ou le cabinet du président du parti, reste le lieu de la dernière prise de décision et relève des adultes. Les statistiques disponibles ne permettent malheureusement pas de différencier la participation effective des jeunes de moins de 18 ans selon le sexe afin de saisir le poids de leur participation effective. Cependant, l'observation empirique montre que les enfants sont généralement confinés au rôle de faire-valoir (mobilisation sociale, campagne électorale, etc.) dans les organes de jeunes des partis politiques, alors que les adultes tendent à être prédominants à tous les autres niveaux. Même si aujourd'hui la constitution du Parlement des enfants1028 traduit la reconnaissance du droit à la participation des enfants, il apparait plus comme une structure de promotion qu'une institution dont les actions et propositions se traduiraient concrètement dans les choix et décisions politiques.

Quant aux associations de jeunes, elles existent tant en milieu urbain que rural. Ce sont par exemple, les associations de jeunes handicapés, les associations de jeunesse

1025 VAN BUEREN (G.), The international Law on the Rights of the Child, coll. « International Studies in Human Rights », vol.35, Dordrecht-Boston-London, Martinus Nijhoff Publishers, 1995, p.144.

1026 Voir Article 20 de la DUDH, les articles 21 et 22 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques et l'article 8 du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels.

1027 On peut citer entre autres, la Jeunesse du Parti Démocratique de Côte d'Ivoire (JPDCI), la Jeunesse du Front Populaire Ivoirien (JFPI), la Jeunesse du Rassemblement des Républicains (JRDR).

1028 Le parlement des enfants a été institué par décret n°2013-857 du 19 décembre 2013.

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confessionnelle ou laïque telles que le scoutisme1029, la jeunesse estudiantine catholique, les associations de jeunesse musulmane et les associations de jeunes ressortissants de localités ou de régions. Ces associations sont souvent regroupées au sein de la fédération des mouvements et associations de jeunesse et l'enfance (FEMAJECI). Mais leur vocation reste, la plupart du temps, récréative ou socioculturelle ou dans quelques rares cas socioprofessionnels. Aussi, elles se trouvent très souvent confrontées aux problèmes financiers et organisationnels qui limitent leur champ d'intervention.

2. Une participation à la vie économique comme obligation familiale

La participation à la vie économique pour la plupart des enfants apparaît plutôt comme un ensemble d'obligations envers la famille, qu'une capacité de décider du type d'emploi ou du moment où il faut exercer cet emploi. En effet, les adolescents et les jeunes de certaines régions rurales les plus pauvres, ont l'obligation d'aider les parents dans les activités champêtres, surtout pendant les périodes critiques du calendrier cultural, qui demandent une forte main d'oeuvre. Lorsque les enfants refusent de se soumettre aux activités champêtres, ils peuvent être privés de nourriture et de sortie. Ce phénomène s'observe aussi en milieu urbain où certains adolescents sont obligés de travailler au sein de l'entreprise familiale pour assurer la continuité de leur scolarisation. Certains enfants sont parfois obligés de faire de l'école à temps partiel. Dans les familles pauvres, chaque membre doit contribuer aux charges familiales. Cependant, les enfants travaillent plus sous l'influence des pratiques traditionnelles et des décisions des parents plutôt que sur leur réelle initiative ; En outre, ils ne bénéficient pas souvent des fruits de leur travail, car les revenus de leurs différentes activités reviennent bien souvent aux parents ou aux employeurs.

3. Une faible participation aux services sociaux de base

S'agissant de l'accès aux services sociaux de base tels l'éducation et la santé, les enfants n'ont pour la plupart pas le choix de l'initiative, même si ces enfants contribuent aux charges familiales dans la mesure où ces derniers vivent encore chez les parents. Une analyse des déterminants socio-économiques de la demande des soins de santé à Abidjan révèle que dans

1029 SCOUTS, Le Scoutisme : éducation pour la vie, pp.1-36 ; SAVARD (P.), « L'implantation du scoutisme au Canada français », In. Les cahiers des dix, n°43, 1983, p.207-262.

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la majorité des cas, le choix des types de recours pour les enfants étaient dicté par les parents. Les raisons évoquées résultaient du fait que le père est le chef de famille et donc la première personne habilitée à prendre ce genre de décision. Dans les autres cas, la famille était en droit de le faire. L'accès aux services sociaux de base par les enfants est déterminé, non seulement par la capacité économique dont peuvent disposer les jeunes pour s'offrir les avantages y afférant, mais plus, par leur implication effective dans la gestion de ces services. Mais, en réalité, les enfants sont absents des différents organes de gestion et de décision des services sociaux de base. En effet, tant au niveau des centres de santé, des programmes d'eau, assainissement, d'insertion socioprofessionnelle, de jeux-loisirs et activités récréatives, etc, les jeunes ne sont pas associés à la prise de décision, encore moins à la gestion de ces différents programmes sectoriels. En outre, ces programmes qui se limitent souvent à quelques enquêtes de routine, sont conçus et imposés aux enfants sans une réelle implication de ceux-ci quant à la prise de décision sur les questions relatives à leur accès à ces services sociaux ainsi qu'à leur fonctionnement mais également aux perspectives d'avenir qui s'offriront à eux. Et cette restriction se radicalise davantage pour les enfants des campagnes issus de familles analphabètes ou défavorisés au sein desquelles le poids de la tradition se conjugue avec les contraintes économiques pour priver les enfants de leur droit à la parole. On le sait, les gens s'adaptent à leurs conditions socio-économiques ; ils ne revendiquent que ce à quoi ils pensent pouvoir accéder. Comme le souligne Pierre Bourdieu, il existe une corrélation très étroite entre les « probabilités objectives », scientifiquement construites (par exemple les chances d'accès à tel ou tel bien, telle ou telle formation universitaire...) et les « espérances subjectives » que constituent précisément les besoins et les motivations qui y sont liés pour les satisfaire1030. Un besoin social n'est donc pas « naturel », il est construit socialement dans l'interaction entre un individu et son environnement. Les personnes intègrent dans l'expression de leurs besoins les dispositions qui sont les leurs, en l'occurrence celles qui sont inculquées par les possibilités et les impossibilités, les libertés et les nécessités, les facilités et les interdits1031. Ce sont ces dispositions qui engendrent

1030 BOURDIEU (P.), Le sens pratique, Paris Editions de Minuit, 1980, p.81.

1031 La somme de ces dispositions, explique Bourdieu, génère des conditions objectives que la science appréhende à travers des régularités statistiques (écarts entre les territoires, représentation de tel groupe dans telle filière scolaire...). Cf. HBILA (C.), « La participation des jeunes des quartiers populaires : un engagement autre malgré des freins », In. Sociétés et jeunesse en difficulté (en ligne N°14) (Printemps 2014) http://sejed.revues.org/7608 (consulté le 22 novembre 2016).

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d'autres dispositions en matière de besoins en quelque sorte pré-adaptés à leurs exigences. Ainsi, chez une partie des jeunes des quartiers populaires, les pratiques les plus improbables se trouvent exclues, très souvent avant même tout examen, au titre d'impensables. Là où des jeunes, de par leur environnement de socialisation et leurs parcours socio-éducatifs, sont en capacité de penser des projets culturels, sociaux et humanitaires, etc., d'autres, au contraire, ils en sont malheureusement exclus par les décideurs ; Or, l'une des premières conditions fixées à la participation des enfants , aussi bien par les décideurs locaux que les professionnels de jeunesse, implicitement plus qu'explicitement, est celle du dépassement de leurs intérêts particuliers et immédiats. Il leur est demandé de se projeter en situant l'objet auquel se réfère la participation au plus haut niveau de généralité. Comme le note Régis Cortesero, il s'agit d'amener les jeunes gens à changer d'échelle pour se comporter comme des « vrais citoyens », visant l'universalité d'un « bien commun », celui que les pouvoirs publics auront définis et pour lequel ils en attendent une légitimation1032. Le fait de ne pas les associer peut être perçu comme un renvoi à leurs intérêts privés et communautaires, et correspond à une forme classique de délégitimation que l'on observe dans toutes les scènes délibératives où il est question de discréditer des acteurs1033.

Outre les atteintes afférentes à la survie et au développement, en Côte d'Ivoire, les enfants sont également victimes de toutes sortes d'abus.

1032 CORTESERO (R.), « La participation en débat » In. HBILA (C.) et BIER (B.), Conduire un projet expérimental en direction des jeunes des quartiers populaires, Nantes, éditions de Réso Villes, 2014, p.107. 1033 HBILA (C.), « La participation des jeunes des quartiers populaires : un engagement autre malgré des freins », In. sociétés et jeunesse en difficulté (en ligne N°14) (Printemps 2014) http://sejed.revues.org/7608 (consulté le 22 novembre 2016).

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SECTION II. LA PROTECTION DES ENFANTS CONTRE TOUTES FORMES D'ABUS

Les Etats parties prennent toutes les mesures législatives, administratives, sociales et éducatives appropriées pour protéger l'enfant contre toute forme de violences, d'atteintes ou de brutalités physiques ou mentales, d'abandon, de violences sexuelles, pendant qu'il est sous la garde de ses parents ou de l'un d'eux, de son ou de ses représentants légaux ou de toute autre personne à qui il est confié1034.

Les Nations Unies ont invité les Etats à « renforcer les mécanismes et programmes nationaux et internationaux de défense et de protection des enfants, en particulier, des filles, des enfants abandonnés, des enfants des rues, des enfants victimes d'une exploitation économique et sexuelle, à des fins notamment de pornographie ou de prostitution ou pour la vente d'organes des enfants victimes de maladies, dont le SIDA, des enfants réfugiés et déplacés, des enfants en détention, des enfants mêlés à des conflits armés, ainsi que des enfants victimes de famine et de la sécheresse ou d'autres situations d'urgence »1035. En dépit de cette invite, en Côte d'Ivoire, on observe trois situations insoutenables : d'une part, les abus touchant les « enfants des rues » (paragraphe 1), les pires formes de travail des enfants qui constituent un traitement inhumain de l'enfant (paragraphe 2) et enfin, la situation des enfants victimes de traite et le trafic regardée comme une négation de l'existence humaine de l'enfant (paragraphe 3).

§ 1. LES ABUS TOUCHANT LES ENFANTS DES RUES

Pour mieux comprendre les divers abus portés aux enfants dans les rues (B), il apparait important de préciser la notion d'enfants des rues (A) qui traduit un certain échec de la responsabilité parentale et étatique.

1034 Article 19, alinéa 1 CDE.

1035 Déclaration adoptée à la Conférence Mondiale des Nations Unies sur les Droits de l'Homme tenue à Vienne du 14 au 25 juin 1993.

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