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L'effectivité des droits de l'enfant en Cote d'Ivoirepar Arsène NENI BI Université Jean Moulin Lyon 3 - Doctorat en droit public 2018 |
A. DROITS DE L'ENFANTPour une meilleure compréhension de la notion « droits de l'enfant », nous envisagerons successivement la notion d'enfant avant d'en arriver à ses droits à proprement parler. a. Définition du terme enfant Il importe de préciser la notion d'enfant. Qui, en effet, est considéré comme enfant ? La question est importante ; elle comporte des aspects juridiques et non juridiques. La réponse à cette question procède d'une certaine perception du développement de l'être humain, du moment à partir duquel il peut s'assumer, répondre de lui-même, être responsable. Un séjour dans le droit romain apparait inévitable pour toute recherche sur le droit de l'enfant. Dans la Rome antique, l'infantus est étymologiquement Qui fari no possunt, « celui qui ne parle 11 GUIE (H.), Cours d'Histoire des Idées politiques, Maitrise de Droit, carrières publiques, 1998. 12 Michel TROPER, « Pour une définition spéculative du droit », Droits, n° 10, 1989, pp.101-104, spéc. p.103. 16 pas »13 ». Pour Duclos, c'est aussi celui qui ne « comprend pas la portée de ses actes »14. Partant, naît la non-imputabilité de l'enfant en bas âge. En droit romain, le pater familias a théoriquement droit de vie et mort sur ses enfants. Françoise DEKEUWER-DEFOSSEZ affirme que : « le droit romain comme l'ancien droit français voyaient dans l'enfant, l'objet de la puissance paternelle...L'enfant n'était pas considéré comme titulaire de droits15». Il est donc à la fois sa protection et sa loi selon l'âge de l'enfant. Trois périodes sont généralement prises en compte : de la naissance à sept ans, de sept ans à douze ou quatorze ans selon qu'il s'agisse d'un garçon ou d'une fille et de quatorze ans à vingt-cinq ans. A sa naissance, le nouveau-né est étendu sur le sol, si le père le relève et ordonne de le nourrir16, il le reconnaît. Dans le cas contraire, il est abandonné, exposé. Le père pouvait tuer son fils en cas de difformité, le vendre selon son bon vouloir17. Au deuxième siècle, l'empereur Constantin abroge le droit de vie et de mort du père sur l'enfant. L'enfant reste soumis à la puissance du père de famille. Il est alienis juris persona, c'est-à-dire soumis au droit d'un autre, soumis à la puissance du père18. Jusqu'à l'âge de quatorze ans, on parlera d'Impubes, c'est-à-dire qui n'est pas encore pubère. L'enfant romain devient alors, à cet âge, sui juris, sujet autonome de droit. En réalité, l'enfant romain pubère pouvait dans certains cas et selon les époques, bénéficier d'une protection légale importante19. Le droit romain n'apporte pas de définition stricte de ce qu'est l'enfant. Il est défini par le concept de minorité ou bien par celui de filiation. Il en va de même en Côte 13 Roy (A.) (dir), Dictionnaire historique de la langue française, Le Robert, Paris, Tome 1, 1992, p. 1239. « Le mot signifie proprement `qui ne parle pas' ; il est formé de in, préfixe négatif, et du participe présent de fari `parler' » ; en grec, phemi. 14 DUCLOS (M.), Rome et le droit, Le Livre de Poche, Paris, 1996, p. 57. ; Concernant les différents stades de la condition juridique de l'enfant, voir le chapitre « la famille et le droit familial » pp. 50- 68. 15 DEKEUWER-DEFOSSEZ ( F.), Les droits de l'enfant, Paris, PUF, 2010, p.4. 16 De là vient l'expression « élever un enfant ». 17 La loi romaine des XII tables a été rédigée en 451 et en 450 av. J.C. Il s'agit de la première édification de droit privé depuis la création de la cité, table IV relative à la famille. ; GAUDEMET (J.), Droit privé romain, Paris, Montchretien, 1998, p.71. 18 CASTALDO (A.) et LEVY (J-P.), Histoire du droit civil, Dalloz, 2e ed., 2010, n°49 et sq. 19 La Lex Laetoria de circumscriptione adulescentium protégeait le mineur de ceux qui voulaient le tromper (-191 AC), Le Senatus Consulte Macedonianum interdisait les prêts d'argent à un fils de famille et permettait à celui qui avait bénéficié d'un prêt de ne pas le rembourser, (69-79 AC sous Vespasien.). De même, le Senatus Consulte Oratio Severi (195 apr. J.C) interdisait à un tuteur de bénéficier des biens de l'enfant dont il avait la charge in Duclos (1996), p. 59. 17 d'Ivoire où le concept de mineur est abondamment utilisé dans la législation nationale pour désigner l'enfant20. La puissance du père de famille, immense en droit Romain, est reprise par le Code napoléonien en France et par nombre de codes de droit civil des pays d'Afrique francophone au vingtième siècle. Paradoxalement l'autonomie et la responsabilité, précoces pour les enfants, sont limitées par le droit de la Convention de 1989, pour sa plus grande protection. L'historien, plus que le juriste, peut relever la place et le rôle de l'enfance au Moyen-âge et comprendre ses rapports avec le régime juridique en vigueur. C'est en partant de la condition de vie des enfants et de la place qu'ils ont dans la société à travers l'étude de l'iconographie médiévale que PHILIPPE ARIES21 nous montre que le mot « enfant » revêt une signification différente de celle communément acceptée aujourd'hui. La thèse principale d'Ariès consiste à signaler que l'enfance n'était pas représentée jusqu'au dix-huitième siècle. Les enfants étaient des « adultes en miniature » et l'enfance, une époque de transition. Pour lui, la « conscience de la particularité enfantine »22 était inexistante au Moyen-âge. Si les travaux de l'historien ne font pas l'unanimité aujourd'hui23, leur apport principal est de relativiser une notion atemporelle de l'enfance. La psychanalyste Françoise DOLTO, commentant le texte d'Ariès repris dans le premier chapitre de la Cause des Enfants, affirme que « dans le langage écrit, l'enfant reste un objet. Il faudra beaucoup de temps pour qu'il soit reconnu comme sujet »24. Il s'agissait de cacher les traits de l'enfant, indignes d'être représentés. Peu à peu, ont été, signale la psychanalyste, introduit dans les oeuvres, des objets, au second plan, 20 Article 14 alinéa 3 du code pénal ivoirien « ...Est mineur au sens de la loi pénale, toute personne âgée de moins de 18 ans lors de la commission de l'infraction. Les mineurs de 10, 13 et 16 ans sont ceux qui n'ont pas atteint ces âges lors de la commission de l'infraction. ». Article 1er de la loi ivoirienne n° 70-483 du 3 aout 1970, sur la minorité : « Le mineur est l'individu de l'un ou de 1'autre sexe, qui n'a pas encore atteint l'âge de vingt et un ans accomplis. ». 21 ARIES (P.), L'Enfant et la vie familiale sous l'Ancien Régime, Seuil, collection «Points-Histoire » 1975, 316p. 22 ARIES (P.), L'Enfant et la vie familiale sous l'Ancien Régime, Seuil, collection «Points-Histoire » 1975 (P.) (1975), p.177. 23 RENAULT (A.), La libération des enfants, Calmann-Lévy, 2002. L'auteur expose les thèses d'Ariès ainsi que les nuances qu'ont apportées sociologues et historiens de la famille. Il reconnaît toutefois que l'ouvrage d'Ariès « marqua l'émergence, pour ainsi dire, ex nihilo, d'une nouvelle discipline ». p. 41. ; De même, l'historien américain Lloyd de Mause signale qu'Ariès a laissé de côté de nombreuses preuves montrant que les artistes médiévaux pouvaient peindre les enfants avec réalisme. Il s'oppose également au concept « d'invention de l'enfance ». De Mause, La evolución de la infancia, Historia de la infancia, LI, Madrid, 1991 p. 15 à 92. 24 DOLTO (F.), La cause des enfants, Le Livre de Poche, Paris, 1985, p. 16. 18 comme des jouets, prémices de l'acceptation d'une pensée propre. Sans représentation, l'enfant n'existe pas comme sujet. La particularité de l'enfance en tant qu'étape spécifique de la vie, et non plus comme antichambre de l'âge adulte, sera pensée par Locke puis par Rousseau. « En pensant l'homme démocratique, ils ont rendu philosophiquement possible les droits de l'enfant25». Telle est la thèse de Dominique YOUF, philosophe, spécialiste de la question des droits de l'enfant. Pour que les individus puissent jouir de droits, il fallait atténuer la toute-puissance du « souverain » entendu symboliquement comme père de famille. L'avènement des droits de l'enfant sera sans conteste une défaite pour la puissance du père de famille, une défaite souhaitée par les premiers promoteurs des droits de l'enfant. Déjà, à l'époque de la déclaration française des droits de l'Homme et du citoyen de 1789, l'autorité paternelle est remise en question. L'enfant appartient d'abord à la patrie, disent les révolutionnaires, remodelant ainsi la filiation et la conjugalité. « C'est dans ce contexte qu'il faut comprendre la restauration partielle de la puissance paternelle par le Code civil napoléonien26 ». L'introduction progressive de limites à cette autorité se fera, concernant les enfants, d'abord au nom de leur protection, puis, presque un siècle plus tard, au nom de leurs droits. S'opère alors un rééquilibrage du triptyque enfant, père (famille) et Etat. En étudiant la famille des 18e et 19e siècles, Jacques DONZELOT met en évidence cette intervention progressive de l'Etat sur l'enfance. La société s'adapte à la révolution industrielle qui cherche une main-d'oeuvre toujours plus nombreuse, plus disciplinée, plus contrôlée. L'enfant devient une « denrée » qu'il faut « conserver » parce qu'il devient utile et parce que, démographie oblige, il y en a moins. L'école publique voit le jour, l'apprentissage diminue. La famille quitte la rue et la place publique pour se resserrer sur elle-même. Au moment où l'Etat accroît son contrôle sur les enfants, ceux-ci n'ont plus d'autres horizons que leur propre famille. L'histoire de l'enfance27, nous dit Jacques DONZELOT, est celle 25 YOUF (D.), Penser les droits de l'enfant, PUF, Paris, 2002, p. 26. 26 YOUF (D.), Penser les droits de l'enfant, Paris, 2002, p. 31. 27 Ecrire l'histoire de l'enfance est une tâche compliquée. Salazar (G.), « Infancia en Chile durante los siglo XIX y XX », Conférence pour les Institutions liées à l'Enfance dans la Cinquième région du Chili, San Felipe, Chili, 28 et 29 juin 2001. Pour l'historien chilien, « les enfants ne laissent pas beaucoup de trace pour reproduire leur histoire. Les enfants ne font pas les choses que font les grands. Ils ne font pas de coups d'Etat, ils ne mettent pas en place des politiques publiques (...) Faire l'histoire des enfants est très compliqué ». De fait, l'enfant fait partie de l'histoire lorsqu'il devient adulte. Cette difficulté de faire l'histoire de l'enfant est souvent évoquée, voir : Alzate Piedrahita (M.V), « El ` descubrimiento' de la infancia : historia de un 19 de son contrôle. Il rejoint en cela Michel FOUCAULT qui parlera du collège comme un lieu d'enfermement : « il y eut le grand renfermement des vagabonds et des misérables, il y en a eu d'autres plus discrets, mais insidieux et efficaces »28. Ce curieux mélange entre des institutions soucieuses d'éduquer, de contrôler comme le dit Foucault et l'arrivée massive des enfants dans le monde du travail, marquera, en droit, une reconnaissance de la spécificité juridique des enfants. Il est à craindre que la notion juridique d'enfant soit selon les contextes, opposée à la notion ethno-anthropologique de l'enfant, voire à la psychologie personnelle de l'individu considéré. L'enfant du droit international des droits de l'homme n'est pas un personnage monolithique. L'enfant est un personnage éclaté et son concept est autonome. La Convention internationale des droits de l'enfant (CIDE), suivie en cela par d'autres textes, retient le critère de l'âge, du nombre de jours passés sur la terre : est enfant, au sens de la convention de New York, « tout être humain âgé de moins de 18 ans, sauf si la majorité est atteinte plutôt en vertu de la législation qui lui est applicable »29. Il faut donc distinguer l'enfance et la majorité. Dix-huit (18) ans, c'est l'âge de la majorité pour tous les Etats qui ratifient la convention. Mais cette majorité peut fluctuer en fonction des lois nationales. En d'autres termes, la Convention des Nations Unies, à la différence de la Charte africaine des droits et du bien-être de l'enfant, abandonne une bonne part de la définition de la notion même d'enfant aux ordres juridiques nationaux et d'autres réglementations internationales. Les différences sont, à ce sujet, particulièrement importantes d'un Etat à un autre. En matière de conflits armés, l'âge de 18 ans émerge dans le consensus de la communauté internationale, au regard du protocole facultatif concernant l'implication d'enfants dans les conflits armés adopté le 25 mai 2000. Comment comprendre que, le terme de l'enfance étant déjà échu, un individu soit toujours traité comme un enfant notamment en matière matrimoniale ou électorale ? Prenons l'exemple de la notion même d'enfant, selon la législation qui lui est applicable. La Charte africaine des droits et du bien-être de l'enfant (CADBE) est plus stricte : l'enfant désigne ici aux termes de l'article 2 de ladite convention sentimiento », Revista de ciencias humanas, n°30, Universidad tecnologica de Pereira, Colombie, décembre 2002. Pour l'auteur, l'histoire de l'enfance débute avec Ariès (1973) qui a montré justement le caractère invisible des conceptions de l'enfance. Dans ce sens, Salinas Meza (R.), « La historia de la infancia, una historia por hacer », Revista de historia social y de las mentalidades n° 5, Santiago, 2001, p. 11. « La présence de l'enfant dans l'histoire a été une authentique présence occulte ce qui rend très difficile la tâche de l'historien quand il veut identifier ces traces car elles se confondent presque toujours avec celles de la vie des adultes ». 28 FOUCAULT (M.), Surveiller et punir, Gallimard, 1987, p. 143. 29 Article 1er Convention internationale relative aux droits de l'enfant de 1989. 20 « tout être humain âgé de moins de 18 ans ». Si l'on s'en tient à la situation actuelle du droit positif ivoirien, elle assimile l'enfant au mineur ; elle semble aussi s'aligner sur la flexibilité de la CIDE. La difficulté concernant ce concept, est qu'en droit ivoirien, il existe diverses acceptions de minorité : la minorité pénale fixée à moins de 18 ans30, la minorité civile à moins de 21 ans31; le code électoral ivoirien retient aujourd'hui l'âge de 18 ans pour la majorité électorale32 alors qu'avant cette période , elle était fixée à 21 ans; Aux termes de l'article 23.8 du code du travail ivoirien , les enfants ne peuvent être employés dans une entreprise, même comme apprentis, avant l'âge de quatorze ans, sauf dérogation édictée par voie réglementaire. L'enfant en Côte d'Ivoire moderne n'est donc pas une réalité juridique monolithique. Pire, en Côte d'Ivoire, diverses considérations d'ordre socio-culturel, exercent encore aujourd'hui une certaine influence sur la conception de la notion d'enfant ainsi que des droits à lui reconnus. Dans le cadre de la présente étude, l'enfant sera défini au regard de la définition de cette notion en droit international des droits de l'homme. Par enfant, nous viserons donc, tout être humain âgé de moins de 18 ans conformément à la CIDE ratifiée par la Côte d'Ivoire. Au regard de la vulnérabilité de l'enfant, la communauté internationale en est arrivé, à lui concéder au-delà des droits partagés avec les adultes, une protection particulière à travers ce qu'il est convenu d'appeler droits de l'enfant. Mais que recouvre cette notion de droits de l'enfant ? b. Droits de l'enfant Traiter des droits de l'enfant revient d'abord, en réalité, à poser la problématique générale de la démarche juridique internationale relative à l'enfant, ses déterminants, ses acteurs, son contenu et son effectivité. Les instruments, normatifs ou institutionnels, évoluent en effet en rapport avec un milieu, une époque, dont ils traduisent et reflètent les idées et les préjugés. Cela est vrai en général (ubi societas ibi jus) pour le droit, cela l'est encore plus particulièrement pour le domaine des droits de l'homme, indépendamment de toute 30 Article 14 du code pénal ivoirien. 31 Article 1er de la loi de 1970 sur la minorité. 32 Article 3 de la loi N°2000-514 du 1er Août 2000 portant code électoral. 21 perspective de relativisme culturel33. Le droit des droits de l'homme, et spécifiquement le droit international des droits de l'homme, est fondamentalement un droit idéologique34,un droit subversif sur le plan juridique, politique, économique, social et aussi culturel. Il bouscule, avec la question des femmes et des enfants, des logiques culturelles et de civilisation longtemps ancrées, des équilibres sociaux dont l'origine relève parfois du mythe, des arbitraires intériorisés dont l'objectivation ne va pas sans résistances et déchirements. Parler des droits de l'enfant, dire que l'enfant est une personne pourvue de sa dignité propre et de son autonomie, ne va pas de soi. Que le droit international énonce que « l'enfant n'est pas la propriété de ses parents, ni de l'Etat, ni d'une église quelconque, ni de qui que ce soit »35 est une attitude révolutionnaire. Elle l'est d'autant plus que, par le principe de l'universalité qui l'imprègne ou, en tout cas, par la prétention à l'universalité qui le soutend, le droit international des droits de l'homme a une dynamique d'harmonisation, de rapprochement des politiques étatiques et de convergence des logiques culturelles vers l'idéal commun à atteindre, vers une conception commune des droits et libertés de l'homme, selon les termes de la Déclaration universelle des droits de l'Homme. La sanctuarisation de la personne de l'enfant sur le plan international est un élément important de la conscience juridique internationale de notre époque, une conscience qu'il faut traduire en actes concrets, constants et quotidiens. Il importe, à titre liminaire, de retracer brièvement l'historique de la protection de l'enfant en droit international et de présenter brièvement les principaux textes pertinents, d'exposer ensuite les déterminants fondamentaux de cette protection. i. Evolution historique et données fondamentales de la protection internationale des droits de l'enfant 33 MBONDA(E-M) « Les droits de l'homme à l'épreuve du droit à la différence »In Cahier de l'UCAC, n°2,1997, Yaoundé, pp.33-52. 34 SUDRE (F.), Droit international et européen des droits de l'homme, Paris, PUF, 2016, pp.30 et ss;MEGRET (F.), « L'étatisme spécifique du droit international », Revue québécoise de droit international, 24.1 (2011) p125-127. 35 LOPATKA (A), « Le droit de l'enfant fait apparaître la complexité du noyau intangible » in Meyer-Bisch, P. Le noyau intangible des droits de l'homme, Fribourg, suisse, 1991, p.77. 22 L'enfant n'intègre pas les préoccupations de la société internationale seulement aujourd'hui36. Au début du 20ème siècle déjà, dans le prolongement de la lutte contre l'esclavage37 et la traite, est signé le 18 mars 1904, l'Arrangement international pour la répression de la traite des femmes et des enfants38 ; il faut mentionner ensuite la Convention pour la répression de la traite des êtres humains et de l'exploitation de la prostitution d'autrui du 02 décembre 194939. Toutefois, il est universellement admis, non sans raison, de considérer que le premier texte portant spécifiquement sur les droits de l'enfant est la Déclaration sur les droits de l'enfant adoptée à Genève le 26 septembre 1924, à l'initiative de l'Union internationale des secours aux enfants, une organisation britannique, et ce bien que depuis 1919, existait déjà dans le cadre de la SDN, un comité de protection de l'enfant. Cette déclaration de 1924 sera révisée en 1948. Sur la base de ces précédents et grâce au travail du Fonds des Nations Unies pour l'enfance (UNICEF) créée le 11 Décembre 194640, sera adoptée le 20 Novembre 1959, une nouvelle déclaration des droits de l'enfant. Le 20 Novembre 1989, est adoptée la Convention internationale sur les droits de l'enfant (CIDE)41, malgré la réticence de certains Etats soucieux de limiter l'inflation normative en matière de droits de l'homme. Cela ne signifie pas cependant que, avant la CIDE, les droits de l'enfant n'étaient pas protégés au plan universel et qu'ils ne relevaient que du droit déclaratoire, du droit mou. Non seulement les droits fondamentaux de l'homme et donc ceux de l'enfant font partie de ce bloc d'obligations qui s'imposent aux Etats, même en dehors de 36 KAMGA (B.K), « La codification internationale des normes relatives aux droits de l'enfant » in Les petites affiches, 30 Novembre 1990, n° 144, pp.13-19. ; CLERGERIE (J.-C.) « L'adoption d'une Convention internationale sur les droits de l'enfant » in RDP, 1990, pp.435 et ss. 37 Pour messieurs Ibrahima Baba KAKE et ELIKIA M'BOKOLO, « parmi les faits les plus répréhensibles de l'histoire de l'humanité, l'esclave tient la première place. Il est l'acte le plus attentatoire à l'égard des droits de l'homme puisqu'il nie la dignité humaine, fondement de ces droits, à une catégorie d'individus » Ibrahima Baba KAKE (I-B) et M'BOKOLO (E.), Histoire générale de l'Afrique, ABC, Paris, 1977, p.9. ; MEMEL-FOTE (H.), L'esclavage lignager africain et l'anthropologie des droits de l'homme, Leçon inaugurale au Collège de France, Lundi 18 décembre 1995, p.28. 38 GARCIA (L.), La traite des femmes pour les fins de prostitution : les conventions internationales et la législation canadienne sur le sujet, mémoire présenté comme exigence partielle de la maîtrise en droit international, Université de Québec à Montréal, Octobre 2009, pp.44-48. 39 NATIONS UNIES, Recueil des traités, vol.96, p.271. 40 https://www.unicef.org/french/about/who/index_history.html (Consulté le 02 mai 2018). 41 http://www2.ohchr.org/french/law/crc.htm (consulté le 23/09/2013). 23 tout lien conventionnel42, mais en plus, des instruments à portée obligatoire incluaient les droits de l'enfant. Il en est ainsi de la Convention du 10 Décembre 1962 sur le consentement au mariage, l'âge minimum du mariage et l'enregistrement des mariages43, le Pacte international relatif aux droits civils et politiques dont l'article 2444 est remarquable de clarté, le Pacte relatif aux droits économiques, sociaux et culturels (article 10), les conventions du 12 Août 1949 relatives au droit humanitaire des conflits armés ainsi que les protocoles additionnels de 1977 ( articles 77 et 78 du Protocole additionnel n°I45), les conventions de l'OIT dont l'une des plus importantes, adoptée le 17 Juin 1999 à Genève, sous le numéro 182 des instruments de l'OIT, concerne l'interdiction des pires formes de travail des enfants et l'action immédiate en vue de leur élimination. A côté des conventions universelles, il existe des textes régionaux, soit généraux avec des dispositions spécifiques sur les enfants, soit des conventions spécifiques sur les droits de l'enfant. Il en est ainsi de la Charte africaine sur les droits et le bien-être de l'enfant46, de la Convention européenne sur le statut juridique des enfants nés hors mariage du 15 Octobre 1975, de la Convention européenne sur l'exercice des droits des enfants du 26 janvier 1996. Cette panoplie de textes s'est enrichie depuis le 25 mai 2000 de deux protocoles facultatifs à la CIDE : l'un concernant l'implication des enfants dans les conflits armés, l'autre concernant la vente d'enfants, la prostitution des enfants et la pornographie mettant en scène des enfants. Les instruments ne sont pas seulement conventionnels ou résolutoires : il faut mentionner, dans ce panorama, des stratégies telles que l'année internationale de l'enfance déclarée en 1979 par les Nations Unies, les Règles de Beijing de 1985 relatives à la justice pour mineurs, la Déclaration et le Plan d'Actions issus du Sommet mondial des enfants en 1990. 42 C.I.J, « Réserves à la convention sur la présentation et la répression du crime de génocide» Avis consultatif du 28 mai 1951, Recueil 1951, pp.15 et ss. 43 RAYOU (Y.) « Les enfants nés hors mariage en Algérie : la vulnérabilité par la négation du droit ». in Otis, G. (Dir.) Démocratie, droits fondamentaux et vulnérabilité. Actes des troisièmes journées scientifiques du réseau « droits fondamentaux »tenues au Caire du 12 au 14 novembre 2005, .Presa Universitara Clujeanana, Cluj Napoca, 2006, pp.309-320. 44 http://www2.ohchr.org/french/law/ccpr.htm (consulté le 23/09/2013). 45 http://www2.ohchr.org/french/law/protocole1.htm (consulté le 20 octobre 2013). 46 http://www.achpr.org/fr/instruments/child/ (consulté le 20 octobre 2013). 24 Ces nombreux textes et documents de portée juridique fort diverses, révèlent néanmoins de manière globale, une approche des droits de l'enfant sur le plan international, assise sur un certain nombre de déterminants, de principes cardinaux. Sans les développer en profondeur ici, il y a lieu cependant de les mentionner : - Le principe de non-discrimination entre enfants, qui traduit le mieux l'universalité de leur protection. Aucune distinction de sexe, de situation sociale, de filiation47 ne doit être faite entre les enfants dans la jouissance de leurs droits ; - Le principe de l'intérêt supérieur de l'enfant, lequel doit être une considération primordiale pour tous ceux qui abordent les problèmes qui le concernent (voir article 3-1,18 -1 et 21-1 de la CIDE)48 ; En France, l'utilisation de l'expression « l'intérêt supérieur de l'enfant » a longtemps fait l'objet d'une grande hésitation. La Cour de cassation semble (...) ne l'avoir employé que deux fois avant 198949 dans son arrêt du 18 juin 197550 (...) et dans son arrêt du 10 mai 197751. Après cette date et particulièrement après le revirement de 2005, la Cour de cassation a pris l'habitude de recourir à cette expression, sans pour autant écarter le seul intérêt de l'enfant. En effet, la jurisprudence française manifeste une certaine réticence à substituer totalement « « l'intérêt supérieur » à « l'intérêt » de l'enfant52». Soutenue par une grande partie de la doctrine qui critique ce recours inflationniste à la notion d'intérêt supérieur de l'enfant, Adeline GOUTTENOIRE affirme : « Intérêt supérieur de l'enfant : point trop n'en faut53 ». Jean HAUSER renchérit, à son tour, qu' « on sait, qu'après avoir beaucoup hésité, la Cour de cassation a fini par accepter l'effet direct de la Convention internationale sur les droits de l'enfant et notamment le critère du fameux 47 RAYOU (Y.) « Les enfants nés hors mariage en Algérie : la vulnérabilité par la négation du droit ».in Otis, G. (Dir.) Démocratie, droits fondamentaux et vulnérabilité. Actes des troisièmes journées scientifiques du réseau « droits fondamentaux »tenues au Caire du 12 au 14 novembre 2005.Presa Universitara Clujeanana, Cluj Napoca, 2006, pp.309-320. 48 Voir RUBELLIN-DEVICHI (J.), « Le principe de l'intérêt de l'enfant dans la loi et la jurisprudence françaises » in Revue française des affaires sociales, n°4, oct.-déc. 1994, 28 novembre 1994, p.159. 49 LEBRETON (G.), « Le droit de l'enfant au respect de son intérêt supérieur. Critique républicaine de la dérive individualiste du droit civil français », CRDF n° 3, 2003, p.80. 50 Cass. Civ. 2ème ,18 juin 1975, Yamani, arrêt n°462. 51 Cass. Civ. 1re, 10 mai 1977, Ballesteros arrêt n°386. 52 LEBRETON (G.), op. cit. p.80. 53 GOUTTENOIRE (A.), Droit de la famille, comm. 28, février 2006, p.22. 25 « intérêt supérieur de l'enfant »54 ». Les confusions qui peuvent être suscitées par cela ne sont pas minimes. En effet, l'affrontement sémantique de ces deux expressions n'est que « l'arbre qui cache la forêt » étant donné que le qualificatif « supérieur » n'est pas le premier problème. La formule simple de l'intérêt de l'enfant, elle-même, est « parfaitement fuyante (...) propre à favoriser l'arbitraire judiciaire55 ». - Le droit pour tout enfant de faire entendre ses points de vue ou opinions dans toutes les questions qui le concernent, dès lors qu'il a l'âge du discernement. Il s'agit là d'une véritable révolution puisqu'on est loin de l'infans latin, celui « qui ne parle pas ». Comme le dit Michel MANCIAUX, le droit à la parole « est un droit fondateur qui fait sortir l'enfant de son statut d'objet sans voix »56 ; - Le rôle fondamental de la famille (famille nucléaire, élargie ou même la communauté) dans l'éducation de l'enfant57; - Le principe de la prise en compte de l'importance des traditions et valeurs culturelles de chaque peuple dans la protection et le développement harmonieux de l'enfant58; - Le principe de l'application de la règle la plus favorable à l'enfant. Le droit international des droits de l'homme est un standard minimum commun et ne saurait interdire que les Etats soient plus généreux pour les enfants dans leurs législations nationales respectives. Ces considérations exposées, il importe d'évoquer tour à tour l'énoncé des droits et devoirs de l'enfant d'une part, et la mise en oeuvre des droits de l'enfant, d'autre part. 54 HAUSER (J.), « L'intérêt supérieur de l'enfant et le fait accompli : une filiation quand je veux et avec qui je veux, par n'importe quel moyen », RTD Civ. 2008, p.93. ; Voir aussi du même auteur « Ordre public de direction : le retour ou le chant du cygne ? Adoption plénière, reconnaissance et mère porteuse, adoptions simples et père incestueux », RTD Civ. 2004, p.75. 55 GOBERT (M.), Le droit de la famille dans la jurisprudence de la Cour de cassation, Conférence, Cycle Droit et technique de cassation 2005-2006, Neuvième conférence, 11 décembre 2006, publiée sur le site de la Cour de Cassation. (Consulté le 02/05/2013). 56 MANCIAUX (M.), « Les droits de l'enfant : leur évolution au regard de la protection et de la promotion de la santé de l'enfant, de la famille et de la communauté ».In RILS, 1998, vol.49-1, p.250. ; Voir l'Observation générale n°12(2009) du Comité des droits de l'enfant, Le droit de l'enfant d'être entendu, .CRC/C/GC/12 du 20 juillet 2009. 57 Article 5 CIDE. 58 12ème considérant du préambule de la CIDE. 26 ii. L'énoncé des droits et devoirs de l'enfant Suivant l'article 29-1 de la déclaration universelle des droits de l'homme, « l'individu a des devoirs envers la communauté dans laquelle seul le libre et plein développement de sa personnalité est possible ». L'énoncé des droits de l'enfant est allé de pair, surtout dans le contexte africain, avec celui corrélatif de devoirs. Bien que ce soit « un raccourci peu facile »59, on a coutume de ramener les droits de l'enfant au triptyque suivant : protection, prestations, participation. L'enfant s'est vu reconnaitre presque toutes les catégories de droits (droits civils, droits économiques et sociaux, droits culturels), à l'exclusion peut être des droits de la troisième génération. Sans vouloir rentrer dans le détail de tous ces droits, l'on peut les regrouper, en suivant le Professeur Pascale BOUCAUD60, en cinq rubriques : le droit à la vie, le droit à l'identité et aux attributs de la personnalité, les libertés fondamentales, la protection contre toute forme de violence, le droit aux prestations économiques, sociales et culturelles : - L'enfant a droit à la vie et à la survie : Le droit à la vie ne signifie pas seulement le droit de n'être pas tué, de n'être pas de manière arbitraire privé de sa vie ; il implique aussi le droit de ne pas être placé dans les conditions d'existence telles que la mort apparaisse comme l'horizon inévitable et immédiat61. La question la plus complexe en rapport avec le droit à la vie de l'enfant est celle de savoir si la vie avant la naissance est aussi protégée par le droit international, comme l'est sans conteste la vie après la naissance. Mettant sur la sellette la question de l'avortement et la diversité des régimes juridiques de cette pratique à travers le monde, cette question n'obtient aucune réponse ferme et unanime. En fait, il règne une troublante indécision du droit international en la matière, à l'exception de la Convention américaine des droits de l'homme qui proclame que le droit à la vie « doit être protégé par la loi, et en général à partir de la conception ». On regrettera la fâcheuse expression « en général » qui affaiblit la proclamation. La Charte africaine des droits de l'homme et des peuples est muette sur la question. Peut-être, faut-il voir une expression discrète de la 59 MANCIAUX (M.) « La convention des Nations Unies sur les droits de l'enfant : que changera-t-elle ? ». in R. I..L.S., 1991, vol.42-1p.177. 60 BOUCAUD (P.) « Peut-on parler d'un noyau intangible des droits de l'enfant ? ». In. Meyer Bisch, op.cit. pp.81-96. 61 OLINGA (A.D.) «le droit à des conditions matérielles d'existence minimales en tant qu'élément de la dignité humaine ».In Marin, J.Y (Dir.).Les droits fondamentaux, Bruylant, Bruxelles, 1997, pp.91-103. 27 position africaine dans l'article 14 du Protocole de Maputo à la Charte africaine des droits de l'homme et des peuples62, relatif aux droits de la femme, lequel article prévoit que l'avortement médicalisé peut être autorisé par les Etats dans les circonstances bien précises, y compris « lorsque la grossesse met en danger (...) la vie de la mère ou du foetus ». En évoquant « la vie du foetus », le Protocole de Maputo du 11 juillet 2003 reconnait dans le foetus une vie humaine, une vie à protéger, une vie qui ne peut être interrompue que si la grossesse la met, en tout état de cause, en danger ; c'est-à-dire, semble-t-il, si cette vie naissante n'a aucune chance plausible d'être viable à la naissance. Le foetus n'aurait donc pas dans ce cadre un droit à la vie de caractère absolu. Lorsque la vie de la mère est en jeu, « l'avortement se trouve couvert par une limitation implicite du droit à la vie du foetus pour, à ce stade, protéger la vie et la santé de la femme »63. En somme, pour beaucoup d'auteurs, « le droit à la vie ne paraît intangible que pour l'enfant déjà né, à compter du jour de sa naissance, jusqu'à sa majorité »64 ; tout au plus, consent-on à admettre que « la protection juridique de l'enfant avant la naissance est une question toujours ouverte dans le droit international »65. Pourtant, une disposition pourrait, non pas résoudre les problèmes, mais fixer une ligne de conduite, le 9è paragraphe du préambule de la CIDE, reprenant en cela les termes de la Déclaration de 1959 : l'enfant a besoin d'une protection juridique appropriée « avant comme après la naissance ». Le Saint-Siège, au moment de ratifier ce texte, a fait une déclaration exprimant sa conviction que ce passage du préambule « guidera l'interprétation de l'ensemble de la convention »66. L'attitude des Etats reste contrastée. Au moment de sa ratification de la CIDE, le Royaume-Uni déclare que selon son interprétation, « la convention n'est applicable qu'en cas de naissance vivante »67 alors que pour l'Argentine, « le mot enfant doit s'entendre de tout être humain du moment de la conception jusqu'à l'âge de 18 ans »68 ; 62 http://www.achpr.org/fr/instruments/achpr/ (consulté le 22 octobre 2013). 63 Commission Européenne des droits de l'homme, Xème. Royaume-Uni, 13 Mai 1980, Décisions et Rapports n°19, p.244. 64 BOUCAUD (P.) op.cit. 65 LOKPATA (A.)op.Cit.p.76. 66 Doc.CRC/C/2/Rev.5 du 30 juillet 1996, p.32. 67 Idem, p.31. 68 Idem, p.13. 28 - S'agissant de la protection de l'identité et des attributs de la personnalité de l'enfant, il faut également évoquer un ensemble de droits : le droit d'être enregistré aussitôt après la naissance, de recevoir un nom, d'acquérir une nationalité, de connaître une vie familiale normale, c'est-à-dire connaître autant qu'il est possible ses deux parents, lesquels ont une responsabilité commune pour l'élever, ne pas être séparé d'eux autant que se faire se peut, sauf pour l'Etat à suppléer l'absence de famille. L'adoption de l'enfant est réglementée, encore qu'elle soit très souvent proscrite par certaines cultures, notamment islamiques. L'enfant a droit au respect de sa vie privée, de son domicile et de sa correspondance. Le Mali a clairement fait savoir qu'une telle disposition était inapplicable, compte tenu du code de la famille de ce pays69 ; - S'agissant des libertés fondamentales, l'enfant
jouit de la liberté d'expression ; - L'enfant est protégé contre toute forme de
violence, de mauvais traitements 69 Doc.CRC/C/2/Rev.5 du 30.7.1996, p.25. 29 pudique, cette expression indique incontestablement les pratiques telles que l'excision et l'infibulation, pratiques pouvant être rangées parmi les tortures psychologiques ; - S'agissant des droits économiques, sociaux et culturels, l'enfant a droit à la santé, à la sécurité sociale, à un niveau de vie suffisant, aux loisirs et la vie culturelle ; les enfants en situation de handicap ont droit à une protection spéciale, de même que les enfants réfugiés ou des enfants appartenant à des minorités ou des populations autochtones. Il convient d'insister sur le droit à l'éducation. L'Etat doit offrir l'infrastructure de base pour l'éducation des enfants, l'enseignement primaire étant obligatoire et, progressivement, gratuit70. Tout en reconnaissant et préservant le droit des parents de choisir le type d'éducation à dispenser à leurs enfants, le droit international précise le but visé par l'éducation donnée aux enfants. Quel que soit le type d'éducation choisi, il doit tendre à l'épanouissement de la personnalité de l'enfant, du développement de ses capacités et potentialités, du respect des droits de l'homme et libertés, du milieu naturel, à préparer l'enfant à vivre dans une société libre, tolérante et humaine71. Toutefois, il est difficile de juger la légitimité d'un système d'éducation, dès lors que l'enfant doit aussi être instruit du respect de ses valeurs culturelles et des valeurs nationales du pays dans lequel il vit. Ces valeurs sont-elles toujours compatibles avec les droits de l'homme, et particulièrement des droits de l'enfant ? La question mérite d'être posée. Après cet exposé des droits, il convient de préciser que leur universalité est très loin d'être acquise. Bien que la CIDE soit aujourd'hui ratifiée par plus de 190 sujets de droit international susceptibles de rentrer dans un lien conventionnel72, les ratifications sont grevées de très nombreuses et non moins dangereuses réserves qui fragilisent en fin de compte le consensus dont la convention se veut le reflet. Par exemple, la quasi-totalité des Etats ayant l'islam pour religion ont déclaré que les dispositions de la convention incompatibles avec l'islam et la charia sont inapplicables. En fait, ces Etats ne s'engagent à respecter que ce qui existe dans leur droit national respectif. 70 Il faut rappeler que l'article 26 de la Déclaration Universelle des droits de l'homme énonce que « l'éducation doit être gratuite, au moins en ce qui concerne l'enseignement élémentaire et fondamental » et que cette Déclaration est intégrée dans la Constitution ivoirienne du 1er Aout 2000. 71 Voir l'observation générale n°1 du Comité des Droits de l'enfant intitulée « Les buts de l'éducation ». Doc.CRC/GC/2001/1 du 17 avril 2001. 72 Seuls les USA, la Somalie et le Sud Soudan n'ont pas ratifié la CIDE. 30 Outre les droits reconnus à l'enfant, la problématique des devoirs de l'enfant se retrouve principalement dans le cadre africain, lequel met un point d'honneur à exhiber la consécration des devoirs comme un élément de spécificité. C'est l'article 31 de la Charte africaine sur les droits et le bien-être de l'enfant qui traite de ces devoirs. Tout enfant a des responsabilités envers sa famille, la société, l'Etat et toute autre communauté légalement reconnue ainsi qu'envers la communauté internationale. Plus précisément, l'enfant doit : - OEuvrer à la cohésion de sa famille, respecter ses supérieurs et les personnes âgées en toutes circonstances et les assister en cas de besoin ; - Servir sa communauté nationale, renforcer la solidarité de la société et de la nation ; - Préserver le bien être moral de la société ; - Contribuer à la réalisation de l'unité africaine. La remarque que l'on peut faire est celle selon laquelle, compte tenu de leurs formulations mêmes, les devoirs imposés à l'enfant ont une portée limitée et foncièrement abstraite, notamment ceux qui débordent la sphère familiale et scolaire et qui semblent concerner plus les adultes que les enfants. Certes, l'enfant doit être éduqué en ce sens que les droits ne sont pas absolus ou illimités, mais il ne faudrait pas oublier que le but du droit international des droits de l'homme est de le protéger d'abord et non de l'obliger ou de le contraindre. Aussi, ne traiterons-nous que des droits de l'enfant à l'exclusion de ces devoirs. 3. La mise en oeuvre des droits de l'enfant La mise en oeuvre des droits de l'enfant ne présente pas d'originalité particulière par rapport aux autres instruments internationaux relatifs aux droits de l'homme. L'effectivité des droits de l'enfant doit être assurée à la fois sur les plans international que national. a. La mise en oeuvre des droits de l'enfant sur le plan international Au plan international, l'effectivité des droits de l'enfant est promue tant par des mécanismes non conventionnels que par des procédures conventionnelles. Sur le plan non conventionnel, mention doit d'abord être faite de l'UNICEF, mise en place en 1946 et dont l'action en faveur de l'enfant, en dépit des difficultés inévitables, doit être saluée et encouragée. Il faut mettre également en évidence l'action d'autres institutions internationales 31 telles que l'UNESCO, l'OMS ou l'OIT dont l'action en ce qui concerne le travail des enfants est aujourd'hui considérable. Par ailleurs le Conseil des Droits de l'homme, à la suite de la Commission des Droits de l'homme des Nations Unies, peut recevoir des cas, diligenter des enquêtes en rapport avec les droits de l'enfant, initier des études, examiner la situation des enfants dans tel ou tel pays. Une attention particulière doit être portée sur les mécanismes de suivi de la Déclaration mondiale en faveur de la survie, de la protection et du développement des enfants, de même que le plan d'actions qui lui est annexé, lequel était valable jusqu'à l'an 2000 et comprenait un certain nombre d'objectifs à atteindre en termes de taux de mortalité, de taux de malnutrition, d'accès à l'eau potable, à l'éducation de base, de protection de l'enfant en situation de conflit armé. La conférence de 1990 a élaboré une stratégie de financement qui vise à assurer la disponibilité des ressources nécessaires pour subvenir aux besoins essentiels et combattre les pires aspects de la pauvreté : c'est la fameuse initiative 20/20. L'idée est que les pays en développement consacrent au moins 20% de leurs budgets nationaux aux services sociaux de base et que les pays industrialisés affectent 20% de leur aide au développement au même but. L'initiative a été examinée en 1996 et réexaminée depuis lors. Sur le plan conventionnel, il faut dire que les conventions générales comportant des dispositions relatives aux enfants possèdent des mécanismes de contrôle qui peuvent être utilement actionnés au profit des enfants : d'abord la procédure d'examen des rapports périodiques, puis celles des communications, devant le comité des Droits de l'homme ou la commission africaine de Banjul. Plus spécifiquement, la CIDE est suivie dans son application par un comité des droits de l'enfant qui compte 10 membres élus pour 4 ans et siège à New York. Son rôle se limite à examiner les rapports que les Etats parties à la convention doivent lui faire parvenir, d'abord deux ans après sa ratification, puis tous les cinq ans. L'action de cet organe est aujourd'hui particulièrement consistante et constitue une mine d'informations sur les politiques nationales en faveur des enfants. En Afrique, la Charte relative au droit et au bien-être de l'enfant a mis sur pied, un comité d'experts fonctionnels depuis que la Charte est entrée en vigueur. Le comité d'experts africains non seulement reçoit des rapports périodiques des Etats, mais aussi, reçoit et examine des plaintes individuelles, procédant de la mauvaise ou de la non-application des textes sur le plan national. 32 b. La mise en oeuvre des droits de l'enfant sur le plan national Par leur proximité, leur connaissance du milieu, les instances nationales sont en première ligne pour la protection des droits de l'enfant. Le niveau international pour les rouages conventionnels, est toujours subsidiaire. L'essentiel des dispositions des instruments internationaux placent l'Etat au coeur du système international de protection des droits de l'enfant. Pèsent sur lui, à la fois des obligations négatives mais surtout des obligations positives. Le fait que l'Etat soit partout dans la convention des Nations Unies a abouti à d'inextricables problèmes juridiques, notamment sur le terrain de l'applicabilité directe de l'instrument. En France, la Cour de cassation a estimé qu'il résulte du texte même de la convention du 26 janvier 1990 que, conformément à l'article 4 de celle-ci, ces dispositions ne créent d'obligations qu'à la charge des Etats parties, de sortes qu'elles ne peuvent être directement invoquées devant les juridictions73. Le Canada, pays dualiste, n'admet pas l'applicabilité directe de la CIDE74. Le gouvernement allemand, lors de la ratification de la convention, a déclaré que celle-ci « ne s'applique pas directement sur le plan intérieur. Elle impose aux Etats des obligations de droit international (...) »75. C'est à dire qu'au-delà de la ratification formelle, le destin de la règle internationale relative au droit de l'enfant connaît des (in) fortunes diverses d'un Etat à un autre. S'agissant de la Côte d'Ivoire, il faut dire que ce pays a ratifié les principaux instruments internationaux relatifs aux droits de l'enfant. En particulier, elle a ratifié la Convention relative aux droits de l'enfant (CIDE) le 04 Février 1991. De même, la Côte d'Ivoire a ratifié, 73 Cass.Fr.1ere Civ., 15 juillet 1993 XC. A.S.E du val de Marne. Voir sur cette jurisprudence OLINGA (AD), « L'applicabilité directe de la convention internationale sur les droits de l'enfant devant le juge français », R.T.D.H., 1995, N°24, pp.678-714. 74 Voir LA VALLEE (C.) « La convention internationale relative aux droits de l'enfant et son application au Canada » in RIDC, 3-1996, pp.65-630. ; De la même auteure, voir « L'actualisation des droits de l'enfant dans une perspective globale. Entre l'universalité de la convention relative aux droits de l'enfant et les particularismes de la charte africaine sur les droits et le bien-être de l'enfant ». In Otis G. (Dir.).Démocratie, droits fondamentaux et vulnérabilité. Actes de troisièmes journées scientifiques du réseau « droits fondamentaux » tenues au Caire du 12 au 14 novembre 2005. Presa Universitara Clujeana, Cluj Napoca, 2006, pp. 267-290. ; dans le même ouvrage, voir l'article de MARTIN-CHENUT (K.) « le modèle d'intervention à l'égard de l'enfance délinquante prôné par le droit international des droits de l'homme comme hybridation des modèles existants en droit comparé », pp.291-307. ; Voir aussi Nations Unies, Doc.HRI/Core/1/Add.91 du 12 janvier 1998, p.31. 75 Doc.CRC/C/2 REV.5 du 30.7.1996, p.11. 33 par le biais du décret n° 2002-47, la Charte africaine sur les droits et le bien-être de l'enfant(CADBE), puis, en 2003, la Convention 182 de l'OIT sur l'âge minimum ainsi que la convention 182 de l'OIT sur les pires formes de travail des enfants. Il ne semble pas, suivant une pratique ivoirienne longtemps dénoncée, et qui, souhaitons-le, s'estompera à brève échéance, qu'il ait eu une réflexion préparatoire sérieuse avant la ratification de ces instruments, notamment quant aux conséquences normatives, institutionnelles, politiques et financières qu'ils comportent. Se pose aussi le problème de l'introduction des normes relatives aux droits de l'homme en droit interne. En principe, les traités régulièrement ratifiés sont automatiquement intégrés dans l'ordre juridique ivoirien et bénéficient d'une autorité supérieure aux lois ordinaires76 ; les normes internes qui leur sont contraires, à défaut d'être formellement annulées ou exclues de l'ordre juridique par les procédures consacrées, doivent rester inappliquées. Point n'est besoin d'une loi ou d'un texte quelconque supplémentaire pour permettre au texte ratifié de déployer ses effets, sauf si ses dispositions exigent absolument des mesures juridiques complémentaires. Toutes les dispositions autosuffisantes sont directement invocables devant les tribunaux. La Côte d'Ivoire est un pays dont l'ordre juridique interne est de tendance moniste vis-à-vis de l'ordre juridique international. Exiger qu'une loi soit adoptée avant que les dispositions d'un traité soient invocables serait créer une procédure de « réception » des traités que la Constitution de ce pays ne connaît pas, exception faite des traités de paix, des traités relatifs à l'organisation internationale ou des traités modifiant les lois internes de l'Etat ivoirien77. Reste un problème de conciliation d'instruments internationaux portant sur le même objet, dans le même ordre juridique. Prenons l'exemple de la notion même d'enfant, selon la législation interne qui lui est applicable. La Charte africaine est plus stricte : l'enfant désigne ici « tout être humain âgé de moins de 18 ans » (art. 2). Si l'on s'en tient à la situation actuelle du droit positif ivoirien, elle assimile l'enfant au mineur ; elle semble aussi s'aligner sur la flexibilité de la CIDE. Pourtant, on peut penser qu'en cas de contradiction entre les 76 Article 87 de la Loi N°2000-513 du 01er Aout 2000 portant Constitution de la République de Côte d'Ivoire, reprise à l'article123 de la Constitution du 08 novembre 2016 : « Les traités ou accords régulièrement ratifiés ont, dès leur publication, une autorité supérieure à celle des lois, sous réserve, pour chaque traité ou Accord, de son application par l'autre partie. ». 77 Article 85 de la Loi N°2000-513 du 01er Aout 2000 portant constitution de la Côte d'Ivoire, reprise à l'article 120 de la loi n° 2016-886 du 8 novembre 2016 portant Constitution de la République de Côte d'Ivoire : « Les traités de paix, les traités ou accords relatifs à l'organisation internationale, ceux qui modifient les lois internes de l'Etat ne peuvent être ratifiés qu'à la suite d'une loi. ». 34 dispositions de la CIDE et celles de la Charte africaine, ces dernières doivent l'emporter, non seulement du fait de leur postériorité aux dispositions onusiennes, mais aussi du fait de leur spécialité régionale, les signataires de la Charte africaine étant aussi signataires de la CIDE, dont ils connaissaient les prescriptions au moment de leurs discussions. Les dispositions plus contraignantes de la Charte africaine l'emportent sur celles plus souples de la CIDE. C'est la règle en matière d'interprétation de traités successifs78. Outre la notion de « droits de l'enfant », notre opération définitoire s'attachera à présent à analyser celle relative à notion de « norme ». B. NORME Du latin norma, qui exprime l'idée de « règle », le terme « norme »79 peut être rapproché d'un ordre, d'une prescription. Dans le cadre de cette étude, on considérera tout d'abord à la suite de Hans Kelsen qu'une norme est la « signification d'un acte de volonté »80. Cet acte est celui « par lequel une conduite est ou prescrite, ou permise et en particulier habilitée »81. Cette définition de la norme en tant que signification d'un acte de volonté semble pouvoir recueillir l'accord des deux principaux courants du positivisme juridique, le courant normativiste comme le courant réaliste82, même si ses implications théoriques varient selon le point de vue à partir duquel on se place. A ce stade de l'analyse, on peut se limiter à retenir que le point de divergence entre ces deux courants porte sur le véritable titulaire du pouvoir normatif83. Dans une optique normativiste, l'acte de volonté est en principe accompli par le législateur et le rôle des juges se limite à appliquer la norme qui résulte de cet acte. Au 78 Article 30 convention de Viennes sur le droit des traités. 79 BETAILLE (J.), Les conditions juridiques de l'effectivité de la norme en droit public interne, Thèse de doctorat, Université de Limoges, 2012, pp.12-13. 80 KELSEN (H.), Théorie générale des normes, (1979), Léviathan, PUF, 1996, p.2. ; BETAILLE (J.), Les conditions juridiques de l'effectivité de la norme en droit public interne, Thèse de doctorat, Université de Limoges, 2012, pp.12. 81 KELSEN (H.) Théorie pure du droit, 2ème ed., (1960),trad.Ch. Eisenmann, LGDJ Bruylant, 1999, p.13. ; BETAILLE (J.), Les conditions juridiques de l'effectivité de la norme en droit public interne, Thèse de doctorat, Université de Limoges, 2012, pp.12. 82 MILLARD (E.), « Qu'est-ce qu'une norme juridique ? », CCC, n°21, 2006, p.59. 83 Plus largement, v. PFERSMANN (O.), Entrée « norme », in Denis ALLAND et Stéphane RIALLS (dir.), Dictionnaire de la culture juridique, PUF, 2003, p.1079. et s. ; MILLARD (E.) « Qu'est -ce qu'une norme juridique ? », CCC, n°21, 2006, p.59 et s. 35 contraire, pour les réalistes, c'est l'interprète, et à titre principal le juge, qui accomplit l'acte de volonté exprimant la signification du simple énoncé produit par le législateur. Il en résulte dans cette optique que le pouvoir normatif se situe bien davantage du côté des juges que du côté du législateur84. Ensuite, la norme est envisagée dans le cadre de cette étude comme l'expression d'un « devoir être »85. Pour Hans Kelsen, la norme signifie « que quelque chose doit être ou avoir lieu », il s'agit d'un acte « dirigé vers le comportement d'autrui »86. La signification de cet acte « est qu'une personne (ou d'autres personnes) doit se comporter d'une manière déterminée »87. Ainsi, dans une optique normativiste, « une norme consiste à modéliser des actions par l'obligation, la permission ou l'interdiction. Elle décrit un monde idéal, non le monde réel »88. Cela a deux implications importantes pour l'étude de l'effectivité. D'une part, la distinction entre le « devoir être » et « l'être » implique nécessairement qu'un écart est possible entre le pôle normatif et le pôle factuel. C'est dans cet interstice que se situe l'étude de l'effectivité des droits de l'enfant en Côte d'Ivoire. D'autre part, l'objet du « devoir être » constitué par la norme est d'influencer l' « être », c'est-à-dire le fait. Le devoir être « entend donc gouverner les faits »89. C'est la fonction de direction des conduites humaines exercée par les normes juridiques. Enfin, le terme de « norme » est privilégié en ce qu'il couvre un champ étendu. Il désigne en effet « un concept plus général que celui de « règle » ou de « loi », couvrant toutes les variétés d'obligations, de permissions, ou d'interdictions, quel que soit le domaine (droit, 84 Les définitions de la norme données par le dictionnaire de théorie et de sociologie du droit reflètent la divergence entre ces deux courants (M.T et D.L., in André-Jean ARNAUD (dir.), Dictionnaire encyclopédique de théorie et de sociologie du droit, 1ère éd., LGDJ, 1988, p.267). Ainsi, dans une optique normativiste, la norme est un « énoncé impératif ou prescriptif appartenant à un ordre ou système normatif, et obligatoire dans ce système ». La validité de la norme implique ici nécessairement son caractère obligatoire, ce qui n'est pas le cas pour les réalistes. De plus, norme et énoncé sont confondus. Dans une optique réaliste, elle est la « signification prescriptive d'un énoncé, quelle que soit sa forme, et en général de tout acte humain, au regard d'un certain ordre ou système normatif ». La norme est ici distinguée de l'énoncé qui n'en est que le support. Seule constitue une norme la signification de cet énoncé, laquelle résulte de la volonté de l'interprète. 85 BETAILLE (J.), Les conditions juridiques de l'effectivité de la norme en droit public interne, Thèse de doctorat, Université de Limoges, 2012, pp.13. 86 KELSEN (H.), Théorie générale des normes, (1979), Léviathan, PUF, 1996, p.2. ; BETAILLE (J.), Op.cit, p.13. 87 KELSEN, (H.), op.cit. p.2. 88 PFERSMANN (O.), Entrée « norme », op. cit., p.1080. 89 PICARD (E.), L'impuissance publique en droit », AJDA, 1999, n° spécial, p.11. 36 morale, etc.) et quel que soit le degré de généralité ou de particularité, d'abstraction ou de concrétisation »90. Il permet aussi d'inclure les « principes91 ». Cependant, seules les normes « juridiques » seront envisagées dans le cadre de cette étude. On entend par là, exclure les normes morales92 et se limiter aux normes juridiques considérées comme valides au sein d'un ordre juridique donné. En un mot, par norme du droit international, on entend une règle ou principe de droit international public. Par exemple, le principe du respect des traités ( pacta sunt servanda) est une norme de droit international. Cette norme est considérée comme une norme de droit international public, parce qu'elle est issue d'une source du droit international public et de la procédure qui la caractérise. Pour un exemple, le principe du respect des traités est une norme de droit international public parce qu'il est issu du droit coutumier et reconnu à l'art. 26 de la Convention de Vienne sur le droit des traités du 23 mai 1969 (CV1 ; RS 0.111)93. Cette distinction est importante, car une même norme de droit international public peut être issue de plusieurs sources différentes. C'est ainsi qu'il est possible de fonder le principe du respect des traités sur la règle coutumière pacta sunt servanda ou sur l'article 26 de la CV1. Par normes internationales , nous visons ainsi principalement, les normes contenues dans la Convention Internationale des droits de l'enfant, la Charte africaine des droits et du bien-être de l'enfant, mais aussi celles issues des autres instruments internationaux contraignants ou non contraignants relatifs aux droits de l'enfant, voire, des droits de l'homme et qui contribuent à un mieux-être des droits de l'enfant en Côte d'Ivoire. 90 PFERSMANN (O.), Entrée « norme », op. cit., p.1079. ; BETAILLE (J.), Les conditions juridiques de l'effectivité de la norme en droit public interne, Thèse de doctorat, Université de Limoges, 2012, p.13. 91 Dans le cadre d'une critique de la distinction établie par Ronald Dworkin entre les normes et principes DWORKIN (R.), Prendre les droits au sérieux, PUF, Paris, 1996, p.80), Michel Troper objecte à juste titre que « le fait que les principes n'imposent pas une conduite précise ne signifie pas qu'ils ne sont pas des normes » (Michel TROPER, Philosophie du droit, 3ème éd., Que sais-je ?, PUF, 2011, p.75). Les principes « ne se distinguent des autres normes que par leur degré élevé de généralité ou leur caractère vague ou programmatique » (Ibid., p.76). ; .) ; BETAILLE (J.), Les conditions juridiques de l'effectivité de la norme en droit public interne, Thèse de doctorat, Université de Limoges, 2012, pp.12. 92 Une norme morale, comme toute autre norme, peut aussi être effective. Lorsqu'une norme morale correspond au contenu d'une norme juridique, son effectivité peut même venir appuyer celle de la norme juridique. 93 BESSON (S.), Droit international public. Abrégé de cours et résumés de jurisprudence, Stampfli Editions SA, Berne, 2011, p.178. 37 D. REALITES LOCALES Le terme réalité dérive de l'expression latine scolast realitas qui signifie « caractère de ce qui est réel »94. Quant à l'adjectif local, il dérive aussi du mot latin localis et signifie « qui a rapport à un lieu ». Le lieu ici visé est la Côte d'Ivoire. Par réalités locales, nous visons non seulement les pratiques traditionnelles, mais aussi et surtout l'ensemble des mesures juridiques, institutionnelles, politiques et sociales ayant cours en Côte d'Ivoire et qui ont un impact quelconque sur le vécu quotidien des enfants ainsi que de leurs droits. La définition des termes essentiels, opérée, on peut s'autoriser à défricher le champ d'intérêt du sujet. § 2. INTERET DU SUJET Au-delà du caractère filial de notre attachement à la Côte d'Ivoire et de notre militantisme95 pour la cause des droits de l'enfant, ce thème de recherches présente un double intérêt indiscutable : d'une part, un intérêt socio-politique, et, d'autre part, un intérêt scientifique qu'il convient d'exposer. |
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