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L'effectivité des droits de l'enfant en Cote d'Ivoire


par Arsène NENI BI
Université Jean Moulin Lyon 3 - Doctorat en droit public 2018
  

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Chapitre II :

DES ATTEINTES D'UNE GRAVITE PARTICULIERE EN SITUATION DE
GUERRE OU D'URGENCE

Déjà difficiles à réaliser en temps normal, l'état des droits de l'enfant s'aggrave non seulement pour les enfants en conflit avec la loi mais aussi ces droits ont vécu un véritable enfer durant le conflit armé ivoirien.

A l'origine, les prisons n'étaient conçues que pour y enfermer des individus dans l'attente de châtiments aussi divers et effrayants que l'écartement, la potence, la décapitation, les galères ou le bannissement, le poing ou la langue coupée, la marque au fer rouge, l'aveu public du crime, le pilori ou le carcan1136.Aujourd'hui, même si la prison reste le lieu où la société enferme les individus qu'elle considère comme dangereux, il reste que la conception de la détention a évolué1137. Dans l'esprit des législations pénales modernes, elle n'est plus conçue comme la maison des supplices effroyables tels qu'ils sont décrits de façon poignante dans le célèbre ouvrage « Surveiller et punir » de Michel FOUCAULT1138. Sous l'influence de l'idée fondamentale de respect des droits de l'homme, la prison essaie de s'humaniser1139. On retrouve dans les instruments relatifs aux droits de l'homme, les fondements essentiels de l'humanisation de la privation des libertés connue sous le nom « d'emprisonnement ».

1136 FAVARD (J.), Les prisons, Dominos/Flammarion, 1994, p.10.

1137 FAUGERON (C.), « Réformer la prison », In. Les cahiers de la sécurité intérieure, n°3, Paris, 1998, p.5 et s. FAVARD (J.), Les prisons, op. cit., p.64 et s.

1138 FOUCAULT (M.), Surveiller et punir, Ed. Gallimard, 1975, p.41 et s.

1139 Concernant l'humanisation de la privatisation de liberté, voir Bernard BOULOC « Pénologie. Exécution des sanctions adultes et mineurs », op.cit.., n°217.

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Comment ne pas admettre que les rédacteurs des deux déclarations sur les droits de l'homme (1789 et 1948) ont été inspirés par la philosophie humaniste de la répression pénale dont les bases ont été jetées par le fameux Traité des délits et des peines (1764) de C. BECCARIA, lorsqu'elles affirment que « nul ne doit être soumis à la torture, ni à des peines ou traitements cruels ou dégradants »1140, ou encore « la loi ne doit établir que des peines strictement et évidemment nécessaires (...) »1141 ? Quoi qu'il en soit, il est une vérité irréfutable : les droits de l'homme ont fait une remarquable incursion dans le champ pénal au point qu'ils influencent l'exécution des sentences et le fonctionnement des prisons. Conscient du fait que la privation de liberté peut concerner aussi bien les personnes adultes (hommes et femmes) que les enfants (mineurs), le Pacte s'est également intéressé au traitement pénitentiaire des mineurs. Aussi, pour éviter tout processus de contamination, il est indiqué que le régime pénitentiaire auquel sont soumis les condamnés à l'emprisonnement doit tenir compte de la nécessité de séparer les adultes des mineurs1142, de prévoir un régime particulièrement adapté aux jeunes délinquants à leur âge et à leur statut légal1143, et dont le but est de favoriser leur amendement et leur reclassement social1144. Les instruments internationaux relatifs à l'enfant contiennent également quantité de dispositions se rapportant aux modalités de détention des mineurs dans les législations qui connaissent la privation de liberté en matière de minorité. Plus proche du droit des mineurs, la Convention internationale des droits de l'enfant énonce que : « Les Etats s'engagent à ce que tout enfant privé de liberté soit traité avec humanité et avec le respect dû à la dignité de la personne humaine, et d'une manière tenant compte des besoins des personnes de son âge. (...) »1145. Qu'en est-il au plan national ivoirien ? Ces principes coïncident-ils avec la situation des mineurs incarcérés en Côte d'Ivoire ? Pour y répondre, on examinera la violation des droits du mineur en conflit avec la loi (Section 1).

Aux termes de l'article 38 de la Convention relative aux droits de l'enfant, « les Etats parties s'engagent à respecter et à faire respecter les règles du droit humanitaire international qui leur sont applicables en cas de conflit armé et dont la protection s'étend

1140 Art.5, Déclaration universelle des droits de l'Homme adoptée le 10 décembre 1948.

1141 Art.7, Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789.

1142 Art.10-3, Pacte international relatif aux droits civils et politiques adopté le 16 décembre 1966.

1143 Ibid.

1144 Ibid.

1145 Art.37, Convention internationale relative aux droits de l'enfant du 20 novembre 1989.

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aux enfants (...) »1146 . Cet article renvoie aux règles du droit international humanitaire protégeant les enfants dans les conflits armés1147. Il y a malheureusement peu de pays où beaucoup d'enfants peuvent s'épanouir dans un climat de paix : nombreux sont les enfants conditionnés par une culture de guerre1148. Cette militarisation des enfants, qui envahit de plus en plus nos sociétés, préoccupe de plus en plus les Etats et les OI car malgré les dispositions du droit international humanitaire, qui accorde une protection particulière aux enfants, ces derniers sont les victimes directes ou indirectes des conflits armés. Durant la crise ivoirienne, les droits de l'enfant ont fait l'objet de diverses atteintes par les différents belligérants. Cela a été confirmé par le Secrétaire Général de l'Onu en ces termes : « En Côte d'Ivoire, les enfants sont exposés à un certain nombre de violations graves, notamment meurtres ou mutilations, recrutement et utilisation d'enfants soldats, viols et autres sévices sexuels (en particulier s'agissant des filles), enlèvements et attaques dirigées contre des écoles et des hôpitaux»1149. Pour être pluriformes suivant les régions où elles ont été perpétrées, ces violations se sont traduites par des atteintes graves aux droits de l'enfant pendant le conflit armé ivoirien (Section 2).

1146 Art. 38 § 1 de la Convention relative aux droits de l'enfant, 1989.

1147 Voir KRILL (F.), « Convention des nations unies relative aux droits de l'enfant. Article 38 sur les enfants

dans le conflits armés contesté », Diffusion, n° 12, août 1989, pp. 11-12.

1148 DAVID (E.), Principes de droit des conflits armés, 3e éd., Bruylant, 2002, 994 p.

1149Rapport du Secrétaire général de l'ONU sur "Les enfants et le conflit armé en Côte d'Ivoire", Doc.

ONUS/2006/835, p.4

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SECTION I. LA VIOLATION DES DROITS DU MINEUR EN CONFLIT AVEC LA LOI

Durant l'exercice des missions de police nationale de l'Etat, les enfants en conflit avec la loi bénéficient d'une protection insuffisante (Paragraphe 1) ; cette situation de déni des droits devient alarmante pour les enfants détenus ou incarcérés (Paragraphe 2).

§ 1. UNE PROTECTION INSUFFISANTE DU MINEUR LORS DE L'EXERCICE DES MISSIONS DE POLICE NATIONALE DE L'ETAT

La Côte d'Ivoire comme tous les Etats modernes reconnait deux types de missions dans l'activité administrative de l'Etat : une mission de police administrative, essentiellement préventive, et d'autre part, une mission de service public à caractère industriel et commercial. C'est dans l'exercice de ses missions de service administrative que la police dans les différents contrôles qu'elle opère dans la rue en vue d'assurer le maintien de l'ordre public est amené à opérer des contrôles d'identité. Ce contrôle reste problématique pour la garantie de la liberté d'aller et venir des citoyens du fait d'un exercice parfois arbitraire de ses pouvoirs, notamment par un contrôle au faciès. En France comme ailleurs, mais plus particulièrement en Côte d'Ivoire, objet de l'étude, les personnes errantes, comme les enfants de la rue sont particulièrement menacés. Les contrôles dont ils font l'objet en dehors des situations de risque, entrainent souvent des retentions administratives (A) ou rétentions judiciaires (B) illégales.

A. DANS LE CADRE DES RETENTIONS ADMINISTRATIVES

L'opération de contrôle et vérification d'identité peut être définie comme l'acte d'un agent de l'autorité publique consistant à demander à un particulier, sous les conditions posées par la loi, de justifier son identité aux fins de l'examen du justificatif fourni, en tout lieu où cet agent se trouve légalement1150. En l'état actuel du droit français, les agents de l'autorité, qu'ils agissent dans le cadre de leurs activités de police administrative1151 ou

1150 BUISSON (J.), « Contrôles et vérifications d'identité », In. J-CI, proc. Pén. ;, 1998, Fasc. 10, art. 78-1 à 78-5.

1151 PICARD (E.), La notion de police administrative, LGDJ, 1984, 445p.

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judiciaire1152, disposent de pouvoirs contraignants que l'on peut résumer sous deux aspects. Tout d'abord, ils ont la possibilité, lorsque certaines conditions sont réunies, d'inviter une personne déterminée à justifier, par tout moyen, de son identité. Ensuite, à défaut de justification, ils ont la faculté de la retenir sur place ou dans les locaux de la police pour un maximum de quatre heures1153. Ces deux opérations qui se déroulent dans l'ordre chronologique, sont pour la première le contrôle d'identité et pour la seconde, la vérification d'identité1154.

Il existe également en droit ivoirien deux types de contrôles d'identité de nature judicaire et administrative. Et, la question de la distinction entre police judicaire et police administrative sur laquelle la jurisprudence française s'est souvent prononcée, se pose également en droit ivoirien. Nous n'entrerons pas dans le détail des observations faites sur les critères de distinction entre les deux types de police1155. Toutefois, contrairement au droit français, le législateur ivoirien n'attribue pas de compétences de police administrative aux officiers de police judicaire bien que parfois, « la complexité des opérations de police et le dédoublement fonctionnel de certaines autorités 1156» rendent difficile la distinction entre les

1152 Il y a police judiciaire si les actes ou les faits juridiques à qualifier sont en relation avec une infraction pénale déterminée (CE Sect., 11 mai 1951, Consorts Baud, Rec.265, S 1952.3.13, concl. J. Devolvé, note Drago, mort d'un tiers dans la recherche de personnes ayant commis des infractions) ; A l'inverse, en l'absence de relation avec une telle infraction, les mesures appartiennent à la police administrative (TC, 7 juin 1951, Dame Noualek, Rec.636, concl. J. Devolvé, S 1952.3.13., note Drago, blessures occasionnées par une arme à feu à un tiers lors d'une opération de maintien de l'ordre ; TC, 26 mars 1990, Devossel, Dr. adm. 1990.331). 1153 LASSALLE (J-Y), « Enquête préliminaire », In. J-CI, proc. Pén. 1990, art.75 à 78.

1154 Ibid.

1155 Cependant, il n'est pas impossible que les mesures et les opérations de police changent de nature et donc de qualification en raison de l'évolution de la situation. Une opération de police administrative peut ainsi devenir une opération de police judiciaire : Voir en ce sens Affaire Demoiselle Motsch (TC, 5 décembre 1977, Demoiselle Motsch, Rec.671, AJDA 1978.444, chr.) ; Dans des cas plus complexes à régler comme l'affaire Le Profil (TC, 12 juin 1978, Soc. Le Profil, Rec.648, concl. Morisot, AJDA 1978.444, chr., D 1979. IR.50, obs. Moderne) , le Tribunal des conflits adopte un principe unificateur destiné à simplifier la matière ; ainsi dans une espèce où le Tribunal des conflits reconnait la compétence de la juridiction administrative au motif que le préjudice, intervenu au cours d'une opération, qui, de police administrative ( protection des personnes et des biens), est devenue une opération de police judiciaire (infraction constituée, inaction des policiers dans la poursuite), résulte essentiellement des conditions d'organisation de la police administrative. Il est donc inutile d'exercer deux actions en réparation en séparant ce qui relèverait de la police administrative et de la police judiciaire. La nature de l'opération a changé mais on n'en tient pas compte : la réparation relève pour l'ensemble de la juridiction administrative. La solution ainsi adoptée se résume au principe que la compétence est établie en considération de la nature de l'opération de police dans laquelle le dommage trouve sa cause. 1156 En ce sens, V. l'ouvrage du Professeur DEGNY SEGUY (R.), L'administration et le droit administratif, Ed.N.E.A., Abidjan, 1996, p.198 et s.

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deux types de police. Pour le professeur René DEGNI SEGUI1157, la police administrative relève de la compétence de l'administration qui s'assigne deux grandes missions : la mission de prestation qui s'incarne dans le service public et la mission de prescription. Selon lui, « la mission de prescription se réalise dans la police administrative qui consiste pour l'administration à maintenir l'ordre public1158 ». Aussi, il définit la police administrative comme « une activité destinée à prévenir un trouble à l'ordre public exercée exclusivement par l'administration1159». En droit ivoirien, l'administration détient donc l'exclusivité des compétences en matière de police administrative « destinée à prévenir le désordre, à empêcher que l'ordre public a été déjà troublé et si celui-ci est troublé, à le rétablir 1160». Il s'ensuit que l'officier de police judicaire ne peut effectuer des opérations que dans le strict cadre de la police judiciaire. Il n'intervient que lorsque l'ordre public a été déjà troublé pour en réprimer les auteurs. Il n'est autorisé à intervenir que « lorsqu'une infraction à la loi pénale a été commise, pour la constater, rassembler les preuves, appréhender les auteurs et les livrer aux autorités judiciaires 1161». La police judiciaire a pour objet « la recherche d'une infraction précise », non « la surveillance générale1162 ». Pour éviter toute confusion entre les compétences de police administrative et celles de police judicaire, le législateur ivoirien, par la loi n°63-2 du 11 janvier 19631163, a supprimé les pouvoirs de police judiciaire auparavant reconnus aux préfets et aux sous-préfets. Ces derniers étant des autorités administratives, ils ne peuvent exercer de compétences en matière pénale.

Du point de vue du maintien de l'ordre public, ces contrôles ont pour but premier, non la recherche de l'auteur d'une infraction déjà commise, mais la prévention de l'infraction. Cependant, ils posent quelques problèmes liés à l'exercice des libertés individuelles. Raison pour laquelle, en raison du caractère contraignant des pouvoirs de police, il est utile que le législateur impose des limites qui tiennent compte à la fois du respect de la légalité, des

1157 Ibid.

1158 Ibid. p.197. 1159 Ibid. p.198. 1160 Ibid. p.198.

1161 Ibid., p.199.

1162 C.E., 11 mai 1951, Consort Baud S.1952.313. 1163 Art. 30. C.P.P. iv.

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libertés publiques et du contrôle juridictionnel 1164: « il s'agit de concilier la nécessité de maintenir l'ordre public avec le respect des libertés de citoyens »1165.

Qu'il s'agisse de contrôles d'identité à caractère judiciaire ou de contrôles d'identité préventifs, ces différentes opérations s'appliquent aussi bien aux majeurs qu'aux mineurs. Le droit ivoirien ne fait pas de distinction entre mineurs et majeurs en matière de contrôle d'identité. Ce qui rend la question de la protection du mineur délicate au regard des principes directeurs de la justice des mineurs et au regard des instruments protecteurs des droits de l'enfant. En effet, il est paradoxal que l'on veuille protéger le mineur contre la rigueur du système pénal tout en admettant la possibilité de le soumettre à des mesures de police en dépit du caractère contraignant de celles-ci. L'article 61 du code de procédure pénale ivoirien relatif aux contrôles d'identité ne fait état d'aucune garantie majeure quant au respect des droits et libertés reconnus aux mineurs, même lorsque ces opérations se déroulent dans le cadre d'une enquête judiciaire. Le mineur est traité dans les mêmes conditions de rigueur que l'adulte.

Pourtant, la Charte africaine des droits et du bien-être de l'enfant énonce très clairement que « Dans toute action concernant un enfant entreprise par une quelconque autorité, l'intérêt de l'enfant sera la considération primordiale1166 », avant d'ajouter que « Tout enfant accusé ou déclaré coupable d'avoir enfreint la loi pénale a droit à un traitement spécial compatible avec le sens qu'à l'enfant de sa dignité et de sa valeur (...) »1167. Le régime général des contrôles d'identités institué par l'article 61 alinéa 2 du code de procédure pénale ivoirien est peu conciliable avec l'intérêt de l'enfant qui, pour être efficacement défendu, nécessite que le mineur soit soumis dans toute procédure à un traitement particulier ou spécifique1168 comme le recommande la Charte africaine des droits et du bien-être de l'enfant. A vrai dire, l'article 61 du code de procédure pénale ivoirien multiplie les occasions d'atteinte à la liberté d'aller et venir dans la mesure où les contrôles et vérifications d'identité sont parfois suivis d'une rétention des individus contrôlés. Certes, le texte n'évoque pas

1164 Ibid., p.218.

1165 Ibid.

1166 Art.4 §1 de la Charte africaine des droits et du bien-être de l'enfant.

1167 Art.17§1 de la Charte africaine des droits et du bien-être de l'enfant.

1168 DUPONT-BOUCHAT (M.-S.), PIERRE Eric (Dir.), Enfance et justice au XIX siècle , Coll. Droit et

Justice, Ed. P.U.F., Paris, 2001, p.12 et s.

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l'éventualité d'une rétention dans l'hypothèse d'un contrôle d'identité. Mais, en pratique les vérifications auxquelles se livre la police ne peuvent avoir lieu sans recourir à cette mesure. L'élaboration d'un cadre juridique permettant aux policiers de mener leurs opérations dans la légalité s'avère donc utile.

Aussi, en raison du manque de moyens et d'un effectif suffisant pour la mise en oeuvre d'une politique de prévention et d'assistance, la brigade des mineurs se contente de sa mission répressive : effectuer des rafles dans certains quartiers réputés dangereux, déférer les mineurs auteurs d'infractions dont elle se saisit par le biais des commissariats de police, l'administration ou par des particuliers. Si l'intervention des services de police dans le cadre d'une enquête judicaire n'a rien d'illégale au regard des dispositions du code de procédure pénale, en revanche les missions de prévention en dehors de toute infraction ne vont pas sans poser quelques problèmes.

Le concept de « police de proximité »1169 ou de « l'îlotage »1170 n'apparaît pas de façon officielle dans le discours des autorités ivoiriennes chargées de la sécurité. Cependant, la sécurité comme enjeu pour le développement n'en reste pas moins une priorité pour l'Etat ivoirien. Dans les pays africains où la rue est devenue le dernier refuge pour les adolescents en situation d'exclusion, il est évident que la présence policière dans les quartiers difficiles semble être le seul moyen pour prévenir les actes de délinquance commis sur la voie publique. A Abidjan et dans la majorité des villes ivoiriennes, il est constant de rencontrer la plupart des enfants abandonnés à la rue. Il s'agit d'adolescents issus de quartiers périphériques très pauvres. Regroupés en bandes, ils exercent toutes sortes de petits métiers : cireurs, vendeurs à la sauvette, porteurs de bagages etc. mais, sous le couvert de « petits boulots », certains s'adonnent à des activités illicites (abus et revente de stupéfiants,

1169 FRANCOPOL, Guide : La police de proximité, un concept appliqué à la francophonie, collection d'ouvrages FRANCOPOL, Montréal 2015, 74p. ; sur les principes d'une police démocratique voir : Centre pour le Contrôle Démocratique des Forces Armées, Standards internationaux relatifs aux forces de police-Guide pour une police démocratique, (DCAF)- Genève, 2008, pp.11-31. ; Par cette plus grande proximité, la police cherche à gagner le respect du public, afin d'obtenir sa coopération pour faire respecter les lois CHALOM (M.), « La police communautaire de PEEL à GOLDSTEIN, détours et détournements », ,In. Les cahiers de la sécurité intérieure, n°37, 3e trimestre 1999, p.216. ; voir aussi MAFART (J.) « La gendarmerie nationale et la proximité », in. Revue de la gendarmerie nationale, n°192 et 193, Paris : ADDIM, 1999-3-4, juillet-décembre 1999, p.37.

1170 MOUHANNA (C.), « Une police de proximité judiciarisée », In. Déviance et Société 2/2002 (Vol.26), p.163-182 disponible sur www.cairn.info/revue-deviance-et-societe-2002-2-page-163.htm. (Consulté le 15/02/2016).

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dégradations de biens publics ou privés etc.). Une étude menée par l'Institut de criminologie de l'Université d'Abidjan1171 a montré que le « travail » des enfants de la rue n'a rien de valorisant. Il ne permet pas à ces jeunes d'échapper à la précarité. Mais en réalité, il servirait plutôt de rempart à des activités délictueuses. Certes, les services de sécurité ont acquis par expérience que la montée de la délinquance dans les villes est le fait d'adolescents agissant sans la moindre crainte de l'autorité. Mais, cela suffit-il à prendre les jeunes des quartiers dits à haut risque comme la cible privilégiée des opérations de police ? Les contrôles de police constituent-ils un moyen efficace de lutte contre la délinquance des enfants ? Vraisemblablement, ils permettent de retrouver de petits délinquants recherchés. Leur caractère dissuasif est réel et leur capacité à sécuriser certaines zones n'est pas négligeable. Mais, à moins d'être permanentes, ces opérations ne produisent qu'une efficacité passagère.

La réalité est que les contrôles effectués lors des rondes policières dont on ignore, a priori, dans quel cadre elles s'inscrivent, se soldent par des rétentions de mineurs quand ceux-ci ne disposent pas de documents administratifs permettant de les identifier. Les adolescents interpellés sont retenus dans les locaux de la police, le temps selon les policiers, d'établir leur identité et de prévenir, si besoin en était, les parents. Mais, en pratique il est difficile de parvenir à cette fin, car bien souvent, il s'agit de mineurs qui n'ont plus d'attaches familiales, rejetés, orphelins ou immigrés clandestins. A l'évidence, les contrôles d'identité suivis d'une rétention non assortie de garanties, quelle que soit leur nature, sont incompatibles avec la lettre et l'esprit de la Convention internationale relative aux droits de l'enfant qui dispose : « Tout enfant suspecté, accusé ou convaincu d'avoir commis une infraction à la loi pénale a droit à une assistance juridique, à la présomption d'innocence, à une procédure spéciale, à être entendu par une autorité ou une instance judiciaire compétente »1172. La violation de cette disposition devient effective dès l'instant où la police ivoirienne décide de retenir un mineur dans ses locaux sans en référer à l'autorité judiciaire, tombant ainsi sous le coup d'une détention illégale. C'est pourquoi, la Côte d'Ivoire devrait s'inspirer du système français en la matière. En effet, compte tenu du caractère contraignant des contrôles et vérifications d'identité pour les libertés individuelles, le législateur français s'est résolu à élaborer un cadre juridique réglementant ces opérations. Le dispositif tente de concilier

1171 SISSOKO (A.), « Abidjan : une situation relativement bien maîtrisée », op. cit. p.253.

1172 Art.40 de la Convention internationale relative aux droits des enfants du 20 novembre 1989.

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l'ordre social et le respect des droits de l'homme et aux prévisions de l'article 5 de la Convention européenne des droits de l'homme1173.

En effet, par défiance vis-à-vis des rétentions policières, la législation française organise au profit de la personne retenue, une garantie par des prescriptions immédiatement protectrices des libertés individuelles. Ainsi, les mineurs tout comme les majeurs incapables de justifier de leur identité lors d'un contrôle d'identité peuvent être retenus dans les locaux de la police pour une durée qui ne peut excéder quatre heures ou huit heures à Mayotte, à compter du contrôle effectué1174. La loi du 03 septembre 19861175 prévoit que le procureur de la République doit être informé lorsque la mesure s'applique à un mineur. Par ailleurs, dans l'hypothèse où l'individu interpellé est un mineur, l'officier de police judiciaire doit informer son représentant légal afin que « sauf impossibilité », celui-ci puisse l'assister1176. Les parquets sont invités à donner « toutes instructions utiles pour que soit évité un recours systématique aux contrôles d'identité concernant les mineurs1177 ». En théorie, le système est favorable à la protection du mineur. Mais l'objectif recherché ici est peu réalisable. En effet, comment peut-on protéger efficacement un individu quand on ignore tout de sa personne ? Les garanties offertes aux mineurs ne peuvent fonctionner réellement que si les policiers parviennent sans difficulté à les identifier lors des contrôles. La situation se complique lorsque les individus contrôlés ne peuvent justifier de leur identité par la présentation d'un document officiel (carte d'identité, carte d'étudiant, passeport etc.). Dans ces conditions, il est évident que les garanties précédemment évoquées interviendront un peu plus tard, c'est-à-dire quand les policiers auront terminé leur mission de vérification : vérifier qu'il s'agit d'un mineur, relever les empreintes, effectuer des prises photographiques, prévenir le procureur de la République, prévenir les parents etc. Il s'agit d'une opération

1173 L'article 5 de la Convention européenne des droits de l'Homme reconnaît à toute personne arrêtée le droit d'être informée, dans le plus bref délai, des raisons de son arrestation et des accusations portées contre elle (§2), d'être présentée à un magistrat habilité et au besoin d'être libérée durant la procédure (§3). Le principe étant la liberté, le texte prévoit également que toute personne privée de sa liberté par une arrestation a le droit d'introduire un recours devant un tribunal afin qu'il statue à bref délai sur la légalité de sa détention et ordonne éventuellement sa libération si cette détention s'avère illégale.

1174 Art.78-3 al.3, C.P.P. franc.

1175 Art.78-3, Loi n°86-1004 du 03 septembre 1986, J.O. Rép. Franç., 4 septembre 1986, p.1074. ; modifiée par la loi n°2006-911 du 24 juillet 2006- art. 114 JORF 25 juillet 2006.

1176 Art.78-3 al.3, C.P.P. franc.

1177 Circ. Minist. just. 15 octobre 1991.

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délicate qui exige une certaine compétence et nécessairement un temps pouvant excéder le délai de quatre heures imposées par l'article 78-3 alinéa 3 du code de procédure pénale. Bien évidemment, le temps ou la durée réelle des opérations joue en faveur de la police, le tout se soldant par des rétentions prolongées assimilables à des gardes à vues déguisées.

Il est regrettable que le législateur ivoirien de son côté n'ait pas prévu des dispositions particulières pour les mineurs concernant les contrôles et vérifications d'identité. Les mineurs appréhendés au cours des contrôles de police ne bénéficient d'aucune protection juridique au mépris des recommandations de la Charte africaine des droits et du bien-être de l'enfant. Tout dépend du bon vouloir des policiers qui décident de leur sort. Ceux qui n'ont pas d'antécédents judiciaires sont généralement relâchés. Par contre, ceux bien connus des services de police comme étant de petits délinquants, seront retenus plus longtemps. Ces derniers subissent le même traitement que les jeunes délinquants interpellés à la suite d'un dépôt de plainte. Les contrôles et vérification d'identité des mineurs en Côte d'Ivoire, ne sont accompagnés d'aucune garantie particulière visant à protéger le mineur contre la rigueur et les abus attachés à ce type d'opération. Cette situation s'aggrave en matière de garde à vue qui s'assimile en pratique à une véritable privation illégale de liberté.

B. DANS LE CADRE DES RETENTIONS JUDICIAIRES

La garde à vue est une mesure restrictive de liberté, décidée par la police judiciaire ou la gendarmerie afin de maintenir à leur disposition, dans des locaux prévus à cet effet, et pour une certaine durée, une personne dont la rétention est nécessaire au bon déroulement d'une enquête judiciaire1178. A l'instar des contrôles et vérifications d'identité, la garde à vue est une mesure coercitive suivant laquelle, des individus sont retenus dans les locaux de la police pour une durée variable selon le type d'infraction et qui, tout en n'étant ni prévenus, ni mis en examen, doivent cependant rester à la disposition des autorités de police ou de gendarmerie pour les nécessités de l'enquête1179. Il s'agit d'une mesure très grave dans la

1178 LEROY (J.), « Garde à vue », J.- CI., 1995, art.53 à 73, p.4. ; GIUDICELLI (A.), « La garde à vue après la loi n°2004-204 du 9 mars 2004 », AJ Pénal, 2004, p.261. ; GUINCHARD (S.) et BUISSON (J.), Procédure pénale, 3ème éd., Litec, 2005, n°1965. ; DELAGE (P-J), « La sanction des nullités de la garde à vue : de la sanction juridictionnelle à la sanction « parquetière » », Archives de politique criminelle, vol. 28, n°1, 2006, pp.135-152.

1179 GIUDICELLI (A.), « La garde à vue après la loi n°2004-204 du 9 mars 2004 », In. AJ Pénal 2004, p.261. ; BUISSON (J.), La garde à vue dans la loi du 15 juin 2000, RSC 2001, p.28-30.

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mesure où elle a parfois pour effet de priver la personne qui en fait l'objet de sa liberté au-delà du délai légal.

En dépit de l'atteinte qu'elle porte aux libertés individuelles, la garde à vue reste l'un des outils de travail des policiers agissant au nom de la loi ou sous les ordres de l'autorité judiciaire. Dans la procédure pénale ivoirienne ainsi que celle de nombre de pays africains francophones, tout comme en droit français, la garde à vue peut être ordonnée dans trois cas de figure. En premier lieu, en cas de crime ou de délit flagrant puni d'une peine d'emprisonnement, les personnes se trouvant sur les lieux de l'infraction, les personnes susceptibles de fournir des renseignements ainsi que les personnes à l'encontre desquelles il existe des indices faisant présumer qu'elles ont commis ou tenté de commettre l'infraction peuvent être pour les nécessités de l'enquête, placées en garde à vue pendant vingt-quatre heures en droit français1180, pendant quarante-huit heures en droit ivoirien1181. En second lieu, l'officier de police judiciaire peut, dans le cadre d'une enquête préliminaire et pour les nécessités de l'enquête, placer en garde à vue, une personne à l'encontre de laquelle il existe des indices faisant présumer qu'elle a commis ou tenté de commettre une infraction1182. Enfin, l'officier de police judiciaire peut placer une personne en garde à vue pour les nécessités de l'exécution d'une commission rogatoire du juge d'instruction1183. Cependant, le législateur ivoirien et son homologue français n'ont pas accordé les mêmes garanties aux personnes gardées à vue. Dans le premier cas, c'est-à-dire en droit français, les droits des personnes placées en garde à vue ont été renforcés par une succession de lois1184. En revanche, en droit ivoirien, très peu de garanties accompagnent le placement en garde à vue. Quelles sont ces garanties et quelle est la part réservée aux mineurs faisant l'objet d'une procédure judiciaire ?

En droit ivoirien, l'exemple de la procédure pénale ivoirienne est à cet effet patent. La garde à vue peut s'étendre sur une période excessivement longue et atteindre quarante-huit heures avec des possibilités de reconduite. En mettant l'accent sur la répression, le système pénal ivoirien a quelque peu négligé, la nécessité de la protection des libertés individuelles.

1180 Art.61, 62 et 63, C.P.P. fr.

1181 Art.63 et 64, C.P.P. Iv.

1182 Art.154, C.P.P. fr. ; art.76, C.P.P.Iv.

1183 Art.154, C.P.P. fr.; art.154 nouveau C.P.P. iv. (Loi n°69-371 du 12 août 1969). 1184 Les lois du4 janvier 1993, 24 août 1993, 1er février 1994 et 15 juin 2000.

La défense pénale notamment durant la phase non juridictionnelle du procès pénal a été purement et simplement éludée. Or, les principes directeurs de toute procédure pénale dans un Etat de droit s'appuient essentiellement sur la recherche d'un équilibre entre la nécessité de la répression des comportements tombant sur le coup de la loi pénale et le respect des droits et des libertés fondamentaux durant toutes les phases de la procédure1185. Et, le rôle de l'avocat dans la quête de ce juste milieu est déterminant. Au-delà de la défense de l'intérêt du suspect, de l'accusé et de la victime, l'avocat a pour rôle de protéger les droits de l'homme. En effet, il lui appartient de renforcer la légalité et l'égalité devant la justice pénale. Aussi, sert-il de contre-pouvoir de l'Etat afin d'atteindre un équilibre entre la fonction répressive de l'Etat et les exigences propres aux droits des individus1186. Ainsi, la loi du 15 juin 2000 a prévu l'intervention de l'avocat dès le début de la garde à vue avec la possibilité d'une seconde intervention à la vingtième heure1187.

Contrairement au droit français, la garde à vue des mineurs en droit ivoirien n'est pas entourée de garanties particulières s'inscrivant dans la logique de la protection des intérêts des mineurs faisant l'objet d'une procédure judiciaire comme le souhaite la Convention internationale des droits de l'enfant ou la Charte africaine des droits et du bien-être de l'enfant. Le droit ivoirien ne fait pas de distinction entre mineur et majeur en garde à vue. Force est de reconnaitre que les rédacteurs du code de procédure pénale ivoirien ont eu une timide réaction quant à l'intérêt que représente la protection des droits fondamentaux durant la phase policière du procès pénal.

En pratique, durant sa garde à vue, le mineur est astreint au régime classique du droit pénal ivoirien. A l'image des procédures pénales africaines, la durée de la garde à vue à proprement parler est excessive. Elle est portée à quarante-huit heures1188 avec la possibilité d'une reconduction d'un nouveau délai de quarante-huit heures avec l'accord du procureur

1185 Interview de Guang Zhong CHEN « Essors à la fin de siècle. Démocratie, légalité et rationalité », In. Chinese Lawyers, n°5, 1996, p.16, cité par Ping SUN et Haifeng ZHAO « Le rôle de l'avocat dans la politique criminelle chinoise », R.S.C., n°4, 1999, p.795.

1186 SUN (P.) et ZHAO (H.) « Le rôle de l'avocat dans la politique criminelle chinoise », Op.cit., p.804. 1187 Article 114 de la loi du 15 juin 2000 renforçant la protection de la présomption d'innocence et les droits des victimes concernant l'instruction, la détention provisoire, le juge des libertés et de la détention et le jugement correctionnel ; Cette intervention de l'avocat a été confirmée par la Loi n° 2011-392 du 14 avril 2011 portant réforme de la garde à vue ; Article 63-3-1 du code de procédure pénale français.

1188 Art.63 et 64, CPP iv.

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de la République ou du juge d'instruction. La seule garantie prévue par la loi est la possibilité offerte au gardé à vue de se faire examiner par un médecin. Mais, il faut préciser ici qu'il ne s'agit pas d'un droit proprement dit puisque la désignation du médecin relève en fait du pouvoir discrétionnaire du procureur de la République : « s'il l'estime nécessaire, même à la requête d'un membre de la famille de la personne gardée à vue, le procureur de la République peut désigner un médecin qui examinera cette dernière à n'importe quel moment des délais prévus par l'article 63 »1189.

L'absence de régime spécial pour les mineurs est contraire à la lettre et à l'esprit des instruments internationaux fondateurs des droits de l'enfant et aux principes directeurs de la justice des mineurs. La ratification de la Charte africaine des droits et du bien-être de l'enfant par l'Etat de Côte d'Ivoire aurait pu inspirer une réforme de la procédure pénale dans la perspective d'une bonne administration de la justice des mineurs.

En ce qui concerne la question relative à l'administration de la justice des mineurs, la Charte part du principe que tout enfant accusé ou déclaré coupable d'avoir enfreint la loi pénale a droit à un traitement spécial. Elle invite les Etats signataires à faire prévaloir l'intérêt de l'enfant dans toute action le concernant1190. L'appel à la prise en compte des spécificités de l'enfance est accompagné d'un certain nombre de garanties juridiques. En ce sens, les Etats parties à la Charte doivent veiller en particulier à ce que tout enfant accusé d'avoir enfreint la loi pénale bénéficie de la présomption d'innocence1191, qu'il soit informé dans le détail des accusations portées contre lui, qu'il bénéficie des services d'un interprète s'il ne peut comprendre la langue utilisée1192, et reçoive une assistance légale ou autre appropriée pour préparer sa défense1193. Le problème de la défense du mineur devant la justice, notamment devant les instances répressives telles que la police est très important, car non seulement il met en scène la liberté du jeune prévenu qui peut être entravée, mais aussi son avenir qui risque d'être compromis par l'expérience négative d'un passage devant un juge ou d'une condamnation pénale. En procédure pénale ivoirienne, la question de la défense du

1189 Art.64 al. 1er, CPP iv.

1190 Art.17-1 et art.4-1 de la charte africaine des droits et du bien-être de l'enfant. 1191 Art.17-2 c.i de la charte africaine des droits et du bien-être de l'enfant. 1192 Art.art.17-2c-ii de la charte africaine des droits et du bien-être de l'enfant. 1193 Art.art.17-2c-iii de la charte africaine des droits et du bien-être de l'enfant.

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mineur n'apparaît qu'à la phase du jugement. Ce qui est fort regrettable et contraire aux prescriptions internationales.

L'exemple ivoirien constitue une renonciation implicite à un droit essentiel : le droit à un procès équitable reconnu à tout individu. En matière pénale, l'évocation de l'idée largement défendue de « procès équitable » renvoie automatiquement à une autre, à savoir : le respect des droits fondamentaux. Et, c'est ici que l'on retrouve toute la portée de la présomption d'innocence1194 et les prérogatives de la défense pénale dont les exigences se conjuguent avec la garantie plus générale du procès équitable1195. La question de savoir si les personnes gardées à vue ont droit aux garanties du procès équitable s'est souvent posée. Certes, il est vrai que les droits de la personne gardée à vue se situent sur le terrain très controversé de la privation de liberté avant le jugement. Mais, on ne comprend pas pourquoi une privation de liberté avant tout jugement doit empêcher celui qui n'est encore qu'un suspect de revendiquer le droit à un procès équitable1196.

Les violences corporelles sont également des moyens fréquemment utilisés par la police ivoirienne pour obtenir des aveux de culpabilité. Les mineurs délinquants arrêtés lors des opérations de police judiciaire en Côte d'Ivoire sont placés en garde à vue parfois durant des semaines dans les locaux insalubres des commissariats ou des cellules infestées de la préfecture de police. Ils ne bénéficient d'aucune assistance médicale, ni juridique. La plupart des adolescents qui arrivent au cabinet des juges des enfants présentent un état physique marqué par les coups de matraque. En somme, l'officier de police judiciaire en droit ivoirien dispose d'une importante marge de manoeuvre dans la conduite des enquêtes, sans doute par souci de renforcer l'efficacité de la police sur le terrain de la répression des infractions. Il n'est pas rare que des enfants servent de main-d'oeuvre gratuite utilisée par des agents peu scrupuleux pour accomplir certaines tâches : nettoyer les locaux des commissariats, etc. Au total, on note en Côte d'Ivoire, plusieurs irrégularités lors de la garde à vue des mineurs

1194 LAZERGES (C.), « La présomption d'innocence en Europe », In. Archives de politique criminelle, vol.26, n°1, 2004, pp.125-138.

1195 ALLIX (D.), « Le droit à un procès équitable. De l'accusation en matière pénale à l'égalité des armes », In. Justices, n°10, 1998, p.21. ; AMNESTY INTERNATIONAL, Pour des procès équitables, Les Editions francophones d'Amnesty International, Paris, 2001, pp.87-89. ; HENNEBEL (L.) et TIGROUDJA (H.), Traité de droit international des droits de l'homme, Editions A. Pedone, 2016, pp.1304-1360.

1196 ALLIX (D.), « Le droit à un procès équitable. De l'accusation en matière pénale à l'égalité des armes » In. Justices, n°10, 1998, p.21, p.25.

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(non-assistance du mineur par un médecin, rétentions abusives, exactions physiques et morales) qui ne sont pas malheureusement pas sanctionnées. Contrairement à cette réalité ivoirienne, en France, l'inobservation des règles relatives à la garde à vue peut entrainer l'annulation des actes irréguliers1197.

Il revient donc à l'enfant victime d'exactions lors de sa garde à vue ou de sa rétention ou bien lésée par un acte d'en invoquer l'irrégularité devant la Chambre d'accusation. La chambre d'accusation est la seule juridiction du second degré compétente pour se prononcer sur la nullité de l'acte entaché, la responsabilité et la sanction à l'encontre de ou des officiers de police judiciaire mis en cause1198. Aussi, toute partie peut invoquer la nullité devant les juridictions correctionnelles et les juridictions de simple police. Celles-ci peuvent, après avoir entendu le Ministère public et les parties, prononcer l'annulation des actes qu'elles estiment atteints de nullité et décider si l'annulation doit s'étendre à tout ou partie de la procédure ultérieure1199.

Une autre situation qui achève de choquer est la situation des enfants incarcérés ou détenus dans des prisons.

§ 2. LA SITUATION DU MINEUR INCARCERE

S'interroger sur la situation des mineurs incarcérés, revient à se demander d'une part, si les normes internationales relatives aux droits de l'enfant sont prises en compte par les législations nationales dans l'élaboration du régime d'exécution des condamnations des mineurs à la peine d'emprisonnement et, si d'autre part, ces règles sont réellement appliquées. Le premier point à examiner dans ce paragraphe concerne le cadre juridique de la détention des enfants délinquants parce que, contrairement à ce que beaucoup pensent, le droit est rentré dans les prisons1200. En ce sens, les détenus qui, dans l'imagerie populaire, ne sont soumis qu'à des obligations, se voient reconnaitre aussi des droits1201. Cependant, il

1197 DUMONT (J.), « Nullités de l'information », In. J.-Cl. Proc. Pén., 1997, comm. Art.170-174.

1198 Art.224 et s. C.P.P. iv.

1199 Art.174 al.1er C.P.P.iv.

1200 KIEKEN (A.), Le droit en prison, Mémoire de DEA droit et justice, mention justice, Université de Lille

II, 2001, 77p.

1201 FAVARD (J.), « Les prisons », op. cit., p.64 et s.

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ne suffit pas d'élaborer des règles pour les voir appliquer. Encore faut-il les faire respecter, créer les conditions de leur application effective.

Sur le plan purement théorique, le droit ivoirien et le droit français se rejoignent en ce qui concerne les conditions de détention des mineurs de 18 ans. En Côte d'Ivoire, le décret n° 69-182 du 12 mai 1969 rappelle que « les mineurs incarcérés sont soumis à l'emprisonnement collectif. La séparation des mineurs et des adultes doit être réalisée aussi complètement que possible. Ils bénéficient, quant au couchage, à la nourriture et à l'habillement, d'un régime spécial dont les modalités sont fixées par arrêté du Garde des Sceaux, ministre de la justice »1202.

Quand bien même les mineurs incarcérés peuvent faire l'objet d'une punition de cellule disciplinaire1203 pour le non-respect du règlement intérieur de l'établissement, conformément aux articles 52, 53 et 54 du même décret, ils doivent avoir accès autant que faire se peut à un espace situé en plein air, tant que les conditions atmosphériques et les nécessités du service le permettent1204. Selon le texte, ils doivent faire l'objet d'une attention particulière durant leur détention. Aussi, « leur surveillance directe est assurée par des éducateurs spécialisés qui dirigent leur activité et observent leur comportement pour en faire rapport au juge des enfants »1205.

Mais dans la réalité, elles ne sont guère respectées comme en témoignent les conditions carcérales généralement précaires ou difficiles des mineurs incarcérés (A) et le cas particulier des jeunes filles incarcérées (B).

A. DES CONDITIONS CARCERALES GENERALEMENT PRECAIRES ET DIFFICILES

La surpopulation, l'insalubrité des locaux d'emprisonnement, la malnutrition et la permanence des maladies constituent les caractéristiques des prisons accueillant les enfants en Côte d'Ivoire.

1202 Art.33, Décr.n°69-182 du 12 mai 1969. 1203 Art.35 al.2, Décr. n°69-182 du 12 mai 1969. 1204 Art.35 al.1, Décr. n°69-182 du 12 mai 1969. 1205 Art.36, Décr. n° 69-182 du 12 mai 1969.

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1. La surpopulation

L'Afrique détient un palmarès inégalable, notamment en matière de violations des normes pénitentiaires et des droits de l'enfant1206. En Afrique, peu de pays disposent d'établissements pénitentiaires destinés à recevoir les mineurs condamnés par les juridictions répressives1207. Quand ils existent, ils sont vétustes, insalubres et surpeuplés. Les enfants qui y sont placés subissent des multiples violences physiques (tortures, coups, abus sexuels, etc.). Ces exactions sont exercées sur la personne des mineurs par les codétenus adultes et par certains gardiens de prison1208. Manifestement, la surpopulation carcérale se combine bien avec la précarité. Elle affecte la prise en charge des jeunes détenus. La vie carcérale comporte des contraintes insupportables surtout par une population carcérale de plus en plus jeune1209.

A Abidjan, les mineurs condamnés à des peines d'emprisonnement sont confiés, au même titre que les adultes délinquants, à la Maison d'arrêt et de correction d'Abidjan (M.A.C.A). Grâce à un stage de recherches effectué au BICE, nous avons eu accès à cet établissement pénitentiaire, interrogé le régisseur, les surveillants et les mineurs détenus. Pour avoir une idée exacte des conditions de vie des enfants incarcérés, il a fallu parfois confronter les propos des responsables et ceux des mineurs afin d'évaluer la pertinence des propos recueillis pour n'en retenir que l'essentiel.

On le sait : les prisons en Afrique sont essentiellement caractérisées par leurs effectifs pléthoriques. Il est en effet rare de voir une prison dont les effectifs correspondent à sa capacité d'accueil. Il y a généralement un rapport de disproportionnalité entre les capacités d'accueil des établissements et le nombre de prisonniers. Une des caractéristiques

1206 OLINGA (D.-A.), « La Charte africaine des droits et du bien-être de l'enfant. Essai de présentation », op. cit., p.53 et s.

1207 NIZIGIYIMANA (P.C.), L'amélioration des conditions sanitaires dans les prisons du Burundi, Mémoire Master of Advanced Studies en Action Humanitaire, Juin 2012, 79p. ; AHONTO (L.), « Mineurs en prison. Des conditions de vie déplorables », In. L'autre Afrique, n°56 du 14 au 21 juillet 1998, p.33. ;

https://bice.org/fr/les-enfants-oublies-des-prisons-ivoiriennes/(consulté le 18/01/217) ;
http://www.lemonde.fr/afrique/article/2015/03/27/dans-l-enfer-de-la-prison-pour-mineurs-d-

abidjan_4602568_3212.html(18 /01/2017); http://geopolis.francetvinfo.fr/ces-prisons-africaines-
transformees-en-couloirs-de-la-mort-72809( consulté le 20/01/2017)

1208 Ibid.

1209 ONUCI, Situation des établissements pénitentiaires de Côte d'Ivoire, Juillet 2005-Avril 2006, Aout 2006, p.3.

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fondamentales des milieux carcéraux ivoiriens est, ainsi que nous pouvons l'observer, la surpopulation. En Côte d'Ivoire, la maison d'arrêt et de correction d'Abidjan qui abrite le COM n'échappe pas en effet à cette triste réalité d'une démographie pénitentiaire toujours en hausse.

Cette inadéquation, entre les capacités d'accueil des prisons et la population carcérale infantile toujours en inflation, est génératrice d'autres problèmes qui contribuent de façon essentielle à rendre précaires les conditions d'existence dans les centres de détention des mineurs. Il s'agit par exemple de la promiscuité avec ce que cela comporte d'effets pervers. La promiscuité a pour effet de rapprocher des délinquants de diverses catégories les uns des autres et, par-là, augmenter les risques de corruption des détenus peu ou pas du tout dangereux au contact de grands délinquants ou criminels. Pire encore, la promiscuité, fruit de la surpopulation, favorise la formation de véritables bandes de délinquants. Il ne s'agit pas seulement en effet, pour les détenus moins dangereux d'apprendre, d'autres détenus récidivistes et dangereux, des méthodes pour mieux commettre des infractions pénales, mais il s'agit aussi dans certains cas de former avec eux des groupes d'amis qui auront pour finalité de continuer, après remise en liberté, dans la voie de la délinquance.

La surpopulation comme nous le voyons, constitue un véritable problème à la MACA : elle contribue souvent à faire du COM, un lieu d'apprentissage et de formation à la délinquance, un lieu criminogène. Elle rend la vie carcérale insupportable pour les enfants et favorise des violences de toute espèce non seulement entre détenus mais encore entre détenus et personnel pénitentiaire. Elle ne permet donc pas un meilleur suivi des détenus par le personnel. C'est alors qu'il revient à chacun de se débrouiller. En plus, la surpopulation ne permet pas de tenir les locaux de détention en bon état.

2. La question de l'insalubrité des locaux d'emprisonnement

L'hygiène individuelle et collective sur laquelle insistent certains instruments juridiques est quasi-absente des COM et prisons ivoiriennes. En Côte d'Ivoire, la législation pénale organise en théorie un système pénitentiaire qui accorde une place importante à l'hygiène des détenus dans les prisons. L'article 154 du décret 69-189 du 14 mai 1969 portant réglementation des établissements pénitentiaires énonce que : « les locaux de détention et en particulier les dortoirs doivent répondre aux exigences de l'hygiène (...) ». Dans le même

ordre d'idées, l'article D. 349 du code de procédure pénale français dispose que : « l'incarcération doit être subie dans des conditions satisfaisantes d'hygiène et de salubrité (...) ». Malheureusement dans les faits, l'hygiène dans les prisons pâtit de la vétusté et de l'encombrement1210.

En un mot, il manque, en plus une organisation émanant de l'administration pénitentiaire, qui permette aux détenus de nettoyer plus ou moins régulièrement leurs cellules. Ainsi, les cellules se transforment progressivement en dépotoir ou porcherie. Par manque de contrôles exigeants du personnel pénitentiaire, l'hygiène ne constitue en aucun cas, une préoccupation majeure. Il appartient généralement à chaque détenu de rendre son petit espace de vie propre. C'est alors que certaines cellules sont moins sordides que les autres. Dans le cas où les détenus apparaissent négligents, parce que dégoûtés de leurs conditions de détention, les cellules sont incontestablement sales, insalubres. C'est dans cette insalubrité des locaux que nombre de prisonniers vivent, avec ce que cela comporte de risques.

Le premier choc, c'est l'odeur. Celle des excréments, engluée dans une humidité poisseuse impossible à chasser dans des couloirs sans lumière. Ces odeurs nauséabondes s'expliquent par la défaillance du système de canalisation et d'évacuation des eaux usées et de pluie1211. Durant la saison des pluies, le rez-de-chaussée du bâtiment est inondé par des eaux émanant des fosses septiques1212. Chaque semaine pourtant, les bénévoles de certaines ONG tels la fondation Amigo, des religieux catholiques pour la plupart, aident les enfants à balayer leur dortoir et à récurer les sanitaires, constamment bouchés. Les détenus volontaires sont nombreux, visiblement heureux de s'acquitter d'une corvée qui leur permet de retrouver quelques millimètres de propreté là où la crasse semble s'être inexorablement incrustée. La tâche est éreintante : au premier étage, celui des dortoirs, il n'y a pas d'eau courante. L'unique robinet, qui ne fonctionne que quelques heures par jour, se trouve dans la cour au rez-de-chaussée. Qui plus est, selon des enfants détenus, le cadre insalubre crée un cadre

1210 ONUCI, « Situation des établissements pénitentiaires de Côte d'Ivoire, Juillet 2005-Avril 2006 », Aout 2006, p.3.

1211 COMMISSION NATIONALE DES DROITS DE L'HOMME DE COTE D'IVOIRE, L'Etat des droits de l'homme en Côte d'Ivoire, Rapport annuel 2015, p.38.

1212 COMMISSION NATIONALE DES DROITS DE L'HOMME DE COTE D'IVOIRE, L'Etat des droits de l'homme en Côte d'Ivoire, Rapport annuel 2015, p.39.

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propice à la présence de rats ou souris qui se font le plaisir de leur manger la corne des pieds pendant leur sommeil.

Une autre triste réalité achève de choquer : Une situation vraisemblable à la vue des rares moustiquaires installées dans les dortoirs, qu'aucun crochet n'a été prévu pour tendre : les quelques protections vertes sont nouées aux néons cassés ou aux barreaux des fenêtres, dans un enchevêtrement fébrile de fils qui menace de s'effondrer. Ce qui ne manque pas d'inquiéter vu que ces fils conduisent certainement de l'électricité. Pour ceux des enfants privés du bénéfice de moustiquaires, leur peau noire s'efface presque sous les marques roses laissées par les piqûres. Les moustiques n'ont pas à chercher loin pour se reproduire, car la cour et ce qui ressemblait un jour, à un terrain de basket, sont partiellement noyés sous les flaques d'eau stagnante, sans parler des eaux usées qui remontent après chaque pluie.

Mais, nous constatons une violation du droit au logement dans les établissements pénitentiaires. En prison, outre le droit à la nourriture, les conditions d'hygiène et le droit à la santé constituent un autre droit inaliénable de tous.

L'accès à l'eau est une condition essentielle pour la propreté et le bien-être des mineurs détenus. Les règles de la Havane recommandent que dans « Tout établissement (...), chaque mineur doit disposer en permanence d'eau potable1213 ». Au Centre d'observation des mineurs d'Abidjan, les détenus n'ont pas à leur disposition de l'eau de façon permanente1214 . Il y existe un seul point d'eau à faible débit1215. Pour bénéficier d'eau dans les dortoirs et les sanitaires, les mineurs sont obligés de transporter l'eau depuis le rez-de-chaussée jusqu'aux dortoirs1216. Contrairement aux mineurs du COM d' Abidjan, les mineurs internés au MAC de Dabou disposent d'un point d'eau d'accès facile1217. Il convient de noter que les mineurs de ces deux centres ne reçoivent aucune dotation en savon, éponge et serviette pour

1213 Point 37 des Règles de la Havane.

1214 COMMISSION NATIONALE DES DROITS DE L'HOMME DE COTE D'IVOIRE, L'Etat des droits de l'homme en Côte d'Ivoire, Rapport annuel 2015, p.39.

1215 Ibid.

1216 COMMISSION NATIONALE DES DROITS DE L'HOMME DE COTE D'IVOIRE, L'Etat des droits de l'homme en Côte d'Ivoire, Rapport annuel 2015, p.39.

1217 Ibid.

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assurer leur propreté corporelle et l'hygiène de leurs vêtements, facteurs d'une bonne santé.1218

L'insalubrité est ainsi une autre caractéristique des établissements pénitentiaires en Côte d'Ivoire. Vivre sale parait être normale, aussi bien pour les responsables en charge des prisons en Côte d'Ivoire que pour les détenus qui finissent par l'intérioriser inconsciemment. De ce point de vue, il n'y a pas lieu de s'étonner de l'état de sordidité affectant les prisons. Les choses se passent comme si, de manière spontanée, les pouvoirs publics choisissent que les prisons soient sales ; ce pour mieux corriger, sinon punir les enfants délinquants. Cependant, cet état d'insalubrité pénitentiaire avancée contribue de façon essentielle à l'apparition de maladies susceptibles de mettre la vie des enfants détenus en danger de mort. Nous comprenons alors pourquoi la prison est présentée comme un mouroir.

Au total, toute cette situation est contraire aux règles de la Havane qui recommandent en leur point 31 que « les mineurs détenus doivent être logés dans des locaux répondant aux exigences de l'hygiène et de la dignité humaine ». Contrairement au COM d'Abidjan, il y a lieu de noter que le quartier des mineurs de la MAC de Dabou est quant à lui bien entretenu et est d'une propreté satisfaisante1219.

3. De la malnutrition à la permanence des maladies

Tout établissement est tenu de veiller au respect de l'alimentation du mineur, qui doit être convenablement préparée et présenté aux heures usuelles des repas, et satisfaisant en qualité et en quantité1220.

Le problème lié à l'alimentation est la malnutrition, en raison de la qualité douteuse et l'insuffisance des vivres. En effet, la malnutrition représente une peine supplémentaire, un surplus d'injustice. Le droit à la nourriture est le premier des droits à garantir, étant

1218 COMMISSION NATIONALE DES DROITS DE L'HOMME DE COTE D'IVOIRE, L'Etat des droits de l'homme en Côte d'Ivoire, Rapport annuel 2015, p.39.

1219 COMMISSION NATIONALE DES DROITS DE L'HOMME DE COTE D'IVOIRE, L'Etat des droits de l'homme en Côte d'Ivoire, Rapport annuel 2015, p.39.

1220 HCDH, Les droits de l'homme et les prisons. Manuel de formation aux droits de l'homme à l'intention du personnel pénitentiaire, série sur la formation professionnelle n°11, New York et Genève, 2004, pp.59-61.

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essentielle à la survie. Selon le dernier rapport de l'ONUCI sur les prisons ivoiriennes1221, la malnutrition serait la cause principale de la mortalité en prison et ce en raison des moyens dont disposent les prisons de Côte d'Ivoire.

Chaque prisonnier reçoit en moyenne une ration alimentaire par jour d'une valeur de 120 francs CFA1222, qui représente moins de la moitié du budget des pays voisins pour l'alimentation des détenus. Quant aux repas, il n'y a pas de petit-déjeuner, et à midi, on livre aux mineurs d'énormes marmites, réparties entre du riz compact et une sauce aux morceaux de viandes rares et douteux. D'après les bénéficiaires, « Il y a des cailloux, du sable, c'est immangeable » ; cette affirmation est souvent relayée par la presse et le commun des mortels en Côte d'Ivoire. Et de façon irresponsable, les éducateurs n'hésiteraient pas à cacher les marmites lors des visites des juges des enfants pour éviter que ces derniers ne constatent l'état piteux de la nourriture servie aux enfants. Pour notre, part, nous estimons que de tels agissements sont de nature à être assimilés à des traitements inhumains et dégradants1223.

Il est encore plus difficile de comprendre la manière dont le budget du Centre d'Observation des Mineurs (COM) est réparti quand on sait que tous les repas viennent de la Maison d'Arrêt et de Correction d'Abidjan (MACA) voisine. Un lien qui brouille davantage la frontière censée séparer les deux établissements. Cependant, grâce à l'action charitable des ONG et notamment le BICE1224, le MESAD et la communauté musulmane, on constate une légère amélioration dans les conditions d'alimentation. Ces ONG n'hésitent pas à offrir une fois par semaine une nourriture de qualité acceptable qui est effectivement servie aux enfants.

En définitive, le décret relatif à la ration alimentaire quotidienne des prisonniers qui remontent à 1952, n'est pas respecté, et presque pour ainsi dire tombé en désuétude. Cependant les gouvernants doivent porter une attention particulière à l'amélioration de l'alimentation des détenus.

1221 ONUCI, « Situation des établissements pénitentiaires de Côte d'Ivoire, Juillet 2005-Avril 2006 », Aout 2006, p.3.

1222 Ibid., p.3.

1223 HCDH, Les droits de l'homme et les prisons. Manuel de formation aux droits de l'homme à l'intention du personnel pénitentiaire, série sur la formation professionnelle n°11, New York et Genève, 2004, p.37. 1224 Durant le stage par nous effectué au BICE, nous avions participé à cette opération de distribution de repas qui avait lieu tous les jeudis à 12h, et ce dans le cadre des actions du programme Enfance Sans Barreaux (ESB).

443

Les différents lieux d'emprisonnement des enfants en Côte d'Ivoire sont également des réservoirs de multiples maladies. Dans ces lieux, les détenus sont exposés aux maladies telles que le paludisme, les maladies pulmonaires comme les bronchites, les pneumopathies, la tuberculose...les diarrhées, les dermatoses, les troubles de vision et les conjonctivites. Ces maladies, ainsi que nous pouvons le remarquer sont liées aux conditions de détention qui sont dans l'ensemble précaires. Dans le cas du paludisme, il faut noter que les prisonniers ne se protègent pas efficacement contre les moustiques qui en sont les agents vecteurs. Ils ne dorment pas en effet sous moustiquaire. Il n'est donc pas surprenant, dans ces conditions où aucune mesure n'est prise pour se protéger, que des détenus tombent régulièrement malades de paludisme. Les conditions sanitaires des mineurs sont de plus en plus dégradées : Nombreux souffrent de maladies cutanées, de paludisme et autres infections microbiennes. Ils prétendent ne recevoir aucun soin médical. Or, pour banal que cela puisse apparaître, la santé dans les prisons touche également au domaine des droits de l'homme et la promotion des droits des détenus. B. BULTHE écrit à ce propos : « En raison de sa fonction et des qualités humaines que celles-ci requiert, la médecine est un des garants du respect des droits de l'homme tant dans la société que dans les établissements pénitentiaires (...). Si au siècle dernier, le régime dans les prisons était celui d'un minimum jugé indispensable, pour l'entretien de la santé et des forces des détenus, c'est d'un droit à la santé qu'il s'agit aujourd'hui1225 ».

En principe, il appartient à l'Etat, principal organisateur du système pénal et à l'administration pénitentiaire, de maintenir l'état de santé physique et mentale des détenus. La privation que constitue l'incarcération devrait être mise à profit pour assurer un dépistage complet des infections dont ils peuvent être atteints et de les traiter1226. Cela suppose bien entendu que les établissements pénitentiaires disposent d'infirmeries équipées et que la présence médicale et para médicale soit renforcée1227.

1225 BULTHE (B.), « Rapport à la 2e session d'étude du centre international de recherches et d'études sociologiques pénales et pénitentiaires de Messine » In. Rev. Dr. pén. et crim., n° 4, 1982, p.299. cité par BERNARD (F.) « Pour un véritable statut de la médecine pénitentiaire », Rev. Pénit. et dr. pén., 1981, pp.29-30.

1226 Rapport présenté au Conseil supérieur de l'administration pénitentiaire par M. AYMARD, 1er au 10 novembre 1977, Rev. Pénit. et dr. pén., 1978, p.61.

1227 Ibid.

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Les diarrhées sont dues principalement à l'alimentation qui est de mauvaise qualité. Quant aux dermatoses et aux maladies pulmonaires, la raison est à trouver dans des conditions hygiéniques déjà évoquées qui laissent singulièrement à désirer. Nous ne le dirons jamais assez, l'écrasante majorité de la population carcérale mineure du COM d'Abidjan dort presque à même le sol, c'est-à-dire sur de simples nattes dans des cellules insalubres. Cette population carcérale est donc, ainsi qu'il apparait, régulièrement en contact avec la poussière, la saleté. Il faut également noter que, si les détenus ont un peu d'eau à leur disposition, ils manquent cependant dans la plupart des cas de savons. Dans ce sens, il est difficile pour eux de prendre véritablement soin de leur corps et de tenir en permanence leurs vêtements propres. Ainsi, se comprennent les multiples maladies dermiques comme la gale. Pour les troubles de vision et les conjonctivites, il faut seulement rappeler ici que les prisonniers n'ont pas le bénéfice de promenades journalières dans l'enceinte de la prison. Il en résulte logiquement des problèmes de vision pour la simple raison qu'ils sont constamment enfermés dans les cellules où l'éclairage est défectueux, où la pénombre est souvent la règle.

Il convient par ailleurs de souligner, un aspect peu ou prou positif : le COM et le nouveau centre d'observation des mineurs disposent d'un personnel soignant ; mais malheureusement, là où il y a une présence de quelques infirmiers ou médecins, il n'y a souvent pas de médicaments qui permettent d'administrer les premiers soins aux détenus souffrants. Ainsi, le personnel soignant est parfois désarmé en face des enfants malades. Les instruments juridiques nationaux et internationaux disposent que tout mineur a le droit de recevoir des soins médicaux, tant préventifs que curatifs1228. Les visites dans les établissements pénitentiaires révèlent l'intervention partielle des infirmiers d'Etat. L'action menée par les infirmiers s'analyse essentiellement par la prescription d'ordonnances médicales, sans pouvoir véritablement faire bénéficier aux mineurs détenus des soins appropriés.

Comme on le voit, les mineurs incarcérés sont détenus dans des situations précaires en raison de l'absence d'hygiène et de soins de santé appropriés ; ce qui ne manque pas de retentir négativement sur leur état de santé.

1228 Art.12 PIDESC, Art. 25 D.U.D.H., Principe 9 des Principes fondamentaux relatifs au traitement des détenus ; Règles 23 et 25 de l'Ensemble de règles minima pour le traitement des détenus.

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Enfin, notons que certains détenus peuvent avoir importé des maladies dans les prisons. En effet, à leur entrée en prison, ils ne font pas l'objet de visites médicales : de ce point de vue, ils représentent un risque de contamination majeur pour les autres. Il y a donc une nécessité de faire quelque chose pour les prisons qui deviennent de plus en plus des milieux à haut risque. Nous le voyons : les prisons pour mineurs en Côte d'Ivoire sont des lieux plus ou moins oubliés, des lieux qui ne paraissent pas attirer de façon particulière l'attention des autorités publiques.

Au terme de la comparaison entre les recommandations des divers instruments juridiques et la réalité carcérale, on peut s'autoriser à affirmer que les droits de l'enfant trouvent difficilement une application effective dans les centres de détention des mineurs car la réalité pénitentiaire est plus ou moins éloignée des textes qui ont, eux, pour visée le souci de la sauvegarde de la dignité humaine. Mais, cet écart est susceptible d'être réduit, il peut être comblé. C'est dans cette perspective que nous pouvons comprendre pourquoi la gestion des espaces carcéraux en Côte d'Ivoire laisse une part trop belle à la négligence.

Au-delà des conditions générales précaires caractéristiques des conditions de détention des enfants, il importe de relever le cas particulier des enfants de sexe féminin qui vivent aussi dans des conditions extrêmement précaires.

B. LE CAS PARTICULIER DES JEUNES FILLES INCARCEREES

La direction de l'administration pénitentiaire, chargée de la gestion et du contrôle des établissements pénitentiaires n'a jusqu'à ce jour créé de cellule propre ou appropriée pour l'incarcération des mineurs de sexe féminin ou pour leur réinsertion sociale.

Les visites dans les maisons d'arrêt et de correction d'Abidjan, de Dabou et de Bassam révèlent que les filles mineures sous mandat de dépôt ou sous ordonnance de garde provisoire demeurent dans les mêmes geôles que les femmes adultes1229.

A la maison d'arrêt et de correction d'Abidjan, le bâtiment femme est appelé « KREMLIN » par les prisonniers eux-mêmes, parce qu'il est difficile d'accès. Ce bâtiment regroupe tous les prisonniers de sexe féminin, enfant ou adulte ayant commis toutes sortes

1229 COMMISSION NATIONALE DES DROITS DE L'HOMME DE COTE D'IVOIRE, L'Etat des droits de l'homme en Côte d'Ivoire, Rapport annuel 2015, p.35

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d'infractions. Néanmoins, les filles mineures sont approximativement séparées des femmes. Elles sont logées dans une cellule à elles réservée, mais restent en contact avec celles-ci car partageant les mêmes espaces de loisirs1230. Cette situation est alarmante car il faut se préoccuper de leur réintégration sociale : A la MACA, les jeunes filles comme les femmes évoluent dans un même environnement sans égard à leur statut et à la gravité des infractions commises par chacune d'entre elles. Cette organisation présente des risques pour la resocialisation car elle met dans un même espace des prévenues et des condamnées dont certaines sont des récidivistes. Seule une bonne séparation permet d'éviter de transformer le bâtiment F en une « école du crime » où les plus aguerries forment les novices. Durant la journée, tout le monde se côtoie. Les mineures qui sont censées rejoindre le Centre d'Observation des mineurs (COM), y demeurent faute de dispositions particulières, le COM n'accueillant en pratique que les mineurs délinquants de sexe masculin.

Les mineures sont de deux ordres : les délinquantes présumées ou condamnées et les enfants vivant avec leurs mères délinquantes détenues. Ceux-ci doivent en principe être remis aux services sociaux ou à l'orphelinat (cas des femmes enceintes ayant accouché en prison ou arrêtées alors qu'elles étaient en compagnie de leur progéniture). Cette solution est adoptée lorsque la femme n'a pas un parent prêt à assumer la tutelle de l'enfant. Du fait des défaillances des services de l'assistance sociale et du refus des mères de se séparer de leurs enfants, ces derniers sont contraints de demeurer en prison, alors qu'aucun fait ne leur est reproché. Certains enfants vivent avec leur mère en prison. En théorie, cet état de choses ne dure pas ; dans la plupart des juridictions, il existe des lignes directrices qui stipulent l'âge maximum auquel un enfant peut demeurer en prison, variant de quelques mois à quelques années. Cependant, ces lignes directrices ne sont pas toujours respectées parce que les enfants n'ont personne pour les prendre en charge ; en Inde par exemple, des enfants de 15 ans seraient demeurés en prison avec leurs parents parce que personne n'était venu les chercher1231. Certaines juridictions, notamment dans certains pays développés tels la

1230 Ibid.

1231 JANS (2007) «No takers for children of jailed parents» In. PxPG news, sur le site

http://www.rxpgnews.com/india/No-takers-for-children-of-jailed-parents_11779.shtml (consulté en mars 2007).

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Norvège, le Danemark ne permettent pas que des enfants vivent en prison, quel que soit leur âge1232.

Des recherches indiquent que le fait de laisser de jeunes enfants (en âge préscolaire) en prison avec leur mère peut renforcer le lien entre la mère et l'enfant et éviter à quelques-uns, des effets nuisibles de la séparation. Toutefois, les enfants devront vivre dans les mêmes conditions que les parents emprisonnés, ce qui souvent ne convient pas. Certains pays tels que le Cambodge ou l'Inde1233 ne prévoient pas toujours des allocations supplémentaires de nourriture pour les enfants, ce qui signifie que les parents doivent partager avec leurs enfants des repas (souvent insuffisant et/ou inadéquats)1234. C'est aussi le cas en Côte d'Ivoire et dans certains pays de la sous-région ouest africaine tels le Togo, le Bénin, le Burkina où les enfants vivant en Prison avec leur mères détenues, ne bénéficient d'aucun régime alimentaire adapté à leurs spécificités. Toute personne se trouvant au sein de ces lieux de détention, doit se satisfaire de la nourriture commune, faite pour tout le monde, sans aucune considération tenant à l'âge ou même à l'état de santé de de certaines personnes détenues.

En outre, les mères dont les enfants sont en prison avec elles trouveront difficile de ne jamais avoir aucun répit et ne seront donc pas en mesure de profiter des possibilités de formation ou de travail offertes par la prison si aucune disposition n'existe pour la prise en charge des enfants1235. Cela peut nuire à leurs chances d'une bonne réinsertion dans la société à leur sortie de prison ; ce qui peut avoir des répercussions sur leurs enfants.

Selon une étude en provenance du Cambodge, sept femmes prisonnières sur dix ayant des enfants ont dit qu'elles ne pouvaient pas allaiter et/ou n'avaient pas suffisamment de lait pour leur bébé1236. Nul doute que ce constat fait au Cambodge est le même en Côte d'Ivoire

1232 SALGADO (A.), BARJONNET (F.), TEBOL (N.) et MOEMERSHEIM (M.), Le régime juridique du mineur dans les pays scandinaves, Rapport de recherche Master 2, 2015, pp.20-25.

1233 RAKESH (S.) (2006), «Looking after children of women prisoners» sur le site Infochange analysis http://www.infochangeindia.org/analysis128.jsp (consulté en mars 2007).

1234 HILLARY (M.) (2002), Innocent Prisoners: a LICADHO report on the rights of children growing upin prisons, pp.15-16.

1235 ANN (C.), «Forgotten Families - the impacts of imprisonment» In. Family Matters Winter 2001, p.36. D'un autre côté, la qualité de la relation mère-enfant peut être meilleure s'il existe un soutien dans la prise en charge des enfants (par exemple de la part d'autres prisonniers ou des cours d'éducation disponibles en prison), ou du fait que la mère est peu sollicitée par ailleurs.

1236 HILLARY (M.), Innocent Prisoners: a LICADHO report on the rights of children growing upin prisons, 2002, p.17.

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au regard de la qualité de la nourriture servie aux jeunes filles mères vivant derrière les barreaux. Les autorités carcérales ivoiriennes devraient veiller à ce que les femmes enceintes et celles qui allaitent reçoivent une alimentation adéquate, leur assurant, à elles et à leurs enfants, un développement sain.

Le cadre de vie de la mineure délinquante offre peu de perspectives. S'il est propre, il ne réunit pas pour autant toutes les conditions d'hygiène requises à cause de la gale, des puces et des chiques qui nécessitent que les locaux soient déparasités régulièrement. En outre, la nourriture constitue un problème car elle se résume à un repas unique peu à propos. Pour l'essentiel, l'alimentation des détenues vient de l'extérieur, de la part des parents et amis qui, par des dons de repas ou d'aliments frais, contribuent à l'entretien du délinquant.

Evidemment, les conditions de détention et la nature des dispositions possibles pour la garde des enfants ailleurs doivent être prises en compte. Il y a cependant accord sur le fait que pendant la durée de leur séjour en prison avec leurs parents, la vie des enfants doit être aussi semblable que possible à celle qu'ils mèneraient à l'extérieur et ils ne devraient pas être sujets aux restrictions de liberté auxquelles les autres résidents de la prison sont soumis.

La Côte d'Ivoire gagnerait à s'inspirer de plusieurs prisons étrangères offrant des installations spéciales pour les enfants vivant avec leurs parents. Dans certains pays, des logements pour mères et enfants sont souvent fournis1237 et certaines prisons disposent de crèches ou d'écoles pour les enfants de détenus comme c'est le cas de celle de Pul-i-Charki en Afghanistan1238.

Les mauvais traitements infligés aux détenus mineurs ou majeurs constituent bien une réalité de l'univers carcéral. Malheureusement, de l'extérieur, il n'est pas facile de les repérer en raison de « la loi du silence » qui règne dans les prisons et de l'esprit de solidarité entre les gardiens. Cela est possible seulement grâce à un contact direct avec les détenus concernés ou encore grâce à des enquêtes réalisées par des organismes indépendants tels que le

1237 PENAL REFORM INTERNATIONAL, Annual Report 2005,2006, p.22.

1238 BRINLEY (B.) «22 to a cell - life in a notorious Afghan prison» In. The Guardian, London, 2007, p8.

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C.P.T1239., l'Observatoire International des Prisons (O.I.P.)1240 ou les organisations de défense des droits de l'homme1241, et les organisations onusiennes1242.

Au-delà de la sphère pénitentiaire, la souffrance infligée aux enfants en Côte d'Ivoire s'est amplifiée à travers des atteintes graves aux droits de l'enfant durant le conflit armé ivoirien.

1239 Le Comité contre la torture est un organe des Nations Unies composé d'experts indépendants, qui est chargé de surveiller l'application par les Etats parties de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants du 10 décembre 1984.

Haut-commissariat des Nations Unies aux droits de l'homme, Comité contre la torture, http://www2.ohchr.org/french/bodies/cat/ (consulté le 10 /11/2017).

1240 « L'Observatoire international des prisons (OIP) a pour objectifs la surveillance des conditions de détention des personnes privées de liberté et l'alerte sur les manquements aux droits humains dont la population carcérale peut faire l'objet. Son objectif principal est donc de « briser le secret » qui entoure les lieux de détention. Avec comme références les droits de l'homme et le respect de la personne humaine, l'OIP considère que chacun a droit, en tous lieux, à la reconnaissance de sa personnalité juridique et que nul ne peut être soumis à des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants. L'OIP agit en dehors de toute considération politique et se positionne en faveur de l'application des textes nationaux et internationaux relatifs aux droits humains quel que soit le motif qui a présidé à la détention de la personne considérée. » L'Observatoire international des prisons (OIP), Notice 2016, Pour le droit à la dignité des personnes détenues, p.11 disponible sur : http://oipbelgique.be/fr/wp-content/uploads/2017/01/Notice-2016.pdf (consulté le 10/11/2017).

1241 Voir la thèse du Professeur MELEDJE DJEDJRO F., La contribution des organisations non gouvernementales à la sauvegarde des droits de l'homme, Thèse pour le doctorat de droit public, Faculté de droit et des sciences politiques et sociales, Université d'Amiens, 23 octobre 1987, 553p.

1242 ONUCI-Division des droits de l'homme, Rapport sur la situation des droits de l'homme en Côte d'Ivoire Janvier- Février 2005, Mars 2005, pp.10-11 ; Département des opérations de maintien de la paix, « Une paix durable par la justice et la sécurité », In. Actualités pénitentiaires, Volume 3, Septembre 2011, pp.10-11.

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SECTION II. LES ATTEINTES GRAVES AUX DROITS DE L'ENFANT EN PERIODE DE CONFLIT ARME

La préservation des enfants contre les conséquences dramatiques des effets des conflits armés constitue un impératif moral, une responsabilité juridique et une question relevant de la paix et de la sécurité internationale. En outre, le Conseil de sécurité a défini les crimes contre les enfants en temps de guerre comme une « menace potentielle pour la paix et la sécurité internationales » ; le Conseil laisse ouverte la possibilité d'imposer des sanctions sévères, voire d'intervenir en vertu du Chapitre 7 de la Charte des Nations Unies en réponse à ces crimes. Ainsi, pour le Conseil de sécurité, la protection des enfants durant les conflits armés constitue un aspect majeur de toute stratégie complète de règlement des conflits armés, et devrait être une priorité pour la communauté internationale1243 . C'est dans cet esprit que l'Assemblée générale des nations unies et nombre d'organismes du système des Nations Unies, ont à plusieurs reprises, préconisé l'octroi d'une protection spéciale aux enfants par toutes les parties en conflit1244. L'Onu par le biais de son Secrétaire général a repéré six violations graves commises durant les conflits armés1245, selon la possibilité de les suivre et de les vérifier, leur caractère flagrant et leur gravité sur la vie des enfants1246. La qualification juridique de ces violations se fonde sur le droit international pertinent : droit humanitaire international, droit international des droits de l'homme et droit pénal international. Durant les conflits armés, le droit international humanitaire et le droit international des droits de l'homme doivent être respectés, une attention spéciale étant accordée aux enfants souvent privés de toute défense contre les violences1247 .

1243 Voir, par exemple, les résolutions du Conseil de sécurité 1261 (1999), 1314 (2000), 1379 (2001), 1460

(2003) 1539 (2004), 1612 (2005), 1882 (2009), 1998 (2011) et 2068 (2012).

1244 Voir par exemple, la Déclaration de l'Assemblée Générale « Un monde digne des enfants », en annexe à la résolution A/RES/S-27/2 (2002) adoptée à l'unanimité. Voir aussi A/RES/62/141 (2008) et A/RES/63/241(2009).

1245 https://childrenandarmedconflict.un.org/publications/lessixviolationsgraves.pdf (Consulté le 10/06/2015).; Bureau du Représentant spécial du Secrétaire général pour le sort des enfants en temps de conflit armé, Les six violations graves commises envers les enfants en temps de conflit armé : Fondements juridiques, Octobre 2009 (mis à jour en novembre 2013), 32p.

1246 S/RES/1612 (2005).

1247 Le droit des traités relatifs aux droits de l'homme s'applique à tout moment, mais certaines dispositions des traités prévoient des dérogations en période d'urgence. Voir par exemple, art. 4 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (1966).

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En effet, la Cour internationale de justice (CIJ), ainsi que plusieurs traités fondamentaux des Nations Unies relatifs aux droits de l'homme établissent clairement que le droit relatif aux droits de l'homme n'est pas complètement supplanté par le DIH, et peut toujours s'appliquer directement au cours d'un conflit : « La protection offerte par les conventions régissant les droits de l'homme ne cesse pas en cas de conflit armé, si ce n'est par l'effet de clauses dérogatoires du type de celle figurant à l'article 4 du pacte international relatif aux droits civils et politiques des Nations unies. Dans les rapports entre le droit international humanitaire et le droit relatif aux droits de l'homme, trois situations peuvent dès lors se présenter : certains droits peuvent relever exclusivement du droit international humanitaire ; d'autres peuvent relever exclusivement du droit relatif aux droits de l'homme ; d'autres enfin peuvent relever à la fois de ces deux branches du droit international1248 ».

Cependant, la rébellion armée, déclenchée dans la nuit du mercredi 18 juin au jeudi 19 septembre 20021249, a provoqué, sans nul doute, les plus graves violations de droits que la Côte d'Ivoire ait connues depuis son indépendance. Cette nuit-là, les Ivoiriens s'étaient réveillés sous les détonations de mitrailleuses, les éclats d'obus, les secousses des rafales de kalachnikovs, d'armes lourdes et automatiques. Ce qui était supposé être une mutinerie des « zinzins » et « Bahéfouè »1250 était en réalité, une tentative de coup d'Etat qui s'était muée

1248 CJI, « Legal consequences of the Construction of a wall in the Occupied Palestinian Territory », Advisory Opinion, ICJ Reports 2004, 9 juillet 2004. Voir CIJ, « Activités armées sur le territoire du Congo (République démocratique du Congo v. Ouganda) », jugement, Rapports CIJ 2005, 19 décembre 2005 ; CCPR/C/21/Rev.1/Add.11 (2001), Comité des droits de l'homme, commentaire général 29, states of Emergency (art.4) ; E/C.12/1/Add.69, Observations finales du Comité des droits économiques, sociaux et culturels : Israel, 2001

1249 Au moment où cette rébellion armée avait éclaté dans son pays, le Président Laurent GBAGBO était en visite officielle en Italie. Rentrée précipitamment, il prononça le discours suivant :

« Je suis rentré pour reprendre ma place à la tête de l'Etat et à la tête des forces armées de Côte d'Ivoire (...). Chers amis, ne vous y trompez pas, c'est la Côte d'Ivoire qui est attaquée. Mon pays est attaqué. Mon devoir est de faire front. Je suis donc rentré pour continuer la bataille que les forces de l'ordre, de défense, de sécurité ont entamée (...). Malgré toute notre bonne volonté, on engage la guerre. Contre notre bonne foi, on engage la guerre. Eh bien, je vous le dis aujourd'hui : quiconque vient vers moi avec un rameau d'olivier à la main, je lui donnerai un baiser, et je l'embrasserai. Mais quiconque vient avec une épée, je sortirai une épée et nous nous battrons (...). J'engage toutes les forces de défense et toutes les forces de sécurité (...). Et que la bataille commence (...). L'heure du patriotisme a sonné. L'heure du courage a sonné. L'heure de la bataille a sonné. On nous impose une bataille. Menons-la avec courage, avec détermination et honneur. » Laurent GBAGBO, « Que la bataille s'engage », in Le Patriote, Hors-Série, Edition Spéciale n°5. Septembre 2003, p.3.

1250 Quand le général Robert GUEI était devenu Chef de l'Etat, chef de la junte militaire, à la suite du putsch de décembre 1999, il a rappelé dans l'Armée, pour sa garde personnelle, environ 500 anciens militaires qui avaient été déjà démobilisés. Ce sont ceux-là qu'on a appelés les « Zinzins « et les Bahéfouès ». Et, ces derniers auraient pris les armes pour manifester contre leur démobilisation prévue au mois de décembre 2002. « Zinzin »

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en une rébellion armée soutenue par des mercenaires et des puissances étrangères. Cette crise « sans précédent »1251 a été ponctuée par l'exploitation militaire des enfants (Paragraphe 1), ainsi que des violations graves aux droits fondamentaux de l'enfant (paragraphe 2).

§ 1. L'EXPLOITATION MILITAIRE DE L'ENFANT DURANT LE CONFLIT ARME IVOIRIEN

L'exploitation militaire des enfants au cours d'un conflit n'est pas un phénomène nouveau ou spécifique à la Côte d'Ivoire. Elle existait déjà en Europe et est désormais interdite grâce aux législations internes des pays1252. Malheureusement, elle ne fait que progresser dans les pays en développement1253. Il en a été ainsi durant le conflit ivoirien marqué par l'enrôlement des enfants (A) à qui sont confiés des activités dont la nature et les conséquences méritent d'être analysées (B).

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