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L'effectivité des droits de l'enfant en Cote d'Ivoire


par Arsène NENI BI
Université Jean Moulin Lyon 3 - Doctorat en droit public 2018
  

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A. L'ENROLEMENT DES ENFANTS DANS LES CONFLITS ARMES

Dans les années 1990, de nouveaux conflits ont vu le jour, ainsi qu'une prolifération de nouveaux Etats revendiquant un rôle à part entière sur le plan international1254. Le nombre croissant des conflits de longue durée qui affectent certains pays, notamment ceux de l'Afrique, causant la perte de soldats adultes, les avancées technologiques en matière d'armement, la prolifération d'armes légères et faciles à manipuler sont autant de facteurs qui ont contribué à un accroissement du recours aux enfants soldats1255. Le plus souvent, les enfants soldats sont âgés de 15 à 18 ans, mais le recrutement peut avoir lieu dès l'âge de 10

est un mot français qui sert à qualifier un individu bizarre, un peu fou. « Bahéfouè est un mot Akan, utilisé tantôt comme nom, tantôt comme adjectif, et qui signifie « sorcier ».

1251 GBAGBO (S.), « Adresse aux ivoiriens et Ivoiriennes » In. Fraternité-Matin n°11388, du lundi 21 octobre 2002, p.10.

1252 BADIANE (S.), Les enfants aux deux bouts du fusil : un défi majeur pour le système des Nations Unies et la communautéì internationale, Presses Universitaires de Dakar (PUD), 2004, 453p.

1253 C'est en Afghanistan, en Birmanie, en Afrique, Soudan au Cambodge, en Colombie, au Guatemala, au Libéria, au Pérou, la Birmanie, le Cambodge, le Guatemala, le Pérou et le Soudan, au Sri Lanka et en Turquie que l'on utilise de façon massive les enfants dans les conflits.

1254 AHLSTROM (C.), Victimes de conflits : rapport destiné à la campagne mondiale pour la protection des victimes de guerre, Département de recherches sur la paix et les conflits, Université d'Uppsala, 1991, pp. 615.

1255 Constatation d'Olara OTTUNU, représentant spécial du secrétaire général de l'Onu, lors du débat sur la résolution 1260 du conseil de sécurité, dans la nuit du mercredi 25 à jeudi 26 Août 1999, à New York. Voir www.un.org (consulté le 20/05 /2012).

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ans, voire même plus jeune : au Cambodge, en Sierra Leone et en Ouganda, des enfants soldats avaient 5 ans1256. En Côte d'Ivoire, de nombreux enfants endoctrinés ont pris part volontairement aux hostilités tandis que d'autres sont enlevés à leur famille pour être recrutés de force ou obligés de rejoindre les forces armées1257.

1. L'embrigadement ou endoctrinement idéologique et le recrutement volontaire des enfants

La conscription consiste à inscrire sur les rôles de l'armée, des jeunes gens qui ont l'âge légal pour le service militaire.1258 La conscription ou l'engagement d'enfants de moins de 15 ans ou leur utilisation pour participer activement aux hostilités tant dans des conflits armés non internationaux est qualifiée de crime de guerre par le Traité de Rome instituant la Cour Pénale Internationale1259. Selon le dictionnaire Robert, l'action d'embrigader vise à « rassembler, réunir un certain nombre de personnes sous une même autorité et en vue d'une action commune ». L'embrigadement en soi n'est pas nécessairement mauvais, sauf s'il accompagne d'une idéologie qui l'éclaire, lui sert de motivation, de support ou de guide1260. Il ne pose donc aucun problème lorsqu'il tend à réaliser les principes inscrits dans la charte des Nations Unies, notamment dans son article 1er selon lequel, l'un des buts de l'ONU est de « réaliser la coopération internationale en résolvant les problèmes d'ordre économique, social, intellectuel et humanitaire, en développant et en encourageant le respect des droits de l'homme et des libertés fondamentales pour tous sans distinction de race, de sexe, de langue ou de religion »1261.

L'embrigadement idéologique apparaît sous la forme négative lorsqu'il empêche une éducation saine et harmonieuse de l'enfant1262. Il y a embrigadement idéologique de l'enfant

1256 Voir www.savethechildren.org (consulté le 15/02/2015).

1257 BADIANE (S.), Les enfants aux deux bouts du fusil : un défi majeur pour le système des Nations Unies et la communautéì internationale, Presses Universitaires de Dakar (PUD), 2004, 453p.

1258 www.cntrl.fr/definition/conscription (consulté le 15/02/2015).

1259 https://www.memoireonline.com/12/11/5005/La-protection-de-lenfance-dans-les-pays-africains-sortant-dune-crise-armee--cas-de-la-Cte-dIv.html#_Toc312218851 (Consulté le 10/06/2016).

1260 TORELLI (M.), La protection internationale des droits de l'enfant , travaux du centre d'études et de recherche de droit international et de relations internationales de l'Académie de droit international, la Haye, 1979, PUF, 1983, p.147.

1261 PISIER-KOUCHNER (E.), « Protection de la jeunesse et contrôle des publications », In. Revue internationale du droit d'auteur, 1973, pp.55-159.

1262 Voir la Déclaration des droits de l'enfant des Nations Unies, 20 déc. 1959.

chaque fois qu'une politique ou une pratique contraire à un principe des Nations Unies tend à provoquer, à maintenir ou à consolider un ordre social donné, ce qui peut conduire à un esprit d'intolérance et d'incompréhension pouvant être source de conflits sociaux majeurs1263.

Beaucoup d'enfants de moins de dix-huit ans rejoignent volontairement les forces armées nationales ou les milices, pensant trouver une meilleure sécurité1264. En effet, l'enfant choisit de s'engager pour des raisons économiques, il considère son engagement comme une opportunité financière, un moyen de gagner sa vie, voire de s' « élever dans l'échelle sociale et de parvenir ainsi à une certaine position sociale », mais aussi pour des raisons sociales1265. La plupart d'entre eux sont soit séparés de leur famille ou orphelins et souhaitent venger leur famille après avoir été eux-mêmes maltraités ou avoir été témoins de mauvais traitements, soit sont issus de milieu pauvre et encouragés par leurs parents à intégrer les forces armées1266. Ces enfants sont les plus exposées à l'enrôlement, ils sont souvent guidés par la recherche d'une stabilité et par l'espoir de sortir de la pauvreté, d'autant que les groupes armés, pour les attirer, promettent nourriture, un endroit où dormir, et un réseau social1267. Pour les parties en conflit, l'enfant est une proie facile à manipuler en raison de son incrédulité, de son incapacité à comprendre la gravité de ses actes1268.

En Côte d'Ivoire, le rapport du Secrétaire général de l'ONU reconnait sans ambages que : «Toutes les parties ont enrôlé ou utilisé des enfants lors du conflit armé».1269

Amnesty International, dans un rapport publié en 20051270, reconnait que « dans l'Ouest de la Côte d'Ivoire, depuis le début du conflit interne en septembre 2002, plusieurs

1263 TORELLI (M.), « La protection internationale des droits de l'enfant », op. cit., p.148.

1264 Voir rapport MACHEL (G.), « Impact des conflits armés sur les enfants », Document ONU A/51/306, New York, 1996.

1265 ICRC, « Protocole facultatif à la Convention des Nations unies relative aux droits de l'enfant concernant l'implication des enfants dans les conflits armés », Argumentaire du comité international de la Croix-Rouge, Genève, 27 oct. 1997, R.I.C.R., n°829, pp.113-132.

1266 Amnesty International, « L'engagement volontaire dans les forces armées nationales des enfants n'ayant pas atteint l'âge de 18 ans », in www.amnestyinternational.be (consulté le 15/02/2015).

1267 Voir rapport MACHEL (G.), op.cit.

1268 Amnesty International, « La République démocratique du Congo : enfants en guerre », 9 sept. 2003, in www.amnestyinternational.be (consulté le 15/02/2015).

1269 Rapport du Secrétaire général de l'ONU "Les enfants et les conflits armés", DOC. ONU A/58/546- S/2003/1053, p.11.

1270 Amnesty international, Rapport AFR 31/003/2005.

organisations non gouvernementales de défense des droits humains ainsi que l'ONU ont signalé à de nombreuses reprises des cas de recrutement et d'utilisation d'enfants-soldats par toutes les parties au conflit ». Les parties au conflit ici visés, sont notamment les forces gouvernementales d'une part et les forces rebelles regroupées au sein des Forces Nouvelles, d'autre part.

De même, l'article 4(3) (c) du Protocole II relatif aux conventions de Genève, qui gouverne les conflits armés non internationaux, stipule que « les enfants qui n'ont pas atteint l'âge de quinze ans ne doivent jamais être recrutés dans les forces armées ou groupes armés ni être autorisés à prendre part aux hostilités».

Malgré cette interdiction formelle des normes de droit international, la conscription a malheureusement été une pratique qui a toujours existé sur tous les continents ; une analyse historique offre de noter que le recrutement de jeunes enfants ne concerne pas que les pays en développement. En effet, des pays d'Europe, le Canada et les Etats-Unis acceptent des enfants de moins de 18 ans1271. Par exemple, des enfants soldats de 17 ans recrutés par la Grande Bretagne sont morts à l'occasion de la guerre des Malouines en 1982, de la guerre du Golfe en 1990/1991, et de la mission internationale de maintien de la paix au Kossovo (KFOR)1272 en 1998 et 1999, malgré l'interdiction des Nations Unies de recourir aux personnes de moins de 18 ans dans de telles opérations.

Avant la Côte d'Ivoire, des campagnes d'enrôlement des enfants, par le biais de la presse, des médias, mais aussi par l'enseignement ou dans des mouvements de jeunesse1273 ont été mis en oeuvre au Congo. Par exemple, le 7 août 1998, un communiqué officiel diffusé par la radio nationale du Congo, avait appelé les enfants et jeunes âgés de douze à vingt ans à rejoindre l'armée congolaise, en réaction aux récents mouvements de révolte contre le gouvernement d'alors1274. Au Congo, les principales parties qui ont recruté les enfants dans

1271 www.amnesty.asso.fr (consulté le 15/02/2015).

1272 DORLHIAC (R.), « La supervision internationale à l'épreuve du Kosovo indépendant », In. Bulletin du maintien de la paix, Bulletin n° 95 Septembre 2009, pp.3-4.

1273 Voir Human Rights Watch, in www.hrw.org/french (consulté le 18 janvier 2015).

1274 Voir la condamnation de Human Rights Watch de l'enrôlement des enfants dans les conflits armés et l'appel à leur démobilisation, New York, 11 août 1998, in www.hrw.org/french (consulté le 20 Janvier 2015).

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les conflits armés sont le RCD1275-Goma, l'armée du gouvernement congolais, les Maï Maï, le RCD-ML et les groupes armés en Ituri1276.

Les responsables militaires dans la crise ivoirienne ont aussi eu recours à la conscription. En 2006, le HCR avait signalé qu'une vingtaine d'enfants membres de la force supplétive du LIMA1277 opérant aux côtés des FANCI, avaient été recrutés dans le camp de réfugiés libériens de Nicla, à l'ouest de la Côte d'Ivoire1278. En effet, le conflit militaire ayant endeuillé, ensanglanté et détruit le Liberia voisin à partir de décembre 1989, avait forcé des milliers de Libériens dont des enfants à fuir les combats et les exactions des factions en conflit. Ce faisant, ces libériens fuyant la guerre ont trouvé refuge, pour la plupart, dans les pays voisins avec qui, ils partagent d'ailleurs une communauté de langue1279. Au nombre de ces Etats voisins, figure en bonne place, la Côte d'Ivoire. Malheureusement, pour ces

1275 Rassemblement congolais pour la démocratie (RCD).

1276 Voir Amnesty international, « Les principaux partis qui recrutent les enfants soldats », 9 sept. 2003, in www.amnestyinternational.be( 20 Janvier 2015).

1277 https://www.memoireonline.com/12/11/5005/La-protection-de-lenfance-dans-les-pays-africains-sortant-dune-crise-armee--cas-de-la-Cte-dIv.html#_Toc312218851 (Consulté le 10/06/2016).

1278 Rapport du Secrétaire général de l'ONU, sur"Les enfants et les conflits armés", DOC ONU A/61/529- S/2006/826, p.6. ; https://www.memoireonline.com/12/11/5005/La-protection-de-lenfance-dans-les-pays-africains-sortant-dune-crise-armee--cas-de-la-Cte-dIv.html#_Toc312218851 (Consulté le 10/06/2016).

1279 En effet, les GIO (ethnie libérienne) et les Yacouba de Côte d'Ivoire parlent la même langue ; C'est le cas également pour les Krahn (ethnie libérienne) et les Guéré (Ethnie ivoirienne) parlent aussi la même langue ; Avant de commencer sa révolution, Charles Taylor a recruté deux cents hommes dans le Nimba qu'il a transformés en Forces Spéciales. C'est dans la même province qu'il a débuté sa guerre, avec un mouvement dont la composition était à 90% constituée de Gio. C'était alors l'heure de la vengeance contre les Krahn qui ont longuement été leurs bourreaux. Après la mort de Doe, les Krahn se sont regroupés au sein de l'Ulimo pour combattre Taylor. Le NPFL majoritairement Gio et l'Ulimo majoritairement Krahn se sont ainsi affrontés pendant sept ans sans qu'il y ait de vainqueur. Mais après le recours aux urnes, c'est finalement Taylor qui l'a emporté. Après les élections, les jeunes Krahn ont massivement quitté le Liberia pour se réfugier dans la région des Guéré dans l'ouest de la Côte d'Ivoire. Les Krahn et les Guéré parlent la même langue. De la Côte d'Ivoire, les jeunes Krahn ont été recrutés en grand nombre pour former la rébellion du LURD. Quand les jeunes Yacouba ont formé le MPIGO pour venger Robert Gueï, ils ont été épaulés par les Gio. Les Krahn, eux, sont alors allés épauler les forces loyalistes pour stopper l'évolution du MPIGO vers la région guéré. Comme quoi, l'ennemi de mon ennemi est mon ami. Ainsi la rivalité Krahn-Gio s'est déplacée en Côte d'Ivoire à une grande échelle cette fois, avec d'un côté les Krahn et les Guéré, et de l'autre, les GIO et les Yacouba. C'était donc un nouveau volet de la crise ivoirienne car les forces libériennes déployées dans l'ouest de la Côte d'Ivoire échappaient au contrôle de leurs parrains respectifs. Celles du côté du MPIGO n'acceptent pas les ordres de Félix Doh. Ils n'hésitent d'ailleurs pas à ouvrir le feu sur les éléments du MPIGO qui cherchent à les rappeler à l'ordre. Quand ils rentrent dans un village ou une ville guéré, c'est la terreur qu'ils y sèment. De même dans le camp des jeunes Krahn qui combattent aux côtés des forces loyalistes : lourdement armés, ils détruisent tout ce qui est Gio. Voir ZOOM DOSSO, RFI, Le conflit tribal libérien resurgit en Côte d'Ivoire in RFI 20/03/2003 disponible sur : www1.rfi.fr/actufr/articles/039/article_20889.asp (Consulté le 20 Juillet 2016).

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réfugiés libériens, au plus fort du conflit ivoirien, les camps de réfugiés ont servi de viviers pour les différentes forces en conflit en Côte d'Ivoire.

2. Le recrutement forcé ou obligatoire des enfants

Alors que des enfants prennent volontairement part aux hostilités, d'autres sont enrôlés de force par les différents belligérants. Le recrutement des enfants peut en effet se faire de façon violente tant par les armées régulières que par les groupes d'opposition armée1280. Le recrutement forcé et violent consiste à enrôler, sous la menace, voir la violence, les nouvelles recrues ou soldats : « Un grand nombre d'enfants sont embrigadés après avoir été menacés. Les groupes armés les enlèvent dans les rues, dans les villages qu'ils attaquent ou dans leurs écoles»1281. En Côte d'ivoire, ce procédé fut particulièrement usité par les groupes rebelles ivoiriens, catégorie à laquelle appartiennent les Forces Armées des Forces Nouvelles (FAFN)1282. Ainsi, dans un rapport publié en 2002 sur la Côte d'Ivoire, Amnesty International révélait que « des centaines de jeunes gens y compris des enfants âgés d'à peu près quatorze ans avaient été enrôlés dans les forces armées du Mouvement Patriotique de Côte d'Ivoire (MPCI) qui contrôle le nord de la Côte d'Ivoire depuis le soulèvement armé de septembre 2002 »1283. Cette allégation a été confirmée par l'ONG Human Rights Watch : « Dans chaque unité libérienne de cinq ou six combattants liée au MPIGO, il y avait habituellement au moins un enfant soldat, souvent de dix à douze ans seulement, armé d'une mitraillette ». Mieux, cette ONG précise qu' :« En Côte d'Ivoire, les rebelles se sont livrés à des exactions généralisées à l'encontre des civils dans certaines zones sous leur contrôle.

1280 La coalition belge contre l'utilisation des enfants soldats, « Qui recrute les enfants soldats ? », in www.enfant (Consulté le 22 janvier 2015).

1281 DHOTEL (G.), Les enfants dans la guerre, Edit. Essentiels n°154, 1999, Milan Eds, p.38.

1282 Les Forces armées Forces Nouvelles est la nouvelles appellation des différents mouvements rebelles nés à l'origine et au cours du conflit mais qui se sont ensuite fusionnés. Il s'agit notamment du :

MPCI : né de la crise qui a débuté le 19 septembre 2002, il est majoritairement formé d'éléments originaires du nord musulman, mais ne se réclame pas d'une appartenance ethnique et l'ensemble de la population ivoirienne y est représentée. Bénéficiant du soutien d'officiers supérieurs, et fort d'une dizaine de milliers de combattants, le mouvement contrôlait la moitié nord du pays et une partie du centre, soit 40% du territoire. MPIGO : Apparu le 28 novembre avec la prise de la ville de Danané, près de la frontière libérienne, il est majoritairement composé d'éléments Yacouba, ethnie commune au Liberia et à la Côte d'Ivoire.

MJP : Apparu conjointement le 28 novembre 2002 en revendiquant la prise de la ville de Man, à l'ouest du pays, le MJP est limité au grand ouest. Voir PIGEAUD (F.), France - Côte d'Ivoire, une histoire tronquée, Vents d'ailleurs, 2015, pp.33-37.

1283 Amnesty International, Rapport AFR 31/003/2005.

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Exécutions extrajudiciaires, massacres, tortures, cannibalisme, mutilations, recrutement et utilisation d'enfants soldats»1284.

L'enrôlement forcé d'adolescents était une pratique courante au Guatemala, que ce soit dans les rangs de l'armée ou des patrouilles de défense civile1285. De même, au Congo, face à une recrudescence des attaques par les milices maï maï, le RCD-GOMA avait lancé une campagne intensive de recrutement au cours de laquelle, de nombreux enfants dont les plus jeunes avaient 8 ans, ont été enrôlés souvent contre leur gré : au Congo, des soldats du RCD-Goma, soutenus par le Rwanda, ont enlevé de jeunes enfants sur le chemin de l'école ou de l'église, voire dans leur propre maison, pour les amener dans des camps d'entrainement militaire et les envoyer se battre au front aux côtés des forces rebelles1286. En Ethiopie, les milices ou la police parcouraient les rues pour recruter de force, le moindre jeune. Au Burundi, un grand nombre d'élèves ont été enlevés par les Forces pour la Défense de la Démocratie (FDD) afin qu'ils servent comme soldats dans la guerre que le mouvement menait contre le gouvernement du Burundi1287.

De peur de voir leurs enfants kidnappés, les parents refusent de les envoyer à l'école ; d'autres préfèrent faire diversion à l'arrivée des soldats recruteurs pour permettre à leurs enfants de s'échapper1288. Lors d'un communiqué de presse, la conseillère principale pour la Division africaine de Human Rights Watch (HRW), Alison Des Forges, a précisé que « les soldats qui sont censés protéger ces enfants les enlèvent et les envoient au front(...) »1289. A la suite de HRW, Amnesty International constate que des milliers d'enfants sont enlevés et contraints à se battre. Il cite l'exemple en Sierra Leone du groupe armé d'opposition Revolutionary United Front (RUF, Front Révolutionnaire Uni) créé par Foday Sankoh en 1989, et l'Armed Forces Revolutionary Council (AFRC, Conseil Révolutionnaire des forces armées) : plus de 10 000 enfants ont été enlevés pour être soit utilisés comme esclaves

1284 HUMAN RIGHTS WATCH, "Prise en deux guerres : violence contre les civils dans l'ouest de la Côte d'Ivoire", Août 2003 Volume 15, Rapport No. 14 (A), p.41.

1285 Voir www.amnestyinternational.be (consulté le 23 janvier 2015).

1286 HUMAN RIGHTS WATCH, « Congo : des enfants enrôlés de force par un groupe rebelle », New York, 29 mai 2001, in www.hrw.org( 23 janvier 2015).

1287 HUMAN RIGHTS WATCH, « Burundi : enlèvement d'enfants pour des actions militaires », New York, 13 déc.2001.

1288 UNICEF, « Des milliers d'enfants se réfugient en Guinée pour tenter d'échapper aux guerres qui déchirent l'Afrique de l'Ouest », Genève, 4 nov. 2003.

1289 HUMAN RIGHTS WATCH, « Congo : des enfants enrôlés de force par un groupe rebelle », op.cit.

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sexuels, soit recrutés de force comme soldats1290. Depuis 1991, les troupes de Foday Sankoh avaient déclenché une guerre civile dans l'est du pays et enrôlé les enfants pour faire main basse sur les diamants sierra-léonais1291. En 1998, la Commission des droits de l'Homme, dans sa résolution 1998/75 a dénoncé les enlèvements d'enfants perpétrés dans le Nord de l'Ouganda par l'Armée de résistance du Seigneur, et demandé la libération immédiate de ces enfants détenus1292.

Au-delà des frontières ivoiriennes et africaines, de nombreux enfants grandissent avec la guerre et sont soumis au recrutement forcé par diverses parties, comme en Afghanistan, au Pakistan, en Sierra Leone, au Sri Lanka où le groupe d'opposition armé des Tigres de la libération avait constitué des bataillons composés presque uniquement d'enfants1293.

Que ce soit en Côte d'Ivoire ou ailleurs, plusieurs raisons peuvent expliquer le recrutement d'enfants. Il s'agit de renforcer les effectifs, de minimiser les pertes de soldats réguliers et même de réduire les coûts financiers de la guerre. Remplacer les soldats tués ou blessés et renfoncer les effectifs est un impératif pour les forces belligérantes. En effet, «...plus un conflit dure, plus la probabilité qu'on fasse appel à des enfants est grande. Il faut bien remplacer, à un moment donné, les soldats adultes tués ou blessés. La plupart du temps ces « remplaçants » sont des enfants parfois très jeunes... »1294. En réalité, certaines familles peuvent être menacées de confiscation de leurs biens ou de violences physiques si elles refusent « d'offrir » leurs enfants à la cause1295.

Cette pratique, quoique contraire aux règles du droit international humanitaire et au droit des conflits armés, présente des avantages militaires pour les belligérants : « Les enfants constituent de la chair à canon bon marché. On les paye moins cher que des adultes ...Un officier rebelle en République Démocratique du Congo, opposé au président Kabila, n'hésite

1290 AMNESTY INTERNATIONAL, « Sierra Leone », Bulletin d'information 202/00, 20 oct.2000.

1291 Voir www.ridi.org ( 23 janvier 2015).

1292 HAUT COMMISSARIAT DES NATONS UNIES AUX DROITS DE L'HOMME, « Enlèvement d'enfants du Nord de l'Ouganda », Résolution de la Commission des droits de l'homme 1998/75, 58e séance, 22 Oct. 1998.

1293 Voir www.hrw.org/french(consulté le 23 janvier 2015).

1294 DHOTEL (G.), op cit. p.39.; https://www.memoireonline.com/12/11/5005/La-protection-de-lenfance-dans-les-pays-africains-sortant-dune-crise-armee--cas-de-la-Cte-dIv.html#_Toc312218851 (Consulté le 10/06/2016).

1295 COHN (I.), Goodwin-Gill (G.), « Child soldiers, the Role of children in armed conflict », Oxford, Clarendon press, 1994, pp.50-51.

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pas à dire : "Les kadogos-[enfants-soldats] font de très bons soldats. Ils ne pensent à rien. Ils obéissent, ne songent pas à retrouver leur femme ou leurs enfants. Ils n'ont pas peur !...Ils pensent que se battre l'arme à la main est un jeu, alors ils n'ont pas peur."»1296

Que le recrutement soit volontaire ou forcé, il s'avère contraire aux dispositions des instruments internationaux des droits humains et du droit humanitaire. Une fois recruté, quelle est la nature et les conséquences des activités de l'enfant recruté ?

B. LA NATURE ET LES CONSEQUENCES DES ACTIVITES DE L'ENFANT RECRUTE

L'enfant participe de différentes façons dans les conflits (1). Mais, les conflits armés ont de graves conséquences sur les enfants (2), qu'ils soient impliqués directement ou indirectement.

1. Les différentes formes de participation

Une fois recrutés de force ou volontairement, les enfants sont éloignés de leur famille et transférés dans des camps d'entrainement où ils apprennent à manier les armes et suivent un entrainement physique intense, ainsi qu'un endoctrinement. L'enfant participe de manière directe ou indirecte aux conflits.

Selon des commentateurs des Protocoles additionnels aux Conventions de Genève, « la participation directe aux hostilités implique un lien direct de cause à effet entre l'activité exercée et les coups qui sont portés à l'ennemi, au moment où cette activité s'exerce et là où elle s'exerce »1297. La participation directe aux hostilités se distingue de la participation à l'effort de guerre qui est souvent demandée à la population, à des degrés divers1298. Ainsi, la grande majorité des enfants sont forcés à prendre part aux combats, et sont parfois amenés

1296 DHOTEL (G.), ibid.; https://www.memoireonline.com/12/11/5005/La-protection-de-lenfance-dans-les-pays-africains-sortant-dune-crise-armee--cas-de-la-Cte-dIv.html#_Toc312218851 (Consulté le 10/06/2016). 1297 SANDOZ (Y.), SWINARSKI (C.), ZIMMERMANN (B.) (éd.), « Commentaires des protocoles additionnels du 8 juin 1977 aux conventions de Genève du 12 août 1949, CICR », Genève, 1986.

1298 Ibid. 633. L'effort de guerre a été défini comme « étant l'ensemble des activités nationales qui, par leur nature ou leur but, doivent contribuer à la défaite militaire de l'adversaire » (Actes XI, CDDH/III/SR.2, p.15).

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de force à se placer en première ligne. Leurs missions consistent notamment à détecter les positions ennemies et à servir d'appât, de garde du corps des commandants1299.

En revanche, la participation indirecte comprend les actes comme la recherche et la transmission d'informations militaires, le transport d'armes et de munitions, la garde des exploitations de pétrole ou de diamants, cuisinier, etc1300. Ces enfants insouciants sont utilisés comme des espions qui traversent les lignes de front pour recueillir de l'information sans grande difficulté parce que leur trop grande jeunesse ne laisse soupçonner la mission dangereuse qui leur est confiée. Et, lorsque leurs bras sont assez forts pour soutenir une arme, «ils se retrouvent en première ligne ou sur des champs de mines, souvent sacrifiés»13 ; Mieux, ils constituent une sorte de sentinelles contre les attaques, parce que leur réplique aux attaques ennemies alerte les soldats adultes dont l'on veut préserver la vie parce que ces derniers coûtent chers.

A ces atouts que représente le recrutement d'enfants-soldats pour les belligérants, l'on doit ajouter qu'ils sont obéissants et dociles aux consignes et à la discipline imposée par les adultes. Qui plus est, cet officier congolais justifiant l'injustifiable énonce que : « Ils sont souvent inconscients face au danger, ils désertent rarement et ne se plaignent pas1301». Le témoignage de cet officier rebelle congolais exprime bien, s'il en est encore besoin, les avantages pour les forces belligérantes de recruter des enfants, quel que soit le procédé. Ces enfants insouciants sont utilisés comme des espions qui traversent les lignes de front pour recueillir de l'information sans grande difficulté parce que leur grande jeunesse ne laisse soupçonner la mission dangereuse qui leur est confiée. Cependant, cette participation a eu un impact sur l'intégrité physique et morale de l'enfant.

2. L'impact sur l'intégrité physique et morale de l'enfant

L'enfant qui participe aux hostilités risque non seulement la mort, mais il expose également à celle-ci les personnes qui deviennent sa cible, du fait de son comportement

1299 République démocratique du Congo, « Les enfants font la guerre », Amnesty international, communiqué de presse du 9 mars 2003, AFR 62/036/2003.

1300 SANDOZ (Y.), SWINARSKI (C.), ZIMMERMANN (B.) (éd.), « Commentaires des protocoles additionnels du 8 juin 1977 aux conventions de Genève du 12 août 1949, CICR », Genève, 1986, p.925. 1301DHOTEL (G.), ibid.

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immature. On peut citer l'exemple des enfants utilisés dans des missions suicides1302. C'est en particulier la violence des conflits et l'éloignement de leurs proches qui rendent vulnérable l'enfant sur le plan physique et psychologique.

Les enfants soldats subissent d'abord des souffrances physiques en raison des lourdes charges qu'ils doivent porter, mais aussi parce qu'ils sont souvent en contact avec la drogue et l'alcool. Les filles, à défaut de combattre, sont abusées sexuellement risquant des grossesses non désirées ou d'être contaminées par le virus du SIDA, voire dans certains cas données comme « femmes » aux commandants militaires1303 et autres soldats.

Le peu de nourriture et les conditions dans lesquelles ils vivent les affaiblissent davantage. Par exemple en Mozambique, entre 1981 et 1988, le conflit armé avait causé la mort de 454 000 enfants1304. Ils subissent non seulement les châtiments corporels que leur infligent leurs supérieurs, mais ils peuvent être aussi torturés, maltraités, voire exécutés lorsqu'ils tombent aux mains de l'ennemi1305.

L'enfant soldat subit également des traumatismes psychologiques en raison des enlèvements, parfois violents, et de l'éloignement de leur famille. De même, lorsque l'enfant est forcé de commettre des atrocités, de tuer et de mutiler des personnes, voire les membres de sa propre famille ou des voisins, il lui sera difficile de retrouver un équilibre et de s'intégrer dans la vie civile.

En dehors des enfants militairement exploités dans le conflit ivoirien, le conflit ivoirien a également eu un autre impact sur les enfants : celui de porter atteinte à leurs droits fondamentaux.

1302 Amnesty international a récemment condamné l'utilisation d'enfants dans les attentats-suicides et autres attaques visant des civils imputables aux groupes armés palestiniens, les qualifiant de crimes contre l'humanité. Le 24 mars 2004, un palestinien âgé de seize ans transportant des explosifs a été intercepté, alors qu'il tentait de passer le poste de contrôle de l'armée israélienne d'Huwara, à l'entrée de la ville de Naplouse, en Cisjordanie. Voir également la Newsletter de la coalition pour mettre fin à l'utilisation d'enfants soldats, Easy to forget, easy to exclude, 11 mai 2004, in www.childsoldiers.org (Consulté le 21 Mars 2015).

1303 Voir HUMAN RIGHTS WATCH, « Données sur les enfants soldats », in www.hrw.org (21 Mars 2015). 1304 Voir Rapport MACHEL (G.), op. cit. p. 54.

1305 Voir AMNESTY INTERNATIONAL, « Des milliers d'enfants soldats » , op.cit., p 66.

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§ 2. LES ATTEINTES GRAVES AUX DROITS FONDAMENTAUX DE L'ENFANT DURANT LE CONFLIT IVOIRIEN

Pour une bonne présentation de l'ampleur des exactions commises à l'égard des enfants durant le conflit ivoirien, il apparait opportun de distinguer successivement les graves violations des droits de l'enfant commises en zone sous contrôle des forces rebelles (A) de celles qui se déroulés en zone sous contrôle des forces gouvernementales (B).

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