A. EN ZONE SOUS CONTROLE DES FORCES REBELLES
Dans la zone contrôlée par les rebelles, les
atteintes graves aux droits de l'enfant et au droit international humanitaire
perpétrées relèvent essentiellement des atteintes au droit
à la vie et l'intégrité physique. Il s'agit : des viols,
des traitements inhumains et exécutions sommaires, des charniers. On les
analysera successivement.
1. Des viols massifs
Le viol de guerre est considéré comme
illégal par le droit humanitaire depuis longtemps, les atrocités
sexuelles ont été ignorées par le tribunal de Nuremberg et
soulevées uniquement lors des procès de Tokyo1306.
Reconnaissant ce manquement lié au genre dans les poursuites pour crimes
de guerre, les groupes de défense des droits des femmes ont ardemment
combattu pour que ces crimes soient inclus dans le statut de Rome ainsi que
dans la TPIR et le TPIY. En résultat de ces efforts « le DIH et
le droit pénal international disposent désormais des
règles les plus féministes au monde en matière de punition
des viols et des violences sexuelles1307 »
Les rebelles, hommes sans foi ni loi, violaient
systématiquement et massivement les femmes, qu'elles soient mineures ou
majeures. Et, il convient de déplorer que beaucoup de
1306 MACKINNON (C.) , « Women's September
11th: Rethinking the international Law of conflict », Harvard
International Law Journal, vol.47 (2006), p.15.
1307 HALLEY (J.), « Rape in Berlin: Reconsidering the
criminalisation of rape in the international law of armed conflict », In.
Melbourne Journal of international law, vol.9, 2008, (citant les
propos d'Elisabeth Bernstein « La politique sexuelle des nouveaux
abolitionnistes », Differences : A Journal of feminist cultural
studies, vol.18, n°3, 2007, p.143.
465
filles à bas âge ont été,
déflorées, contraintes à perdre leur virginité.
Bénéficiant du climat d'insécurité et
d'impunité qui caractérise le contexte de conflit et de division
du territoire, les viols et autres violences sexuelles à l'égard
des enfants se sont développés. Plusieurs violations de droits se
trouvent regroupées dans cette énumération. Il y a d'une
part le viol à proprement parler qui est une infraction pénale
criminelle et d'autre part les autres violences sexuelles faites aux enfants
qui sont fermement condamnées par les Nations Unies1308.
Dans le cadre de son mécanisme de protection des
enfants et de suivi des violations des droits des enfants, l'Onuci a
rapporté plusieurs cas de viol commis sur les enfants et constaté
que « l'insécurité rampante et la
détérioration de l'infrastructure sociale et administrative qui
sont la conséquence du conflit ont notablement contribué au
niveau élevé de violence sexuelle à l'encontre des filles
et des femmes enregistrés en Côte d'Ivoire. Le climat
d'impunité des crimes sexuels a en outre exacerbé le
problème ».1309 Ledit rapport relève les cas
ci-après :
« a) Le 17 novembre 2005, une fille de 15 ans aurait
été violée dans un quartier de Belleville II
(Bouaké). Elle faisait partie d'un groupe de cinq filles ayant
confirmé aux spécialistes des droits de l'homme être
employées comme danseuses et prostituées dans le quartier
, · b) Le 18 décembre 2005, une jeune fille de 17 ans aurait
été sexuellement agressée à Guiglo par neuf hommes
non identifiés. Selon les informations disponibles, l'enquête
ouverte par la gendarmerie n'a pas progressé , · C) Le 5 mars
2006, à Alépé, une fille de 15 ans a été
violée à plusieurs reprises par un élément du
Centre de commandement des opérations de sécurité (CECOS).
Une enquête a été ouverte par la gendarmerie mais il semble
que celle-ci n'ait pas progressé , ·
d) L'ONU s'est mise en relation avec les FAFN pour
exprimer ses vives préoccupations au sujet du viol d'une fille de 14
ans, survenu en mars 2006 à Bouaké alors que celle-ci
était détenue par les FAFN. L'affaire a conduit les FAFN à
donner un ordre de commandement à l'effet de libérer la fillette,
lequel est cité dans la section VI ci-dessous , ·
1308 Bureau du Représentant spécial du
Secrétaire général pour le sort des enfants en temps de
conflit armé, Les six violations graves commises envers les enfants
en temps de conflit armé : Fondements juridiques, Octobre 2009 (mis
à jour en novembre 2013), pp.16-17.
1309 Rapport du Secrétaire général de
l'ONU sur "Les enfants et le conflit armé en Côte
d'Ivoire", Doc. ONU S/2006/835, pp. 7 et 8.
466
e) Le 26 juin 2006, les spécialistes des droits de
l'homme de l'ONUCI ont signalé qu'une écolière de 15 ans
aurait été violée par un élément des FAFN
à Danané. Un membre du personnel de l'école a
informé l'ONUCI du fait que les viols étaient courants dans
l'école mais que les parents préféraient garder le silence
par peur de représailles. »
A Bouaké, ville assiégée par les rebelles
depuis le 19 septembre 2002, les filles violées se comptaient par
centaines. Toutefois, le cas de K. Chantal1310, était
particulièrement poignant. Prise en otage par les rebelles, à
Bouaké, du Jeudi 19 septembre au mercredi 02 octobre 2002, elle a connu
l'enfer sur terre, subi les pires atrocités pendant treize (13) jours :
au vrai, elle a été violée à plusieurs reprises par
cinquante (50) hommes. Le témoignage de la victime est attristant et
émouvant : « c'était un calvaire (...). Ils abusaient de
moi à souhait et à volonté. J'ai été
violée par au moins une cinquantaine de personnes au total. A chaque
fois, c'étaient de nouvelles têtes qui abusaient de moi (...) sans
préservatif. C'étaient des personnes qui parlaient soit l'Anglais
soit le Bambara. Durant tout ce temps, je n'ai ni bu ni mangé (...) Les
assaillants ne se lavaient pas, sauf avec des mixtures supposées leur
apporter des forces surnaturelles »1311,
racontait-elle.
A l'Ouest, des jeunes filles qui ont été
violées se comptaient par milliers. Selon le rapport de Human Rights
Watch, autour de Zouan-Hounien, « il y a tellement de viols (...) on
n'en parle pas. Les rebelles commettent le viol devant le mari1312,
le font regarder puis le force à se mettre sur les genoux pour les
remercier »1313. Au regard des mariages précoces,
il apparait certain qu'au nombre des personnes violées, figrent des
enfants au sens du droit international.
A Man, des femmes et filles violées ont
été prises en otage et étaient devenues des «
épouses » des hommes de la rébellion. Ce sont elles
qui leur préparaient à manger. Mais, ce « mariage
forcé » était éphémère. En effet,
après une « vie conjugale » qui ne pouvait
excéder dix (10) jours, la rupture était toujours
consommée car les « maris » devaient aller combattre
ailleurs. Souvent, les mêmes femmes et filles subissaient les assauts
sexuels des hommes appartenant à un autre groupe de rebelles
remplaçant les précédents. C'est
1310 K. Chantal est un nom d'emprunt. Voir Soir Info
n°2440 du lundi 21 octobre 2002.
1311 Voir Soir Info n° 2449, du mardi 22 octobre
2002, p.4.
1312 Le mari était obligé d'assister à la
scène car s'il opposait un refus, il serait immédiatement
exécuté.
1313 Rapport de HUMAN RIGHTS WATCH in L'Inter n°1583
du mardi 19 Août 2003, p.7.
467
pourquoi, les « maris » jaloux tuaient
leurs « épouses » avant d'aller au combat. Ainsi,
dans la ville de Kouibly, des jeunes filles, au nombre de cinquante (50), qui
ont été enlevées et violées par des
rebelles1314 qui en ont fait leurs « épouses
», ont été, par la suite, « passées aux
armes »1315, avant le départ de leurs «
époux ».
Dans la zone rebelle, qui était une véritable
jungle, le viol en réunion exercé sur les filles mineures
était toujours pathétique, voire effroyable. Tel était
l'assaut sexuel subi par une petite fille de douze (12) ans, dans un petit
village situé entre Bangolo et Duékoué, à
l'écart de la route : elle avait été violée par
quatre (4) membres des forces rebelles parlant le Yacouba. Le témoignage
de sa tante est attendrissant : « ils ont violé ma
nièce, elle avait douze ans, une petite fille qui n'avait même pas
de seins. Elle pleurait mais ils l'ont quand même prise. Elle ne pouvait
même pas marcher après »1316, disait-elle.
A Guiglo, dans la sous-préfecture de
Péhé, une femme enceinte qui revenait du marigot, a
été aussi l'objet d'un viol en réunion
perpétré par six rebelles. Et, après l'avoir
violée, ils « ont piétiné son ventre alors
qu'elle portait une grossesse de deux mois, puis, ils lui ont introduit un
bâton dans le sexe. La grossesse est perdue »1317
Tous les faits ci-dessus rapportés sont constitutifs de
graves violations des droits de l'homme et du droit humanitaire. En effet, ce
sont des viols ou attentats à la pudeur accompagnés de prise
d'otages, de tortures, de traitements cruels, inhumains et
dégradants.
Or, aux termes de l'article 4 du 2ème
protocole additionnel aux Conventions de Genève relatif à la
protection des victimes des conflits armés non internationaux, sont
prohibés en tout temps et en tout lieu à l'égard des
personnes qui ne participent plus aux hostilités, « les
atteintes à la dignité de la personne, notamment, les traitements
humiliants et dégradants, le viol, la contrainte à la
prostitution et tout attentat à la pudeur ». En outre, les
articles 7 et 8 du Statut de la Cour pénale internationale (C.P.I.)
disposent que « le viol, l'esclavage sexuel, la prostitution
forcée, la grossesse forcée, la stérilisation
forcée ou toute autre forme de violence sexuelle de gravité
comparable » constituent des crimes contre l'humanité et
des
1314 Ces rebelles seraient essentiellement des
Burkinabè et des Libériens. Voir Soir Info n°2626
des mercredis et jeudi 29 mai 2003, p.6.
1315 Idem.
1316 Rapport de HUMAN RIGHTS WATCH, In. l'Inter
n°1583, op. cit., p.6. 1317 Idem.
468
469
crimes de guerre en cas de conflit armé interne.
Dès lors, les viols commis de façon systématique et
massive, par les rebelles sont des crimes extrêmement graves, voire
imprescriptibles, relevant de la compétence de la Cour pénale
internationale. A la vérité, le viol a, de tout temps,
été redoutable et redouté, car les victimes conservent les
séquelles qui en résultent pendant longtemps. Il provoque la
propagation de maladies sexuellement transmissibles, de graves traumatismes,
des grossesses, non désirées, la rupture des liens de
fiançailles et de mariage.
Outre le viol, d'autres violations inqualifiables des droits
de l'homme ont été commises à l'encontre des enfants, en
zone rebelle : ce sont notamment, les traitements inhumains et
exécutions sommaires.
2. Des enfants victimes de traitements inhumains et
d'exécutions sommaires
Les traitements inhumains et exécutions sommaires sont
expressément prohibés par le droit humanitaire.
A cet égard, en cas de conflit armé non
international, les forces gouvernementales et les insurgés sont tenus de
respecter un ensemble de règles minimales, appréhendées
comme des règles d'humanité. Ces dernières sont
principalement contenues dans les quatre conventions de Genève et leurs
protocoles additionnels.
Ces règles minimales régissant les conflits
armés non internationaux, prévues par l'article 3 commun aux
quatre conventions de Genève de 1949, sont complétées par
celles du deuxième protocole de 1977. Aux termes de l'article 4,
paragraphe 1er de ce protocole, « toutes les personnes qui
ne participent pas directement ou ne participent plus aux hostilités,
qu'elles soient ou non privées de liberté, ont droit au respect
de leur personne, de leur honneur, de leurs convictions et de leurs pratiques
religieuses. Elles seront en toutes circonstances traitées avec
humanité, sans aucune distinction de caractère
défavorable. Il est interdit d'ordonner qu'il n'y ait pas de survivants
». Son paragraphe 2 ajoute que sont prohibés, en tout temps et
en tout lieu, à l'égard des mêmes personnes : les atteintes
portées à la vie, à la santé et au bien-être
physique ou mental des personnes, en particulier le meurtre, de même que
les traitements cruels tels que la torture, les mutilations ou toutes formes de
peines corporelles ; les punitions collectives ; la prise d'otage ; les actes
de terrorisme ; les atteintes à la dignité de la personne,
notamment les traitements humiliants et dégradants, le
viol, la contrainte à la prostitution et tout attentat
à la pudeur ; l'esclavage et la traite des esclaves sous toutes leurs
formes ; le pillage ; la menace de commettre tous ces actes
précités.
Quant au paragraphe 3 de l'article 4, il dispose que les
enfants recevront les soins et l'aide dont ils ont besoin. Notamment, ils
devront recevoir une éducation, y compris une éducation
religieuse et morale, telle que la désirent leurs parents ou, en
l'absence de parents, les personnes qui en ont la garde ; ensuite, les enfants
de moins de quinze (15) ans ne devront pas être recrutés dans les
forces ou groupes armés, ni autorisés à prendre part aux
hostilités. A cet égard, des mesures seront prises, si
nécessaire et, chaque fois que ce sera possible, avec le consentement
des parents ou des personnes qui en ont la garde à titre principal en
vertu de la loi ou de la coutume, pour évacuer temporairement les
enfants du secteur où des hostilités ont lieu vers un secteur
plus sûr du pays, et pour les faire accompagner par des personnes
responsables de leur sécurité et de leur bien-être.
L'article 7 du même Protocole II de 1977énonce
que « tous les blessés, les malades et les naufragés,
qu'ils aient ou non pris part au conflit armé, seront respectés
et protégés. Ils seront, en toutes circonstances, traités
avec humanité et recevront, dans toute la mesure du possible et dans les
délais les plus brefs, les soins médicaux qu'exige leur
état. Aucune distinction fondée sur des critères autres
que médicaux ne sera faite entre eux ». Par ailleurs, les
circonstances le permettront, toutes les mesures possibles seront prises sans
retard pour rechercher et recueillir les blessés, les malades et les
naufragés, les protéger contre le pillage et les mauvais
traitements et leur assurer les soins appropriés, ainsi que pour
rechercher les morts, empêcher qu'ils soient dépouillés et
leur rendre les derniers devoirs1318 Le personnel sanitaire et
religieux, les unités et moyens de transport sanitaires doivent
être aussi respectés et protégés1319
Les ouvrages contenant des forces dangereuses, comme les
barrages, les digues, les centrales nucléaires de production
électrique ne doivent pas être attaquées, lorsque de telles
pratiques peuvent causer des pertes sévères dans la population
civile.
1318 Article 8Protocole II de 1977.
1319 Articles 9 et 11Protocole II de 1977.
470
En vertu de l'article 13 du Protocole II, la population civile
et les personnes civiles jouissent d'une protection1320
générale contre dangers résultant d'opérations
militaires. Pour cela, ni la population civile1321, en tant que
telle ni les personnes civiles ne devront être l'objet d'attaques. Sont
interdits les actes ou menaces de violence dont le but principal est de
répandre la terreur parmi la population civile. Seules les personnes
civiles qui participent directement aux hostilités, et pendant la
durée de cette participation, ne peuvent bénéficier de
cette protection.
L'article 14 dispose, en outre, qu'il est interdit d'utiliser
contre les personnes civiles la famine comme méthode de combat. C'est
pourquoi, il est interdit d'attaquer, de détruire, d'enlever ou de
mettre hors d'usage à cette fin des biens indispensables à la
survie de la population civile, tels que les denrées alimentaires et les
zones agricoles qui les produisent, les récoltes, le bétail, les
installations et réserves d'eau potable et les ouvrages d'irrigation.
Aux termes de l'article 17 du même protocole II, les
déplacements forcés sont interdits. Le paragraphe 1er
de l'article 17 dispose à cet effet : « Le déplacement
forcé de la population civile ne pourra être ordonné pour
des raisons ayant trait au conflit sauf dans les cas où la
sécurité des personnes civiles ou des raisons militaires
impératives l'exigent. Si un tel déplacement doit être
effectué, toutes les mesures possibles seront prises pour que la
population civile soit accueillie dans des conditions satisfaisantes de
logement, de salubrité, d'hygiène, de sécurité et
d'alimentation ». Quant au paragraphe 2 de l'article 17, il
énonce que « les personnes civiles ne pourront pas être
forcées de quitter leur propre territoire pour des raisons ayant trait
au conflit. »
Ces règles claires, expressément
exprimées, par l'article 3 commun aux quatre conventions de
Genève de 1949 et le deuxième protocole additionnel qui forment
le noyau dur du droit humanitaire, en matière de conflit armé non
international, n'ont guère été respectées en
Côte d'Ivoire.
1320 Conformément à l'article 16 du protocole
II, les biens culturels et les lieux de culte bénéficient
également de protection. En effet, il est interdit de commettre tout
acte d'hostilité dirigé contre les monuments historiques, les
oeuvres d'art ou les lieux de culte qui constituent le patrimoine culturel ou
spirituel des peuples et de les utiliser à l'appui de l'effort
militaire.
1321 La population civile est constituée par l'ensemble
des personnes civiles. Les personnes civiles ne sont pas porteuses d'armes et
ne participent pas aux combats ; en cas de doute sur le statut d'une personne,
elle est considérée comme civil.
471
A preuve, certaines régions du pays, qui ont
été occupées depuis le 19 septembre 2002, sont
parsemées d'ossements humains, de crânes et de squelettes humains,
en raison de multiples exécutions sommaires. Cette boucherie humaine en
zone rebelle, a commencé dans les villes de Bouaké et Korhogo
où des gendarmes, policiers et militaires ont été
exécutés sans ménagement. Selon M. Faustin TOHA «
le seul port de treillis était synonyme de mort (...). Pièces
d'identité arrachées, ils sont déshabillés et
ensuite c'est la rafale d'armes automatiques qui fait le reste
»1322. En outre, au centre et au nord de la Côte
d'Ivoire, les rebelles écumaient les villages et enlevaient les jeunes :
ceux qui refusaient d'être enrôlés étaient
automatiquement exécutés. L'enrôlement était
obligatoire, même pour les enfants mineurs de moins de quinze (15) ans :
il y a avait alors des enfants soldats dans les rangs des assaillants.
La situation était, à la vérité,
dramatique dans cette zone. Le culte du mort n'y était point
respecté à cause des nombreuses tueries, et aux
décès dus à la famine, aux intempéries et
endémies. Pire, les exécutions sommaires s'étaient
aggravées à partir du 26 octobre 2002 lorsque les villes de
Korhogo et Bouaké ont été
déclarés « zones de guerre » par le
Gouvernement ivoirien. En effet, outre les corps habillés, des civils y
compris les enfants ont été enlevés à leur
domicile, faits prisonniers puis exécutés par des
rebelles1323.
Pour libérer la ville de Bouaké, les forces
loyalistes ont lancé une offensive contre les rebelles les dimanches et
lundi 7 octobre 2002. Malheureusement, cette tentative de reconquête de
la capitale du centre s'est soldée par une défaite humiliante
pour l'armée régulière. Mais ayant découvert les
corps calcinés de leurs camarades, les rebelles s'en sont pris
violemment aux populations civiles, notamment aux résidents des
quartiers Ahougnansou, Nimbo, Broukro et N'gattakro. Avec des guides,
« ils sont entrés dans des cours où ils ont
exécutés les hommes, laissant les femmes et les enfants (...),
ont obligé plusieurs hommes en armes à se mettre nus et
défiler avec des cordes au cou »1324. A
1322 TOHA (F.), « Comment les rebelles exécutent
et torturent les soldats loyalistes », in La Bombe
n°586, du lundi 9 décembre 2002, p.3.
1323 KOFFI (K. E.), Les droits de l'homme dans l'Etat de
Côte d'Ivoire, Thèse unique de doctorat en droit public,
Université de Cocody, UFR SJAP, 2008, Tome 2, p.190.
1324 Voir L'Inter n° 130 du vendredi 11 octobre
2002, p.4.
472
Mankono, une famille1325 de treize
personnes a été entièrement exécutée alors
qu'elle célébrait des funérailles.
Le jeudi 26 décembre 2002, les élus et cadres du
Grand Centre1326 ont rencontré le Président Gbagbo
Laurent pour lui dresser le bilan des exactions et exécutions sommaires
perpétrées par les rebelles dans leur région. Il ressort
de ce bilan que de nombreux civils, des autorités traditionnelles et
politiques ont été enlevés, battus,
séquestrés, voire exécutés sans raison apparente.
Il ressort des propos de M. Jean Claude KOUASSI, Président du Conseil
Général de Bouaké, que la situation humanitaire dans le
grand Centre était particulièrement dramatique car les
exécutions arbitraires et extrajudiciaires étaient
aggravées par la famine et les épidémies : «
pénuries de denrées alimentaires et de produits de
première nécessité, de médicaments,
accentuée par la fermeture des banques, pharmacies (...),
l'impossibilité d'accès aux soins »1327.
A la vérité, l'extrême ouest de la
Côte d'Ivoire a payé le lourd tribut de cette « guerre
sale »1328 car, là-bas, l'horreur avait atteint son
paroxysme. En effet, dans cette zone, des torrents de sang ont coulé,
des êtres humains y compris des enfants ayant été
décapités ou égorgés comme des animaux. Il y a eu
des têtes perforées et écrasées, des bras et des
oreilles coupées, des pieds broyés par des roquettes, des organes
sexuels perforés ou arrachés, des langues coupées, des dos
tailladés1329.
A Toulepleu, dans le village de Seizimbly, Mme Vaha
Raymonde « qui portait une grossesse de 7 mois de son mari
Péhé Rigobert, a vu son ventre ouvert (opéré)
à la machette par les assaillants avant de l'égorger
1330». A Toa-Zéo, à six
kilomètres de Duékoué, les rebelles ont
jeté quatre jeunes gens dans un puits avant de les arroser de balles. En
outre, à Duékoué, des couples ont été
découpés à la machette ; et des corps non ensevelis ont
été dévorés par des chiens et des charognards. A
Bloléquin, des crimes effroyables ont été aussi
1325 Il s'agit de la famille de M. Amani TIEMOKO,
sous-préfet d'Anyama, Voir L'Inter n° 130 du vendredi 11
octobre 2002, p.4.
1326 Le Grand centre comprend : Dimbokro, Toumodi, Katiola,
Dabakala, Yamoussoukro, Bouaké, Tiébissou 1327 KOUASSI (J.-C.),
« C'est la faim qui fait fuir les populations », in 24 heures
n°188, du mercredi 16 octobre 2002, p.2.
1328 C'est une expression du Président Laurent GBAGBO.
1329 KOFFI (K. E.), Les droits de l'homme dans l'Etat de
Côte d'Ivoire, Thèse unique de doctorat en droit public,
Université de Cocody, UFR SJAP, 2008, Tome 2, p.192.
1330 Soir Info n°2531, des samedi 1er et
dimanche 02 février 2003, p.8.
473
commis. A titre d'exemple, les rebelles ont ligoté,
dans une case, six personnes avant d'y mettre le feu1331.
A Bohobly, gros village du département de
Toulepleu, déguisés en militaires FANCI, les rebelles ont
demandé au chef dudit village de réunir toute la population pour
un message du Président GBAGBO Laurent. Le Chef a alors convoqué,
avec empressement, tout le village, et ce, sont tous les villageois
réunis que les rebelles ont arrosés de balles, « tuant
près d'une centaine de personnes dont le chef »1332.
A Ziabli, aux environs de Man, les rebelles avaient
ligoté trois membres d'un comité d'autodéfense
composé d'enfants. Puis, à l'aide d'une corde, ils avaient
attaché leurs mains à un véhicule « qui avait
roulé à pleine vitesse pendant trois kilomètres. Puis les
rebelles ont égorgé l'un d'eux, ont décapité un
autre et ont fusillé par balle le troisième »1333.
Dans ces circonstances, l'ouest montagneux était devenu
un vaste cimetière où les cadavres jonchaient les brousses et
campements, les villes et villages, les pistes et routes, les puits et
marigots.
Selon l'agence catholique dénommée Agence
Misna, les atrocités commises par les rebelles sont
assimilables à des crimes contre l'humanité : «
exécutions sommaires, personnes âgées
brûlées vives dans leurs maisons, civils contraints à
enterrer leurs propres parents ou amis, cadavres jetés dans les puits
pour contaminer la source d'eau d'un village et le rendre inhabitable
»1334.
Ces violations graves et massives des droits de l'homme-enfant
et du droit humanitaire ont provoqué un exode forcé et massif des
populations vers les localités sous contrôle gouvernementale.
Hommes, femmes et enfants ont dû affronter les dangers et
intempéries pour échapper aux exactions et exécutions
sommaires quotidiennement et sauvagement perpétrées par les
bandes armées. Mais, certains fugitifs malheureux ont été
rattrapés et exécutés par les rebelles. Des femmes
enceintes ont été éventrées de façon
impitoyable. D'autres ont dû accoucher en pleine brousse, sans aucune
assistance médicale. Dans la
1331 Idem.
1332 KOHON (L.), « Massacre à l'ouest : des villages
incendiés, des habitants tués », in
Fraternité-Matin des
samedi 1er et dimanche 2 mars 2003, p.15.
1333 Rapport de HUMAN RIGHTS WATCH, in L'Inter
n°1583, op. cit., p.6.
1334 Voir Fraternité-Matin n° 11547 du mardi
6 mai 2003, p.14.
474
débandade, des vieillards et enfants ont
été abandonnés sur le chemin de l'exode, et des enfants se
sont égarés dans la forêt : de nombreuses familles
s'étaient ainsi disloquées.
Au fond, à l'Ouest, combattaient des acteurs multiples
: les forces régulières ou loyalistes, le MPIGO, le MJP, le MPCI,
les mercenaires libériens, les mercenaires sud-africains, les
mercenaires sierra léonais, le FLGO, les comités
d'autodéfense villageois luttant contre les pillards et les rebelles,
plusieurs petits mouvements de la rébellion libérienne, etc. Le
Ministre Roger BANCHI, chef rebelle du MPIGO, a alors avoué en mars 2003
: « La situation à l'ouest est hors de contrôle. Personne
ne peut dire exactement ce qui s'y passe »1335. Dans cet
imbroglio, l'ouest était devenu une véritable poudrière
où les morts se comptaient par milliers. La description de cette
situation chaotique dans le grand ouest par le Professeur BLEOU MARTIN est
extrêmement émouvante : « Les populations de l'Ouest de
la Côte d'Ivoire vivent une situation qui se confond en tous points avec
l'enfer (...) des rebelles ivoiriens, fortement appuyés par des
Libériens, pillent, violent, amputent, torturent ou tuent par centaines
et au quotidien les populations civiles. Les personnes qui parviennent à
se réfugier dans les forêts sont repérées
grâce à la fumée qui s'élève des feux
destinés à la cuisson de leur nourriture ; traquées, puis
rattrapées, ces personnes subissent les pires atrocités :
l'extermination. Livrées à elles-mêmes, sans protection ni
défense, les populations de l'ouest, qui n'ont pas réussi encore
à s'éloigner des zones sous contrôle rebelle, sont
aujourd'hui gravement menacées d'extermination »1336.
On le voit : les violations des droits et du droit humanitaire
subies par les populations des zones assiégées, notamment les
enfants, étaient effroyables et graves. Parce qu'elles étaient
sans protection et sans défense, ces populations avaient eu le sentiment
d'être abandonnées et oubliées1337. C'est
pourquoi, l'ex chef de l'Etat avait réagi le 31 décembre 2002 en
ces termes : « non, mes chers compatriotes, oublier les habitants du
nord, du centre et de l'ouest,
1335 Voir Fraternité Matin n°11547, du
mardi 6 mai 2003, p.14.
1336 BLEOU (M.), Déclaration de la LIDHO relative
aux massacres des populations civiles dans l'ouest du pays, le 28
février 2003, Abidjan.
1337 C'est dans l'attente angoissante, les cadres et Elus du
Grand Centre se sont indignés de la hiérarchisation des zones
occupées quant à leur libération : « Sakassou a
été occupée avant Daloa...S'il y a plusieurs Côte
d'Ivoire qu'on nous le dise et nous en tirerons les conséquences »,
ont-ils martelé sans passer par quatre chemins pour exiger du
gouvernement, la libération immédiate de Sakassou comme il l'a
fait pour d'autres villes de l'Ouest. Voir l'Inter n°1375 du
Samedi 7 et dimanche 8 décembre 2002, p.4
475
c'est oublier la Côte d'Ivoire elle-même. La
Côte d'Ivoire demeure une et solidaire (...) ; j'ai reçu ce pays
avec 322463 km2, je le rendrai à mon successeur avec 322463 km2
»1338.
Ce discours exprimant des sentiments de compassion et de
solidarité n'a pas permis aux populations des villes et régions
assiégées de recevoir la protection minimale attendue. Au
contraire, les atteintes au droit à la vie se sont aggravées,
avec la multiplication des charniers et fosses communes.
3. La découverte de charniers
d'enfants
Charniers contre charniers, massacres contre massacres : tel
fut le drame qu'a vécu la Côte d'Ivoire coupée en deux,
depuis le 19 septembre 2002 où des massacres et charniers se sont
multipliées aussi bien dans la zone rebelle que dans la zone
gouvernementale.
Dans la zone sous contrôle rebelle où
l'autorité du pouvoir central a fondu en quelques heures comme du beurre
au soleil, « des fils de ce pays aidés de mercenaires
étrangers et soutenus par des pays voisins et de nébuleuses
puissances financières » ont commis, quotidiennement, de
graves violations des droits de l'enfant. Dans l'offensive menée par les
troupes des FANCI pour faire cesser les exactions sans nom, sont survenues, en
cascade, de nombreux charniers et fosses communes découverts
çà et là.
Ici, nous évoquerons exclusivement le charnier
composé essentiellement des enfants, à l'exclusion des nombreux
autres charniers1339 qui ont été commis par les forces
en présence.
A deux kilomètres d'un village dénommé
BAOUBLI, gisait dans une rivière, un charnier composé
essentiellement d'enfants. Décrivant ces charniers, M. SERY BEAUGOSSE
affirme : « Dans l'eau, des corps sans vie flottent, entamés
par la décomposition et, rejetés par les poissons et toute la
faune carnivore des eaux, plus dégoûtés que repus par la
vue de ce spectacle horrible. Des corps sans visage, sans nom, pratiquement
nus, auxquels personne ne saura jamais donner une identité. Et, qui
n'auront peut-être jamais l'heure d'être enfouis dans une modeste
sépulture sont là, au grand air. Un peu plus loin sur la
terre
1338 Voir le Jour n°2313, du jeudi 2 janvier
2003, p.3.
1339 A Bouaké, un charnier de 86 corps a
été découvert par l'agence MISNA, agence de presse
catholique basée à Bouaké ; Il s'agit de tueries de civils
et de gendarmes commises dès les premiers jours de la rébellion.
Voir « Rapport d'Amnesty International », in L'Inter,
n°1442, du jeudi 27 février 2003, p.3-4 ; pour plus
d'informations sur les différents charniers, voir KOFFI Konan
Elisée, Les Droits de l'Homme dans l'Etat de Côte
d'Ivoire, thèse de doctorat, pp196-203.
476
ferme, apparaissent les squelettes de ceux qui furent
jadis des êtres humains »1340. Par ailleurs, dans la
plupart des villages, les puits ont été transformés en
tombes, des corps humains y ayant été jetés ; ce qui a
posé de sérieux problèmes d'eau potable.
Relativement, aux charniers susvisés, gisant en nombre
indéterminé dans la zone sous contrôle rebelle, et
constituant des violations extrêmement graves des droits de l'enfant et
du droit humanitaire, une question majeure et récurrente se pose,
à savoir : Qui sont les auteurs d'un tel carnage ? Ou encore qui a
causé ce charnier composé d'enfants ? A priori, on pourrait
penser que les rebelles sont responsables de ces tueries
perpétrées en zone rebelle. Or, pour montrer aux yeux de
l'opinion internationale et nationale qu'ils n'ont rien à se reprocher,
ces derniers avaient demandé l'ouverture d'une enquête
internationale, et ce pour situer les responsabilités. De l'autre
côté, les autorités régulières ivoiriennes
d'alors s'étaient dégagées de toute responsabilité
en invoquant que la localité qui a été le
théâtre du carnage était sous la responsabilité des
forces rebelles. A cet égard, le lieutenant YAO YAO, Ex-porte-parole de
l'état-major des FANCI avait affirmé : « les forces
républicaines ne se sentent pas concernées par cette affaire. Ces
tueries ne peuvent qu'être imputées aux assaillants (...) dont les
méthodes sont connues de tous »1341.
Face à cette situation où chacune des parties en
conflit niait sa responsabilité dans ces massacres
perpétrées à l'endroit des enfants, seule une
enquête fouillée, rigoureusement diligentée, permettrait de
déterminer, avec netteté, les responsables de ces nombreuses
tueries et exactions. Malheureusement jusqu'à ce jour, aucune
enquête émanant d'une juridiction nationale ou internationale
comme la CPI n'a pu permettre de situer les responsabilités des auteurs
de ce carnage de nombreux enfants.
1340 SERY (B.), « Un charnier découvert à
Fengolo (Duékoué) », in L'oeil du Peuple
n°337, du lundi 16 juin 2003, p.6.
1341 Voir le Patriote 2002, n°986 du lundi 9
décembre 2002, p.2.
477
Ces crimes sus analysés peuvent être
qualifiés de crimes de génocide1342, de crimes contre
l'humanité1343 ou de crimes de guerre1344.
Il suit de ce qui précède que les graves
violations du droit à la vie et à l'intégrité
physique commises en zone rebelle font partie des crimes les plus graves (qui
touchent l'ensemble de la communauté internationale) relevant de la
compétence de la Cour pénale internationale.
Dans la zone assiégée où il n'y a ni
police, ni gendarmerie, ni justice, la crise militaro-politique ivoirienne a eu
des effets extrêmement néfastes, avec son cortège de
violations graves et massives des droits fondamentaux des enfants. En zone
gouvernementale, la situation n'a pas non plus été rose : il s'y
est également produit des violations graves des droits ayant
plongé les enfants dans les profondeurs abyssales du
désespoir.
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