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L'effectivité des droits de l'enfant en Cote d'Ivoire


par Arsène NENI BI
Université Jean Moulin Lyon 3 - Doctorat en droit public 2018
  

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A. EN ZONE SOUS CONTROLE DES FORCES REBELLES

Dans la zone contrôlée par les rebelles, les atteintes graves aux droits de l'enfant et au droit international humanitaire perpétrées relèvent essentiellement des atteintes au droit à la vie et l'intégrité physique. Il s'agit : des viols, des traitements inhumains et exécutions sommaires, des charniers. On les analysera successivement.

1. Des viols massifs

Le viol de guerre est considéré comme illégal par le droit humanitaire depuis longtemps, les atrocités sexuelles ont été ignorées par le tribunal de Nuremberg et soulevées uniquement lors des procès de Tokyo1306. Reconnaissant ce manquement lié au genre dans les poursuites pour crimes de guerre, les groupes de défense des droits des femmes ont ardemment combattu pour que ces crimes soient inclus dans le statut de Rome ainsi que dans la TPIR et le TPIY. En résultat de ces efforts « le DIH et le droit pénal international disposent désormais des règles les plus féministes au monde en matière de punition des viols et des violences sexuelles1307 »

Les rebelles, hommes sans foi ni loi, violaient systématiquement et massivement les femmes, qu'elles soient mineures ou majeures. Et, il convient de déplorer que beaucoup de

1306 MACKINNON (C.) , « Women's September 11th: Rethinking the international Law of conflict », Harvard International Law Journal, vol.47 (2006), p.15.

1307 HALLEY (J.), « Rape in Berlin: Reconsidering the criminalisation of rape in the international law of armed conflict », In. Melbourne Journal of international law, vol.9, 2008, (citant les propos d'Elisabeth Bernstein « La politique sexuelle des nouveaux abolitionnistes », Differences : A Journal of feminist cultural studies, vol.18, n°3, 2007, p.143.

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filles à bas âge ont été, déflorées, contraintes à perdre leur virginité. Bénéficiant du climat d'insécurité et d'impunité qui caractérise le contexte de conflit et de division du territoire, les viols et autres violences sexuelles à l'égard des enfants se sont développés. Plusieurs violations de droits se trouvent regroupées dans cette énumération. Il y a d'une part le viol à proprement parler qui est une infraction pénale criminelle et d'autre part les autres violences sexuelles faites aux enfants qui sont fermement condamnées par les Nations Unies1308.

Dans le cadre de son mécanisme de protection des enfants et de suivi des violations des droits des enfants, l'Onuci a rapporté plusieurs cas de viol commis sur les enfants et constaté que « l'insécurité rampante et la détérioration de l'infrastructure sociale et administrative qui sont la conséquence du conflit ont notablement contribué au niveau élevé de violence sexuelle à l'encontre des filles et des femmes enregistrés en Côte d'Ivoire. Le climat d'impunité des crimes sexuels a en outre exacerbé le problème ».1309 Ledit rapport relève les cas ci-après :

« a) Le 17 novembre 2005, une fille de 15 ans aurait été violée dans un quartier de Belleville II (Bouaké). Elle faisait partie d'un groupe de cinq filles ayant confirmé aux spécialistes des droits de l'homme être employées comme danseuses et prostituées dans le quartier ,
· b) Le 18 décembre 2005, une jeune fille de 17 ans aurait été sexuellement agressée à Guiglo par neuf hommes non identifiés. Selon les informations disponibles, l'enquête ouverte par la gendarmerie n'a pas progressé ,
· C) Le 5 mars 2006, à Alépé, une fille de 15 ans a été violée à plusieurs reprises par un élément du Centre de commandement des opérations de sécurité (CECOS). Une enquête a été ouverte par la gendarmerie mais il semble que celle-ci n'ait pas progressé ,
·

d) L'ONU s'est mise en relation avec les FAFN pour exprimer ses vives préoccupations au sujet du viol d'une fille de 14 ans, survenu en mars 2006 à Bouaké alors que celle-ci était détenue par les FAFN. L'affaire a conduit les FAFN à donner un ordre de commandement à l'effet de libérer la fillette, lequel est cité dans la section VI ci-dessous ,
·

1308 Bureau du Représentant spécial du Secrétaire général pour le sort des enfants en temps de conflit armé, Les six violations graves commises envers les enfants en temps de conflit armé : Fondements juridiques, Octobre 2009 (mis à jour en novembre 2013), pp.16-17.

1309 Rapport du Secrétaire général de l'ONU sur "Les enfants et le conflit armé en Côte d'Ivoire", Doc. ONU S/2006/835, pp. 7 et 8.

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e) Le 26 juin 2006, les spécialistes des droits de l'homme de l'ONUCI ont signalé qu'une écolière de 15 ans aurait été violée par un élément des FAFN à Danané. Un membre du personnel de l'école a informé l'ONUCI du fait que les viols étaient courants dans l'école mais que les parents préféraient garder le silence par peur de représailles. »

A Bouaké, ville assiégée par les rebelles depuis le 19 septembre 2002, les filles violées se comptaient par centaines. Toutefois, le cas de K. Chantal1310, était particulièrement poignant. Prise en otage par les rebelles, à Bouaké, du Jeudi 19 septembre au mercredi 02 octobre 2002, elle a connu l'enfer sur terre, subi les pires atrocités pendant treize (13) jours : au vrai, elle a été violée à plusieurs reprises par cinquante (50) hommes. Le témoignage de la victime est attristant et émouvant : « c'était un calvaire (...). Ils abusaient de moi à souhait et à volonté. J'ai été violée par au moins une cinquantaine de personnes au total. A chaque fois, c'étaient de nouvelles têtes qui abusaient de moi (...) sans préservatif. C'étaient des personnes qui parlaient soit l'Anglais soit le Bambara. Durant tout ce temps, je n'ai ni bu ni mangé (...) Les assaillants ne se lavaient pas, sauf avec des mixtures supposées leur apporter des forces surnaturelles »1311, racontait-elle.

A l'Ouest, des jeunes filles qui ont été violées se comptaient par milliers. Selon le rapport de Human Rights Watch, autour de Zouan-Hounien, « il y a tellement de viols (...) on n'en parle pas. Les rebelles commettent le viol devant le mari1312, le font regarder puis le force à se mettre sur les genoux pour les remercier »1313. Au regard des mariages précoces, il apparait certain qu'au nombre des personnes violées, figrent des enfants au sens du droit international.

A Man, des femmes et filles violées ont été prises en otage et étaient devenues des « épouses » des hommes de la rébellion. Ce sont elles qui leur préparaient à manger. Mais, ce « mariage forcé » était éphémère. En effet, après une « vie conjugale » qui ne pouvait excéder dix (10) jours, la rupture était toujours consommée car les « maris » devaient aller combattre ailleurs. Souvent, les mêmes femmes et filles subissaient les assauts sexuels des hommes appartenant à un autre groupe de rebelles remplaçant les précédents. C'est

1310 K. Chantal est un nom d'emprunt. Voir Soir Info n°2440 du lundi 21 octobre 2002.

1311 Voir Soir Info n° 2449, du mardi 22 octobre 2002, p.4.

1312 Le mari était obligé d'assister à la scène car s'il opposait un refus, il serait immédiatement exécuté.

1313 Rapport de HUMAN RIGHTS WATCH in L'Inter n°1583 du mardi 19 Août 2003, p.7.

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pourquoi, les « maris » jaloux tuaient leurs « épouses » avant d'aller au combat. Ainsi, dans la ville de Kouibly, des jeunes filles, au nombre de cinquante (50), qui ont été enlevées et violées par des rebelles1314 qui en ont fait leurs « épouses », ont été, par la suite, « passées aux armes »1315, avant le départ de leurs « époux ».

Dans la zone rebelle, qui était une véritable jungle, le viol en réunion exercé sur les filles mineures était toujours pathétique, voire effroyable. Tel était l'assaut sexuel subi par une petite fille de douze (12) ans, dans un petit village situé entre Bangolo et Duékoué, à l'écart de la route : elle avait été violée par quatre (4) membres des forces rebelles parlant le Yacouba. Le témoignage de sa tante est attendrissant : « ils ont violé ma nièce, elle avait douze ans, une petite fille qui n'avait même pas de seins. Elle pleurait mais ils l'ont quand même prise. Elle ne pouvait même pas marcher après »1316, disait-elle.

A Guiglo, dans la sous-préfecture de Péhé, une femme enceinte qui revenait du marigot, a été aussi l'objet d'un viol en réunion perpétré par six rebelles. Et, après l'avoir violée, ils « ont piétiné son ventre alors qu'elle portait une grossesse de deux mois, puis, ils lui ont introduit un bâton dans le sexe. La grossesse est perdue »1317

Tous les faits ci-dessus rapportés sont constitutifs de graves violations des droits de l'homme et du droit humanitaire. En effet, ce sont des viols ou attentats à la pudeur accompagnés de prise d'otages, de tortures, de traitements cruels, inhumains et dégradants.

Or, aux termes de l'article 4 du 2ème protocole additionnel aux Conventions de Genève relatif à la protection des victimes des conflits armés non internationaux, sont prohibés en tout temps et en tout lieu à l'égard des personnes qui ne participent plus aux hostilités, « les atteintes à la dignité de la personne, notamment, les traitements humiliants et dégradants, le viol, la contrainte à la prostitution et tout attentat à la pudeur ». En outre, les articles 7 et 8 du Statut de la Cour pénale internationale (C.P.I.) disposent que « le viol, l'esclavage sexuel, la prostitution forcée, la grossesse forcée, la stérilisation forcée ou toute autre forme de violence sexuelle de gravité comparable » constituent des crimes contre l'humanité et des

1314 Ces rebelles seraient essentiellement des Burkinabè et des Libériens. Voir Soir Info n°2626 des mercredis et jeudi 29 mai 2003, p.6.

1315 Idem.

1316 Rapport de HUMAN RIGHTS WATCH, In. l'Inter n°1583, op. cit., p.6. 1317 Idem.

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crimes de guerre en cas de conflit armé interne. Dès lors, les viols commis de façon systématique et massive, par les rebelles sont des crimes extrêmement graves, voire imprescriptibles, relevant de la compétence de la Cour pénale internationale. A la vérité, le viol a, de tout temps, été redoutable et redouté, car les victimes conservent les séquelles qui en résultent pendant longtemps. Il provoque la propagation de maladies sexuellement transmissibles, de graves traumatismes, des grossesses, non désirées, la rupture des liens de fiançailles et de mariage.

Outre le viol, d'autres violations inqualifiables des droits de l'homme ont été commises à l'encontre des enfants, en zone rebelle : ce sont notamment, les traitements inhumains et exécutions sommaires.

2. Des enfants victimes de traitements inhumains et d'exécutions sommaires

Les traitements inhumains et exécutions sommaires sont expressément prohibés par le droit humanitaire.

A cet égard, en cas de conflit armé non international, les forces gouvernementales et les insurgés sont tenus de respecter un ensemble de règles minimales, appréhendées comme des règles d'humanité. Ces dernières sont principalement contenues dans les quatre conventions de Genève et leurs protocoles additionnels.

Ces règles minimales régissant les conflits armés non internationaux, prévues par l'article 3 commun aux quatre conventions de Genève de 1949, sont complétées par celles du deuxième protocole de 1977. Aux termes de l'article 4, paragraphe 1er de ce protocole, « toutes les personnes qui ne participent pas directement ou ne participent plus aux hostilités, qu'elles soient ou non privées de liberté, ont droit au respect de leur personne, de leur honneur, de leurs convictions et de leurs pratiques religieuses. Elles seront en toutes circonstances traitées avec humanité, sans aucune distinction de caractère défavorable. Il est interdit d'ordonner qu'il n'y ait pas de survivants ». Son paragraphe 2 ajoute que sont prohibés, en tout temps et en tout lieu, à l'égard des mêmes personnes : les atteintes portées à la vie, à la santé et au bien-être physique ou mental des personnes, en particulier le meurtre, de même que les traitements cruels tels que la torture, les mutilations ou toutes formes de peines corporelles ; les punitions collectives ; la prise d'otage ; les actes de terrorisme ; les atteintes à la dignité de la personne, notamment les traitements humiliants et dégradants, le

viol, la contrainte à la prostitution et tout attentat à la pudeur ; l'esclavage et la traite des esclaves sous toutes leurs formes ; le pillage ; la menace de commettre tous ces actes précités.

Quant au paragraphe 3 de l'article 4, il dispose que les enfants recevront les soins et l'aide dont ils ont besoin. Notamment, ils devront recevoir une éducation, y compris une éducation religieuse et morale, telle que la désirent leurs parents ou, en l'absence de parents, les personnes qui en ont la garde ; ensuite, les enfants de moins de quinze (15) ans ne devront pas être recrutés dans les forces ou groupes armés, ni autorisés à prendre part aux hostilités. A cet égard, des mesures seront prises, si nécessaire et, chaque fois que ce sera possible, avec le consentement des parents ou des personnes qui en ont la garde à titre principal en vertu de la loi ou de la coutume, pour évacuer temporairement les enfants du secteur où des hostilités ont lieu vers un secteur plus sûr du pays, et pour les faire accompagner par des personnes responsables de leur sécurité et de leur bien-être.

L'article 7 du même Protocole II de 1977énonce que « tous les blessés, les malades et les naufragés, qu'ils aient ou non pris part au conflit armé, seront respectés et protégés. Ils seront, en toutes circonstances, traités avec humanité et recevront, dans toute la mesure du possible et dans les délais les plus brefs, les soins médicaux qu'exige leur état. Aucune distinction fondée sur des critères autres que médicaux ne sera faite entre eux ». Par ailleurs, les circonstances le permettront, toutes les mesures possibles seront prises sans retard pour rechercher et recueillir les blessés, les malades et les naufragés, les protéger contre le pillage et les mauvais traitements et leur assurer les soins appropriés, ainsi que pour rechercher les morts, empêcher qu'ils soient dépouillés et leur rendre les derniers devoirs1318 Le personnel sanitaire et religieux, les unités et moyens de transport sanitaires doivent être aussi respectés et protégés1319

Les ouvrages contenant des forces dangereuses, comme les barrages, les digues, les centrales nucléaires de production électrique ne doivent pas être attaquées, lorsque de telles pratiques peuvent causer des pertes sévères dans la population civile.

1318 Article 8Protocole II de 1977.

1319 Articles 9 et 11Protocole II de 1977.

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En vertu de l'article 13 du Protocole II, la population civile et les personnes civiles jouissent d'une protection1320 générale contre dangers résultant d'opérations militaires. Pour cela, ni la population civile1321, en tant que telle ni les personnes civiles ne devront être l'objet d'attaques. Sont interdits les actes ou menaces de violence dont le but principal est de répandre la terreur parmi la population civile. Seules les personnes civiles qui participent directement aux hostilités, et pendant la durée de cette participation, ne peuvent bénéficier de cette protection.

L'article 14 dispose, en outre, qu'il est interdit d'utiliser contre les personnes civiles la famine comme méthode de combat. C'est pourquoi, il est interdit d'attaquer, de détruire, d'enlever ou de mettre hors d'usage à cette fin des biens indispensables à la survie de la population civile, tels que les denrées alimentaires et les zones agricoles qui les produisent, les récoltes, le bétail, les installations et réserves d'eau potable et les ouvrages d'irrigation.

Aux termes de l'article 17 du même protocole II, les déplacements forcés sont interdits. Le paragraphe 1er de l'article 17 dispose à cet effet : « Le déplacement forcé de la population civile ne pourra être ordonné pour des raisons ayant trait au conflit sauf dans les cas où la sécurité des personnes civiles ou des raisons militaires impératives l'exigent. Si un tel déplacement doit être effectué, toutes les mesures possibles seront prises pour que la population civile soit accueillie dans des conditions satisfaisantes de logement, de salubrité, d'hygiène, de sécurité et d'alimentation ». Quant au paragraphe 2 de l'article 17, il énonce que « les personnes civiles ne pourront pas être forcées de quitter leur propre territoire pour des raisons ayant trait au conflit. »

Ces règles claires, expressément exprimées, par l'article 3 commun aux quatre conventions de Genève de 1949 et le deuxième protocole additionnel qui forment le noyau dur du droit humanitaire, en matière de conflit armé non international, n'ont guère été respectées en Côte d'Ivoire.

1320 Conformément à l'article 16 du protocole II, les biens culturels et les lieux de culte bénéficient également de protection. En effet, il est interdit de commettre tout acte d'hostilité dirigé contre les monuments historiques, les oeuvres d'art ou les lieux de culte qui constituent le patrimoine culturel ou spirituel des peuples et de les utiliser à l'appui de l'effort militaire.

1321 La population civile est constituée par l'ensemble des personnes civiles. Les personnes civiles ne sont pas porteuses d'armes et ne participent pas aux combats ; en cas de doute sur le statut d'une personne, elle est considérée comme civil.

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A preuve, certaines régions du pays, qui ont été occupées depuis le 19 septembre 2002, sont parsemées d'ossements humains, de crânes et de squelettes humains, en raison de multiples exécutions sommaires. Cette boucherie humaine en zone rebelle, a commencé dans les villes de Bouaké et Korhogo où des gendarmes, policiers et militaires ont été exécutés sans ménagement. Selon M. Faustin TOHA « le seul port de treillis était synonyme de mort (...). Pièces d'identité arrachées, ils sont déshabillés et ensuite c'est la rafale d'armes automatiques qui fait le reste »1322. En outre, au centre et au nord de la Côte d'Ivoire, les rebelles écumaient les villages et enlevaient les jeunes : ceux qui refusaient d'être enrôlés étaient automatiquement exécutés. L'enrôlement était obligatoire, même pour les enfants mineurs de moins de quinze (15) ans : il y a avait alors des enfants soldats dans les rangs des assaillants.

La situation était, à la vérité, dramatique dans cette zone. Le culte du mort n'y était point respecté à cause des nombreuses tueries, et aux décès dus à la famine, aux intempéries et endémies. Pire, les exécutions sommaires s'étaient aggravées à partir du 26 octobre 2002 lorsque les villes de Korhogo et Bouaké ont été déclarés « zones de guerre » par le Gouvernement ivoirien. En effet, outre les corps habillés, des civils y compris les enfants ont été enlevés à leur domicile, faits prisonniers puis exécutés par des rebelles1323.

Pour libérer la ville de Bouaké, les forces loyalistes ont lancé une offensive contre les rebelles les dimanches et lundi 7 octobre 2002. Malheureusement, cette tentative de reconquête de la capitale du centre s'est soldée par une défaite humiliante pour l'armée régulière. Mais ayant découvert les corps calcinés de leurs camarades, les rebelles s'en sont pris violemment aux populations civiles, notamment aux résidents des quartiers Ahougnansou, Nimbo, Broukro et N'gattakro. Avec des guides, « ils sont entrés dans des cours où ils ont exécutés les hommes, laissant les femmes et les enfants (...), ont obligé plusieurs hommes en armes à se mettre nus et défiler avec des cordes au cou »1324. A

1322 TOHA (F.), « Comment les rebelles exécutent et torturent les soldats loyalistes », in La Bombe n°586, du lundi 9 décembre 2002, p.3.

1323 KOFFI (K. E.), Les droits de l'homme dans l'Etat de Côte d'Ivoire, Thèse unique de doctorat en droit public, Université de Cocody, UFR SJAP, 2008, Tome 2, p.190.

1324 Voir L'Inter n° 130 du vendredi 11 octobre 2002, p.4.

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Mankono, une famille1325 de treize personnes a été entièrement exécutée alors qu'elle célébrait des funérailles.

Le jeudi 26 décembre 2002, les élus et cadres du Grand Centre1326 ont rencontré le Président Gbagbo Laurent pour lui dresser le bilan des exactions et exécutions sommaires perpétrées par les rebelles dans leur région. Il ressort de ce bilan que de nombreux civils, des autorités traditionnelles et politiques ont été enlevés, battus, séquestrés, voire exécutés sans raison apparente. Il ressort des propos de M. Jean Claude KOUASSI, Président du Conseil Général de Bouaké, que la situation humanitaire dans le grand Centre était particulièrement dramatique car les exécutions arbitraires et extrajudiciaires étaient aggravées par la famine et les épidémies : « pénuries de denrées alimentaires et de produits de première nécessité, de médicaments, accentuée par la fermeture des banques, pharmacies (...), l'impossibilité d'accès aux soins »1327.

A la vérité, l'extrême ouest de la Côte d'Ivoire a payé le lourd tribut de cette « guerre sale »1328 car, là-bas, l'horreur avait atteint son paroxysme. En effet, dans cette zone, des torrents de sang ont coulé, des êtres humains y compris des enfants ayant été décapités ou égorgés comme des animaux. Il y a eu des têtes perforées et écrasées, des bras et des oreilles coupées, des pieds broyés par des roquettes, des organes sexuels perforés ou arrachés, des langues coupées, des dos tailladés1329.

A Toulepleu, dans le village de Seizimbly, Mme Vaha Raymonde « qui portait une grossesse de 7 mois de son mari Péhé Rigobert, a vu son ventre ouvert (opéré) à la machette par les assaillants avant de l'égorger 1330». A Toa-Zéo, à six kilomètres de Duékoué, les rebelles ont jeté quatre jeunes gens dans un puits avant de les arroser de balles. En outre, à Duékoué, des couples ont été découpés à la machette ; et des corps non ensevelis ont été dévorés par des chiens et des charognards. A Bloléquin, des crimes effroyables ont été aussi

1325 Il s'agit de la famille de M. Amani TIEMOKO, sous-préfet d'Anyama, Voir L'Inter n° 130 du vendredi 11 octobre 2002, p.4.

1326 Le Grand centre comprend : Dimbokro, Toumodi, Katiola, Dabakala, Yamoussoukro, Bouaké, Tiébissou 1327 KOUASSI (J.-C.), « C'est la faim qui fait fuir les populations », in 24 heures n°188, du mercredi 16 octobre 2002, p.2.

1328 C'est une expression du Président Laurent GBAGBO.

1329 KOFFI (K. E.), Les droits de l'homme dans l'Etat de Côte d'Ivoire, Thèse unique de doctorat en droit public, Université de Cocody, UFR SJAP, 2008, Tome 2, p.192.

1330 Soir Info n°2531, des samedi 1er et dimanche 02 février 2003, p.8.

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commis. A titre d'exemple, les rebelles ont ligoté, dans une case, six personnes avant d'y mettre le feu1331.

A Bohobly, gros village du département de Toulepleu, déguisés en militaires FANCI, les rebelles ont demandé au chef dudit village de réunir toute la population pour un message du Président GBAGBO Laurent. Le Chef a alors convoqué, avec empressement, tout le village, et ce, sont tous les villageois réunis que les rebelles ont arrosés de balles, « tuant près d'une centaine de personnes dont le chef »1332.

A Ziabli, aux environs de Man, les rebelles avaient ligoté trois membres d'un comité d'autodéfense composé d'enfants. Puis, à l'aide d'une corde, ils avaient attaché leurs mains à un véhicule « qui avait roulé à pleine vitesse pendant trois kilomètres. Puis les rebelles ont égorgé l'un d'eux, ont décapité un autre et ont fusillé par balle le troisième »1333.

Dans ces circonstances, l'ouest montagneux était devenu un vaste cimetière où les cadavres jonchaient les brousses et campements, les villes et villages, les pistes et routes, les puits et marigots.

Selon l'agence catholique dénommée Agence Misna, les atrocités commises par les rebelles sont assimilables à des crimes contre l'humanité : « exécutions sommaires, personnes âgées brûlées vives dans leurs maisons, civils contraints à enterrer leurs propres parents ou amis, cadavres jetés dans les puits pour contaminer la source d'eau d'un village et le rendre inhabitable »1334.

Ces violations graves et massives des droits de l'homme-enfant et du droit humanitaire ont provoqué un exode forcé et massif des populations vers les localités sous contrôle gouvernementale. Hommes, femmes et enfants ont dû affronter les dangers et intempéries pour échapper aux exactions et exécutions sommaires quotidiennement et sauvagement perpétrées par les bandes armées. Mais, certains fugitifs malheureux ont été rattrapés et exécutés par les rebelles. Des femmes enceintes ont été éventrées de façon impitoyable. D'autres ont dû accoucher en pleine brousse, sans aucune assistance médicale. Dans la

1331 Idem.

1332 KOHON (L.), « Massacre à l'ouest : des villages incendiés, des habitants tués », in Fraternité-Matin des

samedi 1er et dimanche 2 mars 2003, p.15.

1333 Rapport de HUMAN RIGHTS WATCH, in L'Inter n°1583, op. cit., p.6.

1334 Voir Fraternité-Matin n° 11547 du mardi 6 mai 2003, p.14.

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débandade, des vieillards et enfants ont été abandonnés sur le chemin de l'exode, et des enfants se sont égarés dans la forêt : de nombreuses familles s'étaient ainsi disloquées.

Au fond, à l'Ouest, combattaient des acteurs multiples : les forces régulières ou loyalistes, le MPIGO, le MJP, le MPCI, les mercenaires libériens, les mercenaires sud-africains, les mercenaires sierra léonais, le FLGO, les comités d'autodéfense villageois luttant contre les pillards et les rebelles, plusieurs petits mouvements de la rébellion libérienne, etc. Le Ministre Roger BANCHI, chef rebelle du MPIGO, a alors avoué en mars 2003 : « La situation à l'ouest est hors de contrôle. Personne ne peut dire exactement ce qui s'y passe »1335. Dans cet imbroglio, l'ouest était devenu une véritable poudrière où les morts se comptaient par milliers. La description de cette situation chaotique dans le grand ouest par le Professeur BLEOU MARTIN est extrêmement émouvante : « Les populations de l'Ouest de la Côte d'Ivoire vivent une situation qui se confond en tous points avec l'enfer (...) des rebelles ivoiriens, fortement appuyés par des Libériens, pillent, violent, amputent, torturent ou tuent par centaines et au quotidien les populations civiles. Les personnes qui parviennent à se réfugier dans les forêts sont repérées grâce à la fumée qui s'élève des feux destinés à la cuisson de leur nourriture ; traquées, puis rattrapées, ces personnes subissent les pires atrocités : l'extermination. Livrées à elles-mêmes, sans protection ni défense, les populations de l'ouest, qui n'ont pas réussi encore à s'éloigner des zones sous contrôle rebelle, sont aujourd'hui gravement menacées d'extermination »1336.

On le voit : les violations des droits et du droit humanitaire subies par les populations des zones assiégées, notamment les enfants, étaient effroyables et graves. Parce qu'elles étaient sans protection et sans défense, ces populations avaient eu le sentiment d'être abandonnées et oubliées1337. C'est pourquoi, l'ex chef de l'Etat avait réagi le 31 décembre 2002 en ces termes : « non, mes chers compatriotes, oublier les habitants du nord, du centre et de l'ouest,

1335 Voir Fraternité Matin n°11547, du mardi 6 mai 2003, p.14.

1336 BLEOU (M.), Déclaration de la LIDHO relative aux massacres des populations civiles dans l'ouest du pays, le 28 février 2003, Abidjan.

1337 C'est dans l'attente angoissante, les cadres et Elus du Grand Centre se sont indignés de la hiérarchisation des zones occupées quant à leur libération : « Sakassou a été occupée avant Daloa...S'il y a plusieurs Côte d'Ivoire qu'on nous le dise et nous en tirerons les conséquences », ont-ils martelé sans passer par quatre chemins pour exiger du gouvernement, la libération immédiate de Sakassou comme il l'a fait pour d'autres villes de l'Ouest. Voir l'Inter n°1375 du Samedi 7 et dimanche 8 décembre 2002, p.4

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c'est oublier la Côte d'Ivoire elle-même. La Côte d'Ivoire demeure une et solidaire (...) ; j'ai reçu ce pays avec 322463 km2, je le rendrai à mon successeur avec 322463 km2 »1338.

Ce discours exprimant des sentiments de compassion et de solidarité n'a pas permis aux populations des villes et régions assiégées de recevoir la protection minimale attendue. Au contraire, les atteintes au droit à la vie se sont aggravées, avec la multiplication des charniers et fosses communes.

3. La découverte de charniers d'enfants

Charniers contre charniers, massacres contre massacres : tel fut le drame qu'a vécu la Côte d'Ivoire coupée en deux, depuis le 19 septembre 2002 où des massacres et charniers se sont multipliées aussi bien dans la zone rebelle que dans la zone gouvernementale.

Dans la zone sous contrôle rebelle où l'autorité du pouvoir central a fondu en quelques heures comme du beurre au soleil, « des fils de ce pays aidés de mercenaires étrangers et soutenus par des pays voisins et de nébuleuses puissances financières » ont commis, quotidiennement, de graves violations des droits de l'enfant. Dans l'offensive menée par les troupes des FANCI pour faire cesser les exactions sans nom, sont survenues, en cascade, de nombreux charniers et fosses communes découverts çà et là.

Ici, nous évoquerons exclusivement le charnier composé essentiellement des enfants, à l'exclusion des nombreux autres charniers1339 qui ont été commis par les forces en présence.

A deux kilomètres d'un village dénommé BAOUBLI, gisait dans une rivière, un charnier composé essentiellement d'enfants. Décrivant ces charniers, M. SERY BEAUGOSSE affirme : « Dans l'eau, des corps sans vie flottent, entamés par la décomposition et, rejetés par les poissons et toute la faune carnivore des eaux, plus dégoûtés que repus par la vue de ce spectacle horrible. Des corps sans visage, sans nom, pratiquement nus, auxquels personne ne saura jamais donner une identité. Et, qui n'auront peut-être jamais l'heure d'être enfouis dans une modeste sépulture sont là, au grand air. Un peu plus loin sur la terre

1338 Voir le Jour n°2313, du jeudi 2 janvier 2003, p.3.

1339 A Bouaké, un charnier de 86 corps a été découvert par l'agence MISNA, agence de presse catholique basée à Bouaké ; Il s'agit de tueries de civils et de gendarmes commises dès les premiers jours de la rébellion. Voir « Rapport d'Amnesty International », in L'Inter, n°1442, du jeudi 27 février 2003, p.3-4 ; pour plus d'informations sur les différents charniers, voir KOFFI Konan Elisée, Les Droits de l'Homme dans l'Etat de Côte d'Ivoire, thèse de doctorat, pp196-203.

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ferme, apparaissent les squelettes de ceux qui furent jadis des êtres humains »1340. Par ailleurs, dans la plupart des villages, les puits ont été transformés en tombes, des corps humains y ayant été jetés ; ce qui a posé de sérieux problèmes d'eau potable.

Relativement, aux charniers susvisés, gisant en nombre indéterminé dans la zone sous contrôle rebelle, et constituant des violations extrêmement graves des droits de l'enfant et du droit humanitaire, une question majeure et récurrente se pose, à savoir : Qui sont les auteurs d'un tel carnage ? Ou encore qui a causé ce charnier composé d'enfants ? A priori, on pourrait penser que les rebelles sont responsables de ces tueries perpétrées en zone rebelle. Or, pour montrer aux yeux de l'opinion internationale et nationale qu'ils n'ont rien à se reprocher, ces derniers avaient demandé l'ouverture d'une enquête internationale, et ce pour situer les responsabilités. De l'autre côté, les autorités régulières ivoiriennes d'alors s'étaient dégagées de toute responsabilité en invoquant que la localité qui a été le théâtre du carnage était sous la responsabilité des forces rebelles. A cet égard, le lieutenant YAO YAO, Ex-porte-parole de l'état-major des FANCI avait affirmé : « les forces républicaines ne se sentent pas concernées par cette affaire. Ces tueries ne peuvent qu'être imputées aux assaillants (...) dont les méthodes sont connues de tous »1341.

Face à cette situation où chacune des parties en conflit niait sa responsabilité dans ces massacres perpétrées à l'endroit des enfants, seule une enquête fouillée, rigoureusement diligentée, permettrait de déterminer, avec netteté, les responsables de ces nombreuses tueries et exactions. Malheureusement jusqu'à ce jour, aucune enquête émanant d'une juridiction nationale ou internationale comme la CPI n'a pu permettre de situer les responsabilités des auteurs de ce carnage de nombreux enfants.

1340 SERY (B.), « Un charnier découvert à Fengolo (Duékoué) », in L'oeil du Peuple n°337, du lundi 16 juin 2003, p.6.

1341 Voir le Patriote 2002, n°986 du lundi 9 décembre 2002, p.2.

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Ces crimes sus analysés peuvent être qualifiés de crimes de génocide1342, de crimes contre l'humanité1343 ou de crimes de guerre1344.

Il suit de ce qui précède que les graves violations du droit à la vie et à l'intégrité physique commises en zone rebelle font partie des crimes les plus graves (qui touchent l'ensemble de la communauté internationale) relevant de la compétence de la Cour pénale internationale.

Dans la zone assiégée où il n'y a ni police, ni gendarmerie, ni justice, la crise militaro-politique ivoirienne a eu des effets extrêmement néfastes, avec son cortège de violations graves et massives des droits fondamentaux des enfants. En zone gouvernementale, la situation n'a pas non plus été rose : il s'y est également produit des violations graves des droits ayant plongé les enfants dans les profondeurs abyssales du désespoir.

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