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L'effectivité des droits de l'enfant en Cote d'Ivoire


par Arsène NENI BI
Université Jean Moulin Lyon 3 - Doctorat en droit public 2018
  

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Chapitre I :

L'IDENTIFICATION DES CAUSES D'INEFFECTIVITE DES DROITS
FONDAMENTAUX DE L'ENFANT

En Côte d'Ivoire, l'ineffectivité des droits de l'enfant comme des droits de l'homme résulte d'une imbrication de plusieurs facteurs1400. Certains sont visibles et apparents ; d'autres sont sournois, mal connus, cachés, détectables seulement à partir d'études approfondies et rigoureuses. Pour les besoins de clarté, on aurait pu les regrouper en deux catégories : les facteurs juridiques et les facteurs extra-juridiques. Toutefois, une telle option nous aurait conduit à un plan difforme, les données extra-juridiques étant plus nombreuses. Aussi, aux fins de mieux cerner les causes d'ineffectivité des droits fondamentaux de l'enfant, nous aborderons successivement, les causes tenant à la complexité des règles internationales de protection des droits de l'enfant et à la conclusion tardive des conventions internationales par la Côte d'Ivoire (Section 1), les causes de l'ineffectivité du droit à la survie, au développement et à la participation des enfants (section 2), avant d'examiner les causes des abus contre toute forme de protection des enfants (section 3).

1400 MADIOT (Y.), Considérations sur les droits et les devoirs de l'homme, Bruylant, Bruxelles, 1998, p.166

ss.

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SECTION I. LES CAUSES TENANT A LA COMPLEXITE DES REGLES INTERNATIONALES DE PROTECTION DES DROITS DE L'ENFANT ET A LA CONCLUSION TARDIVE DES CONVENTIONS INTERNATIONALES

Une des difficultés d'application des droits de l'enfant promus et protégés par les normes internationales et régionales de protection des droits de l'enfant découle du caractère conditionné de la réalisation des droits économiques, sociaux et culturels (DESC)1401. Ce particularisme des DESC est clairement affirmé à l'article 4 de la Convention des Nations Unies relative aux droits de l'enfant qui dispose : « Les États parties s'engagent à prendre toutes les mesures législatives, administratives et autres qui sont nécessaires pour mettre en oeuvre les droits reconnus dans la présente Convention. Dans le cas des droits économiques, sociaux et culturels, ils prennent ces mesures dans toutes les limites des ressources disponibles,... ». Quant à la Charte africaine des droits et du bien-être de l'enfant, elle n'a pas adopté la même démarche, qui consiste à viser clairement et de façon générale tous les droits économiques, sociaux et culturels. Elle y va article par article. Ainsi, peut-on lire par exemple à l'article 13 alinéa 2 et 3 que : « Les États parties à la présente Charte s'engagent, dans la mesure des ressources disponibles, à fournir à l'enfant handicapé et à ceux qui sont chargés de son entretien, l'assistance qui aura été demandée et qui est appropriée compte tenu de la condition de l'enfant... » ; À l'article 20 al. 2 de la même Charte, on peut lire ceci :

« Les États parties à la présente Charte, compte tenu de leurs moyens et de leur situation nationale, prennent toutes les mesures appropriées pour :

a) Assister les parents ou autres personnes responsables de l'enfant, et en cas de besoin, prévoir des programmes d'assistance matérielle et de soutien, ...

b) Assister les parents ou autres personnes responsables de l'enfant pour les aider à s'acquitter de leurs tâches vis-à-vis de l'enfant,...

c) Veiller à ce que les enfants des familles où les deux parents travaillent bénéficient d'installations et de services de garderie.

1401 BELLO (S.), La traite des enfants en Afrique, L'application des conventions internationales relatives aux droits de l'enfant en République du Bénin, L'Harmattan 2015, p.257.

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Ces deux normes, d'une certaine manière demandent les efforts des États parties dans la limite « des ressources disponibles » pour la mise en oeuvre de certains droits de l'enfant. Cependant, nous allons nous focaliser sur le cas de l'article 4 de la Convention des Nations unies relative aux droits de l'enfant (CIDE), non seulement à cause de son caractère universel, mais aussi à cause des éléments d'analyse qu'offrent les organes des Nations Unies comme le Comité des droits de l'enfant et le Conseil économique et social1402. Nous verrons donc comment l'article 4 de la CIDE pourrait être interprété comme un obstacle à l'effectivité des droits de l'enfant au regard des conséquences de l'article 4 de la CDE sur la réalisation des droits de l'enfant (Paragraphe 1). Aussi, les réticences de l'Etat ivoirien à l'égard des conventions internationales relatives aux droits de l'enfant expliquent également l'ineffectivité partielle de ces droits au regard de la conclusion tardive des instruments internationaux par le pays (Paragraphe 2).

§ 1. ANALYSE DE L'ARTICLE 4 DE LA CIDE COMME FACTEUR EXPLICATIF DE L'INEFFECTIVITE DES DROITS DE L'ENFANT

A la lecture de l'article 4 de la Convention des Nations unies relative aux droits de l'enfant, le premier élément qui interpelle est la distinction entre la réalisation des droits économiques, sociaux et culturels et les autres droits. Ainsi, peut-on lire : «Dans le cas des droits économiques, sociaux et culturels, ils [États] prennent ces mesures dans toutes les limites des ressources disponibles,...». Or, nulle part dans la convention, une distinction claire n'est opérée entre cette catégorie de droits et d'autres. Les droits civils et politiques ? Sans doute. Car, c'est à ce jour, les deux principales catégories de distinction en droits humains matérialisées par les deux pactes de 19661403. Cette distinction de ces droits peut partiellement expliquer l'ineffectivité des droits sociaux et économiques. De même, subrepticement, l'article 4 de la CDE n'apparait-il pas comme une violation du principe de la-non-discrimination, se muant par là même en vecteur d'ineffectivité des DESC-enfants ?

1402 BELLO (S.), La traite des enfants en Afrique, L'application des conventions internationales relatives aux droits de l'enfant en République du Bénin, L'Harmattan 2015, pp.257.265.

1403 Ibid.

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La Convention des Nations Unies relative aux droits de l'enfant ne distingue pas explicitement entre les droits civils et politiques et les droits économiques, sociaux et culturels de l'enfant. Néanmoins, la spécification faite pour la mise en oeuvre des droits économiques, sociaux et culturels par les rédacteurs de la Convention traduit une volonté de distinction entre ces deux catégories traditionnelles des droits humains. Ceci nous ramène aux divergences idéologiques et politiques qui ont amené l'Assemblée des Nations Unies à adopter les droits de DUDH1404 en deux pactes distincts, caractérisés par une hiérarchisation des droits humains1405. En effet, les droits du PIDCP1406 étaient considérés comme des droits de la première génération alors que les droits du PIDESC1407 étaient considérés comme les droits de la deuxième génération, donc secondaires dans leur mise en oeuvre.

En effet, si d'un côté : « Les États parties s'engagent à prendre toutes les mesures législatives, administratives et autres qui sont nécessaires pour mettre en oeuvre les droits reconnus dans la présente Convention. Dans le cas des droits économiques, sociaux et culturels, ils prennent ces mesures dans toutes les limites des ressources disponibles, [...] ». Cela nous amène à croire que ce deuxième libellé n'a pas la même portée juridique que la première phrase de l'article : « Les États parties s'engagent à prendre toutes les mesures législatives, administratives et autres qui sont nécessaires pour mettre en oeuvre les droits reconnus dans la présente Convention. [...] ». Le caractère impératif et obligatoire de tous les droits reconnus dans la Convention ne ferait aucun doute dans la première formulation, tandis que la formulation de l'article 4 de la CIDE laisse apparaitre subtilement, le caractère conditionné d'une certaine catégorie de droits contenus dans la Convention : les droits sociaux, économiques et culturels. Ceci nous confirme la distinction opérée dans les deux pactes de 1966.

Or, si la doctrine, en matière de droits de l'homme, est restée unanime sur le caractère obligatoire des droits civils et politiques contenus dans le pacte relatif aux droits civils et politiques, il n'en a pas toujours été le cas pour ce qui concerne les droits économiques,

1404 HENNEBEL (L.), TIGROUDJA (H.), Traité de droit international des droits de l'Homme, Editions A. Pedone, 2016, p.164-165.

1405 Pour plus d'informations sur les divergences de position qui ont marqué l'adoption des deux Pactes, v. le site d'Amnesty international : http://www.amnesty.ch/fr/themes/économie-et-droits-humains (25/02/2015) 1406 Pacte international relatif aux droits civils et politiques.

1407 Pacte international relatif aux droits économiques sociaux et culturels.

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sociaux et culturels contenus dans le pacte de 1966. Ces derniers se caractériseraient par leur réalisation progressive, donc «non-immédiate» voire «non obligatoire» pour les États parties.

Mais, si le caractère obligatoire et non conditionné des droits reconnus par le Pacte relatif aux droits civils et politiques ne fait aucun doute, tel n'est pas le cas de la seconde catégorie des droits humains énumérés dans le Pacte de 1966 relatif aux droits économiques, sociaux et culturels dont le caractère obligatoire reste conditionné.

Les droits économiques, sociaux et culturels sont répertoriés dans le pacte international de 1966. Ce pacte, on le sait, compte au total 31 articles.

Le caractère programmé des droits économiques, sociaux et culturels trouve sa source à l'alinéa 1 de l'article 2 du Pacte DESC qui stipule :

« Chacun des États parties au présent Pacte s'engage à agir, tant par son effort propre que par l'assistance et la coopération internationale, notamment sur les plans économique et technique, au maximum de ses ressources disponibles, en vue d'assurer progressivement l'exercice des droits reconnus dans le Pacte par tous les moyens appropriés, y compris en particulier l'adoption de mesures législatives ».

Cette disposition a été et continue d'être la justification du non-respect des droits contenus dans le Pacte, notamment les droits économiques et sociaux. Plusieurs auteurs1408 se sont déjà penchés sur la question pour montrer le caractère non-immédiat et difficilement justiciable de ces droits. En faisant le parallèle entre la disposition de l'alinéa 1er de l'article 24 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques et l'article 10 du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, on se rend compte que ces deux dispositions ont la même finalité : la protection particulière de l'enfant. C'est donc dire que dès l'élaboration des deux Pactes en 1966, l'importance et le caractère primordial de la

1408 DEGNI-SEGUI (R.), Les droits de l'homme en Afrique noire francophone. Théories et Réalités », Abidjan, Imprimob, 1998, 196 p.; BETH (L.), « Discourse in Development : A Post-Colonial Theory Agenda for the UN Committee on Economic, Social and Cultural Rights », In. Journal of Gender, Social Policy § the Law, vol. 10, N°. 3 (September 2002), p.536.

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protection particulière de l'enfant étaient déjà reconnus au point de la rendre obligatoire dans le Pacte relatif aux droits civils et politiques1409.

Ainsi, en reprenant en son article 4 la disposition de l'alinéa 1er de l'article 2 du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, la Convention des Nations Unies relative aux droits de l'enfant a manqué de se servir de la disposition de l'article 24 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, pour rendre obligatoires tous les droits de l'enfant.

Pourquoi les droits économiques, sociaux et culturels dans la Convention des Nations Unies relative aux droits des enfants doivent être à réalisation progressive ? A cette question, la réponse qui revient souvent est : le souci de prendre en compte la situation économique des pays. A cela, il faut bien entendu ajouter la recherche de compromis entre les Etats en présence. Or, comme l'a souligné le Professeur Hugues FULCHIRON, la recherche de compromis ou d'unité conduit à l'élaboration de règle à minima, sans manquer de qualifier la Convention internationale relative aux droits de l'enfant de texte « aux ailes coupés ». 1410. Bref, tous les pays n'ayant pas le même niveau économique, leurs obligations relatives aux droits économiques, sociaux et culturels de l'enfant ne seront pas les mêmes. Mais la volonté d'avoir une norme universelle de protection des droits de l'enfant ne découle-t-elle pas de la prise de conscience des besoins particuliers de l'enfant ? Donc, de la prise en compte de ses droits fondamentaux ? Et quels sont ces droits fondamentaux ? Est-ce la liberté de réunion et d'association ? Le respect de sa vie privée ? La liberté d'expression, et le droit à une religion de son choix ? L'accès à l'information et aux médias ? Hélas non ! Car, selon nous, pour des millions d'enfants à travers le monde aujourd'hui et des milliers d'enfants ivoiriens, ces droits ne devraient aucunement pas être regardés comme étant plus importants que les DESC des enfants. Et pour cause, que représentent ces droits pour des enfants qui sont privés du droit à l'éducation, du droit à l'alimentation, du droit à la santé, du droit à une famille ou du droit à la protection sociale ?

1409 Même si nous devons reconnaitre que la reprise du même droit dans le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels porte à confusion, et témoigne d'une certaine indécision des rédacteurs des Pacte.

1410 FULCHIRON (H.), « Les Conventions internationales. Présentation sommaires », in L'enfant et les Conventions internationales, Dir. RUBELLIN-DEVICHI (J.) et FRANK (R.), Lyon, Presse Universitaire de Lyon, 1996, pp.19-33, p.27.

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C'est donc dire que les droits fondamentaux de l'enfant ne sauraient être perçus de la même manière que ceux de l'adulte, encore que ceux de celui-ci peuvent aussi être sujet à débat, eu égard aux besoins vitaux de l'être humain. Ainsi, en tenant compte des besoins particuliers de l'enfant, nous pouvons nous permettre de donner quelques indications sur ce qui peut être considéré comme les droits fondamentaux de l'enfant. Ils peuvent se présenter comme suit : le droit à la famille, le droit à la santé, le droit à l'alimentation, le droit à l'éducation, le droit à la protection sociale, etc. D'ailleurs, nous retrouverons quelques-uns de ces droits dans la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne1411.

De même, certains auteurs français comme Philippe ARDANT pensent que dans les pays en développement fondés sur des valeurs traditionnelles, religieuses et philosophiques propres, les droits fondamentaux ne devraient pas être conçus à l'exemple des pays développés1412. L'auteur préconise plutôt une adaptation des droits fondamentaux à ces pays en tenant compte des impératifs de consolidation ou de construction de l'unité nationale et d'un Etat fort1413.

Alors, si tous les enfants ne sont pas en mesure de jouir de leurs droits fondamentaux, que leur reste-t-il comme droits ? On est bien tenté de dire, pas grande chose. Et l'article 4 de la Convention des Nations Unies relative aux droits de l'enfant, en prévoyant des mesures particulières qui enlèvent aux droits économiques et sociaux leur caractère obligatoire pour tous les États parties, handicape la jouissance effective des droits fondamentaux de l'enfant, donc ce qui leur importe le plus. Et cela se ressentira dans la mise en oeuvre de la Convention dans les pays que l'on considère, à tort ou à raison, comme des pays «pauvres» ou à «ressources limitées».

1411 Cf. Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, 7 décembre 2000 (entrée en vigueur le 1er décembre 2009), in JOCE, 2000/C364/01, 18 décembre 2000, pp. 1-22. ; HENRY (J.) et STEINER et al., International Human Rights in Context : Law, Politics, Morals (3d éd. 2007), p.1014-1015.

1412 ARDANT (Ph.), « Les problèmes posés par les droits fondamentaux dans les Etats en voie de développement », in Association Française des constitutionnalistes, Droit constitutionnel et droits fondamentaux, Rapports français au II ème Congrès Mondial de l'Association International de Droit constitutionnel, Paris-Aix-en-Provence, 31 août-5 septembre 1987, Economica/PUAM, Paris/Aix-en-Provence, 1987, pp.107-124.

1413 Ibid, p.117 ss.

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L'égalité des États en droit international1414, est un principe important des règles de droit international, même si, pour toute personne avertie et habituée au fonctionnement du droit international, ce principe relève plus de la théorie que de la pratique. Mais, il n'empêche, le principe est posé : « L'Organisation est fondée sur le principe de l'égalité souveraine des tous ses membres. »1415. Ce principe qui signifie que tous les États membres de l'Organisation des Nations Unies ont la même capacité d'exercer des droits et d'assumer des obligations en droit international, nonobstant toutes différences de puissance, de richesse, de développement, entre autres1416, impose aussi que les États traitent donc l'ensemble de la population qu'ils représentent, de la même manière quel que soit leur développement économique.

Dès lors, dire que les droits économiques, sociaux et culturels soient mis en oeuvre « ...dans toutes les limites des ressources disponibles », suppose que chaque État sera évalué, dans la mise en oeuvre desdits droits au regard de sa situation particulière. Ainsi, la Convention relative aux droits de l'enfant pose, dès le départ, une différenciation dans la jouissance des droits de l'enfant entre les États parties. En d'autres termes, les enfants vivant dans un pays «riche1417« ou un pays «pauvre1418« ne peuvent revendiquer la jouissance des mêmes droits. D'où une certaine discrimination1419. On le sait : La discrimination consiste en tout traitement différent qui tend à refuser à des individus, à des groupes d'individus des droits ou des avantages qui sont reconnus à d'autres ailleurs1420. Le principe de la nondiscrimination, présent dans toutes les normes internationales relatives aux droits humains, refuse pourtant cette différence de traitement, y compris la Convention relative aux droits de

1414 BESSON (S.), Droit International Public-Abrégé de cours et résumés de jurisprudence, Stampfli Editions SA Berne.2011, p.75. ; Art.2 par.1 Charte de l'Onu « L'Organisation est fondée sur le principe de l'égalité souveraine de tous ses Membres. » qui reprend l'article 4 de la Convention de Montevideo : « States are juridically equal, enjoy the same rights, and have equal capacity in their exercise. The rights of each one do not depend upon the power which it possesses to assure its exercise, but upon the simple fact of its existence as a person under international law ».

1415 Art 2.1 de la Charte des Nations unies.

1416 Cf. CORNU (G.), Vocabulaire Juridique, Paris, PUF, 2011, p.387.

1417 SAUVY (A.), « Le tiers-Monde ».In. Sous-développement et développement, PUF, 1961, pp.383-393. ; 1418 CLARK (C.), « Population et niveaux de vie » In. Revue internationale du Travail, août 1953, 68, 2, pp.103-124.

1419 BELLOUBET-FRIER(N.), « Le principe d'égalité », AJDA, 1998, n° spécial, p.152. ; BORGETTO (M.), « Le principe d'égalité en droit public français », In. Définir les inégalités des principes de justice à leur représentation sociale, DRESS, collection MIRE, 1999, p.41.

1420 CORNU (G.), Vocabulaire juridique, Paris, PUF, 2011, p.387.

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l'enfant (qui reprend dès le premier paragraphe de son préambule les principes de la Charte des Nations Unies qui sont ceux d'égalité et le caractère inaliénable des droits humains).

On peut alors se demander s'il appartient à une norme internationale, qui se veut protectrice des droits de l'enfant au plan universel, de poser ainsi une certaine discrimination, à tout le moins, une différence au niveau du traitement des enfants quant au bénéfice des DESC selon qu'ils vivent dans un pays pauvre ou pays riche. Pourtant, la Convention des Nations Unies relative aux droits de l'enfant a posé, à travers son article 4, une règle discriminatoire dans la jouissance des droits économiques sociaux et culturels entre les enfants par rapport à leur pays d'existence.

Pourquoi l'enfant de Monaco ou de Liechtenstein1421 peut revendiquer son droit d'aller à l'école et de jouir d'une protection sociale alors que l'enfant de l'Erythrée ou de la République démocratique du Congo (RDC), ne peut revendiquer le même droit ?1422 Pourquoi l'enfant du Luxembourg ou de la Suisse doit revendiquer son droit d'aller à l'école et de jouir d'une protection sociale alors que l'enfant du Burundi et la République Centrafricaine ne peut revendiquer le même droit ?1423 Le Luxembourg et la Suisse sont en tête du classement des pays à Revenu National Brut (PNB) par habitant élevé en 2015, avec respectivement 103187 Dollars US et 82178 Dollars1424 US. De même, la République démocratique du Congo apparaissait dans un récent rapport de l'Unicef1425 comme le pays qui a le Produit National Brut (PNB) par habitant le plus faible, 180 Dollars US en 2010 ; ce qui faisait de ce pays l'un des plus pauvres du monde. Or la République Démocratique du Congo est un vaste pays qui regorge de richesses naturelles, notamment les ressources

1421 Monaco et Liechtenstein étaient en tête du classement des pays à Revenu National Brut (PNB) par habitant élevé en 2010, avec respectivement, 197.460 Dollars US et 136.540 Dollars US. Cf. Rapport Unicef, Situation des enfants dans le monde 2012, pp.110-115.

1422 L'Erythrée et la République Démocratique du Congo ont les indicateurs PNB les plus faibles, avec respectivement 340 Dollars US et 180 Dollars US. Rapport Unicef situation des enfants dans le monde 2012, op cit. ; Le Burundi et la République Centrafricaine ont les indicateurs PNB les plus faibles, avec respectivement 315 Dollars US et 339 Dollars US.

1423 Luxembourg et Suisse sont en tête du classement des pays à Revenu National Brut (PNB) par habitant élevé en 2015, avec respectivement 103187 Dollars US et 82178 Dollars US. Cf. Rapport Unicef, Situation des enfants dans le monde 2015.

1424 Cf. Rapport UNICEF, Situation des enfants dans le monde 2015.

1425 UNICEF, Rapport 2012 sur la situation des enfants dans le monde.

minières et énergétiques, telles que : le diamant, l'or, le cuivre, le cobalt, le pétrole etc., donc l'un des pays potentiellement plus riches du continent africain1426.

Au regard de ces données, il ne fait aucun doute que la République démocratique du Congo et la République centrafricaine, au regard des institutions des Nations unies, apparaissent comme des États pauvres ou Pays Moins Avancés (PMA) pour nous conformer à la terminologie de règle. Mais que cache en réalité cette situation de pauvreté d'un pays, potentiellement, aussi riche que la RDC et la Centrafrique ? En 2015, les pays les moins avancés, dans le monde sont au nombre de 501427 et parmi eux, on dénombre 34 États africains1428, dont la République Démocratique du Congo et la République centrafricaine. Mais, si en réalité la corruption1429 et la non valorisation des ressources au niveau des pays africains1430 ne font plus de doute, la situation la plus énigmatique est celle de la guerre qui caractérise la grande majorité des pays africains riches en ressources naturelles1431.

Cette situation a pour conséquence le pillage des richesses nationales par les protagonistes et le maintien des populations dans la misère ; ce qui, en fin de compte, fausse les données sur la richesse des États1432, donc de leur potentiel économique à assurer les droits économiques et sociaux notamment, à leurs populations. En somme, l'article 4 de la Conventions des Nations unies, permet d'éviter la réalisation optimale des droits

1426 Info disponible sur le site de l'agence de presse des nations Unies : www.relations-nations-unies.agence-presse.net sur les 10 pays les plus pauvres du monde en 2010. (Consulté le 07 septembre 2012.).

1427 Ils étaient 49 en 2009, à ceux-là s'ajoute le soudan du sud reconnu comme Etat par les Nations unies en 2011. Cf. doc. « Les pays les moins avancés » in ligne sur : http://www.unohr.org (consulté le 15/02/2015). 1428 Y compris le soudan sud. Car en 2009 le Soudan faisait partie de la liste. V. doc. « Les pays les moins avancés », op.cit

1429 Comme l'affirme Michel DOUCIN, « la Corruption en détournant les modes démocratiques et en privant les Etats de ressources nécessaires à l'exercice de leurs fonctions de base en matière de garanties et production de services de base, viole indirectement la plupart des droits humains Fondamentaux. » ; Lire aussi : BLUNDO G., DE SARDAN (J.P. Olivier), La corruption au quotidien-Politique africaine n°83, Octobre 2001, Karthala., CARTIER-BRESSON (J.), « Corruption , libéralisation et démocratisation-Introduction », In. Revue Tiers Monde, Janvier 2000, p.21.

1430 Information disponible sur le site de l'agence de presse des nations Unies : www.relations-nations-unies.agence-presse.net sur les 10 pays les plus pauvres du monde en 2010. Consulté le 07 septembre 2012. 1431 Comme le témoigne la publication des Nations Unies : « Contre les diamants de guerre », les diamants extraits des mines en Afrique ont rapporté sur les marchés du monde entier des milliards de dollars servant à financer des insurrections en Angola, en Sierra Leone et en République démocratique du Congo. Le document est disponible sur : http://www.un.org/fr/africarenewal/vol14no4/diamants.htm . (Consulté le 15/02/2015). 1432 Principe de disposer de leurs ressources économiques ; ABI-SAAB (G.), « La souveraineté permanente sur les ressources naturelles », In. BEDJAOUI Mohammed (sous dir.), Droit international, bilan et perspectives, Paris, éd. A. Pedone, t.2, 1991, p.639-661.

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économiques sociaux et culturels des enfants en Afrique, à l'instar de l'attitude de la Côte d'ivoire marqué par la conclusion tardive des conventions internationales de protection de l'enfant.

§ 2. DES CAUSES D'INEFFECTIVITE TENANT AUX RETICENCES DE LA COTE D'IVOIRE A L'EGARD DES CONVENTIONS INTERNATIONALES DE PROTECTION DES DROITS DE L'ENFANT

Les réticences de l'Etat ivoirien à l'égard des conventions internationales relatives aux droits de l'homme-enfant ont deux principales justifications.

Jalouse de sa souveraineté, l'Etat de Côte d'Ivoire manifeste de la réticence vis-à-vis des conventions internationales touchant les droits de l'homme, notamment à l'égard de celles qui pourraient fortement restreindre sa liberté de se gouverner et de s'administrer. En réalité, par cette réticence, la Côte d'Ivoire protège sa souveraineté contre les Etats et les individus. Mieux, elle considérait les droits de l'homme comme une matière relevant des « affaires intérieures »1433 relevant de la compétence nationale de chaque Etat. C'est d'ailleurs ce souci de la protection de la souveraineté nationale qui justifia la longue réticence de la Côte d'Ivoire à l'égard du statut de Rome instituant la Cour pénale internationale.

A l'image de nombre de pays au monde. La Côte d'ivoire a toujours protégé sa souveraineté contre les individus. Eu égard à cette protection, chaque Etat fait écran entre le droit international et l'individu ; de sorte qu'il est toujours difficile pour tout individu d'être directement titulaire de droits et d'être tenu d'obligations au plan international. Ainsi, dans son avis consultatif du 3 mars 1928, la C.P.J.I. a relevé que « selon un principe de droit international bien établi, un accord international ne peut, comme tel, créer directement des droits et des obligations pour les particuliers »1434. On comprend alors qu'il y ait une grande opposition des Etats à la saisine des institutions protectrices des droits de l'homme-enfant par les individus. D'où leur réticence à ratifier des traités internationaux permettant d'ouvrir à l'individu, le prétoire des tribunaux internationaux ou des organes quasi-juridictionnels.

1433 Voir Article 2, paragraphe 7 de la Charte des Nations Unies qui dispose : « aucune disposition de la présente Charte n'autorise les Nations Unies à intervenir dans des affaires qui relèvent essentiellement de la compétence nationale d'un Etat ».

1434 Affaire relative à la compétence des tribunaux de Dantzig (Pays-Bas c. Etats-Unis d'Amérique), avis consultatif du 3 mars 1928, CPJI Série B n°15 p.4.

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Un tel recours apparait aux yeux des pouvoirs publics comme une atteinte à leur souveraineté.

C'est pourquoi, ce pays a toujours manifesté de la réticence à conclure les conventions internationales offrant un recours aux individus au niveau international. Par exemple, elle a conclu tardivement les conventions suivantes : le protocole se rapportant au PIDCP auquel elle a adhéré le 5 mars 1997, soit trente et un (31) ans après son adoption ( 16 décembre 1966) ; la charte africaine des droits de l'homme et des peuples à laquelle elle a adhéré le 27 décembre 1991, soit dix (10) ans après son adoption ( 27 juin 1981) ; la Convention contre la torture et autres peines cruels, inhumains ou dégradants à laquelle elle a adhéré le 18 décembre 1995, soit onze (11) ans après son adoption ( 10 décembre 1984). Toutes ces conventions autorisent la recevabilité des requêtes individuelles devant les institutions protectrices des droits de l'homme. On comprend alors que la Côte d'Ivoire ait manifesté de la méfiance à l'égard de telles conventions. Que la Côte d'Ivoire puisse être attraite devant un organe international de protection des droits de l'homme par une simple requête individuelle, était là, aux yeux des pouvoirs publics ivoiriens, comme une atteinte grave à la souveraineté de leur pays. Ainsi, se trouve justifiée la réticence de la Côte d'Ivoire vis-à-vis de certaines conventions internationales. Par une telle réticence, la CI entend protéger sa souveraineté contre les particuliers.

Eu égard à l'hétérogénéité de la population ivoirienne au plan religieux, linguistique et culturel, les hommes se sentaient moins citoyens d'un Etat que membres d'une tribu. Il fallait alors déployer tous les efforts nécessaires pour surmonter tous ces clivages tribaux et régionaux, donc lutter sans complaisance contre le tribalisme et le régionalisme afin d'obtenir l'unité tangible et infrangible attendue de la nation ivoirienne, riche de la diversité de ces cultures complémentaires ; le développement de la Côte d'Ivoire étant à ce prix. C'est pourquoi, au départ, la Côte d'Ivoire s'était montré réticente vis-à-vis des conventions internationales relatives aux droits de l'homme, notamment à l'égard des conventions qui lui paraissaient inadaptées ou dangereuses au contexte socio-politique du moment. En tout cas, elle en a conclu très peu avant 19901435.

1435 Voici quelques conventions internationales auxquelles la CI est partie avant 1990 : « Convention relative au statut des réfugiés du 28 juillet 1951 ( 1961) ;

Conventions de Genève du 12 Août 1949 ( 1961) ;

Protocole de New York relatif au statut des réfugiés du 31 janvier 1967 (1972) ;

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La réalité ivoirienne laisse voir que les réticences de la Côte d'Ivoire à l'égard des conventions internationales sont aussi justifiées par le souci de la croissance économique. Après l'indépendance, l'Etat de Côte d'Ivoire s'est alors lancé dans une politique spectaculaire de diversification de sa production agricole, afin de parvenir à la croissance économique recherchée. Dans un tel contexte, les droits de l'homme étaient considérés comme des impedimenta à cette croissance économique ; d'où, ils ont été relégués au second plan : en effet, leurs promotions étaient aux yeux des pouvoirs publics ivoiriens, comme un luxe, car selon eux, elle ne s'accommode guère avec la faim, la sous-alimentation et la malnutrition.

Par conséquent, c'est à juste titre que Monsieur Kéba MBAYE affirme : « Beaucoup de dirigeants des pays en développement, partant du fait que leur politique doit essentiellement être tournée vers les politiques susceptibles de faire progresser la qualité de la vie des populations, mettent en veilleuse le respect des droits de l'homme. »1436. Dès lors il n'est pas étonnant que, au nom de la croissance économique, les droits de l'homme aient été quotidiennement foulés aux pieds en Côte d'Ivoire. Pour le Professeur Yves MADIOT, pour un pays sous-développé (comme la Côte d'Ivoire), « Les droits économiques et sociaux les plus importants ne peuvent pas être mis en oeuvre. Le droit à la sécurité sociale, par exemple, absorberait l'intégralité du budget (...). Le droit au travail ne peut être garanti (il ne l'est déjà pas dans les Etats industrialisés) dans une société à très faible croissance (...). Les libertés traditionnelles ne sont pas garanties. Les libertés d'association et de réunion, la liberté de presse ou les libertés individuelles ne peuvent s'implanter »1437.

A la vérité, il est remarquable et regrettable qu'en Côte d'Ivoire, à l'exclusion du miracle économique des années 70, la croissance économique recherchée n'a pu être atteinte, malgré les réticences vivaces manifestées à l'égard des conventions internationales sur les droits de l'homme au lendemain de l'accession à l'indépendance. Aujourd'hui, les pouvoirs publics se sont rendus comptent que les droits de l'homme constituent un facteur essentiel à la croissance économique et à l'unité nationale, donc au développement de la Côte d'Ivoire.

Protocole additionnel I aux conventions de Genève du 8 juin 1977 (1989) . »

1436 MBAYE (K.), « Droits de l'homme et pays en développement », In. Mélanges René-Jean DUPUY, Op. cit, p.216.

1437 MADIOT (Y.), Droits de l'Homme et Libertés publiques, op. cit., p.72.

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En somme, que la volonté de conclure une convention portant sur les droits fondamentaux de l'être humain n'ait pu être manifestée de la part de la Côte d'Ivoire depuis des mois, voir, depuis plus d'une décennie, après son adoption, l'on est en droit de penser qu'il s'agissait d'un refus de conclure, qui malheureusement, favorise la non réalisation de certains droits. Car par ces retards dans la conclusion des conventions internationales, les droits de l'enfant se trouvaient insuffisamment consacrés au niveau conventionnel et donc loin d'être effectivement mis en oeuvre.

Les causes liées à la complexité des normes internationales et à la réticence de l'Etat ivoirien à conclure des conventions internationales protégeant les droits humains ayant été examinées, il importe de nous intéresser à celles relatives à l'ineffectivité du droit à la survie, au développement et à la participation des enfants.

SECTION II. LES CAUSES DE L'INEFFECTIVITE DU DROIT A LA SURVIE, AU DEVELOPPEMENT ET A LA PARTICIPATION DES ENFANTS

Ici, seront analysées successivement, les résistances au droit à la vie et à la survie de l'enfant (Paragraphe 1), celles tenant au développement de l'enfant (Paragraphe2), puis celles afférentes à la participation des enfants (Paragraphe 3).

§ 1. LES CAUSES DE L'INEFFECTIVITE DU DROIT A LA VIE ET A LA SURVIE DE L'ENFANT

On analysera dans ce paragraphe, les résistances tenant aux causes immédiates notamment, le développement des pandémies accablantes (A) celles afférentes aux causes sous-jacentes (B), puis celles relatives aux causes structurelles (C).

A. LES RESISTANCES TENANT AUX PANDEMIES ACCABLANTES : LE DEVELOPPEMENT DES MALADIES INFECTIEUSES ET PARASITAIRES

Quand on sait que les pays en voie de développement concentrent 90% des épidémies1438, force est de constater que la prévalence des maladies est révélatrice de l'inégalité entre pays pauvres et pays riches, et qu'elle est un obstacle majeur au développement économique et

1438 PIRAGES (D.), « Maitriser les maladies infectieuses », in Institut worldwatch sur le développement durable, L'Etat de la planète, Redéfinir la sécurité mondiale, Rapport, Genève, 2005, p.51-74.

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social d'un Etat. Pour justifier l'idée suivant laquelle, les grandes pandémies figurent indubitablement parmi les handicaps les plus redoutables à la réalisation du droit à la vie et à la survie, nous évoquerons principalement les maladies courantes (1) et les autres maladies attentatoires à la survie de l'enfant (2).

1. Les maladies courantes

Les niveaux de mortalité infanto-juvénile observés sont liés au développement des maladies infectieuses, parasitaires et virales. Les affections liées aux problèmes de santé infantile, telles que le paludisme1439, les infections respiratoires aigües, le VIH/SIDA1440, les maladies évitables par la vaccination, la malnutrition, l'anémie, le faible poids à la naissance sont les cas les plus fréquents, diagnostiqués au cours des consultations dans les centres de santé visités.

Selon l'EDS de 1998-1999, plus d'un tiers (36%) des enfants de moins de 5 ans ont eu la fièvre au cours des deux semaines ayant précédé l'enquête. Ce qui indique qu'ils peuvent avoir souffert de paludisme ou d'autres maladies graves. S'agissant du paludisme, en 2002, on estimait en Côte d'Ivoire, à près de 2 millions de cas de paludisme par an avec une prédilection chez les enfants de moins de 5 ans1441. En 2014, la prévalence du paludisme chez les enfants âgés de moins de cinq ans était de 18%1442.

Les infections respiratoires aigües (IRA) sont aussi très souvent des maladies diagnostiquées chez les enfants. Ainsi, parmi les enfants de moins de cinq ans, 4% avaient présenté des signes d'infections respiratoires aigües (IRA) au cours des deux semaines ayant

1439 FAKIH (C.), Le paludisme en Côte d'Ivoire. Etat des lieux, Stratégies de lutte, Thèse de doctorat-pharmacie, Université de Bordeaux, 2014, 144p.

1440 UNICEF-ONUSIDA-OMS-FNUAP, Enfants et Sida. Quatrième bilan de la situation- Unissons-nous pour les enfants contre le SIDA, 2009, 56p. ; WALKER (N.) SCHWARTLANDER (B.) et BRYCE (J.), « Meeting international goals in child survival and HIV/AIDS » The lancet, 360 : 9329, 27 juillet 2002, pp.284-288. ; COMITE DES DROITS DE L'ENFANT, Commentaire général n°3 : Le VIH/SIDA et les droits de l'enfant, (CRC/GC/2003/1), 2003.

1441 TETCHI (Y.D.), COULIBALY (K.I), OUATTARA (A.) et al. Evaluation de la prise en charge du paludisme chez les enfants de 0 à 15 ans dans les districts sanitaires du projet Fonds mondial en CI, Mali médical, 2012, XXVII, 3, pp.17-20.

1442 REPUBLIQUE DE COTE D'IVOIRE, Analyse de la situation de l'enfant en Côte d'Ivoire : vers une société plus équitable dans un pays émergent », Septembre 2014, p.40.

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précédé l'enquête démographique et de santé et à indicateurs multiples de la Côte d'Ivoire portant sur la période 2011-20121443.

De même, l'une des causes immédiates résulte de la pandémie du SIDA. En effet, on estime, chaque année à 15000, le nombre de nouveaux cas chez l'enfant, soit un tiers (30%) des cas notifiés. Les conséquences sociales sont dramatiques étant donné que de nombreux enfants âgés de 0 à 5 ans, s'ils ne meurent pas avant l'âge préscolaire, risquent de ne pouvoir avoir accès à l'éducation. Par ailleurs, la demande de soins pour les enfants atteints du SIDA connaît une hausse remarquable. L'ampleur du phénomène résulte surtout de la transmission du VIH de la mère à l'enfant1444, l'excision1445, la circoncision1446 et les scarifications pratiquées avec des objets non stérilisées.

2. Les autres maladies attentatoires à la survie de l'enfant (l'anémie, la malnutrition, les maladies évitables, les maladies diarrhéiques)

Les maladies diarrhéiques constituent la deuxième cause de morbidité chez les enfants de moins de 5 ans en Afrique, au sud du Sahara et plus particulièrement en Côte d'Ivoire.1447Elles sont à l'origine de nombreux cas de déshydratation qui représentent, dans

1443 Ministère de la Santé et de la lutte contre le SIDA (MSLS) et l'Institut National de la Statistique (INS) et ICF International, Enquête Démographique et de Santé et à Indicateurs Multiples de la Côte d'Ivoire 20112012 : Rapport de synthèse. Calverton, Maryland, 2013, p.9.

1444 ONUSIDA, Transmission du VIH de la mère à l'enfant, Collection Meilleures pratiques de l'Onusida, Mars 1999, pp.2-3 ; Selon l'ONUSIDA, dans la majorité des cas, l'infection à VIH chez les enfants de moins de quinze ans résulte d'une transmission mère-enfant (TME).

1445 INSTITUT NATIONAL DE LA STATISTIQUE (INS) et MINISTERE DE LA LUTTE CONTRE LE SIDA (Côte d'Ivoire) et ORC Macro. Enquête sur les indicateurs du Sida, Côte d'Ivoire 2005. Calverton,

Maryland, p.178-179 ; UNICEF, Fiche d'information : mutilations génitales féminines/excision in Pour chaque enfant. Santé, Education, Egalité, Protection-Faisons avancer l'humanité, p.2, disponible sur www.unicef.org/french/protection/files/Mutilations_Genitales.pdf ( Consulté le 23/04/2016).

1446 La circoncision est une pratique rituelle réalisée par de nombreuses civilisations depuis l'Antiquité. On la retrouve dans l'Ancien Testament (Genèse, XVII : 10-12) et etait pratiquée par tous les juifs et musulmans

de par le monde. Elle a, en revanche, été abandonné par la religion chrétienne, sous l'égide de Paul de Tarse,

même si la circoncision où le prépuce n'est pas retiré, mais simplement incisé latéralement. ; La première publication suggérant que les sujets circoncis seraient partiellement protégés contre une infection par le virus

du Sida par rapport aux sujets non circoncis a été rapportée par Fink en 1986 dans une lettre éditoriale au New England Journal of Medicine ;Voir FINK(A.J.), A possible explanation for heterosexual male infection with AIDS. N. Engl J Med 1986 ; 315 : 1167. ; SIEGFRIED N., MULLER M., DEEKS J., VOLMINK J., EGGER M., LOW N. et al. HIV and male circumcision-a systematic review with assessment of the quality of studies. Lancet Infect Dis 2005. 5/165-73.

(B.), DOUMBIA (M.), SY (I.), DONGO (K.), AGBO-HOUENOU (Y.), HOUENOU (P.V.),

1447 KONE

FAYOMI (B.), BONFOH (B.), TANNER (M.), CISSE (G.), « Etude des diarrhées en milieu urbain à Abidjan

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bien des proportions significatives, des états morbides et des décès chez les enfants de moins de cinq ans. En 2012, près d'un enfant de moins de cinq ans (18%) avait eu la diarrhée1448 au cours des deux semaines ayant précédé l'enquêté démographique et de santé de 20112012. Les enfants de 12-23 mois ont été les plus affectés (29%). Globalement, 22% des enfants souffrant de diarrhée ont bénéficié d'une thérapie de réhydratation par voie orale (TRO), c'est-à-dire un sachet de SRO ou une solution maison ; 49% des enfants ont bénéficié d'une TRO ou une augmentation des quantités de liquide. Par contre, 27% des enfants n'ont reçu aucun traitement.1449La pointe de la prévalence de la diarrhée intervient au cours de la période de sevrage chez les enfants âgés de 6 à 23 mois avec des taux de 30 à 35% respectivement pour les enfants de 6-11 mois et 12-23 mois1450.

En 1998, l'EDS 2 révèle que la proportion des enfants de moins de 5 ans souffrant de malnutrition chronique (rapport taille-pour âge) était estimée à 25% contre 24 % en 1994. Selon ces mêmes résultats de l'EDS2, la malnutrition (qu'elle soit chronique ou sévère) est plus prononcée chez les filles (27% et 10%) que les garçons (24% et 9%). Suivant l'EDS-MICS 2011-2012, 30% des enfants de moins de cinq ans ont une taille trop petite par rapport à leur âge, accusant ainsi un retard de croissance ou souffrant de malnutrition chronique. Selon cette enquête la malnutrition chronique est plus élevée en milieu rural qu'en milieu urbain (35% contre 21%) et dans les régions du Nord et du Nord-Est (39% chacune) que dans les autres1451. La prévalence du retard de croissance varie selon le niveau d'instruction de la mère (32% des enfants dont la mère est sans aucune instruction ont un retard de

par l'approche écosanté », Vertigo- La revue électronique en sciences de l'environnement, Hors-série 19, Aôut 2014, disponiible sur https://vertigo.revues.org/14976 ( consulté le 25/06/2017).

1448 La diarrhée est la plus sérieuse des maladies liées au manque d'accès à l'eau potable, à l'hygiène et l'assainissement ; Selon l'Unicef, elle tue à elle seule 5000 enfants par jour dans le monde. En affaiblissant les enfants, la diarrhée fait aussi augmenter la mortalité causée par des maladies qui surviennent quand l'organisme est tellement faible qu'il est incapable de se défendre : par exemple des maladies comme les infections respiratoires aigües. ; KONE (B.), DOUMBIA (M.), ADJI FX., Approche écosystémique à la gestion des maladies diarrhéiques en milieu périurbain : cas d'un village lagunaire dans la commune de Yopougon (Abidjan-Côte d'Ivoire). Rapport final du projet du Centre Suisse de Recherche Scientifique, 2007, 81p. ; DEPEAU (S.) , RAMADIER (T.), « Les trajets Domicile-Ecole en milieux urbains : Quelles conditions pour l'autonomie de l'enfant de 10-12 ans?, » In. Psychologie & société, n°3, 2005, pp. 81-112 ;

1449 Ministère de la Santé et de la lutte contre le SIDA (MSLS), Institut National de la Statistique (INS) et ICF International, Enquête Démographique et de Santé et à Indicateurs Multiples de la Côte d'Ivoire 2011-2012 : Rapport de synthèse. Calverton, Maryland, USA, 2013 p.9.

1450 Ibid.

1451 Ibid. p.12.

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croissance contre 16% des enfants dont la mère a atteint un niveau secondaire ou plus)1452. Un autre facteur de différenciation des niveaux de malnutrition est le milieu de résidence avec une zone rurale où la malnutrition atteint un niveau très élevé par rapport à celui de la zone urbaine.

Au-delà des résistances sus analysées, il importe d'examiner celles de nature sous-jacente qui expliquent l'ineffectivité optimale du droit à la vie et à la survie de l'enfant.

B. LES OBSTACLES SOUS-JACENTS A LA REALISATION DU DROIT A LA VIE ET A LA SURVIE DE L'ENFANT

Les causes sous-jacentes ont trait aux facteurs liés aux comportements des populations, notamment de la mère (1) et à des difficultés d'accès aux services sociaux de base (2).

1. Les résistances liées aux comportements de la mère

Le droit à la vie et la survie de l'enfant peut être compromis par moult facteurs liés au comportement de la mère : grossesses à risques, un mauvais suivi sanitaire de la grossesse et de l'accouchement, la faible pratique de l'allaitement maternel, l'analphabétisme de la mère.

Les grossesses à risques constituent une des causes des violations du droit à la survie des enfants en Côte d'Ivoire. Le niveau élevé de la mortinatalité1453 peut s'expliquer par les grossesses d'enfants par femme et le rapprochement des naissances1454. En effet, une femme de 18 ans sur deux, vivant en milieu rural a déjà eu un enfant ou est enceinte pour la première

1452 Ibid. p.12.

1453 KOFFI (A.) Mortinatalité : facteur de risque à propos de 780 cas colligés en 2 ans à la maternité d'ABOBO SUD à ABIDJAN- Résumé des rapports et communications au 5ème congrès de la SAGO à DAKAR, décembre 1998 (inédit) ; Voir aussi, HENRIPIN (J.), « L'inégalité sociale devant la mort : la mortinatalité et la mortalité infantile à Montréal » in Recherches sociographiques, Québec : Les Presses de l'Université Laval, vol.2, n°1, janvier-mars 1961, pp.3-34.

1454 USAID, La planification et l'espacement idéal des grossesses pour la santé-Guide de Référence pour le formateur,Extending Service deliver(esd),2008, p.5. ; voir aussi, Dav (A.), HALE (L.), RAZZAQUE (A.), RAHMAN (M.), « Effects of interpregnancy interval and outcome of the preceding pregnancy on pregnancy outcomes in Martlab, Bangladesh, BJOG, 2007 ; SETTY-VENUGOPAL (V.), MPH et USHMA (D.), ROBEY (B.), Population Reports-Espacement des naissances.Trois ans à cinq ans sauvent des vies, in, Série L, n°13-Questions de santé mondiale, Population Information Program, Center for Communication Programs, the Johns Hopkings Bloomberg School of Public Health, USA, Eté 2002, 23p.

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fois. En outre, l'indice de fécondité1455 se situe actuellement à 5,2 avec une tendance à la hausse en milieu rural (6,3 contre 4,02 en zone urbaine). Or, avant l'âge de 25 ans et au-delà de quatre enfants, les issues de grossesse présentent des risques de décès des bébés pendant l'accouchement. Par ailleurs, l'intervalle intergénésique est court, notamment en milieu rural où il est moins de deux ans entre deux naissances Ce sont là autant de facteurs qui rendent difficiles l'accouchement et la survie des nouveaux nés1456.

De même, un mauvais suivi sanitaire de la grossesse1457 et de l'accouchement explique aussi les atteintes à la survie des enfants. Selon les Résultats de l'EDS de 1998, pour une naissance sur cinq (20%) les mères ne sont pas allées en consultations prénatales, indispensables pour un meilleur suivi du foetus. En 2000, selon le MICS ce taux a considérablement baissé pour atteindre 3,3% des mères, dont 1,2% en milieu urbain et 5% en milieu rural. Par ailleurs, en 1998, près de la moitié des enfants de 12 à 23 mois n'étaient pas vaccinés contre les maladies du PEV. Cependant, en 2000 un enfant de 12 à 23 mois sur onze (9,6 %) n'a reçu aucun vaccin. On peut, par conséquent affirmer que 23% des mères n'ont que partiellement ou pas du tout eu recours aux services de vaccination. En milieu urbain, cette proportion est moins faible qu'en zone rurale. En somme, la faible surveillance prénatale ainsi que la non-immunisation ou l'immunisation partielle des enfants contre le tétanos néonatal (21,4% ne sont pas vaccinés en 2000) et les maladies du PEV ont constitué des facteurs importants de décès infantiles.

1455 L'indice de fécondité ou encore taux de fécondité, peut se définir comme le nombre moyen d'enfants par femme en âge de procréer (à ne pas confondre avec le taux de natalité). ; Suivant les chiffres de l'an 2015 estimés par le WORLD FACTBOOK de la CIA, le taux de fécondité de la Côte d'Ivoire s'élève à 3, 54.

1456 PRUAL (A.), « Grossesse et accouchement en Afrique de l'Ouest. Vers une maternité à moindre risque ? », Santé Publique 1999, volume 11, n°2, pp.167-185.

1457 DIARRA NAMA (A.J.), ANGBO (O.), KOFFI (M.N.), KOFFI (M.K.) YAO (T.K.), WELFFENS EKRA (C.), « Morbidité et mortalité liées aux transferts obstétricaux dans le districts sanitaire de Bouaflé en Côte d'Ivoire », In Santé publique, volume 11, n°2, 1999, pp.193-201 : pour cette étude , les auteurs estiment que la couverture prénatale effective des femmes enceintes évacuées était faible car seulement 46,4% des femmes avaient effectuées plus de trois consultations prénatales. Qui plus est, l'absence de suivi prénatal est fréquemment associée à la morbidité et la mortalité maternelle et périnatale car c'est le rapport quantité-qualité des consultations prénatales qui permet le dépistage des grossesses à risque et la référence précoce de celles-ci ; ROONEY (C.), Soins prénatals et santé maternelle : Etude d'efficacité. OMS, Programme de Santé maternelle et maternité sans risque. WHO.MSM/92.4 :72.

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Quant à l'allaitement maternel, l'OMS et l'Unicef recommandent un allaitement maternel1458 exclusif jusqu'à l'âge de 4 à 6 mois afin de garantir un meilleur état de santé de l'enfant (immunité contre les maladies, croissance normale, etc.). Cela résulte d'une recommandation de santé publique de portée mondiale1459. De façon générale, l'allaitement est quasi-universel en Côte d'Ivoire ; car en 1998, la majorité (98%) des enfants nés dans les cinq années ayant précédé l'EDS ont été allaités pendant un certain temps. Cependant, en 2000, seulement un enfant de 0 à 3 mois sur huit (11,4%) est seulement nourri au sein maternel, dont 13,8% en milieu urbain et 9,5 % en zone rurale. Les raisons souvent évoquées en milieu urbain à l'encontre de l'allaitement maternel est que celui-ci rend les seins flasques et fait perdre à la femme sa beauté. D'autres raisons tiennent à un phénomène de mode qui trouve l'utilisation du biberon une certaine sorte d'ascension sociale. D'autres raisons tiennent encore à certaines activités économiques de la mère. Effectivement, les mères évoluant dans les secteurs modernes de production semblent interrompre plus rapidement l'allaitement maternel exclusif du fait de l'emploi du temps que leur impose le monde de l'emploi.

A partir des années 2005, la situation semble avoir évolué de manière positive. En effet, suivant l'EDS-MICS de 2011-2012, la quasi-totalité des enfants nés dans les cinq années ayant précédé l'enquête, soit 97% ont été allaités1460. Cependant seulement 12% des enfants de moins de six mois étaient exclusivement nourris au sein et 64% des enfants de 6-9 mois avaient reçu des aliments de complément. Ce qui amène à dire que 36% des enfants de plus

1458 L'allaitement au sein exclusif signifie que le nourrisson ne reçoit pas d'autre aliment ou boisson, pas même de l'eau que le lait maternel (y compris le lait exprimé de sa mère ou le lait d'une nourrice) pendant les six (6) premiers mois de la vie, mais qu'il peut néanmoins recevoir des sels de réhydratation orale, des gouttes et des sirops ( vitamines, minéraux et médicaments) ; Stratégie mondiale pour l'alimentation du nourrisson et du jeune enfant-Résolution de l'Assemblée mondiale de la santé-1er mai 2001 WHA54 A54/INF.DOC./4 ; BIDAT(E.) : « L'allaitement maternel protège le nourrisson de l'allergie »: In. Revue Française d'Allergologie. 2010 ; 50(3) : 292-294 ; CASTETBON (K.), DUPORT (N.), HERCBERG (S.) : « Allaitement maternel et santé » In. Revue d'Epidémiologie et de Santé Publique. 2004 Oct , 52(5) :475-480 ; TURCK (D.) , « Allaitement maternel : les bénéfices pour la santé de l'enfant et de sa mère ».In. Archives de pédiatrie. 2005 Dec ; 12(S3) :145-165.

1459 Conformément aux conclusions et recommandations de la consultation d'experts (Genève, 28-30 mars 2001) ayant couronné l'examen systématique de la durée optimale de l'allaitement exclusif au sein (voir le document Organisation mondiale de la santé-cinquante quatrième assemblée mondiale de la santé A54/INF.DOC./4 (point 13.1 de l'ordre du jour provisoire 1er mai 2001). Voir aussi la résolution WHA54.2. 1460 Ministère de la Santé et de la lutte contre le SIDA (MSLS) et l'Institut National de la Statistique (INS) et ICF International, Enquête Démographique et de Santé et à Indicateurs Multiples de la Côte d'Ivoire 20112012 : Rapport de synthèse. Calverton, Maryland, MSLS, INS et ICF International, 2013 p.11.

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de 6 mois n'ont pas pu recevoir une alimentation de complément et ce, en violation des recommandations de l'OMS et l'UNICEF qui indiquent qu'à partir de six mois , tous les enfants devraient recevoir une alimentation de complément, car à partir de cet âge, le lait maternel seul n'est plus suffisant pour assurer une croissance optimale de l'enfant. Il est recommandé que les enfants de 6-23 mois soient allaités et nourris avec au moins quatre groupes d'aliments différents et que les enfants allaités soient nourris un nombre minimum de fois par jour selon leur âge1461. Les enfants de 6-23 mois non allaités devraient consommer du lait ou des produits laitiers chaque jour ainsi que quatre groupe d'aliments au moins quatre fois par jour. Les résultats indiquent que ces recommandations n'ont été appliquées que pour 5% des enfants allaités et 4% des enfants non allaités1462.

Il existe aussi un rapport étroit entre le niveau d'instruction de la mère et l'état de santé des enfants. En effet, les différents indicateurs de morbidité et de mortalité infantile et infanto-juvénile montrent des valeurs significatives chez les enfants dont les mères ont un faible niveau d'instruction1463. Cela se traduit surtout en milieu rural où le taux d'alphabétisme des femmes1464 reste encore faible. En effet, le taux de mortalité infantile a plus augmenté en milieu rural qu'en milieu urbain du fait de la grande majorité des femmes rurales analphabètes.

1461 Au moins deux fois par jour pour les enfants allaités de 6-8 mois et, au moins, trois fois par jour pour les enfants allaités de 9-23 mois.

1462 Ministère de la Santé et de la lutte contre le SIDA (MSLS) et l'Institut National de la Statistique (INS) et ICF International, Enquête Démographique et de Santé et à Indicateurs Multiples de la Côte d'Ivoire 20112012 : Rapport de synthèse. Calverton, Maryland, USA : MSLS, INS et ICF International, 2013, p.11.

1463 RAVELOMANANA (T.), RAKOTOMAHEFA (M.), RANDRIANAIVO (N.), RAOBIJAONA (S.H.), BARENNES (H.), « Education des mères et gravité de l'état des enfants présentés aux urgences de l'hôpital Joseph-Raseta-Befelatanana, Madagascar. Quelles implications ? », Bull. Soc. Patho. Exot., Société de pathologie exotique et Springer-Verlag France 2010, 5p. ; Voir également PANICO (L.), TO (M.) et THEVENON (O.), « La fréquence des naissances de petit poids : quelle influence a le niveau d'instruction des mères ? » , In. Population & Sociétés n°523, Juin 2015, 4p. ; BAYA (B.), « Instructions des parents et survie de l'enfant au Burkina Faso : Cas de Bobo-Dioulasso » , Les dossiers du CEPED n°48, Paris, Janvier 1998, 34p. ; BARBIERI (M.), Les déterminants de la mortalité des enfants dans le tiers monde, 2ème tirage, 1991, 40p.

1464 Lors de la cérémonie du lancement de la campagne de sensibilisation et de lutte contre l'analphabétisme dans la région du Iffou en date du 05 novembre 2014, Mme Marie-Reine OGOU, directrice régionale de l'Education nationale et de l'enseignement technique (DRENET) de Daoukro, au niveau national ivoirien, la population analphabète est de 51%, avec une proportion de 62% chez les femmes qui va jusqu'à 70% en milieu rural ; MBOW (P.), Analphabétisme, pauvreté des femmes : cas du Sénégal, UNESCO-AFRIQUE, Dakar, Mars 1993, n°6.

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Les difficultés d'accès aux services sociaux de base constituent en outre, une autre forme de résistance sous-jacente qui entame la vie et la survie des enfants en Côte d'Ivoire.

2. Les difficultés d'accès aux services sociaux de base

Elles se résument au faible accès à l'eau potable1465 ainsi qu'un déficit d'assainissement adéquat1466.

En Côte d'Ivoire, une partie importante des ménages ruraux et les ménages urbains pauvres vivant souvent dans les quartiers précaires et les bidonvilles1467, n'ont pas accès à l'eau potable. Selon les résultats de la MICS 2000, un ménage sur cinq n'avait pas accès à l'eau potable avec de fortes disparités entre le milieu urbain (11,2%) et le milieu rural (25,8%). Plus récemment, les résultats de la MICS 2012 évaluaient à 78 % le nombre de ménages utilisant des sources améliorées pour l'eau de boisson1468. Au-delà de ces chiffres, on constate qu'en zone rurale, le contact et la consommation directe de l'eau de puits, de marigots, de rivières sans traitement préalable sont fort répandus malgré quelques efforts

1465 FONDS MONETAIRE INTERNATIONAL, Côte d'Ivoire : Stratégie de réduction de la pauvreté Rapport d'Etape au titre de l'année 2009 du FMI, n°09/156, Juillet 2009, pp.67-68. ; TIA (L.) SEKA (G.), « Acteurs privés et approvisionnement en eau potable des populations de la commune d'Abobo (Côte d'Ivoire) ». Revue canadienne de géographie tropicale/Canadian journal of tropical geography (en ligne), vol. (2)., pp.15-28. URL : http://laurentienne.ca/rcgt (Consulté le 20 novembre 2015) ; OMS et UNICEF, Atteindre l'OMD relatif à l'eau potable et à l'assainissement : le défi urbain et rural de la décennie. Genève, OMS. 2007.

1466 L'assainissement concerne divers domaines tels que l'évacuation des eaux usées et de ruissellement, l'évacuation des déchets solides, l'évacuation des excréta et le traitement de tous ces éléments. Malgré son importance pour la santé, l'assainissement n'est pas développé en Côte d'Ivoire. En effet, très peu de villes disposent de schémas directeurs d'assainissement encore moins de système d'assainissement ; voir à ce sujet : FONDS MONETAIRE INTERNATIONAL, Côte d'Ivoire : Stratégie de réduction de la pauvreté Rapport d'Etape au titre de l'année 2009 du FMI, n°09/156, Juillet 2009, pp.66-67.

1467 PNUD, Diagnostics et plans d'amélioration des quartiers précaires des 13 communes du District d'Abidjan, 2014, 155 p. ; YAO, (K. P.), Développement urbain et prolifération des quartiers précaires à Abidjan : le cas du quartier Banco 1 (commune d'Attécoubé), Institut National Polytechnique Houphouët Boigny de Yamoussoukro, 2010, 115 p. ; GRISOT (M.), Abidjan rase les bidonvilles des quartiers à risques , disponible sur : http://www.lemonde.fr/planete/article/2014/10/03/abidjan-rase-les-bidonvilles-des-quartiers-a-risques_4499834_3244.html ( consulté le 12/10/2015) ; Lire aussi : ONU-HABITAT: Guide pour l'Evaluation de la Cible 11 : Améliorer sensiblement la vie de 100 millions d'habitants des bidonvilles. Nairobie, 2003, 19 p. ; ONU-HABITAT, Sortir des bidonvilles : un défi mondial pour 2020, Nairobi, 2012, 75 p.

1468 MINISTEREDE LA SANTE ET DE LA LUTTE CONTRE LE SIDA (MSLS) et l'INSTITUT NATIONAL DE LA STATISTIQUE (INS) et ICF International, Enquête Démographique et de Santé et à Indicateurs Multiples de la Côte d'Ivoire 2011-2012 : Rapport de synthèse. Calverton, Maryland, USA : MSLS, INS et ICF International, 2013 p.24.

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entrepris par les pouvoirs publics. En outre, il est parfois donné de constater que le recours à l'eau de puits et de marigot est lié à des jugements de valeur. Ainsi, relativement aux habitudes de consommation en eau, en milieu rural, certaines populations accordent la préférence à l'eau de puits ou des sources tout simplement parce qu'elle aurait un meilleur goût que l'eau de pompe. Cette eau non potable est utilisée aussi bien pour la cuisine, la lessive que pour la toilette, notamment des nouveau-nés. Par ailleurs, les points d'eau existant ne bénéficient d'aucune mesure de protection particulière et constituent l'endroit idéal pour les jeux des enfants ou de consommation d'eau pour les animaux domestiques1469. De telles attitudes et comportements exposent ainsi de nombreuses populations, notamment les enfants à des risques de contamination certaine par les maladies hydriques1470 et liées au manque d'hygiène.

Suivant les estimations du JMP 2014, environ 80% des ivoiriens ont accès à une source d'eau améliorée1471. L'accès est plus élevé en milieu urbain (92%) par rapport au milieu rural (68%). Néanmoins, il faut noter que peu de progrès véritable empêchera probablement la Côte d'Ivoire d'atteindre ses cibles de l'OMD pour ce qui a trait à l'eau potable. Il faut noter que l'accès à une source dite « améliorée » ne garantit ni la durabilité, ni la qualité de l'accès à l'eau potable1472. En effet, la faible maintenance des systèmes et des points d'eau est l'une des grandes problématiques du secteur, notamment en milieu rural. Pour ce qui est de la qualité de l'eau, le système international de monitorage mis en oeuvre par l'Unicef et l'OMS considère seulement le type d'infrastructure et non pas la qualité de l'eau à la source. Le JMP estime que le type d'infrastructure permet d'évaluer la potabilité de l'eau. Il demeure néanmoins préférable de tester la qualité de l'eau, un élément prévu par le système de monitorage post-20151473. Ici, ce système de monitoring fournit l'information nécessaire

1469 Ceci est visible dans nombre de lieux du pays, et même au quartier dioulabougou situé dans la capitale politique du pays (Yamoussoukro) que nous avons visité en juillet 2017.

1470 LARBI BOUGUERRA (M.), « Eau et santé »in La Mise en oeuvre du droit à l'eau, Actes du XXIXème Congrès ordinaire de l'IDEF, Schultess, 2006, p.125.

1471 JOINT MONITORING PROGRAMME (JMP) : Données pour la Côte d'Ivoire (Links), 2014.

1472 SHAHEED (A.), Why « improved » water Sources are not always safe. WHO Bulletin, Apr 2014. http://ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC3967570/ (consulté le 04/03/2015).

1473 WASH, Targets and indicators post-2015: Recommendations from international Consultations, Avril 2014. WSSCC. (http: // www.wsscc.org/sites/default/hles/post-2015_wash_targets_factsheet_12pp.pdf. (Consulté le 25/06/2015)

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pour évaluer la marche de tout programme sanitaire et permet de faire des ajustements pendant son exécution.

Les ménages qui s'approvisionnent aux sources publiques doivent transporter et stocker l'eau. L'eau potable risque d'être contaminée par les ménages lors du transport et du stockage de l'eau puisée aux sources publiques. Le mode de stockage, notamment l'utilisation de récipients non-nettoyés régulièrement, serait un grand vecteur1474de la contamination des eaux. Cette contamination est difficilement évitable en raison des comportements négatifs persistants. La promotion des moyens de traitement de l'eau à domicile (filtres et produits chlorés), la sensibilisation des populations en découlant visent à remédier à ce problème.

En matière d'assainissement1475, la majorité des ménages, notamment en zone rurale, ne dispose pas de systèmes d'égouts, ni de caniveaux de drainage des eaux usées et pluviales1476. En 2000, seulement, un ménage sur deux (59,1%) disposait de moyens adéquats d'évacuation des excréta, dont 80,2% en milieu urbain et 36,8% en milieu rural. Cela cause des problèmes de stagnation des eaux usées et pluviales qui constitue des endroits ou les enfants aiment fréquemment s'amuser. Ce faisant, nombre d'entre eux finissent par contracter certaines maladies.

Suivant le JMP 2014, seulement 22% de la population a accès à une installation d'assainissement améliorée, 33% en milieu urbain et 10% en milieu rural. Le pourcentage de la population n'ayant pas accès à une latrine et qui pratique la défection à l'air libre est très élevé : 28% au niveau national, 6% en milieu urbain et 51% en milieu rural. Cette situation expose les enfants au risque de contamination par des parasites tels les vers intestinaux pour lesquels un traitement médicamenteux n'est efficace qu'à court terme1477.

1474 UNICEF, Analyse de la situation de l'enfant en Côte d'Ivoire 2014. Vers une société plus équitable dans un pays émergent, p.53-54.

1475 GUISSE (E.H.), Rapport entre la jouissance des droits économiques, sociaux et culturels et la promotion de la réalisation du droit à l'eau potable et à l'assainissement, E/CN.4/Sub.2/2002/10 du 25 juin 2002, pp.10-13.

1476 DONGO (K.), KOUAME (F.K), KONE (B.), BIEM (J.) TANNER (M.), CISSE (G.), « Analyse de la situation de l'environnement sanitaire des quartiers défavorisés dans le tissu urbain de Yopougon à Abidjan, Côte d'Ivoire », Vertigo-la revue électronique en sciences de l'environnement, Vol. 8, n°3 ? Décembre 2008, disponible sur http://vertigo.revues.org/6252 (Consulté le 06 /06/2017).

1477 UNICEF, Analyse de la situation de l'enfant en Côte d'Ivoire 2014. Vers une société plus équitable dans un pays émergent, p.53-54.

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En outre, la mauvaise gestion des ordures ménagères1478 ou des déchets1479contribue à accroitre les risques de maladie des populations, notamment chez les enfants. En effet, l'accroissement de la population dans les villes a mécaniquement entrainé celui de la production d'ordures ; cependant, les besoins exprimés en termes d'évacuation et les systèmes de collecte et de traitement des ordures ménagères ainsi que des eaux usées, surtout en milieu urbain, reste encore une préoccupation pour le Gouvernement et les populations. Par exemple, à Abidjan, le ramassage des ordures ménagères par camion qui assurait plus de la moitié des évacuations traverse une crise de gestion des déchets du fait de la forte croissance démographique qui impose une demande de plus en plus forte à des capacités gouvernementales insuffisantes. Ainsi, voit-on se développer parallèlement, un réseau informel de type privé pour le ramassage des ordures qui lui-même se heurte au problème de l'acheminement des ordures collectées vers la décharge d'Akouédo1480 soumise à un progressif engorgement. Dans les autres villes, les pratiques sont similaires à celles du milieu rural. En effet, les décharges y sont mal aménagées et la nature environnante (caniveaux, broussailles, ruelles, etc.) se transforme en de véritables dépotoirs1481.

Cela explique en partie les cas de contamination en matière fécale chez les enfants de moins de cinq ans. D'où les morbidités telles que la malnutrition, les maladies diarrhéiques, la dysenterie, le choléra, etc. chez les enfants de moins de cinq ans. En ville particulièrement, l'industrialisation croissante de l'économie et les habitudes quotidiennes engendrent des déchets toxiques et produisent progressivement une pollution urbaine1482. Tout ceci concourt

1478 AMANDINE (H.), « Centralisation, décentralisation et accès aux services urbains : le cas de l'enlèvement des ordures ménagères à Abidjan », Belgeo, 3-4, 2009, pp.425-438.

1479 SANE (Y.), « La gestion des déchets à Abidjan : un problème récurrent et apparemment sans solutions », In. African Journal of Environmental Assessment and Management, 4,1, 2002, pp.13-22.

1480 ADJIRI (O.A.), MAFOU (C.K.), KONAN (P.K.), « Impact de la décharge d'Akouédo (Abidjan-Côte d'Ivoire) sur les populations : étude socio-économique et environnementale » In. International Journal of Innovation and Applied Studies, vol.13. N°4, Déc.2015, pp.979-989. ; SANE (Y.), « La gestion des déchets à Abidjan : un problème récurrent et apparemment sans solution », Revue africaine de gestion et d'évaluation environnementale, vol.4, n°1, 2000, pp.5-10.

1481 ADEPOJU (G.O.) et KUMUYI (A.J.), « Chapitre 1 : La gouvernance et la gestion des déchets en Afrique » dans : O.G. Adepoju, KUMUYI (J.A.), KOFFI A., A.J.L. MOUGEOT, LUSUGGA K.M.J., SWWILLING M.et HUTT D., La gestion des déchets urbains : des solutions pour l'Afrique, CRDI/Editions Karthala, 2002, pp.5-10.

1482 GBINLO (R.), Organisation et financement de la gestion des déchets ménagers dans les villes de l'Afrique Subsaharienne : le cas de la ville de Cotonou au Bénin. Economies et finances, Thèse de doctorat, Université d'Orléans, 2010, pp.18-21.

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à une dégradation de plus en plus marquée du cadre de vie et de l'environnement qui est responsable de nombre de maladies affectant considérablement la santé des enfants.

C. LES RESISTANCES STRUCTURELLES

Au plan structurel, on relève des causes d'ineffectivité liées aussi bien à la gestion et l'inadaptation des politiques sanitaires et à des contraintes économiques ainsi qu'à des pesanteurs socioculturelles.

1. Les facteurs liés à la gestion et à l'inadaptation des politiques sanitaires et à des contraintes économiques

Ces facteurs tiennent au mauvais ciblage des politiques nutritionnelles, aux inégalités dans la distribution régionale et intra-ménage des denrées alimentaires.

Un mauvais ciblage des politiques nutritionnelles1483 apparait comme l'une des causes structurelles des atteintes à la vie et aux problèmes de survie de l'enfant. L'un des arguments qui font défaut à cette politique est l'exécution de transferts bien ciblés envers les enfants les plus touchés, c'est-à-dire ceux vivant dans les zones rurales les plus reculées et ceux qui vivent en milieu urbain dans des conditions d'insalubrité permanente. Aussi, note t'on, le manque de cohérence avec les habitudes alimentaires des populations surtout celles du milieu rural. Les programmes nutritionnels sont en effet basés sur la juxtaposition des principes diététiques modernes aux systèmes alimentaires des populations. La conséquence est la mauvaise adoption des nouveaux régimes par les populations, surtout lorsqu'il s'agit de mères ayant un niveau de scolarisation faible.

Les inégalités dans la distribution régionale et intra-ménage des denrées alimentaires1484 ont aussi des répercussions sur les disponibilités alimentaires. Il en résulte une réduction de

1483 MAIRE (B.), DELPEUCH (F.), PADILLA (M.), LE BIHAN (G.), « Le ciblage dans les politiques et programmes nutritionnels », In. Researchgate, Janvier 1993, pp34- 57. ; MAIRE (B.), DELPEUCH (F.),TRAISSAC (P.), Aspects statistiques du ciblage des politiques et programmes nutritionnels dans les pays en développement, pp.79-98. disponible sur www.horizon.documentation.ird.fr (consulté le 15 décembre 2016).

1484 DIRECTION DES STATISTIQUES, DE LA DOCUMENTATION ET DE L'INFORMATIQUE (DSDI) DU MINISTERE DE L'AGRICULTURE ET DE L'INSTITUT NATIONAL DE LA STATISTIQUE (INS), Rapport sur la dynamique de la consommation alimentaire en Côte d'Ivoire, Mars 2011, pp.48-58. ; AKINDES

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la consommation par tête et une dégradation automatique du bien-être nutritionnel des groupes les plus défavorisées et vulnérables que sont les enfants. De même, avec la crise économique1485, la raréfaction des ressources étatiques s'est traduite par la réduction des subventions aux produits alimentaires de première nécessité pour les ménages urbains. En conséquence, la réduction du pouvoir d'achat des ménages qui s'en est suivi a aussi réduit les marges d'amélioration de leurs régimes alimentaires. Dans de telles conditions, il n'est pas rare de retrouver des enfants de moins de cinq ans souffrant de carences alimentaires1486 qu'il est indispensable de combler pour leur garantir une croissance normale. De même, les cas de malnutrition et d'anémie sont étroitement liés à la faiblesse de l'allaitement maternel ainsi qu'à des habitudes et pratiques alimentaires défavorables.

2. Les pesanteurs socio-culturelles

En Afrique, et notamment dans certaines zones rurales ivoiriennes, il existe certaines conceptions selon lesquelles, il n'est pas conseillé de donner certains aliments à manger aux enfants car ceux-ci sont susceptibles de faire des enfants de petits voleurs ou encore des amorphes. Ainsi, au sein des ménages, la répartition de la nourriture entre les membres n'est souvent pas à l'avantage des enfants et surtout lorsqu'il s'agit de ménages ruraux. Les enfants sont souvent exposés au risque de malnutrition protéine-énergétique à cause des interdictions qui pèsent sur leur régime alimentaire en ce qui concerne certains aliments riches en protéines (viande, poissons, oeufs, ...) qui, pour la plupart de temps sont réservés aux adultes et aux plus âgés. Heureusement, ces pratiques commencent à disparaître.

Les causes de l'ineffectivité du droit à la vie et à la survie ayant été examinées, il importe de mettre en exergue celles tenant à l'ineffectivité du droit au développement des enfants.

(F.), « Dévaluation et alimentation », Les Cahiers de la Recherche-Développement (40), CIRAD, Paris, 1995, pp.24-42.

1485 BRICAS (N.), « L'effet de la crise sur l'alimentation des populations urbaines en Afrique » In Crise et population en Afrique. Crise économique, politique d'ajustement structurel et dynamiques démographiques, VALLIN, J. et COUSSY, J. eds., Les Etudes du CEPED (13), Paris, EHESS-INED-INSEE-ORSTOM-Université de Paris VI . pp.183-207.

1486 CONSEIL NATIONAL POUR LA NUTRINITION (CNN)-REPUBLIQUE DE COTE D'IVOIRE, Analyse de la situation nutritionnelle en Côte d'Ivoire, rapport Juillet 2015, pp.7-12. ; Lire aussi, AGUAYO (V.M.) ADOU (P.), « La malnutrition en Côte d'Ivoire : un appel à l'action » In. African Journal of Food and Nutritional Sciences Vol 2 n°2 ? 2002, pp. 86-91.

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§ 2. LES CAUSES DE L'INEFFECTIVITE DU DROIT AU DEVELOPPEMENT DE L'ENFANT

On examinera successivement les causes intrafamiliales (A) et les causes extra-familiales de l'ineffectivité du droit au développement (B).

A. LES CAUSES INTRAFAMILIALES DE L'INEFFECTIVITE DU DROIT AU DEVELOPPEMENT

L'examen des causes intrafamiliales amène à distinguer successivement les causes liées à l'environnement familial et scolaire (1), les autres causes imputables à la famille (2) ainsi que celles qui sont directement imputables aux enfants eux-mêmes (3).

1. Les causes liées à l'environnement familial et scolaire

Les difficultés socio-familiales et affectives, le surcroît de travail chez les élèves, la faible perception de l'importance de l'école par les jeunes et les carences alimentaires sont autant de facteurs explicatifs de l'ineffectivité partielle du droit au développement.

Les difficultés affectives rencontrées par de nombreux enfants dans le cadre des familles incomplètes, dissociées, avec les mères isolées ainsi que les maladresses d'éducation affective contribuent à consolider les fixations et les conflits affectifs qui devraient être surmontés à la fin de la deuxième enfance (entre 3 et 6 ans)1487. C'est ce qu'on observe chez les enfants distraits, opposants, butés ou chapardeurs ; ces difficultés qui peuvent conduire à un désintérêt pour l'école, constituent également des obstacles au développement des capacités mentales de ces enfants et donc à un faible niveau de rendement scolaire. Au cours de l'adolescence, les changements physiologiques, psychologiques, et de comportements contribuent à accentuer les difficultés des enfants.

De nombreux enfants sont également soumis à un surcroit de travail tant à l'école qu'à la maison, notamment dans les familles démunies où les enfants participent très tôt et de façon active aux différentes activités domestiques et ou économiques de leur famille. Ainsi, la charge de travail qu'ils subissent ne leur permet pas toujours d'avoir le temps nécessaire

1487 LAARABI (S.), Les stratégies publicitaires : le marché de l'enfant, Mémoire de recherche, Ecole supérieure de technologie, 2007, p.11.

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pour apprendre et assimiler les différentes disciplines enseignées à l'école et peut expliquer les faibles rendements constatés chez de nombreux élèves issus de familles pauvres1488.

Quant aux carences alimentaires, pour de nombreux élèves, le nombre de repas consommés est insuffisant en quantité à cette période de croissance et de changement physiologique. En effet, les données recueillies sur le terrain révèlent que certains élèves ont un repas par jour, tandis que d'autres ont deux repas ou trois repas par jour suivant leur origine familiale1489. La qualité nutritive des mets est aussi un problème en milieu scolaire où se pose déjà le nombre insuffisant de cantines scolaires sur le territoire national1490.

2. Les autres causes imputables à la famille

La faible perception des missions de l'école, la non déclaration des naissances à l'état civil1491, le nombre élevé d'enfants à charge1492, l'utilisation des enfants comme force de travail, une mauvaise appréhension des rôles éducatifs et de la démission des parents, la pénibilité des tâches de la mère, l'absence de communication entre parents et enfants sont autant de causes imputables à la famille et qui minent également l'effectivité du droit de l'enfant au développement.

Aujourd'hui, le nombre de jeunes diplômés sans emploi tend à renforcer les préjugés selon lesquels l'école ne garantit pas nécessairement une réussite professionnelle ou sociale. D'où une faible perception des missions de l'école. Par ailleurs, le nombre important d'analphabètes dans les hauts niveaux de la vie économique et politique exerce une influence sur certains parents qui préfèrent intégrer très tôt leurs enfants à leurs activités agricoles ou commerciales ou encore à l'apprentissage d'un métier, au détriment d'une scolarisation

1488 Lire également, SCHLEMMER (B.), « Le BIT, la mesure du travail des enfants et la question de la scolarisation », Cahiers de la recherche sur l'éducation et les savoirs, Hors-Série n°1, « Pouvoirs et mesure en éducation » (A. VINOKUR, coord.), 2005, pp.229-248.

1489 Entretien réalisé avec des élèves des villes de Yamoussoukro, Abidjan, Bouaké, Taabo, Daloa

1490 DIRECTION NATIONALE DES CANTIQUES SCOLAIRES MINISTERE DE L'EDUCATION NATIONALE ET DE L'ENSEIGNEMENT TECHNIQUE, Programme d'alimentation scolaire et du programme intégré de pérennisation des cantines scolaires, 2017, 23p.

1491 CANTRELLE (P.), L'état civil en Afrique sub-saharienne : historique d'un malentendu et espoirs pour l'avenir, Communication préparée pour la Conférence Africaine sur la Population, Johannesburg, Afrique du Sud, session 61 : L'Etat civil en Afrique : quelques enjeux, 2015, 34p. ; UNICEF, L'enregistrement à la naissance : un droit pour commencer. Digest Innocenti, n°9 Mars 2002, 31p. ;

1492 En effet, il est évident que les ménages pauvres composés de plusieurs enfants, se voient dans l'obligation de faire un choix quant aux enfants à scolariser.

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jugée longue, coûteuse et inadaptée au marché de l'emploi. Cette tendance semble être prononcée chez les parents analphabètes ou d'un niveau d'instruction faible.

Le nombre élevé d'enfants à charge est aussi une cause imputable à la famille : Dans de nombreuses familles, le nombre d'enfants est non seulement élevé mais en plus, l'intervalle qui sépare deux naissances reste court, notamment en milieu rural. Chaque année, plusieurs parents se trouvent confrontés à une forte demande en matière de scolarisation et les parents n'arrivent pas à assurer convenablement la prise en charge des enfants. Cette situation est due à la non pratique du planning familial1493. Pour chaque enfant, les familles devront alors faire face aux nombreuses dépenses scolaires (frais d'inscription, tenues scolaires, manuels, cahiers, et autres frais liés à la scolarisation). Ainsi, les stratégies en matière de scolarisation sont orientées par les capacités à scolariser un certain nombre d'enfants ou à privilégier les garçons au détriment des filles. Ainsi, les autres enfants devront attendre d'éventuelles opportunités pour accéder à l'école à un âge avancé, ou être orientés vers un système d'apprentissage plus ou moins formel, moins long et engageant moins de frais.

Comme il a déjà été dit, l'utilisation des enfants comme force de travail compromet aussi le développement de l'enfant. En milieu rural et dans certaines petites entreprises ou industries du secteur informel1494, certains élèves sont des forces de travail quotidiennes et sollicitées pour les activités économiques. Ils constituent une main d'oeuvre pratique et corvéable et bon marché pour les travaux agricoles et les activités ouvrières qui, répandues sur presque toute l'année scolaire, constituent la principale source de revenu de nombreux ménages ruraux et urbains défavorisés. Ainsi, il est fréquent de constater qu'en pleine année scolaire, de nombreuses familles, principalement agricoles, retirent leurs enfants de l'école pour les faire participer aux travaux champêtres, notamment dans les régions du Nord, du Nord-Est et du Nord-Ouest1495.

Une mauvaise appréhension des rôles éducatifs et la démission des parents mettent aussi sérieusement à mal l'éducation des enfants.

1493 ZAKARI (C.), « Les facteurs de la contraception au Burkina Faso », In. La planification familiale en Afrique, n°5, 2005, p. 51.

1494 BONNET (M.), « Le travail des enfants en Afrique », Revue internationale du travail, vol. 132, n/ 3,1993, pp. 411-430. ; JACQUEMIN (M.), « Travail domestique et travail des enfants : le cas d'Abidjan (Côte-d'Ivoire) ». In: Tiers-Monde, tome 43, n°170, 2002, pp. 307-326. ; GUEU (D.), « Le travail des enfants dans les marchés de nuit d'Abidjan », European scientific journal, 2012, 177-186.

1495 Entretien avec des instituteurs à Bondoukou, Korhogo, Bouna et Odienné.

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Pour beaucoup d'enfants, comme cela est fréquent chez les filles-mères, les femmes vivant dans les familles monoparentales1496, en milieu rural et même dans certaines familles urbaines biparentales, le père est très souvent démissionnaire de son rôle éducatif. Car l'on a toujours considéré que l'éducation des enfants est une fonction essentiellement dévolue à la femme. Ainsi, même quand ils sont présents, certains pères ne participent qu'à l'éducation de leurs enfants que sur le plan économique. Et, les marques d'attention les plus observées se traduisent souvent en termes de représailles. Dans ce contexte, la mère presque toujours occupée et sans moyens, ne peut à elle-seule, assurer une éducation totale du petit enfant, qui pourtant a besoin d'une présence paternelle, garante d'une sécurité affective et émotionnelle. D'autres encore et dans la majorité des cas, sont convaincues que l'éducation de l'enfant se résume à son alimentation et aux soins qui lui sont apportés, négligeant ainsi le champ des relations sociales à travers lesquelles l'enfant, dans la famille et à l'école où avec d'autres enfants de son âge s'initie, par le jeu, aux premiers apprentissages de la vie sociale. Malheureusement, de nombreuses mères sont ignorantes en matière de suivi sanitaire et nutritionnel de leurs enfants. En matière d'éducation, la plupart des parents s'impliquent très peu ou pas du tout dans le suivi scolaire1497 de leurs enfants qu'ils considèrent comme relevant exclusivement des enseignants et du système éducatif coupé de la famille ; pourtant, il revient à la famille de favoriser l'assimilation de l'enseignement reçu à l'école. Ainsi, au retour de l'école, certains élèves n'ont pas la chance d'être encadrés à la maison afin de se faire expliquer les enseignements qu'ils n'auraient pas compris ; De la sorte, les lacunes s'accumulent et les résultats scolaires sont peu satisfaisants.

Le contexte socioculturel traditionnel influence dans une large mesure les comportements des parents et ce, par le biais de l'absence de communication entre parents et enfants. En

1496 ALGAVA (E.), Les familles monoparentales : des caractéristiques liées à leur histoire matrimoniale, DRESS, Etudes et Résultats, n° 218, février 2003 ; SECHET(R.), DAVID (O.), QUINTIN(P.), « Les familles monoparentales et la pauvreté », In. La Documentation française, Les Travaux de l'Observatoire national de la pauvretéì et de l'exclusion 2001-2002, 2002, pp. 247-290.

1497 Cela est surtout vrai pour les parents analphabètes et dans une moindre mesure pour nombre de parents instruits qui faute de temps, n'arrivent pas à encadrer leurs enfants à la maison. Mieux la plupart d'entre eux attend le résultat final en fin d'année scolaire pour savoir si oui ou non l'enfant est admis en classe supérieure ; BERGONNIER-DUPUY (G.) & ESPARBES-PISTRE (S.), « Accompagnement familial de la scolarité : le point de vue du père et de la mère d'adolescents (en collège et lycée) ». In.. Les sciences de l'éducation-Pour l'Ere Nouvelle, vol.40, n°4, 2007, pp.21-45. ; DESLANDES (R.) & CLOUTIER (R.), « Pratiques parentales et réussite scolaire en fonction de la structure familiale et du genre des adolescents ». Revue française de pédagogie, vol. 151, n°1,2005, pp.61-74.

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effet, en Côte d'Ivoire comme dans d'autres pays d'Afrique, les enfants sont soumis à une autorité parentale qui n'accorde que peu d'importance au dialogue entre parents et enfants. Les problèmes liés à la sexualité, restent en bien de lieux, notamment dans les campagnes, encore considérés comme un tabou.

3. Les causes imputables aux enfants

Entre six (6) et douze (12) ans, la plupart des enfants ne perçoit pas encore l'utilité de l'école qui apparaît pour eux comme un endroit de rencontres avec d'autres élèves avec lesquels ils entretiennent des relations de jeux. L'école n'est pas encore perçue comme un lieu d'apprentissage devant permettre une préparation à la vie d'adolescents et d'adultes. Cette perception de l'école peut constituer chez certains élèves, une raison suffisante pour la recherche du moindre effort. Ainsi, certains élèves en milieu rural préfèrent se consacrer à des activités moins contraignantes et plus oisives telles que les parties de chasse, de pêche, de baignade. Ce qui peut expliquer le niveau du taux de redoublement1498 et d'abandon ou de déperdition scolaire1499.

L'ampleur des problèmes auxquels sont confrontés les jeunes met également en lumière le faible niveau de connaissance et de prise de conscience de la gravité des fléaux actuels.

De nombreux jeunes ignorent encore ou négligent les dangers auxquels ils s'exposent en adoptant des comportements à risques, ainsi que leur rôle au sein de la famille et de la société. Certains jeunes ont une mauvaise perception de la réalité socio-culturelle et économique du pays. Alors, l'oisiveté à laquelle ils sont soumis les conduit peu à peu à s'adonner aux vices liés à la consommation de tabac1500, d'alcool et à la sexualité à risque. Les problèmes qui

1498 Ministère de l'éducation nationale-Direction de l'Informatique, de la Planification, de l'Evaluation et des Statistiques (DIPES), L'état de l'école en Côte d'Ivoire. Rapport d'analyse, 2008-2009, pp.57-60. Disponible sur www.men-dpes.org ; CONFEMEN, BERNARD (J.-M.), SIMON (O.) VIANOU (K.), Le redoublement : mirage de l'école africaine ? Programme d'analyse des systèmes éducatifs de la CONFEMEN, 2005, 100p. ; EISEMON (T.O), Réduire les redoublements : problèmes et stratégies, Unesco, Paris, 1997, 59p.

1499 NCHO LAUGBA (A.D.), Déperdition scolaire, emploi et niveau de vie à Abidjan : cas des jeunes femmes des communes de Cocody et Yopougon, pp.3-4, disponible sur www.erudite.univ-paris-est.fr/evenements/colloques (Consulté le 20/12/2016) ; SAWADOGO (B. J.) et SOURA (A.B.), L'abandon précoce en milieu scolaire : Analyse et recherche de modèle explicatif, ROCARE, Décembre 2002, pp.28-44. 1500 Selon l'OMS, le tabagisme tue près de six millions de personnes chaque année, dont plus de 600000 fumeurs passifs (Source : WHO Global Health Risks : Mortality and burden of disease attibutable toselected major risks. Genève, Organisation mondiale de la Santé, 2009).

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minent les enfants et les adolescents persistent et s'amplifient, très souvent avec la complicité de certains responsables politiques, administratifs et municipaux ainsi que celle de certains parents, qui n'hésitent pas à installer leur commerce de boissons dans les quartiers et aux abords des écoles1501.

Une autre catégorie de résistances affectant le développement ou l'éducation de l'enfant relève de facteurs de nature sous-jacente.

B. LES CAUSES EXTRA FAMILIALES

Seront abordées successivement les causes directes imputables à la communauté (1),les causes tenant à l'insuffisance des services sociaux de base (2), les causes tenant à l'inadéquation des services sociaux de base (3) et les contraintes socio-économiques et culturelles affectant le développement optimal de l'enfant (4) .

1. Les causes directes imputables à la communauté

Les résistances imputables à la communauté sont de plusieurs ordres : la précarité du cadre et du niveau de vie, le problème de l'accessibilité géographique, la libre circulation et l'accès facile aux excitants, l'influence négative des médias, la faiblesse de la sensibilisation, un faible accès aux loisirs en milieu scolaire et familial. On en examinera quelques-unes à titre d'illustration.

S'agissant de la précarité du cadre et du niveau de vie1502, en Côte d'Ivoire, de nombreux enfants issus de familles démunies naissent et grandissent dans des conditions d'existence difficiles. Le nombre de quartiers précaires et leur augmentation met clairement en lumière la problématique de l'encadrement de la petite enfance. En effet, le poids des bidonvilles, dans la population pauvre de la ville d'Abidjan et dans nombre de provinces du pays,

1501 Une simple visite à Abidjan, notamment à Yopougon , Abobo, Marcory et bien de villes de l'intérieur de pays amène à observer que bien d'établissements scolaires ont pour voisinage immédiats, de nombreux bars ou maquis tenus par des parents d'élèves, des hommes publics et qui fonctionnent aussi bien durant les heures de cours. Nombre d'élèves censés être en classe s'y trouvent malheureusement aux heures de cours. Le silence des autorités étatiques, notamment municipales achèvent de surprendre, au vu de tous éléments et notamment de l'âge des enfants fréquentant ces lieux.

1502 MENGOH (B.), Cadre de vie, pauvreté et santé en milieu rural au Congo. L'exemple de la région de la Sangha occidentale, In. Rev. CAMES-Série B, vol. 02, 2000, pp.47-58.

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notamment, San Pedro1503 a grossi ; ce qui traduit un durcissement ou une détérioration des conditions de logement déjà précaires d'une partie de la population. Au-delà de ce type de logements n'offrant pas des garanties de confort et de sécurité, la précarité découlant de la forte densité par rapport au nombre de pièces, induit un mode de vie promiscuitaire défavorable à un encadrement sain de la petite enfance, notamment dans les ménages pauvres. En outre, il y a le cas des enfants qui naissent en prison ou en milieu rural où il n'existe aucune structure d'encadrement de la petite enfance. De même, en matière de scolarisation, l'on note une nette différence entre pauvres et non pauvres ; en effet, les taux bruts de scolarisation (primaire et secondaire) augmentent avec le niveau de revenu ; l'on constate une certaine précocité dans l'inscription des enfants issus de ménages non pauvres et un retard quand il s'agit de ceux de familles pauvres. En effet, le coût total moyen d'éducation constitue une préoccupation majeure pour bon nombre de parents et va même jusqu'à constituer un obstacle à la scolarisation des enfants, notamment les filles. Pour les familles démunies, les dépenses totales d'éducation représentent parfois la moitié ou le tiers des dépenses estimées. Et leurs enfants n'ont pas la totalité des fournitures nécessaires à une scolarisation favorable malgré les efforts des pouvoirs publics ces dernières années à travers la distribution des kits scolaires1504.

Aussi, l'épineux problème de l'accessibilité géographique, explique aussi la crise du droit à l'éducation de l'enfant. Chaque jour de nombreux élèves sont obligés de parcourir plusieurs kilomètres pour avoir accès à l'école. Si à Abidjan, la plupart des élèves bénéficient de la quasi-gratuité du transport1505 pour se rendre dans leurs écoles respectives, dans les autres villes et en milieu rural, les élèves rejoignent leurs écoles à pied ou par d'autres moyens de transport suivant la situation financière des familles. Dans certains villages, ils sont obligés de traverser des cours d'eau ou des zones de forêt, parce que ne disposant pas

1503 Située dans le sud-ouest de la Côte d'Ivoire, La ville de SAN PEDRO est le deuxième pôle économique du pays, en raison notamment du fait qu'elle abrite le deuxième port du pays. Ce port est considéré comme le

premier port mondial en matière d'exportation de fèves de
cacao.www.news.abidjan.net/h/527512.html(Consulté le 15 Novembre 2016).

1504 http://news.abidjan.net/h/599278.html (consulté le 25/01/2017).

1505 En effet, à Abidjan, les élèves et étudiants bénéficient d'une subvention de l'Etat leur permettant d'avoir droit à une carte de transport en bus moyennant respectivement la somme de 3000 FCFA (soit 4, 573 euros) ou 5000 FCFA ( soit 7,622 euros) selon qu'ils sont inscrits en cours du jour ou cours du soir par mois ; en revanche, il n'existe pas un tel système dans les autres villes du pays ; les seuls existant relèvent des entreprises de transport privé avec des coûts parfois élevés pour certains parents. Sur les couts des cartes scolaires à Abidjan, voir www.sotra.ci/www/s3/index.php/2014-10-24-15-43-20 (consulté le 17/06/2017).

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d'école à proximité. Et durant toute l'année scolaire, ces milliers d'enfants sont obligés de braver les dangers de la circulation et les autres intempéries pour pouvoir bénéficier des bienfaits de l'école. Ce problème d'accessibilité géographique et ses corollaires conduisent certains parents à ne pas scolariser leurs enfants ou même, à pousser certains élèves à abandonner l'école qui n'est pas toujours perçue dans ces fondements socio-éducatifs.

S'agissant de la libre circulation et l'accès facile aux excitants, il est à remarquer qu'en Côte d'Ivoire, la commercialisation du tabac et de l'alcool est libre et très étendue, eu égard à la floraison de kiosques à tabac et de maquis-bars dans toutes les localités du territoire national, même aux abords des collèges et lycées. Et l'achat de ces différents produits par les enfants ne constitue aucune préoccupation, ni pour certains adultes encore moins pour les commerçants eux-mêmes. Aussi, les actions de promotion de certaines grandes firmes de cigarettes et de tabac, sans restriction d'âge ni présentation des dangers auxquels expose l'abus de ces drogues, contribuent à renforcer leur forte circulation et à favoriser un accès facile et une forte consommation par les enfants.

L'influence négative des médias1506 explique aussi les problèmes liés au développement des enfants. Certains programmes proposés par les médias audiovisuels ivoiriens sont inadaptés aux normes et valeurs prônées par le système éducatif en général. En effet, de plus en plus, les films présentés sur les antennes nationales font l'apologie de la violence, du sexe, de la drogue, du banditisme, etc. Et les larges diffusions dont ils font l'objet finissent par apparaître chez de nombreux adolescents comme une norme, l'expression d'une certaine liberté caractérisant les pays développés qui continuent de constituer notre seul modèle de référence. L'existence du phénomène « enfants microbes »1507 en est une illustration. Le mode opératoire des « enfants microbes » en Côte d'Ivoire est similaire à celui des Kaluna ( enfants de la rue agissant principalement à Kinshassa formant des gangs de jeunes délinquants au Congo. Toutefois, l'inspiration du mode opératoire provient d'un film brésilien à succès mettant en scène un gang d'enfants dans les favelas. Le film en question

1506 LUTANGU SELETI (S-M.), Médias audiovisuels et dépravation des moeurs. Constat fait aux enfants, adolescents et adultes de KINSHASSA ; MLA, « Les enfants et les médias »In. Paediatrics & Child Health. 4.5, 1999, pp.357-362. ; COMMISSION FAMILLE, EDUCATION AUX MEDIAS, Rapport à l'attention de Madame Nadine MORANO. Secrétaire d'Etat chargé de la Famille et de la Solidarité, Juin 2009, p.8 disponible sur www.ladocumentationfrançaise.fr/var/storage/rapports-publics/064000516.pdf (consulté le 14 janvier 2016).

1507 www.rfi.fr/emission/20150515-enquete-microbes-abidjan (consulté le 17/06/2017).

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est appelé la Cité de Dieu, film brésilien, coréalisé par Fernando Meirelles et Katia Lund sorti en 2002. Il est adapté du roman du même nom écrit par l'auteur brésilien Paulo LINS en 1997 retraçant l'histoire de ZEPEKIGNO qui commença une carrière d'enfant de la rue avant de devenir un redoutable chef de gangs et narcotrafiquant. Cela signifie que la commission de censure des programmes télévisés1508 reste elle-même limitée dans ses actions par une faible appréciation de leur rôle dans l'information, l'éducation et le divertissement des populations, notamment des enfants.

Au regard de l'importance des problèmes que rencontrent les enfants, il est certain que les actions de sensibilisation sont inexistantes ou insuffisantes ou alors inadéquates tant au niveau familial, scolaire que des institutions d'information, d'éducation et de communication. En effet, hormis les campagnes médiatisées et les actions de certaines associations et Ongs sur les MST-SIDA, qui sont de plus en plus adressées aux adolescents, aucune politique nationale ne se traduit concrètement par des actions familiales, scolaires ou communautaires devant informer les adolescents sur les différents problèmes de la vie, en général et sur les questions socio-économiques émergentes afin de les préparer à une vie adolescente et adulte responsable. Par exemple, le dépistage précoce de l'infection par le VIH SIDA se trouve encore confronté à quelques réticences chez les adolescents qui peuvent s'expliquer par un manque d'informations et de sensibilisation. En effet, la persistance de certains préjugés (mauvaise connaissance de la maladie et de son mode de transmission) et l'environnement social peu favorable à l'acceptation de la maladie du SIDA (exclusion sociale des personnes infectées ou maladies du sida), constituent autant de facteurs limitant l'efficacité de la promotion d'un dépistage précoce1509.

A cela, s'ajoute le faible accès aux loisirs en milieu scolaire et familial. On le sait : Le jeu, le sport et les loisirs ont pour avantage, à travers les nombreuses occasions d'initiative, d'interaction et de créativité, de développer chez l'élève le goût de l'effort, l'amour de la lecture et du calcul, la maitrise du langage et la stimulation de la mémoire, qui à long terme

1508 Pour plus d'infos sur cet organe, Voir Ordonnance n°2011-75 du 30 avril portant érection du Conseil National de la Communication Audiovisuelle (CNCA) en Haute Autorité de la Communication Audiovisuelle (HACA) et Décret n°2011-475 du 21 décembre 2011.

1509 UNICEF, Vers une génération sans sida. Enfants et Sida. Sixième bilan de la situation, 2013, pp.2-3 disponible sur www.unicef.fr/sites/default/files/userfiles/2013_rapport_vih_numero_6.pdf (consulté le 03/05/2015); ETCHEPARE (M.), « La lutte contre le sida en Afrique : perspectives et responsabilités ». Med. Trop., 2004, pp.579-586.

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favorise le processus d'intégration sociale non seulement dans l'école, mais aussi dans la famille et dans la société toute entière. Cependant, hormis les terrains de football existant dans la plupart des écoles, il y a un manque véritable d'équipements socio-éducatifs et sportifs tels que les bibliothèques1510, les salles de musique ou des espaces aménagés pour des activités autres que le football. De la sorte, le champ de distraction et d'apprentissage des élèves demeure restreint et exclut la possibilité pour certains d'entre eux, d'avoir accès aux loisirs et aux divertissements en milieu scolaire. En outre, de nombreux parents peu soucieux de l'importance du divertissement à l'âge scolaire et/ou plus préoccupés par les résultats scolaires, n'hésitent pas à sacrifier le temps de repos et de divertissement de leurs enfants au profit d'un surcroît d'heures d'études ou de travaux manuels productifs. En Côte d'Ivoire, et singulièrement à Abidjan, il n'est pas rare de constater que les habitats collectifs confiés aux sociétés immobilières sont réalisés sur des terrains où les risques de glissement et d'effondrement ne sont pas à négliger1511. Les appartements construits sont exigus et les plans d'urbanisme ne prévoient pas toujours des espaces verts ou des salles de jeux nécessaires à l'accès des jeunes aux loisirs, aux activités récréatives et culturelles fondamentales à leur plein épanouissement physique et psychologique1512.

En définitive, plusieurs élèves restent encore soumis à des stratégies institutionnelles et familiales qui exercent une pression sur l'instruction à outrance au détriment du divertissement, pourtant nécessaire au développement de leurs facultés mentales. Ce qui explique souvent, la faiblesse des résultats scolaires chez certains enfants.

1510 En effet, il est aujourd'hui rare de voir dans les lycées et collèges, des bibliothèques ; mieux quand elles existent, elles sont peu équipées sinon disposent d'ouvrages d'une ancienneté choquante. ; Face à ce problème, le Gouvernement ivoirien a décidé en 2015 de construire une bibliothèque appelée « La Bibliothèque de la Renaissance africaine d'Abidjan (BRAA)». Elle sera bâtie sur une superficie d'un hectare et logée dans les locaux de la Direction des examens et concours (DECO). Se voulant à la fois numérique et physique, cette bibliothèque figurera parmi les dix plus grandes bibliothèques d'Afrique et sera la première d'Afrique noire."

http://news.abidjan.net/h/577058.html(consulté le 12 Janvier 2016) ;
http://www.ppp.gouv.ci/uploads//Projet39.pdf (consulté le 12 Janvier 2016).

1511 Récemment, l'effondrement de la dalle d'un immeuble en Construction sur le boulevard Valéry-Giscard d'Estaing à Treichville a fait dix-huit victimes à Abidjan ; déjà en date du mardi 07 janvier 2014, un immeuble s'était effondré dans la commune de Yopougon au quartier Maroc faisant au moins 6 morts.

1512 MINISTERE DE LA CONSTRUCTION ET DE L'URBANISME : Législation et Réglementation et matière de Foncier et d'Urbanisme. Fiches Instrumentales Annexées à la Directive n° 94-01 du 21 novembre 1994, 56p. ; ALPHONSE (Y.D.), « Baraques et Pouvoirs dans l'agglomération Abidjanaise », In Ville et Entreprise, L'Harmattan, 2000, pp.25-63., pp.337/456.

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2. Les causes tenant à l'insuffisance des services sociaux de base

L'insuffisance et l'inégale répartition des structures et du personnel, le manque de moyens matériels et logistiques dans les structures sociales, la démotivation du personnel enseignant et le faible rendement interne et externe du système éducatif constituent à n'en point douter autant de résistances d'ordre structurel qui mettent à mal le développement de l'enfant.

Sur l'ensemble du territoire national, on observe, une insuffisance et inégale répartition des structures et du personnel ; on dénombre peu de structures d'encadrement de la petite enfance dont 40 centres de Protection de la petite enfance (CPPE) et 57 centres sociaux. Et pour l'enseignement préscolaire, on compte aujourd'hui, 226 écoles et 1456 classes pédagogiques pour l'ensemble de la Côte d'Ivoire. Au niveau de l'enseignement primaire, le ratio moyen de la capacité d'accueil des élèves se situe à 43 élèves pour une classe. Cependant, dans certaines régions et dans les grandes villes comme Abidjan, Bouaké, Yamoussoukro, Daloa etc., il arrive fréquemment que les classes soient surpeuplées et on peut enregistrer des ratios allant de 50 à 70 élèves par classe. Ainsi, lors d'une récente cérémonie de remise de table bancs au Lycée Moderne de Ferkessédougou en date du samedi 29 octobre 2016 dont le donateur était le Président de l'Assemblée Nationale, M. Guillaume SORO1513, le Proviseur, M. GNONOGO Désiré Alala, a indiqué que l'effectif par classe de sixième s'élevait à 125 élèves contre un effectif de 105 par classe de troisième1514. Toujours, selon le proviseur, cette situation pose de réels besoins en ressources humaines, soit 43 professeurs, des éducateurs, des inspecteurs d'éducation et d'orientation, mais aussi des besoins en infrastructures (tables-bancs, bureaux d'enseignants), des problèmes récurrents d'électricité, de manque de salles de classe...1515

Au rythme de la croissance démographique de la population scolarisable, on estime, selon le Ministère de l'Education Nationale à 1000, le nombre de nouvelles classes qu'il faut construire chaque année pour assurer l'encadrement des enfants qui ont accès à l'école.

1513 Monsieur Guillaume SORO est l'actuel Président de l'Assemblée nationale ivoirienne ; il fut également chef de la rébellion armée qu'a connu la Côte d'Ivoire ; Il fut également ministre ivoirien de la communication (Août 2004 à Aout 2005), ministre d'Etat, de la Reconstruction et de la réinsertion (28 décembre 2005-4 avril 2007) et Premier Ministre à deux reprises, à savoir du 4 avril 2007 au 6 décembre 2010, puis du 11 avril 2011 au 8 mars 2012.

1514 www.news.abidjan.net/h/603376.html (consulté le 02/11/2016)

1515 Ibid.

Malheureusement, l'évolution du nombre des écoles reste très faible et chaque année, plusieurs enfants se voient refuser l'accès à l'école. Selon des informations recueillies sur le terrain, de nombreux enfants ont été refusés au CP1 par manque de place dans les écoles primaires. Par ailleurs, le taux de redoublement au CM2 s'explique par l'impossibilité pour de nombreux élèves d'avoir accès à la classe de 6ème. Ainsi comparée à la population infanto-juvénile, ces structures offrent de très faibles capacités d'accueil pour une réelle prise en charge des groupes cibles. En outre, les structures existantes sont inégalement réparties sur l'ensemble du territoire et procèdent d'un phénomène urbain. En effet, la quasi-totalité des structures est localisée dans la région Sud. De même, les ressources humaines sont également insuffisantes et inégalement réparties. Dans les zones rurales et la région Nord du pays, le déficit a été accentué par le programme de départ volontaire des enseignants de la fonction publique et de la mise à la retraite automatique des fonctionnaires après trente années de service accompli1516. Selon la thèse du Dr Kangah, cinq enseignants du primaire décèdent par semaine et leur indisponibilité avant décès a duré 6,2 mois1517. L'auteur montre que l'absentéisme des enseignants a une incidence sur des élèves dont les résultats scolaires se sont avérés mauvais. Tous ces facteurs ont provoqué un déficit d'enseignants dont les conséquences se traduisent par la faiblesse de l'encadrement des élèves et les mauvais rendements scolaires qui en résultent. En outre, la trop grande mobilité du personnel enseignant contribue à aggraver le déficit dans certains établissements scolaires. En effet, pour beaucoup de fonctionnaires et agents de l'Etat, certaines régions, notamment les régions frontalières du Nord et les localités rurales, apparaissent comme des terres d'exil. Du coup, l'on assiste très souvent au niveau du personnel enseignant à une vacance de poste illustrée généralement par des mutations hors commissions ou par des certificats médicaux justifiant de nombreuses absences en pleine année scolaire. L'incapacité des pouvoirs publics face aux conséquences d'une telle morbidité ou vacance du personnel est alors préjudiciable à une forte scolarisation et à l'efficacité du système éducatif, particulièrement dans les régions et les localités ci-dessus énumérées.

1516 Voir DIABAGATE (I.), Problématique de la retraite en Côte d'Ivoire : analyse comparative des systèmes de la CGRAE et la CNPS, DEA Sociologie du travail et des entreprises, Université d'Abidjan, 2008, 143p. 1517 KANGAH (A.), Le VIH/SIDA et le corps des enseignants, quel impact sur le système éducatif ivoirien, Thèse de doctorat de Médecine. UFR des Sciences médicales, Université de Cocody, 1999, p.57.

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La précarité des conditions de travail des personnels sociaux se traduit également, outre l'absence et l'insuffisance des structures, par un déficit notoire de moyens matériels et logistiques. En effet, de nombreux centres sont sous-équipés en matériel de bureau, en matériel d'éveil socio-éducatif encore moins en logistique. Cela a pour conséquence de limiter l'efficacité des actions menées dans les centres existant dans les grandes villes mais surtout de rendre limitative, voire, impossible une réelle couverture des autres villes et des zones rurales où les besoins sont souvent plus accentués.

La crise politique et économique qui frappe le pays avec ses corollaires comme le chômage, a contraint de nombreux jeunes à se tourner vers le métier d'enseignant. Pour beaucoup d'entre eux, ce choix s'est fait sans une connaissance approfondie des problèmes relatifs à cette profession et sans une réelle motivation ou encore une vocation pour ce travail. De fait, il existe une véritable démotivation du personnel enseignant1518. Ainsi, confrontés à des salaires jugés insuffisants, certains enseignants se désistaient dans l'accomplissement de leur fonction éducative1519. En outre, le surpeuplement des classes, le sous-équipement en matériel pédagogique et didactique, etc., concourent à démotiver bon nombre d'enseignants dont les absences répétées, le laxisme et l'indifférence vis-à-vis de la pratique pédagogique ont une mauvaise influence sur la qualité des enseignements donnés aux élèves.

S'agissant du faible rendement interne et externe du système éducatif, notons que le système éducatif ivoirien est en proie à certaines contradictions. D'abord, les infrastructures ne permettent pas d'accueillir tous les enfants ayant réussi à leur concours d'entrée en sixième ou au BEPC ; les taux d'admission et de scolarisation des enfants au premier cycle et au second cycle de l'enseignement secondaire se situent encore à un niveau très bas. Certes

1518 KOFFI (A.P.), Inégalités éducatives en Côte d'Ivoire : l'impact des pratiques éducatives sur la performance des établissements publics d'enseignement secondaire ivoiriens, 2011, pp.7-8., disponible sur http://services.univ-rennes2.fr/reso/outils/INEDUC/Koffi-AffouePhilomene_ineduc2015.pdf (consulté le 15/06/2017).

1519 Des salaires dits « à double vitesse ». Ces salaires ont été à la base de nombreuses grèves des enseignants, tant du secondaire que du supérieur au début.

BAMBA (N.), CONTAMIN (B.), DIOMANDE (K.) et KOULIBALY (M.), Crise économique et Programmes d'ajustement structurel en Côte d'Ivoire. Dans Crises et Ajustements en Côte d'Ivoire. Les dimensions sociales et culturelles, 1992, pp. 10-23. ; TOH (A.) et GAUTHIER (C.), « Impacts des programmes d'ajustement structurel sur le système éducatif ivoirien : Retour pour une analyse sociologique des conditions de vie et de travail des instituteurs de l'enseignement primaire public en Côte d'Ivoire ». In. Journal africain de communication scientifique et technologique, 2011, pp.1657-1680. ; TOH (A.), Précarisation de la profession enseignante au primaire en Côte d'Ivoire. Formation et profession, 2017,25(2).

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les résultats atteints sont encourageants. Le taux brut de scolarisation sur la période est passé de 74 % en 2000/2001 à 94,7% en 2013/2014 (MENET/DSPES). Le taux brut d'admission au CP1 s'est également amélioré, atteignant le seuil moyen de 97,8%, soit 100,2% pour les garçons et 95,2% pour les filles en 2013/20141520. Toutefois, des disparités d'accès à l'éducation persistent entre sexes et entre régions : la parité filles/garçons n'est pas encore totale, les enfants à besoins spécifiques tels que les enfants handicapés (1,8% scolarisés en 2012) ne sont pas encore pris en compte1521. En outre, le taux brut de scolarisation dans le secondaire reste encore très faible. Ce qui signifie qu'un nombre non négligeable d'adolescents ont été privés de leur droit à l'éducation, notamment les jeunes filles qui accèdent plus difficilement que les garçons aux niveaux supérieurs d'instruction. Par conséquent, ces nombreux adolescents quand ils n'ont pas la chance d'être inscrits par leurs parents dans un circuit informel d'insertion sociale se retrouvent à la maison ou dans les rues. Le collège de proximité se présente comme une réponse à bon nombre de problèmes qui pèsent sur le développement de cycle d'enseignement. En effet, le collège de proximité contribue de façon décisive à l'élargissement de ce cycle d'enseignement aux groupes défavorisés qui sont notamment les populations rurales, les filles ; ce type d'établissement participe aussi à l'atténuation des difficultés existentielles qui influent négativement sur la rétention et les résultats scolaires des élèves amenés à poursuivre leurs études loin de leurs familles. En outre, les programmes de formation à l'école n'accordent que peu de place aux questions relatives aux problèmes majeurs et actuels de la jeunesse en général et de l'enfance en particulier. En plus, les enseignements liés à l'éducation civique et morale sont essentiellement limités à l'instruction des élèves plutôt que de se traduire en véritables séances d'IEC susceptibles de susciter en eux, un changement de comportements. Ensuite, durant des années, il n'existait aucune structure éducative formelle d'insertion professionnelle pour ces nombreux enfants qui n'allaient plus ou n'étaient jamais allés à l'école afin de garantir leur insertion dans le tissu social. On peut se réjouir du fait que la situation ait évolué avec la création de l'AGEFOP et de la récente agence emploi jeune1522.

1520 MEN, Examen national 2015 éducation pour tous, p13. 1521 Ibid.

1522 Pour plus d'informations sur cette structure, voir : www.emploijeunes.com(consulté le 17/06/2017).

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Cette situation sus-évoquée a pour corollaire l'inadéquation des services sociaux de base donnée comme un autre facteur explicatif de cette ineffectivité du droit au développement de l'enfant.

3. Les causes tenant à l'inadéquation des services sociaux de base

La faiblesse des politiques de développement intégré et de promotion de la jeunesse, les coûts d'écolage élevé au préscolaire constituent la traduction de l'inadéquation des services sociaux de base.

L'un des facteurs explicatifs des comportements déviants des enfants réside dans la faiblesse de la politique de promotion de la jeunesse. En effet, la politique éducative extra-scolaire1523 globale et intégrée en faveur des enfants non scolarisés, déscolarisés ou scolarisés vise à assurer à ceux-ci, un développement harmonieux à travers la formation, l'orientation, l'insertion sociale, les loisirs, les sports, la culture, et la prévention sociale. Cependant, les activités menées par le canal des départements ministériels, les collectivités locales et les ONGs sont souvent limitées en milieu scolaire ou en zone urbaine et dans le temps par des actions ponctuelles. En outre, s'il est évident que l'un des facteurs qui favorisent la dépravation chez les jeunes et les adolescents, est l'inactivité, l'oisiveté, c'est parce que les politiques de promotion de la jeunesse sont inadaptées aux réalités des groupes-cibles ou encore parce que les actions entreprises sont peu connues ou alors les résultats restent peu perceptibles. En effet, les différents programmes d'aide à la jeunesse ne tiennent toujours pas compte des disparités régionales, des différents milieux et niveaux de vie des jeunes et des adolescents, de leurs capacités de mobilisation et de participation, etc. De la sorte, les moins instruits et les plus pauvres restent toujours en dehors des circuits d'accès aux projets qui leur sont destinés. Par exemple, les bourses d'études et les fonds sociaux octroyés ne vont pas nécessairement à ceux qui en ont le plus besoin. En milieu rural, aucune politique ne permet de maintenir les enfants sur place ou de les intégrer dans les différentes activités économiques de leur famille ou de leur communauté, car les différentes interventions visent surtout les adultes en activité. En outre, même quand ces programmes sont destinés aux adultes, c'est-à-dire aux parents, ils restent verticaux et ne développent

1523 SIMKINS (T.), La planification de l'éducation extrascolaire : stratégies et contraintes, in perspectives, vol. VIII, n°2, 1978, pp.201-212.

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aucune approche globale qui favorise le développement des enfants par les parents eux-mêmes.

Les frais de scolarité apparaissent aussi élevés au niveau de l'enseignement préscolaire. En Côte d'Ivoire, les structures de l'enseignement préscolaire1524 relèvent pour une bonne part, surtout du secteur privé1525. Les coûts pratiqués n'obéissent pas à la même logique que dans le secteur public qui vise le principe d'équité. Et les facteurs tels que la faiblesse de l'offre par rapport à une forte demande ainsi que la faible concurrence et le niveau d'intervention limité du secteur public se conjuguent pour maintenir les frais d'écolage à un niveau non seulement élevé mais supérieur aux coûts offerts par l'enseignement primaire public. Par conséquent, de nombreuses familles à faible revenu se trouvent confrontés à des coûts d'écolage qui se situent au-dessus de leur pouvoir d'achat et préfèrent attendre que leurs enfants aient 5 ou 6 ans pour les inscrire au CP1. Malheureusement, pendant cette période d'attente, rien de particulier n'est fait pour encadrer et suivre ces enfants avant leur accès à l'enseignement primaire public.

Un autre facteur expliquant l'ineffectivité partielle du droit au développement de l'enfant est à rechercher dans les contraintes socio-économiques et culturelles.

4. Les contraintes socio-économiques et culturelles affectant le développement optimal de l'enfant

Les contraintes socio-économiques et culturelles affectant le développement optimal de l'enfant sont plurielles : l'inefficacité des investissements, l'instabilité du cadre institutionnel et le manque de coordination ministérielle, les mutations socio-économiques et le déclin de valeurs traditionnelles positives, les croyances religieuses, le mariage forcé et précoce de la jeune fille, la pauvreté des parents.

1524 En 2008-2009, il existait 1069 écoles préscolaires dont 689 dans le public. Voir Ministère de l'Education Nationale, Direction de l'informatique, de la planification, de l'évaluation et des statistiques, L'état de l'école en Côte d'Ivoire. Rapport d'analyse 2008-2009 disponible sur www.men-dpes.org/new/FILES/pdf/stats/rapports/rap_ana_20082009.pdf ; TROUILLET (B.), L'éducation préscolaire : quelques aspects et problèmes internationaux, 1970, p.124.

1525 AIGLEPIERRE (R.), « L'enseignement privé en Afrique subsaharienne. Enjeux, situations et perspectives de partenariats public-privé, » In. A Savoir n°22, Août 2013, pp.45-59.

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L'inefficacité des investissements apparait manifestement comme une véritable résistance au développement et au bien-être des enfants. Au niveau du financement du secteur de l'Education1526, l'essentiel des efforts de l'Etat est orienté vers l'éducation primaire. En moyenne, sur la période 2006-2015, ce secteur éducatif a reçu 36 % du budget total du système éducatif1527. Viennent ensuite respectivement le secondaire général premier cycle (22%), le supérieur avec 17% et enfin le secondaire général avec une part de 13%. La part dévolue à la formation professionnelle et technique s'élevait à 8% tandis que le préscolaire et l'éducation non formelle reçoivent respectivement les faibles parts de 3% et 1%. Comparée aux années antérieures, on peut constater une certaine réaffectation budgétaire (légère toutefois) réalisée au profit du secondaire et du supérieur. Cette modification des priorités budgétaires se heurte au besoin de scolarisation sous-tendus par une forte croissance démographique de la population scolarisable. Les efforts entrepris n'ont pas permis d'améliorer de façon significative les structures d'accueil et les capacités d'encadrement ni de réduire les coûts d'éducation primaire par élève encore élevé, notamment pour ceux issus de familles démunies. Les ménages continuent de financer la grande part des activités connexes mais essentielles à l'enseignement, à savoir les divers appuis à la scolarité (63%) et surtout les ouvrages et matériels pédagogiques dont la part des ménages se situe à 79% de toutes ces dépenses1528 . Ainsi, le taux de scolarisation reste encore faible au regard de l'objectif de 100% que s'est fixé la Côte d' Ivoire.

L'une des principales contraintes du secteur des affaires sociales réside dans son instabilité institutionnelle et le manque de coordination ministérielle. Souvent rattaché au secteur de l'emploi, tantôt au secteur de la santé publique, le secteur des affaires sociales n'arrive pas à trouver un cadre institutionnel le mieux approprié pour définir un véritable plan d'action qui permette une meilleure programmation et planification des activités à

1526 Pour une bonne compréhension du financement de l'éducation en Côte d'Ivoire, voir : HALLAK (J.), POIGNANT (R.), Les aspects financiers de l'éducation en Côte d'Ivoire, Unesco, Paris, 1966, 43p. ; UNICEF, Analyse de la situation de l'enfant en Côte d'Ivoire 2014. Vers une société plus équitable dans un pays émergent, p.53-54.p.75.

1527 Ministère de l'éducation nationale de la République de Côte d'Ivoire et UNESCO, Le financement de l'éducation en Côte d'Ivoire, 2006-2015, Sur le modèle des comptes nationaux de l'éducation volume I : Analyse et Annexe 1, 28 Juillet 2016, p.22.

1528 Ministère de l'éducation nationale de la République de Côte d'Ivoire et UNESCO, Le financement de l'éducation en Côte d'Ivoire, 2006-2015, Sur le modèle des comptes nationaux de l'éducation volume I : Analyse et Annexe 1, 28 Juillet 2016, p.23.

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mener. Car chaque changement de tutelle ministérielle entraine une redéfinition des rôles et des attributions qui a pour conséquence d'accentuer la lenteur des procédures administratives et l'exécution des activités. A cela, il faut ajouter le manque de coordination dans la gestion des structures du personnel en charge de la petite enfance. Cette tranche d'âge implique à la fois, les ministères de la Santé, de l'Education, de la Famille et des Affaires sociales. Cependant, la définition des rôles, attributions et actions à mener ne permettent pas, au niveau global, une réelle coordination pour la prise en charge et le suivi de la petite enfance. Ainsi, les champs d'action demeurent restrictifs et les efforts entrepris par secteur sont limités par l'absence ou le faible niveau d'intervention des autres secteurs concernés. Pourtant, le développement de la petite enfance suppose non seulement, un encadrement médical adéquat mais aussi et surtout des structures qui offrent de réelles possibilités d'éveil affectif, sensoriel, cognitif et éducatif. Toutes ces hésitations montrent que l'Etat ivoirien accordent une priorité à l'enseignement primaire, qui commence dès l'âge de 6-7 ans, ce au détriment de la petite enfance.

Un autre facteur explicatif réside dans les mutations socio-économiques et le déclin des valeurs traditionnelles. Dans la société traditionnelle, l'organisation et le fonctionnement social étaient régis par des règles strictes. Et les structures sociales traditionnelles1529 telles que la famille, les classes d'âge adulte1530, le conseil des sages ou la chefferie1531, la religion, les rites d'initiation, etc. avaient pour rôle d'assurer et de maintenir la cohésion du groupe. La transgression des normes sociales conduisait à de sanctions graves et le respect des traditions perpétuait la survie du groupe. Dans cet univers fortement hiérarchisé, les enfants devaient respect et considération aux groupes d'âge plus âgés. Le système éducatif, en général, et l'éducation sexuelle des jeunes en particulier participe à une intégration sociale qui s'étend à tous les niveaux de la vie de la communauté. Or, de nos jours, il semble que ces valeurs fondamentales sont bouleversées. Sous le poids des mutations socio-économiques et culturelles, on assiste à un affaiblissement des institutions traditionnelles.

1529 PAULME (D.), « Structures sociales traditionnelles en Afrique Noire », In : Cahiers d'études africaines, vol.1, n°1, 1960. pp.15-27.

1530 SPERBER (D.), PAULME (D.), « Classes et associations d'âge en Afrique de l'Ouest. » In : L'homme, 1972, tome 12 n°3. P.132.

1531 NDRI (K..), « Recherches sur l'exercice du pouvoir local en Côte d'Ivoire », In. Cahiers Africains d'Administration Publique, n°57, pp.4-5. ; Dans une perspective historique, voir, AMON d'ABY, Le problème des chefferies traditionnelles en Côte d'Ivoire, Imprimerie Jemmapes, Paris, 1958, p.12.

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En effet, l'économie de marché, l'instruction, les médias, les dynamiques familiales, etc. induits par l'urbanisation1532 offrent un nouveau cadre de référence aux enfants qui s'opposent aux vertus de la société traditionnelle. Les enfants sont engagés dans une évolution des moeurs et l'aspiration à plus de liberté entrainent très souvent un rejet de la tradition et un manque de respect envers les adultes. Cependant, cette nouvelle vision de la vie inspirée par les jeunes traduit bien des formes de dépravation et d'exclusion. En outre, dans cet environnement citadin caractérisé par un anonymat urbain, les réseaux de solidarité fragilisés et reconstruits sur des bases ethniques, religieuses, professionnelles, avec comme fondement la recherche du profit, finissent par créer plusieurs formes d'exclusion dont de nombreux enfants sont en définitive les principales victimes.

Quant aux croyances religieuses, en Côte d'Ivoire comme dans nombre de pays africains1533, elles sous-tendent dans une large mesure, les comportements des populations. Dans un tel contexte psychologique, certains parents croient que les difformités de leurs enfants sont la résultante de la transgression de lois sociales et les recours pour rétablir cet équilibre social s'identifient dans la consultation des guérisseurs1534 et tradipraticiens1535 au détriment de structures spécialisées. Par ailleurs, certaines mères, du fait des préceptes religieux vis-à-vis de l'aumône1536, trouvent en l'exposition de leurs enfants à la rue (cas de certains jumeaux handicapés), la solution pour leur offrir des chances de survie. Et même si ces différents cadres peuvent constituer des solutions intermédiaires et ponctuelles, ils ne peuvent couvrir toute la dimension d'une réelle prise en charge.

1532 HAUMONT (N.) et MARIE (A.) (sous la dir.), Politiques urbaines dans les pays en voie de développement, L'Harmattan, Col. Villes et entreprises, Paris 1987, Tome I, 342p. ; ROCHEFORT (M.), Le défi urbain dans les pays du sud, Ed. L'Harmattan, 2000, 184p.

1533 ATSU-DETE (T.), La protection du mineur et du majeur atteint de troubles mentaux en droit Togolais, Thèse de doctorat Université Jean Moulin Lyon 3, 2004, 431p.

1534 La médecine traditionnelle a été officiellement reconnue en Côte d'Ivoire comme faisant partie du secteur privé de santé par le décret n° 96-678 du 25 octobre 1996 aux articles 1 et 2. Elle est classée au niveau primaire de la pyramide sanitaire, selon les décrets n°96-876 du 25 octobre 1996, privés n°96-877 du 25 octobre 1996 portant classification et organisation des établissements sanitaires. Une direction de promotion de la médecine traditionnelle a été créée au ministère de la santé pour organiser et superviser les activités des tradipraticiens de santé.

1535 Selon l'OMS, 80% des populations rurales vivant dans les pays en développement utilisent la médecine traditionnelle comme premier moyen de recours. Voir KROA (E.) et al. Analyse de la collaboration entre médecines traditionnelle et moderne dans la région du Sud Bandama (Côte d'Ivoire), Revue CAMES-Série Pharm. Méd. Trad. Afr., 2014 ; 17 (1) :21-27.

1536 NDIAYE (P.O.), « Aumône et mendicité : un autre regard sur la question des talibé au Sénégal », Cahiers de la recherche sur l'éducation et les savoirs, 14/2012, pp.295-310.

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La pauvreté des parents reste aussi l'un des facteurs explicatifs de la crise du droit à l'éducation et au développement : En effet, la pauvreté a été aggravée avec la crise. Ainsi, le taux de pauvreté a connu une progression de 10 points entre 2002 et 2008, soit de 38,4% à 48,9%1537. Suivant le rapport 2011 du PNUD, l'indice de pauvreté multidimentionnelle se situait à 61,5%. Au niveau de l'indice du développement humain, le pays occupait le 171ème rang mondial sur 187 avec un IDH qui est passé de 0,43 en 2010 à 0,45 en 20131538.Mieux, selon la dernière enquête sur la mesure des niveaux de vie réalisée par la banque mondiale, l'indice de pauvreté est de 46% en 20151539 dernier recensement de la population en 2014. Par ailleurs, les ménages pauvres comprennent un nombre élevé de personnes. De la sorte, les stratégies familiales privilégient un certain type de dépenses telles que l'alimentation, et la satisfaction des besoins sociaux de base des enfants demeurent préoccupantes pour les parents qui n'arrivent pas à répondre aux besoins de leurs enfants. Ainsi, de nombreux enfants sont obligés de trouver les voies et moyens susceptibles de satisfaire aux exigences de la vie matérielle. Malheureusement, les solutions adoptées ne sont pas toujours les meilleures, car certains préfèrent s'adonner à la violence. Compte tenu de la situation précaire du niveau de revenus de leurs parents, certaines jeunes filles s'adonnent à la prostitution et des jeunes garçons au proxénétisme afin de subvenir à leurs besoins vitaux dont la santé, l'alimentation, et parfois l'habillement, l'éducation. Et, il arrive parfois que de tels comportements bénéficient de l'assentiment et de la complicité de certains parents. Les années de récession économique et de crise armée qu'a connues la Côte d'Ivoire se sont caractérisées, au plan social par de nombreux licenciements1540, la faiblesse du pouvoir d'achat1541 des populations, une faible utilisation des services sociaux de base, etc ; en d'autres termes, par une forte paupérisation des couches vulnérables de la population, notamment des femmes. Ainsi, de nombreux ménages se sont investis dans plusieurs

1537 Ministère de l'éducation nationale et de l'enseignement technique, Examen national 2015 de l'Education pour tous : Côte d'Ivoire, novembre 2014, p.7.

1538 Ibid.

1539 www.banquemondiale.org/fr/country/Côtedivoire/overview (consulté le 26/11/2016).

1540 MULLER (A.), « La législation de protection de l'emploi à l'épreuve de la crise économique. Une revue globale de la réglementation des licenciements collectifs pour motifs économiques », Note d'information de dialogue n°3, BIT, septembre 2011, p.1.

1541 VERGNE (C.), AUSSEUR (A.), « La croissance de l'Afrique subsaharienne : diversité des trajectoires et des processus de transformation structurelle », In. Macro-économie et développement, mai 2015, pp. 1- 50 ; CHEVALLIER (A.), LE GOFF (M.), « Dynamiques de croissance et de population en Afrique subsaharienne », In. Paranoma du CEPII, 2014, pp. 1-17.

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domaines d'activités informelles à caractère agricole, industriel ou commercial. Cependant, ces nouvelles orientations familiales ou féminines impliquent très souvent un surcroît de travail et ne génèrent que de faibles revenus, qui n'arrivent pas à bien souvent couvrir les besoins nutritionnels, sanitaires, éducatifs qu'induit une réelle prise en charge des enfants.

Tous ces facteurs méritent d'être considérés individuellement et faire l'objet de mesures étatiques appropriées en vue de réduire le degré d'ineffectivité du droit au développement.

Qu'en-t-il des facteurs explicatifs de la faible participation des enfants ?

§ 3. LES CAUSES LIEES A LA FAIBLE PARTICIPATION DES ENFANTS

Des facteurs de nature immédiate (A) et sous-jacente (B) constituent de fortes résistances à la participation effective des enfants.

A. LES CAUSES IMMEDIATES

La faible implication communautaire (1), l'ignorance par les enfants de leurs droits (2) l'absence de prise de conscience des jeunes de leur rôle couplée à la crise de confiance et la recherche du gain immédiat (3) constituent autant de facteurs explicatifs d'ordre immédiat à la participation des enfants.

1. Une faible implication communautaire

La participation des enfants à la vie associative se heurte très souvent à la faible implication des parents et des collectivités locales. En effet, les associations de jeunes reçoivent rarement le soutien moral encore moins matériel de leurs parents. Ainsi, les enfants livrés à eux-mêmes et sans expérience de la vie associative se trouvent confrontés à de nombreux problèmes. Aussi, il arrive que certains parents, en voyant leurs enfants, militer ou s'épanouir dans des associations à vocation coopérative ou politique, se désengagent de leurs obligations de prise en charge vis-à-vis de ceux-ci. En outre, les collectivités locales ne jouent pas toujours leur rôle dans l'encadrement technique et financier des associations des enfants. Tous ces facteurs tendent à rendre peu perceptibles de réelles intentions de création d'association chez les jeunes, encore moins les actions que celles qui existent

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entreprennent. A côté d'une faible implication communautaire, l'ignorance des enfants de leurs droits explique aussi partiellement leur non-participation.

2. L'ignorance des enfants de leurs droits

Le fait que les enfants ne participent pas aux différents niveaux de prise de décision au sein de la famille, de l'école de la vie politique, associative et communautaire résulte aussi en partie de leur ignorance en matière de droits1542 (droit à la santé, droit à l'éducation, droit au jeu, droit à participation). En effet, dans les différents milieux socioculturels africains, en général et ivoiriens en particulier, la notion de droits des enfants apparait toujours comme une valeur importée, subversive et inadaptée aux normes traditionnelles. Ainsi, certains parents restent toujours ancrés dans la survivance des pratiques coutumières discriminatoires et privatives à l'égard des enfants. Et même si aujourd'hui, la scolarisation permet à de nombreux enfants d'apprendre à lire, à écrire, à s'exprimer, à avoir une vision différente de la vie et une plus grande ouverture d'esprit, ceux-ci demeurent encore sous informés de l'existence d'un cadre juridique qui favorise et garantit la réalisation des droits qui leur sont dévolus. Bien souvent plus instruits que leurs parents, les enfants ignorent leurs droits parce que les actions menées (séminaires, ateliers, conférences et autres) en vue de faire connaitre ces droits, notamment à travers la vulgarisation de la Convention relative aux droits de l'enfant, sont ponctuelles, de courte durée et essentiellement orientées vers des groupes-cibles autres que les enfants eux-mêmes. Les droits de l'enfant doivent donc sortir du vase clos de l'intellectualisme, descendre des cimes de l'académisme pour être intériorisés par les enfants et la population1543. Seule la connaissance des droits de l'enfant par les enfants et la population pourrait créer une contrainte morale et politique envers les gouvernants.

En outre, l'absence de prise de conscience des enfants de leur rôle, leur crise de confiance et la recherche du gain immédiat entravent aussi l'effectivité du droit à la participation des enfants.

1542 Préambule de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 : «Considérant que l'ignorance l'oubli ou le mépris des droits de l'Homme sont les seules causes des malheurs publics... ».

1543 NOUROU-TALL (S.), « La problématique du respect des droits de l'homme en période de conflit armé », in L'Afrique de l'Ouest et la tradition universelle des droits de l'homme (dir. Denis MAUGENEST et Théodore HOLO), Les éditions du CERAP, Abidjan 2006, p.69.

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3. De l'absence de prise de conscience des enfants de leur rôle à la crise de confiance et la recherche du gain immédiat

Les enfants sont en général peu soucieux des enjeux de la vie politique économique et sociale. Leur engagement dans des mouvements associatifs est surtout lié au souci de se retrouver pour s'amuser. La prolifération des clubs de vacances et de manifestations culturelles1544 en est la preuve. A ce jour, hormis, le Parlement des enfants qui semble limité à un niveau politique et centralisé, il n'est pas encore apparu en Côte d'Ivoire, des associations d'enfants initiées par eux-mêmes qui militent dans le sens d'une pleine autonomie dans la prise de décision qui les concernent tant au niveau familial, scolaire que social. En conséquence, la société ne leur reconnait pas le droit de cité, étant supposés être moins aptes à discerner par rapport aux adultes et aux personnes âgées.

De même, très souvent, chez les enfants, lorsque l'intention de création d'association est assortie d'une mobilisation de fonds propres nécessaires à la constitution du groupe ou à la création des activités, celle-ci se heurte à une méfiance souvent généralisée. Car pour certains, la constitution de cette association vise essentiellement à rechercher l'intérêt des initiateurs au détriment de l'intérêt collectif. Pour d'autres, la motivation exprimée dans la constitution des associations est sous-tendue par la recherche ou l'attente de gains immédiats. Ainsi, dès lors que les gains escomptés ne se font pas sentir, la crise de confiance s'intensifie et le groupe se disloque. Seuls arrivent à survivre quelques associations d'obédience politique qui reçoivent de temps à autre l'appui matériel et financier de leurs organisations politiques.

Quid des résistances sous-jacentes à la participation effective des enfants ?

B. LES CAUSES SOUS-JACENTES

Le faible niveau d'éducation des parents et une faible collaboration entre parents et enseignants (1), en passant par l'accès limité et une faible implication à la diffusion de l'information (2) ainsi que la faiblesse des réseaux d'association de jeunes (3) constituent autant de résistances sous-jacentes à une effectivité satisfaisante du droit à la participation des enfants.

1544 La plupart des émissions télévisées ou radiophoniques culturelles dédiées à la jeunesse portent en général sur des concours de danse ou de chants ; ce qui nous apparait peu appropriée.

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1. Le faible niveau d'éducation des parents et une faible collaboration entre parents et enseignants

L'analphabétisme de certains parents1545 freine le processus de communication avec les enfants au niveau de la cellule familiale. Il est généralement constaté que les familles instruites semblent consacrer un temps non négligeable à la communication interfamiliale. Les enfants de ces familles ont la liberté d'exprimer leurs besoins aux parents. Cela est dû à l'accumulation d'informations et d'opportunités d'échanges dont bénéficient les parents de ces enfants. En conséquence, ces parents comprennent que par l'apprentissage de la libre expression à leurs enfants, ils permettent à ces derniers de libérer en eux, les forces de l'imagination et de la créativité nécessaire à leur épanouissement social futur. Les enfants des familles pauvres dont les parents sont pour la plupart analphabètes n'ont malheureusement pas cette possibilité car les parents attachés au culte de la hiérarchie ne comprennent pas qu'il faut laisser aux enfants, la latitude de s'exprimer et de donner leurs opinions sur certains évènements familiaux et sociaux les concernant.

En milieu rural, il n'existe souvent pas de comité ou d'association de parents d'élèves capables de défendre les droits et devoirs des enfants scolarisés1546. Les parents ayant pour préoccupation l'utilisation d'une main d'oeuvre gratuite ne rencontrent pratiquement aucune résistance de la part de l'enseignant lorsqu'ils viennent retirer leurs enfants des classes, même si cette pratique devient de moins en moins répandue.

Un accès limité et une faible implication à la diffusion de l'information explique aussi partiellement la négation du droit à la participation des enfants.

1545 SEURAT (A.), Contexte d'alphabétisation dans le contexte africain, thèse, Université de Bourgogne, 2012, 255 p. ; FINK (C.), « L'éducation des femmes et le développement en Afrique subsaharienne », Economies and finances, 2011, p. 51.

1546 C'était le cas en France encore au XIXe siècle et même dans la moitié du XXe siècle.

2. 545

Un accès limité et une faible implication à la diffusion de l'information

Aujourd'hui, l'information est diffusée à la fois par la télévision, la radio et internet. En Côte d'Ivoire, il existe des émissions radio1547 et télé1548 consacrés aux enfants. Ainsi, au nombre des nombreuses stations de radio de proximité créés à Abidjan au cours de ces dernières années, la plupart d'entre elles s'affichent comme des radios pour jeunes1549. En plus, il existe plusieurs magazines qui traitent des problèmes de l'enfance/jeunesse1550. Cependant, cette frange de la population n'est pas associée aux décisions quant au type d'émissions et au moment où ces émissions doivent passer. Il n'existe en effet, pas encore de radio ou de magazine pour enfants et animés par eux-mêmes, devant leur permettre d'exprimer leurs différentes opinions sur les problèmes émergents et les concernant. Tout ceci limite à n'en point douter la participation des enfants à l'instar de la faiblesse des réseaux d'association d'enfants.

3. La faiblesse des réseaux d'association d'enfants

Les réseaux d'associations d'enfants existent dans la plupart des régions de Côte d'Ivoire. Cependant, leurs objectifs sont pour la plupart peu favorables à la constitution d'un groupe de pression. Les préoccupations des enfants au niveau des associations sont surtout de type socioculturel. Ils ont souvent recours à certaines hautes personnalités ou entreprises pour les sponsoriser à l'occasion de leurs manifestations culturelles. Certains enfants en profitent pour tisser des relations solides pour des emplois futurs. Cependant, ces associations qui pourraient être favorables à la prise du contrôle des centres de décisions ne sont généralement pas gérées dans ce sens. Dans le cadre des partis politiques, il existe des groupements de jeunes/enfants. Cependant, la segmentation et la hiérarchisation des places qui régit le fonctionnement de ces partis réduit la marge de participation des jeunes aux prises de décision. Pire, les leaders de ces jeunes ne sont pas forcément des enfants au sens du droit international.

1547 Le « Mercredi des enfants » présenté sur les antennes de la radio Côte d'Ivoire ; l'émission « droits des enfants » présenté et animé par les enfants sur les antennes de la Radio Yopougon.

1548 L'émission « Wozo vacances » qui a lieu chaque année pendant les vacances scolaires sur les antennes de la radio télévision ivoirienne.

1549 Africa Leaders FM, La voix du Nzi dimbokro , Radio amitié de Yopougon, Radio Arc-en-ciel d'Abobo, Radio ATM Port-Bouet, Radio Bia Fm d'Aboisso, Radio Binkadi de Ferké).

1550 Exemples de Magazines dédiés aux enfants en Côte d'Ivoire : « Kids » et « Planète enfants ».

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Par ailleurs, des causes d'ordre structurel justifient également aussi la faible participation des enfants.

C. LES CAUSES STRUCTURELLES

Les résistances structurelles à la pleine réalisation de la participation des enfants sont : l'influence des structures traditionnelles d'éducation (1) et la faiblesse du cadre institutionnel (2).

1. L'influence des structures traditionnelles d'éducation

Les normes sociales sont souvent contraignantes en matière de participation des enfants à la prise de décision. La parole est un concept fort complexe dans la culture africaine et par conséquent, elle se prête difficilement à une quelconque définition. Cette difficulté est accentuée par l'extrême complexité de la philosophie du langage qu'il serait impossible d'affronter ici. La parole représente un pouvoir, un moyen pour le sujet d'influencer autrui et de transformer le monde1551. Elle sert à exprimer la pensée1552 ; c'est un outil de transmission du message. Ainsi entendue, l'usage de la parole requiert que le sujet ait un discernement suffisant, de nature à comprendre la portée de ses dires. Il requiert un certain « savoir -parler » qui reste l'apanage, l'attribut d'une personne en mesure de distinguer le bien et le mal. En effet, la société traditionnelle est hiérarchisée et le droit à la parole n'est pas reconnu aux enfants1553. La prise de parole en assemblée est souvent regardée comme un manque de respect envers les ainés. En effet, parce que l'on considère que les enfants ne sont pas aptes à prendre des décisions importantes, notamment en ce qui concerne la vie de famille et leur propre avenir alors même que certains enfants prennent une part active aux travaux domestiques ou dans la constitution des revenus de certains ménages.

1551 BOURDIEU (P.), Ce que parler veut dire, Paris, Fayard, 1982, pp. 99 à 102 spécialement p. 101.

1552 GARDINER (A. H.), Langage et acte de langage. Aux sources de la pragmatique, Lille, Presse Universitaire de Lille, 1989, p. 23.

1553 EZEMBE (F.), L'enfant africain et ses univers. Paris : Editions Karthala. , 2009, pp. 49-50.

2. La faiblesse du cadre institutionnel

Les structures socio-éducatives ou pédagogiques chargées de l'élaboration des modules de formation, de la recherche de la qualité de l'enseignement, de l'octroi des bourses et de l'orientation des élèves ne fonctionnent sur aucune disposition qui implique directement les élèves eux-mêmes sur les problèmes liés à leur environnement scolaire à telle enseigne que ces derniers apparaissent plus comme des apprenants et non comme de véritables acteurs de l'école. Toutefois, s'agissant de l'attribution des bourses, des efforts ont été consentis ces dernières années avec la participation de la fédération estudiantine et scolaire de Côte d'Ivoire (FESCI)1554 au sein des commissions d'attribution de logements en résidences universitaires.

Au-delà des résistances sus-évoquées, il persiste de fortes résistances à l'atteinte d'une effectivité du droit à la protection des enfants.

SECTION III. LES CAUSES DES ABUS CONTRE TOUTES FORMES DE PROTECTION DES ENFANTS

Les facteurs explicatifs de l'errance des enfants décrits (Paragraphe 1), nous évoquerons ceux relatifs à l'exploitation économique, des sévices et exploitation sexuels des enfants (Paragraphe 2), pour enfin mettre en lumière les facteurs explicatifs de la persistance des violations des droits des enfants en conflit avec la loi et en période de conflit armé (Paragraphe 3).

§ 1. LES FACTEURS EXPLICATIFS DE LA DESHERENCE DES ENFANTS

La rupture avec la famille et les mauvais traitements des enfants (A), les mauvaises conditions de vie et la sous-scolarisation des enfants (B) combinées avec les multiples résistances de nature structurelle (C) sont les facteurs explicatifs de la déshérence des enfants.

1554 DAH-DJI (S.W.), Côte d'Ivoire, il faut sauver le « soldat fesci », L'Harmattan, 2010, 270p ; KONATE (Y.), « Les enfants de la balle. De la Fesci aux mouvements de patriotes », In. Politique africaine, vol. 89, n°. 1, 2003, pp. 49-70. ; OULAGOUE (B.), FESCI, le rêve brisé ? : Côte d'Ivoire, L'Harmattan, 2017, 144p.

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A. LA RUPTURE AVEC LA FAMILLE ET LES MAUVAIS TRAITEMENTS DES ENFANTS

Considérant la rupture avec la famille, notons que le phénomène des enfants de la rue est lié, en partie, à la crise d'adolescence chez de nombreux enfants, notamment les garçons. En effet, à cet âge, les enfants ont tendance à vouloir s'imposer aux parents, avoir la liberté de faire tout ce qu'ils veulent. Cette situation entraîne souvent des conflits dont l'issue finale peut être la fugue1555. L'enfant coupé de son milieu familial n'a aucune protection et reste particulièrement vulnérable. La dislocation de la cellule familiale est un facteur prédisposant à la déshérence chez les enfants de condition sociale modeste ou pauvre. Elle résulte d'un déficit profond de communication entre les parents et les enfants. Les enfants sont dans la rue parce qu'ils n'ont pas rencontré une oreille attentive, un adulte disposé à les écouter.

De même, la plupart des enfants vivant dans la rue ont été victimes de mauvais traitements. Les enfants sont exposés à des sévices corporels1556 et sexuels de la part de leurs parents ou leurs substituts. Il s'agit des bastonnades ou corrections paternelles, les punitions, les privations de nourritures et de soins, les abandons d'enfants. Face à ces souffrances physiques et morales l'enfant trouve son salut et sa liberté dans la rue. Bien que réprimés par les textes en vigueur, les mauvais traitements sur les enfants continuent d'être tolérés dans la pratique. L'enfance maltraitée est une enfance meurtrie qui n'a plus la protection familiale et légale. La rue devient alors pour de nombreux enfants maltraités, le lieu de réalisation de

1555 KARAM (R.), Mieux comprendre la fugue des adolescents pris en charge en milieu substitut, décembre 2013, 106p. ; MORENO (F.), « Fugues et dépressions à l'adolescence » In. Sauvegarde de l'enfance : Adolescence et errance (49 (2), Revue de l'Association Française pour la sauvegarde de l'Enfance et de l'Adolescence. Paris, 1994, pp.143-148.

1556 Observation générale n°8 « le droit de l'enfant à une protection contre les châtiments corporels et les autres formes cruelles ou dégradantes de châtiments (art. 19, 28 (par.2) et 37, entre autres ». Cette observation a pour but de mettre en lumière l'obligation incombant à tous les Etats parties à la Convention de prendre rapidement des dispositions aux fins d'interdire et d'éliminer tous les châtiments à l'égard des enfants et d'exposer les mesures législatives, les autres mesures de sensibilisation et les mesures éducatives qu'il appartient aux Etats de prendre. Plus encore, de s'attaquer au problème de la large acceptation ou tolérance à l'égard des châtiments corporels contre les enfants et les éliminer, tant dans la famille qu'à l'école ou dans tout autre contexte. L'idée fondamentale est que cette interdiction est non seulement une obligation incombant aux Etats parties, mais aussi un moyen stratégique déterminant sur la voie de la réduction et de la prévention de toutes les formes de violence dans la société. Pour mettre fin aux châtiments corporels, il faut alors améliorer les lois, procéder à une harmonisation d'autant que la plupart des Etats ont ratifié le CDE, la CADBE par la plupart des Etats Africains, faute de quoi, l'idée persistera toujours qu'infliger une douleur à un enfant au nom de la discipline est normale et dans son intérêt supérieur.

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leur personne. Les mauvaises conditions de vie et la sous-scolarisation des enfants apparaissent aussi comme des facteurs explicatifs de la déshérence des enfants.

B. LES MAUVAISES CONDITIONS DE VIE ET LA SOUS-SCOLARISATION DES ENFANTS

Les enfants en déshérence vivent dans des milieux pauvres et démunis. Nés dans des quartiers périurbains, les enfants proviennent des habitats modestes et précaires caractérisés par la promiscuité. Les enfants de la rue sont sans domicile fixe ou dorment à la belle étoile. Ils exercent pour la plupart des petits métiers peu rémunérateurs du secteur informel. La misère et la pauvreté sont les caractéristiques communes de la situation socioprofessionnelle précaire de leurs parents.

Quant au phénomène de la sous scolarisation des enfants, il peut s'expliquer par le fait que dans certaines familles, les enfants sont non scolarisés ou déscolarisés et très tôt, ils s'insèrent dans les circuits informels de production. En effet, notons que la majorité des enfants de la rue ne savent ni lire, ni écrire. Ceci met bien en lumière le problème de la sous-scolarisation en Côte d'Ivoire. La défaillance du système scolaire et l'absence d'alternatives appropriées pour les enfants non scolarisés et déscolarisés contribuent à accentuer la présence de plus en plus forte d'enfants dans la rue et le recours aux activités de subsistance, aux stratégies de survie. Ainsi, de nombreux enfants exclus du système scolaire et éducatif se retrouvent dans la rue.

Des résistances de nature structurelle justifient également la forte présence des enfants dans les rues.

C. LES MULTIPLES RESISTANCES DE NATURE STRUCTURELLE

L'insuffisance des structures et du personnel d'encadrement, les difficultés d'insertion socioprofessionnelle, le nombre élevé d'enfants à charge, l'érosion des valeurs traditionnelles d'entraide et de solidarité, la pauvreté des parents, l'urbanisation et les dynamiques familiales apparaissent comme divers facteurs de nature structurelle encourageant la persistance du phénomène des enfants de la rue.

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L'absence ou l'insuffisance des structures appropriées d'encadrement et d'apprentissage pour recevoir les enfants les place davantage dans une situation de marginalité permanente. Les services de base urbains dans les zones marginalisées destinées à améliorer les conditions de vie de la population sont insignifiants. Il existe peu de services de base urbains. Les équipes d'assistance socio-éducative en milieu ouvert n'ont pas été développées et celles mises en place se sont évanouies dans les services administratifs.

Aussi, sans qualification et sans niveau d'instruction élevé, les enfants ont des difficultés d'insertion dans le tissu économique. Ils ne peuvent donc accéder à un emploi rémunérateur. D'où la tendance au recours aux activités de type informel et au travail en domesticité chez les filles. Les dispositifs publics d'insertion professionnelle des jeunes (AGEFOP, AGEPE, IFEF) ont montré leurs limites, même si, on note une croissance dans la sortie de certains enfants en nombre très réduit de la marginalité. En outre, la contribution des ONGs, bien que dynamique ne vise qu'une partie des groupes cibles. L'éducation non formelle1557 et l'alphabétisation fonctionnelle1558 des jeunes ne sont pas mises en oeuvre par les autorités publiques, pour rendre les enfants en déshérence actifs afin de participer à la vie économique et sortir ainsi de la marginalité. Enfin, le faible appui aux initiatives des jeunes 1559(financement de projets, activités génératrices de revenus) ne permet pas de façon efficace, leur intégration sociale et l'autopromotion des enfants en difficultés.

La taille du ménage est aussi un facteur favorisant la déshérence des enfants qui ne trouvent pas assez de place dans ce type de ménage. Les enfants de la rue sont généralement issus de familles nombreuses. Et dans cette fratrie, ils occupent généralement les derniers

1557 Selon l'Unesco, l'éducation non formelle (ENF), peut être définie comme « toute activité organisée et s'inscrivant dans la durée qui n'entre pas exactement dans le cadre des systèmes éducatifs formels composés des écoles, des établissements d'enseignement supérieur et des universités, ainsi que des autres institutions éducatives formellement établies » ; BORDES (V.), L'éducation non formelle, Les dossiers de la science de l'éducation, 2012, pp. 7-11. ; KERLAN (A.), POIZAT (D.), « L'éducation non formelle. » In: Revue française de pédagogie, volume 146, 2004. pp. 201-202. ;

1558 UNESCO, Guide pratique d'alphabétisation fonctionnelle. Une méthode de formation pour le développement, Paris, Unesco, 1972, 168p. ; DUMONT (B.), L'alphabétisation fonctionnelle au Mali : une formation pour le développement, UNESCO, 1973, 63 p.

1559 Toutefois quelques efforts sont actuellement en cours, notamment à travers le fonds national de la jeunesse est un Etablissement public à caractère industriel et commercial de l'Etat de Côte d'Ivoire créé par décret du 10 octobre 2012 modifiant le décret n°92-154 du 16 mars 1992 portant création, organisation et fonctionnement du fonds. Ce fonds a pour objectif principal de soutenir toute initiative des jeunes pouvant contribuer à leur insertion socio-économique.

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rangs. Si le nombre important d'enfants est considéré coutumièrement comme une richesse, dans le contexte actuel marqué par une récession économique, le chômage et l'exclusion sociale, il constitue un poids assez lourd pour des familles de conditions de vie modestes et pauvres.

On observe aussi une érosion des valeurs traditionnelles : La pression sociale et économique défavorable est tellement forte et présente qu'on assiste dans la société ivoirienne à l'érosion et l'effritement des valeurs sociales de solidarité, d'entraide. Les communautés sont tellement sollicitées qu'elles ne peuvent plus répondre aux besoins de leur membre et recourir à la solidarité qui caractérisait les relations sociales et intercommunautaires. Involontairement même, la famille devient un espace de tension, du fait que les droits seront forcément en concurrence et chaque composante de l'association des individus éprouvera la suppression de ces droits par rapport à l'autre. Si avant la famille avait le souci d'établir le bien commun, aujourd'hui elle est confrontée à l'inspiration démesurée de ses composants à l'autonomie et à l'individualisation ; ce qui heurte à sa logique d'institution. « La famille est moins conçue comme un groupe que comme cadre de l'épanouissement personnel des individus qui la composent, et particulièrement de l'enfant »1560.

Par ailleurs, les raisons qui ont conduit ces enfants dans la rue découlent, selon eux, de la volonté de se doter d'une autonomie financière afin de pouvoir se prendre en charge eux-mêmes ; Car les parents étant pauvres, ils n'arrivent pas toujours à subvenir à leurs besoins. En effet, face à la crise économique qui a engendré une paupérisation progressive des ménages, beaucoup de familles (ménages) sont confrontés à l'incapacité de satisfaire la plupart des besoins sociaux de leurs enfants (alimentation, santé, éducation). Les réalités sur le niveau de vie en Côte d'Ivoire révèlent qu'il s'ensuit une réduction de la quantité et de la qualité des repas, l'aggravation de certaines maladies ou des décès dans plusieurs ménages, la déscolarisation ou la non-scolarisation de nombreux enfants, etc. Devant cette situation alarmante, de nombreux enfants ont eu recours à la rue pour vendre des produits de consommation ou encore pour être laveurs et gardiens de véhicules, etc.

1560 FULCHIRON (H.), « De l'intérêt de l'enfant aux droits de l'enfant » in Une Convention, plusieurs regards. Les droits de l'enfant : une belle déclaration ! Et après ? Introduction aux droits de l'enfant, Tome 1, 1997, p.20.

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S'agissant de l'urbanisation et les dynamiques familiales, notons qu'en ville, l'industrialisation et ses corollaires induisent des modes de vie familiaux nouveaux. En effet, l'accentuation des difficultés économiques au cours de la dernière décennie et surtout l'absence d'emploi ainsi que le chômage ont mis en évidence le retard dans la constitution des familles. Le recul de l'âge du mariage et l'augmentation des ruptures en union1561, conduisent à une pluralité de situations familiales. Dans ce contexte de profondes mutations, l'unité familiale traditionnelle, la famille élargie tend progressivement à faire place à de nouveaux types de familles où les différents rôles attribués et exercés par les enfants ainsi que les rapports d'âge et de sexe, construits par une vision du monde et de la culture occidentale, se sont modifiés.

Que les enfants soient dans une famille élargie ou réorganisée, ils y font souvent l'objet de mépris, d'indifférence ou de mauvais traitements du fait de leur filiation. A ce propos, on observe que bon nombre d'enfants de la rue sont battus dans leur nouvelle maison (familles). En outre, la plupart des familles monoparentales a une femme à sa tête en qualité de chef de ménage. Bien souvent, cette femme est plus vulnérable sur le plan économique, car les femmes disposent généralement de moins de revenus que les hommes1562. Dès lors, les enfants issus de ce type de famille bénéficient moins ou presque pas de prestations liées à leur survie et à leur développement. Cette situation pose bien souvent un problème d'éducation des enfants car l'autorité paternelle y est absente. Par ailleurs, les enfants ne vivent pas toujours avec leurs parents. Car, parfois plusieurs unités familiales alliées se trouvent sous l'autorité du même chef. Les familles polygamiques font souvent l'objet de discorde et de rivalité entre les épouses ou leurs enfants et entre les différentes unités familiales qui les composent. Et la satisfaction des besoins socio-éducatifs et médicaux des enfants repose malheureusement sur des choix arbitraires, parfois à leur détriment. Toutes ces différentes situations familiales expliquent la déshérence de nombreux enfants. Par ailleurs, l'exploitation économique et sexuelle des enfants explique aussi en partie, une ineffectivité du droit à la protection des enfants

1561 DESROSIERS (H.) et LE BOURDAIS (C.), « Progression des unions libres et avenir des familles biparentales », In. Recherches féministes, vol. 9, n° 2, 1996, p. 65-83.

1562 Du fait du poids de nos traditions qui les marginalisent. Et parce que la majeure partie des femmes ignorent leurs droits. Elles se contentent de peu.

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§ 2. LES CAUSES DE L'EXPLOITATION ECONOMIQUE ET SEXUELLE DES ENFANTS

On peut dissocier les causes du travail et la traite d'enfants (A) de celles relatives à la persistance des sévices et exploitations sexuels des enfants (B).

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